Astronomie populaire (Arago)/XXXII/12

GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 558-567).

CHAPITRE XII

explication des saisons


Considérons d’abord la série d’objets matériels dont se compose l’horizon de Paris. Ce que nous dirons à ce sujet sera de point en point applicable à tout autre horizon semblablement placé et même à un horizon quelconque, pourvu qu’il soit situé au nord de l’équateur.

Toute la série d’objets dont se compose un horizon donné s’échauffe pendant le jour et se refroidit pendant la nuit. Le fait est constant ; personne ne le nie ; mais de quelle manière, suivant quelles lois le refroidissement, l’échauffement du sol et de l’atmosphère s’opèrent-ils ? Ici commence réellement le rôle de l’astronome et du physicien. C’est en approfondissant ces questions qu’on arrive à expliquer la diversité des températures terrestres, dans les douze mois de l’année, dans les lieux différemment situés, sur les côtes orientales comparées aux côtes occidentales des continents, sur des plateaux élevés ou près du niveau de la mer, etc.

Partons des expériences de cabinet à l’aide desquelles les physiciens ont établi qu’un corps, quel qu’il soit, se met en communication rayonnante, même à travers le vide le plus parfait, avec tous les corps, plus chauds ou plus froids que lui, composant l’enceinte matérielle dont il est entouré. Demandons-nous ensuite ce qui arrive lorsque les espaces célestes forment une partie de l’enceinte dans laquelle on opère.

La température de notre atmosphère va rapidement en diminuant à mesure que l’on s’élève. Ce résultat semble impliquer que l’espace dans lequel la Terre se trouve comme suspendue, est très-froid. Si l’atmosphère et l’espace se comportent à la manière des corps froids ordinaires, les corps terrestres d’une température élevée ou seulement modérée qui pourront rayonner, enverront constamment vers l’atmosphère et vers l’espace dans lequel notre globe se meut, une quantité de chaleur variable avec leur nature et leur température propre. Cette quantité de chaleur perdue sera-t-elle restituée par une cause quelconque ? La restitution variera-t-elle en quantité aux diverses époques de l’année ? Tel est le problème que nous devons chercher à résoudre.

La chaleur solaire est la cause première, nous pourrions presque dire, la cause unique du phénomène des saisons. Seulement cette cause est notablement modifiée dans ses effets, suivant la nature particulière des matières terrestres, liquides ou solides, qu’elle va frapper et qui l’absorbent en partie.

Lors même que le Soleil, dans un certain temps, verserait la même quantité de chaleur sur deux matières données, également absorbantes, mais de natures différentes, des absorptions égales n’élèveraient pas également les températures des deux corps. En effet, on n’a qu’à se rappeler les nombreuses variétés de terrains que les géologues ont signalées sur la surface du globe. Or les diverses substances ont des chaleurs spécifiques très-différentes (chap. ix), et par conséquent leurs températures s’élèvent très-différemment pour la même quantité de chaleur absorbée.

La matière terrestre transmet-elle, propage-t-elle facilement la chaleur ? La chaleur absorbée, provenant du Soleil, se répand en peu de temps dans une grande épaisseur ; la surface n’est jamais très-chaude.

La matière terrestre possède-t-elle des propriétés inverses ? Toute la chaleur absorbée se concentre, en quelque sorte, à la surface et en élève considérablement la température.

Ainsi, pour des lieux semblablement placés à la surface de notre planète, les phénomènes d’échauffement et de refroidissement peuvent être très-différents. L’ensemble des circonstances qui influent sur la température moyenne d’un lieu constitue son climat.

Dans les discussions relatives aux climats, il est donc indispensable de tenir grand compte de la conductibilité des matières que les rayons solaires vont échauffer. Il faut surtout bien apprécier, sous ce rapport, les propriétés comparatives des solides et des liquides : on ne doit pas oublier que la surface solide du globe étant 1, la partie recouverte par la mer est 2,7, presque 3.

L’eau n’a que très-peu de conductibilité pour la chaleur (chap. iii). En outre, comme les seuls rayons absorbés produisent un échauffement, comme les corps terrestres s’échauffent seulement à leur surface, la chaleur reçue par une surface aqueuse étant employée à la vaporiser (chap. ix), il en résulte que la mer s’échauffe peu. Jamais, loin de terre, on ne la trouve au-dessus de plus de 30°. La température du sol s’élève au contraire dans quelques lieux jusqu’à 70°. Jamais l’air n’a une température supérieure à celle de la mer. Il ne s’échauffe donc que par contact. Les terres ont un grand pouvoir émissif, mais la mer, ainsi que nous le verrons plus loin (chap. xv), ne se refroidit que peu.

Ces principes posés, il est facile d’expliquer le phénomène des saisons et d’apprécier les changements qui peuvent se produire lorsque l’on passera d’un horizon tel que celui de Paris, à un horizon composé différemment mais placé sur un même parallèle.

