Astronomie populaire (Arago)/XXXII/09

GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 548-553).

CHAPITRE IX

échauffement des eaux de l’océan — capacité de l’eau pour la chaleur — chaleur spécifique, chaleur sensible et chaleur latente de la glace (eau gelée), de l’eau liquide et de la vapeur d’eau — froid qui accompagne toujours l’évaporation


Dans l’explication des saisons, nous aurons à considérer l’échauffement des eaux de l’Océan, le phénomène de température qu’on observe pendant l’échauffement de l’eau, à son passage de l’état solide à l’état liquide, enfin pendant la transformation de l’eau en vapeur et de la vapeur en pluie. Examinons conséquemment comment tous ces phénomènes s’opèrent au point de vue de la température.

La chaleur nécessaire pour élever la température d’un corps de 1°, de 10°, de 20°, etc., est variable suivant la nature de ce corps. L’eau est, de tous les corps connus, les autres circonstances restant égales, celui qui exige le plus de chaleur pour s’échauffer d’une quantité déterminée. L’eau, en nous servant d’une expression des physiciens, a une très-grande capacité pour la chaleur. Une expérience très-simple mettra cette vérité dans tout son jour.

Quand on plonge dans un kilogramme d’eau à 0° un kilogramme de limaille de fer à 11° le mélange est à la température de 1°. Les degrés de température que le kilogramme de fer a perdus dans cette circonstance n’ont augmenté que de 1° la température du kilogramme d’eau. La capacité de l’eau pour la chaleur est donc onze fois plus grande que la capacité du fer.

La chaleur spécifique d’un corps solide ou liquide est sa capacité rapportée à celle de l’eau prise pour unité. Voici quelques résultats déduits d’expériences récentes. Je les emprunte à mes confrères MM. Despretz et Regnault.

Eau 
 1,000
Solution de nitre  
eau 
 8
0,819
nitre 
 1
Acide nitrique 
 0,661
Alcool ordinaire 
 0,659
Acide sulfurique 
 0,335
Huile d’olive 
 0,310
Charbon 
 0,241
Chaux vive 
 0,217
Craie et marbre 
 0,215
Soufre 
 0,202
Crown-glass 
 0,193
Fer 
 0,113
Cuivre 
 0,095
Argent 
 0,057
Étain 
 0,036
Mercure 
 0,033
Or 
 0,032
Plomb 
 0,031

L’eau qui recouvre les trois quarts du globe se transforme incessamment en vapeur invisible, en vapeur visible ou nuages ; ensuite elle redevient liquide sous forme de pluie. L’eau se congèle dans certaines saisons et reprend sa fluidité primitive dès que l’atmosphère se réchauffe suffisamment. Que se passe-t-il, quant à la chaleur, pendant ces changements d’état ?

Quand on mêle un kilogramme d’eau à zéro avec un kilogramme d’eau à 79° centigrades, les deux kilogrammes d’eau provenant du mélange sont à 39° 1/2, c’est-à-dire à la température moyenne des deux liquides composants. L’eau chaude a conservé 39° 1/2 de sa température primitive ; elle a cédé les autres 39° 1/2 à l’eau froide. Cela est naturel et pouvait être prévu.

Répétons l’expérience avec une seule modification : au kilogramme d’eau à zéro substituons un kilogramme de glace également à zéro. Du mélange de ce kilogramme de glace avec le kilogramme d’eau à 79°, résulteront deux kilogrammes d’eau liquide ; mais cette fois, la température, au lieu d’être à 39° 1/2, sera à zéro. Les 79 degrés de l’eau ont été employés à désagréger les molécules de la glace, à se combiner avec elles sans les échauffer.

L’eau à zéro et la glace à zéro diffèrent donc dans leur composition intime. Le liquide renferme de plus que le solide 79 degrés de chaleur, mais d’une chaleur combinée, non sensible au thermomètre, d’une chaleur que, pour cette raison, on a appelée latente.

La comparaison de l’eau bouillante à la vapeur qui s’en dégage, et dont la température est aussi de 100° centigrades, conduira à des résultats analogues, mais plus frappants encore.

La vapeur d’eau se condense, redevient de l’eau liquide, lorsqu’elle traverse de l’eau dont la température est au-dessous de 100° centigrades. Ceci posé, prenons 5kil,35 d’eau à 0° ; faisons-les traverser par de la vapeur à 100°. Arrêtons l’expérience lorsque l’eau primitive et l’eau condensée formeront un poids total de 6kil,35 ; le thermomètre montrera que ces 6kil,35 sont à 100°.

De ces 6kil,35, il y avait 1 kilogramme qui primitivement était déjà à 100°, mais à l’état de vapeur. Les 5kil,35 restants marquaient originairement 0° ; leur température n’a pu s’élever, n’a pu devenir 100° qu’aux dépens de la chaleur que la vapeur a abandonnée en passant de l’état aérien à l’état liquide. Dans la composition d’un kilogramme de vapeur à 100°, il entre donc une quantité de chaleur cachée, de chaleur latente, capable de porter de 0° à 100° un poids 5,35 fois plus grand d’eau liquide ; en d’autres termes, la chaleur latente d’un kilogramme de vapeur élèverait un poids équivalent d’eau de 0° à 535°, si l’on empêchait cette eau de s’évaporer pendant son échauffement.

Ce résultat numérique doit paraître énorme ; mais il ne saurait être contesté. La vapeur n’existe qu’aux conditions que nous venons d’exposer. Toutes les fois que de l’eau se transforme en vapeur, elle emprunte aux corps environnants une quantité de chaleur capable de la porter de la température de 0° à 535°. Si elle est à 10, à 20, à 30°, etc., elle absorbe, en se vaporisant, 525, 515, 505, etc., degrés.

La vapeur restitue ces centaines de degrés de chaleur latente aux surfaces sur lesquelles sa liquéfaction s’opère. Voilà, pour le dire en passant, le secret du chauffage à la vapeur. On comprend bien mal ce procédé industriel lorsqu’on s’imagine que le gaz aqueux va seulement porter au loin, dans des tuyaux où il circule, la chaleur thermométrique ; ses principaux effets sont dus à la chaleur de composition, à la chaleur cachée, à la chaleur latente qui se dégage au moment où le contact de surfaces comparativement froides ramène la vapeur de l’état gazeux à l’état liquide.

Pour mettre en complète évidence l’action réfrigérante de la vaporisation, je citerai une expérience curieuse de M. Bussy dans laquelle cette action est portée à l’extrême.

Qu’on entoure de coton la boule d’un thermomètre à alcool ; qu’on la plonge ensuite dans de l’acide sulfureux liquide. Cela fait, si on laisse le liquide s’évaporer spontanément à l’air, il se produit sur-le-champ un froid de — 57° centigrades. Dans le vide de la machine pneumatique, l’évaporation est plus rapide et le thermomètre descend jusqu’à — 68°.

Par ce procédé on peut faire en tout lieu et en toute saison l’expérience jadis si difficile de la congélation du mercure.