Astronomie populaire (Arago)/XI/15

GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 516-519).

CHAPITRE XV

distribution de la matière phosphorescente dans les vraies nébuleuses — modifications que l’attraction y apporte avec le temps


La lumière des grandes taches laiteuses, qui constituent les vraies nébuleuses, est généralement très-faible et uniforme ; çà et là seulement, on remarque quelques espaces un peu plus brillants que le reste.

À quoi faut-il attribuer cette augmentation d’intensité en des points particuliers ? Dépend-elle d’une plus grande concentration ou d’une plus grande profondeur de la matière nébuleuse ? Le choix entre les deux explications n’est pas indifférent.

Les places où, dans les grandes nébulosités, se remarque une lumière comparativement vive, ont d’ordinaire peu d’étendue. Si donc on veut attribuer le phénomène à une plus grande profondeur de la matière nébuleuse, il faudra concevoir qu’à chacun des points en question correspond une sorte de colonne de cette matière : colonne rectiligne, très-resserrée, et exactement dirigée vers la terre. Cette spécialité de direction pourrait sembler possible dans tel ou tel point particulier. Il n’en saurait être ainsi ni pour l’ensemble des places rayonnantes circonscrites qu’offre tout le firmament, ni même pour les deux, les trois ou les quatre de ces places qui se remarquent dans une seule nébuleuse. Il faut donc admettre qu’il s’est produit une condensation, une augmentation de densité dans certains points des espaces nébuleux dont tout à l’heure nous calculions la vaste étendue superficielle (chap. xiii).

Cette condensation est-elle l’effet d’une force attractive, analogue à celle qui maîtrise, qui régit tous les mouvements de notre système solaire ? Tel est le magnifique problème dont nous devons maintenant chercher la solution.

Dans l’avenir, il suffira d’un double coup d’œil jeté sur les nébuleuses de l’époque et sur les portraits, admirables de délicatesse et de fidélité, que les astronomes en font aujourd’hui, pour décider si le temps altère sensiblement les dimensions et les formes de ces groupes mystérieux ; mais l’antiquité n’ayant laissé à cet égard aucun terme de comparaison, nous sommes réduits à attaquer le problème par les voies directes. Cependant, j’ai tout lieu d’espérer que la solution n’en paraîtra guère moins évidente.

Les phénomènes que doit amener l’existence de divers centres d’attraction répandus sur toute l’étendue d’une seule et vaste nébuleuse, se développeront dans cet ordre :

Çà et là, la disparition de la lueur phosphorescente ; la naissance de solutions de continuité, de déchirures dans le rideau lumineux primitif, résultat nécessaire du mouvement de la matière vers les centres attractifs ;

L’agrandissement des déchirures, c’est-à-dire la transformation d’une nébuleuse unique en plusieurs nébuleuses distinctes, peu distantes les unes des autres et liées quelquefois par des filets de nébulosité très-déliés ;

L’arrondissement du contour extérieur des nébuleuses séparées ; une augmentation plus ou moins rapide de leur intensité en allant de la circonférence au centre ;

La formation à ce centre d’un noyau très-apparent, soit par les dimensions, soit par l’éclat ;

Le passage de chaque noyau à l’état stellaire avec la persistance d’une légère nébulosité environnante ;

Enfin, la précipitation de cette dernière nébulosité, et, pour résultat définitif, autant d’étoiles qu’il y avait, dans la nébuleuse originaire, de centres d’attraction distincts.

En combien de temps une seule et même nébuleuse pourrait-elle subir toute cette série de transformations ? On l’ignore absolument. Ici, il faudrait peut-être des millions d’années ; là, avec d’autres conditions d’étendue, de densité et de constitution physique de la matière phosphorescente, des périodes de temps beaucoup plus courtes seraient suffisantes, comme l’apparition subite de l’étoile nouvelle de 1572 semblerait l’indiquer (liv. ix, chap. xxviii et xxxi).

L’inégale rapidité des transformations conduit à une conséquence importante. En partant de cette base, il est évident que les nébuleuses, fussent-elles toutes du même âge, doivent, dans leur ensemble, offrir les diverses formes dont j’ai donné l’énumération. Vers telle région, les siècles auront à peine amené une accumulation visible de la matière phosphorescente autour de quelques centres d’attraction ; vers telle autre région, grâce à un mouvement de concentration plus précipité, nous trouverons déjà des groupes de nébuleuses à noyau ; des étoiles nébuleuses s’offriront enfin, çà et là, comme le dernier échelon conduisant aux étoiles proprement dites.

Tous ces états de la matière nébuleuse indiqués par la théorie, l’observation les avait révélés d’avance. L’accord est aussi satisfaisant qu’on puisse le désirer. Seulement, au lieu de suivre les transformations pas à pas dans une nébuleuse unique, on en a constaté la marche et les progrès par des observations d’ensemble. N’est-ce pas ainsi qu’opère le naturaliste quand il est forcé de décrire, pour tous les âges, le port, la taille, les formes, les apparences extérieures des arbres composant les forêts qu’il traverse rapidement ? Les modifications qu’un très-jeune arbre éprouvera, il les aperçoit d’un coup d’œil, nettement, sans aucune équivoque, sur les pieds de la même essence arrivés déjà à des degrés de croissance et de développement plus complets.