Depuis le 21 mars, époque de l’équinoxe de printemps, jusqu’au 23 septembre, époque de l’équinoxe d’automne, le jour dans nos climats surpasse la nuit, le Soleil est au-dessus de l’horizon de Paris pendant plus de douze heures.

Pendant que les rayons solaires tombent sur les objets solides ou liquides contenus dans notre horizon, ils les échauffent. Ainsi, le 21 mars, toute son étendue est échauffée pendant douze heures consécutives, mais en même temps elle est refroidie par voie de rayonnement vers l’espace, pendant ces mêmes douze heures de jour et pendant les douze heures de nuit qui leur succèdent, c’est-à-dire en tout pendant vingt-quatre heures. Il n’est pas possible de dire à priori si la perte surpasse le gain, car cela doit dépendre de l’intensité du rayonnement vers l’espace planétaire et de celle de l’action échauffante des rayons solaires, deux choses qui numériquement nous sont inconnues. Mais examinons ce qui se passe le 22 mars.

Ce jour-là les rayons solaires échaufferont l’horizon pendant un peu plus de douze heures. Quant au refroidissement par rayonnement, il s’opérera comme la veille pendant vingt-quatre heures. Or, ce qui prouve incontestablement que l’action échauffante, quoique ne s’exerçant que pendant environ douze heures, est supérieure, à cette époque de l’année, à l’action refroidissant, que l’horizon a plus gagné qu’il n’a perdu, c’est qu’abstraction faite des circonstances accidentelles, la température du 22 mars surpasse généralement celle du 21.

Nous arriverons au même résultat en comparant la température du 23 à celle du 22, et ainsi de suite.

Les rayons calorifiques du Soleil produisent des effets de plus en plus considérables jusqu’au 21 juin, parce qu’ils exercent leur action pendant des périodes graduellement plus longues, les jours augmentant sans cesse de longueur jusqu’à l’époque du solstice. Toutefois cette cause, quoique prépondérante, n’est pas la seule qui occasionne les effets en question.

Considérons l’inclinaison sous laquelle les rayons solaires tombent sur la généralité des objets dont l’horizon de Paris se compose, à midi, par exemple. Cette inclinaison, comptée à partir de la surface, va en croissant jusqu’au 21 juin ; donc les rayons absorbés, ceux qui seuls peuvent contribuer à l’échauffement des objets terrestres, comme nous l’avons vu (chap. vii), iront chaque jour en augmentant vers le solstice.

Une troisième cause d’échauffement également influente doit être signalée ici. Le Soleil peut être considéré comme le centre d’une sphère d’où partiraient des rayons dans toutes les directions imaginables. Or, si à une certaine distance du centre de cette sphère on suppose un horizon d’une étendue déterminée exposé à l’action de ces rayons divergents, cet horizon en embrassera un nombre d’autant plus considérable qu’il se présentera à eux dans une direction plus voisine de la perpendiculaire. Qui ne voit que dans tous les midis compris entre le 21 mars et le 21 juin, un horizon quelconque, dans nos climats, se présente en effet aux rayons solaires dans des directions de plus en plus voisines de la perpendiculaire ?

Ajoutons enfin que les rayons ne parviennent à la partie solide de notre globe qu’à travers une atmosphère, et que celle-ci, comme tout le monde a pu l’observer, arrête une quantité de rayons d’autant plus considérable qu’elle est traversée dans une plus grande longueur et plus obliquement.

Ainsi, en résumé, depuis le 21 mars jusqu’au 21 juin, l’horizon de Paris reçoit de jour en jour plus de rayons solaires ; ces rayons arrivent avec plus d’intensité, sous des inclinaisons, à midi du moins, de plus en plus favorables pour l’absorption ; enfin leur action a chaque jour une plus grande durée. Par toutes ces causes l’horizon doit s’échauffer entre ces deux époques.

Remarquons, en outre, qu’à mesure qu’un horizon s’échauffe, sa vertu rayonnante, je dirai presque sa faculté refroidissant, va en augmentant. L’observation seule peut donc montrer à quelle époque les deux effets contraires se compenseront exactement, à quelle époque l’horizon cessera de s’échauffer.

En discutant une longue suite d’observations météorologiques, on a trouvé qu’à Paris, l’instant de la compensation, l’instant où la chaleur est à son maximum, ne coïncide pas avec le 21 juin, jour du solstice d’été, mais qu’il a lieu vers le 15 juillet.

Maintenant il est certain que, depuis cette époque jusqu’au 21 décembre, les jours deviennent de plus en plus courts, pour un lieu situé au nord de l’équateur ; que l’action solaire va sans cesse en diminuant ; que ces rayons arrivent à l’horizon de Paris de plus en plus affaiblis, parce qu’ils traversent des couches atmosphériques plus étendues et moins diaphanes ; que l’inclinaison de la lumière à midi et à des heures voisines de ce moment de la journée, par rapport à cet horizon ou à tout autre situé dans l’atmosphère nord, et comptée à partir de sa surface, devient de moins en moins grande, et est alors moins propre à l’absorption ; que cet horizon reçoit une quantité de rayons solaires sans cesse décroissante. De toutes ces raisons réunies il résulte que la température de l’horizon de Paris et de tout autre horizon situé dans l’hémisphère nord, doit toujours aller en diminuant ; mais il n’est pas évident de soi-même qu’il y aura compensation entre le rayonnement vers l’espace et les causes échauffantes, qui ont été sans cesse en s’affaiblissant, le 21 décembre, jour du solstice d’hiver.

