Astronomie populaire (Arago)/IX/31

GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 416-426).

CHAPITRE XXXI

des diverses explications données des étoiles nouvelles


Lorsque l’étoile nouvelle (je ne dis pas périodique) et si brillante de 1572, fit inopinément et brusquement son apparition dans Cassiopée, la doctrine péripatéticienne de l’incorruptibilité des cieux n’était pas aussi judaïquement admise qu’on l’a supposé. Plusieurs astronomes, entre autres Tycho-Brahé, soutinrent, en effet, que cette étoile était le résultat de la récente agglomération d’une portion de la matière diffuse répandue dans tout l’univers ; ils la considéraient comme une création nouvelle. Ce qui semblait confirmer la conjecture de Tycho, c’est que toutes les étoiles nouvelles dont les historiens font mention avaient apparu ou dans la voie lactée, ou très-près des limites occidentales de cette bande lumineuse.

Des scrupules scolastiques et religieux éloignèrent beaucoup d’astronomes de l’opinion professée par Tycho. Les cieux, disaient-ils, ont été créés tout d’un coup dans leur entière perfection : rien ne s’y modifie, rien n’y éprouve de transformation. L’étoile appelée nouvelle était donc aussi ancienne que le monde. En soi, elle ne brillait pas plus dans l’année 1572 qu’aux époques antérieures ; seulement à ces époques de non-visibilité, l’étoile était considérablement plus éloignée de la terre. Pour devenir visible, éclatante, il avait suffi qu’elle se rapprochât beaucoup. Elle s’était ensuite graduellement affaiblie jusqu’à la disparition totale, en retournant à sa première place. Ces mouvements, d’abord vers la terre et plus tard en sens opposé, s’étaient effectués exactement en ligne droite, puisque dans les seize mois que durèrent les observations, l’étoile nouvelle conserva rigoureusement la même position au milieu des étoiles anciennes qui l’entouraient.

Je viens d’expliquer comment Jérôme Fracastor, comment J. Dee, comment Elie Camerarius rendaient compte de l’apparition et de la disparition de l’étoile de Cassiopée. Tycho croyait opposer aux idées de ses contemporains une objection entièrement décisive, en disant : « Le mouvement en ligne droite n’est pas naturel aux corps célestes. » Mais il faut observer que les phénomènes n’impliquaient pas un déplacement de l’étoile mathématiquement rectiligne. En substituant à la ligne droite une orbite elliptique très-allongée, une orbite courbe dont l’axe transversal serait assez petit pour devenir insensible à la distance de l’étoile à la terre, il n’y aurait en effet rien de changé dans les apparences, et l’objection de Tycho s’évanouirait.

Ceux-là soulevaient une difficulté plus grave qui disaient : L’étoile se trouve à très-peu près dans les mêmes conditions quand elle se rapproche de la terre et quand elle s’en éloigne ; les deux excursions doivent être faites avec des vitesses égales. Il n’y a aucune cause qui ait pu rendre la période d’augmentation d’intensité, différente de la période de décroissement. Or, l’étoile de Cassiopée, après s’être montrée tout à coup, employa douze mois à descendre de la première à la septième grandeur. Cette seule remarque renverse de fond en comble l’explication tirée de prétendus changements de distance, du moins pour ceux qui croient que l’étoile se montra tout à coup, pour ceux qui admettent qu’une étoile nouvelle de troisième et de deuxième grandeur, n’aurait pas échappé des semaines entières, même à des astronomes non avertis de son apparition.

Si les astronomes du temps de Tycho avaient connu la vitesse de la lumière et pu porter dans leurs observations de parallaxe, la précision dont les modernes se vantent avec raison, ils auraient sans doute déduit de l’hypothèse d’un changement de distance, considérée comme un moyen de rendre compte des variations d’intensité de l’étoile de 1572, des conséquences devant lesquelles, suivant moi, les plus hardis auraient reculé. Le lecteur va en juger.

L’étoile de 1572 se trouvant dans la région des étoiles ordinaires, sa distance à la terre était au moins égale à celle que la lumière parcourt en trois ans.

En point de fait, au moment de sa brusque apparition et plusieurs mois après, l’étoile nouvelle surpassait les plus brillantes étoiles de première grandeur anciennement connues. Pour qu’une étoile de première grandeur devienne de seconde en s’éloignant directement de la terre, il faut, nous l’avons prouvé (chap. v), qu’elle ait cheminé d’une quantité égale à sa distance primitive. Ainsi l’étoile de première grandeur de 1572 ne se serait affaiblie jusqu’au deuxième ordre qu’après avoir rétrogradé d’un nombre de lieues au moins égal à celui que la lumière franchit en trois ans. Six ans au moins, se seraient écoulés entre le dernier jour de la période durant laquelle l’étoile brilla de tout son éclat, et le premier jour où on ne l’aurait plus vue que de seconde grandeur, « quand même la vitesse de translation de l’étoile eût été égale à celle de la lumière. » Il aurait fallu, en effet, trois ans pour le passage de l’étoile de la position de première à la position de seconde grandeur, et trois ans pour le trajet de la lumière entre cette seconde position et la première. En maintenant toujours la même supposition sur la vitesse du corps volumineux de l’étoile, le passage de la deuxième grandeur à la troisième aurait exigé un nouvel intervalle de six ans, et ainsi de suite jusqu’à la septième grandeur.