L’observation montre, en effet, qu’à Paris la compensation parfaite n’arrive que vers le 14 janvier : c’est, abstraction faite des causes accidentelles, le jour du maximum du froid de l’année. À partir de cette époque, et jusqu’au 15 juillet suivant, la température va toujours en augmentant, ainsi que nous l’avons déjà expliqué, en prenant le 21 mars pour point de départ.

Toute cette série de raisonnements s’appliquerait à l’horizon d’un lieu situé dans l’hémisphère sud, comme Paris est situé dans l’hémisphère nord. Seulement nous trouverions, et ce résultat est conforme aux observations, que les mois les plus chauds dans l’hémisphère nord seraient les plus froids dans l’hémisphère sud, et réciproquement.

Le temps de la révolution entière du Soleil, ou la durée de l’année, a été à toutes les époques partagée en quatre périodes distinctes. L’intervalle compris entre le 21 mars et le 21 juin s’appelle le Printemps. L’intervalle qui s’écoule entre le 21 juin et le 23 septembre s’appelle l’Été. Le nombre de jours compris entre le 23 septembre et le 21 décembre compose l’Automne ; et du 21 décembre au 21 mars on est en Hiver.

Il résulte de ce que nous venons de dire que le printemps de l’hémisphère boréal correspond à l’automne de l’hémisphère opposé, et que lorsque de ce côté de l’équateur nous subissons les chaleurs de l’été, on ressent les froids de l’hiver dans les latitudes méridionales.

Les causes diverses qui changent l’action calorifique du Soleil sont très-peu variables durant toute l’année dans les deux régions voisines de l’équateur, situées l’une dans l’hémisphère nord, l’autre dans l’hémisphère sud, qu’on appelle les régions tropicales et qui forment la zone torride. Le jour y a, en effet, presque la même durée toute l’année ; les hauteurs méridiennes du Soleil y sont peu variables, les quatre saisons, eu égard à la température, doivent donc peu différer les unes des autres. Par une raison toute contraire, les saisons seront très dissemblables au nord comme au midi de l’équateur dans les régions où les jours auront dans l’année des durées très-inégales, ou, ce qui est presque la même chose en d’autres termes, là où les hauteurs méridiennes du Soleil changeront beaucoup dans le cours de l’année. Ces résultats de la théorie sont parfaitement vérifiés par les observations.

Une conséquence non moins évidente, c’est qu’il doit y avoir dans l’année une seule période de températures croissantes à laquelle succède une seule période contraire ou de températures décroissantes.

Voyons si les températures de Paris sont d’accord avec nos prévisions.

Les observations faites à l’Observatoire depuis 1806 jusqu’à 1851 inclusivement, c’est-à-dire pendant quarante-six ans, donnent les résultats suivants, pour les moyennes des températures maxima, des températures minima et des températures moyennes :

Mois Températures moyennes

maxima. minima. moyennes.
Janvier 
5°,02 — 0°,87 2°,07
Février 
7 ,31 0 ,67 3 ,99
Mars 
10 ,01 3 ,15 6 ,58
Avril 
13 ,12 6 ,51 9 ,81
Mai 
18 ,38 10 ,67 14 ,52
Juin 
21 ,12 13 ,56 17 ,34
Juillet 
22 ,67 15 ,41 19 ,04
Août 
22 ,42 14 ,57 18 ,49
Septembre 
18 ,85 12 ,08 15 ,46
Octobre 
14 ,64 7 ,30 10 ,97
Novembre 
9 ,67 3 ,91 6 ,79
Décembre 
6 ,85 0 ,33 3 ,59
Températures annuelles 
14°,17 7°,27 10°,72

On voit que, soit que l’on consulte les maxima moyens de chaque mois, soit que l’on considère les minima moyens, soit enfin qu’on se contente de prendre les températures moyennes seulement, la chaleur tient une marche croissante de janvier à juillet et décroissante de juillet à décembre. Le mois le plus chaud est bien celui de juillet qui suit le solstice d’été, et le mois le plus froid est bien celui de janvier qui suit le solstice d’hiver. La moyenne des minima n’est qu’une seule fois, pour janvier, au-dessous de zéro ; les mois les plus froids sont décembre, janvier et février, et constituent l’hiver climatologique réel ; le printemps est formé par les mois de mars, d’avril et de mai ; l’été par les trois mois les plus chauds, juin, juillet et août ; les trois autres mois, septembre, octobre et novembre, forment le véritable automne.