En résumé, l’astre du milieu de novembre 1572, s’éloignant de la terre avec la vitesse de la lumière, n’aurait passé, par l’effet de son changement de distance, d’une grandeur à la grandeur suivante qu’en six ans ; il eût employé trente-six ans entiers à descendre de la première à la septième grandeur. Rapprochons ces calculs des résultats des observations.

En mars 1573, l’étoile nouvelle de Cassiopée était encore de première grandeur.

Un mois après, en avril 1573, elle était déjà descendue à la deuxième grandeur.

Vainement, pour expliquer une si rapide variation d’intensité à l’aide d’un simple changement de distance, aurait-on doué l’étoile d’une vitesse plus grande que la vitesse de la lumière, ou, si l’on veut, d’une vitesse infinie. Cette dernière supposition elle-même ne réduirait que de moitié les nombres trouvés.

Il est sans doute inutile de pousser ces considérations plus loin. J’ajouterai seulement un fait en faveur de ceux que de semblables calculs peuvent intéresser. L’étoile nouvelle de première grandeur en mars 1573, était descendue à la septième grandeur en mars 1574 ; alors, en effet, aucun astronome ne la voyait plus à l’œil nu.

Lorsque Cardan soutenait que l’étoile nouvelle de 1572 était celle qui se montra aux Mages et les conduisit à Bethléem ; lorsque Théodore de Bèze, embrassant la même hypothèse, ajoutait que cette apparition annonçait le second avénement du Christ, comme l’apparition biblique avait précédé le premier, ils faisaient l’un et l’autre de l’astrologie et non de l’astronomie. Je puis donc m’en tenir à cette simple mention d’une si étrange aberration de deux esprits supérieurs.

J’aurais presque le droit de qualifier avec la même sévérité le système que Vallesius Covarrobianus imagina pour expliquer comment l’étoile nouvelle pouvait avoir existé, depuis l’origine des choses, dans la place même qu’elle occupait en 1572, et être devenue subitement si brillante, tout en restant au fond très-petite. Cet auteur prétendait que l’éclat extraordinaire, exceptionnel de l’étoile, avait été l’effet de l’interposition d’une partie plus dense de quelque orbe céleste.

Ainsi les orbes solides emboîtés les uns dans les autres, les sphères de cristal des anciens, se présentaient encore comme une réalité à l’esprit des astronomes de la fin du XVIe siècle. Si je comprends bien la pensée de Covarrobianus, les orbes, dans leurs points de renflement, auraient agi comme les lentilles de nos phares, en empêchant les rayons de l’étoile de diverger, en les ramenant au parallélisme, et les jetant dans cet état jusqu’aux dernières limites de l’espace. Enlevait-on vraiment quelque chose au ridicule de la conception, en remplaçant, avec divers auteurs, le renflement de la sphère cristalline par un amas lenticulaire de vapeurs ?

De toutes les causes auxquelles il était possible de recourir pour expliquer les apparitions, les disparitions de certaines étoiles et leurs changements graduels d’intensité, celle qui consistait à doter ces astres de faces diversement lumineuses, et de mouvements de rotation autour de leur centre, aurait dû, suivant nos idées, s’offrir la première et le plus naturellement à l’esprit des astronomes du XVIe siècle. Pourquoi n’en fut-il pas ainsi ? La réponse à cette question n’est pas difficile à trouver. Avant le commencement du XVIIe siècle, avant la découverte des lunettes, on n’avait aperçu ni les taches du soleil, ni les taches beaucoup plus faibles qui se montrent quelquefois à la surface des planètes, aucun astre ne s’était donc offert encore aux yeux des astronomes avec un mouvement de rotation sur son centre. Copernic, il est vrai, dans son mémorable traité de Revolutionibus, faisait tourner la terre ; mais l’assimilation, sous un pareil rapport, de notre globe au soleil ou aux étoiles était une de ces témérités que les hommes de génie ont seuls le droit de se permettre.

Ce que je viens de nommer une témérité, se trouve en toutes lettres dans la dissertation que Kepler publia à l’occasion de l’étoile nouvelle de 1604 : « Il est croyable, disait le grand astronome, que toutes les planètes et les fixes tournent autour de leurs axes. » Plus tard, en 1609, il étendit sa conjecture au soleil. Le xxxiie chapitre de l’immortel ouvrage de Motibus stellœ Martis renferme ce passage : « Le corps du soleil est magnétique, il tourne autour de lui-même. »

La glace était alors rompue. Les lunettes allaient d’ailleurs vérifier les prédictions de Kepler et mettre définitivement les astronomes en possession d’un nouveau moyen d’expliquer certains phénomènes du ciel étoilé. Cependant cinquante années s’écoulèrent avant qu’ils songeassent à en faire usage.

Pour rendre compte de l’apparition des étoiles de 1572 et de 1604, sans enfreindre la maxime de l’incorruptibilité des cieux, sans regarder ces étoiles comme des créations nouvelles, Riccioli supposa (Almagestum novum, 1651) qu’il existe au firmament certaines étoiles qui, de toute éternité, sont lumineuses seulement dans une moitié de leur surface et obscures dans l’autre moitié. Bérose le Chaldéen avait déjà constitué la lune de cette manière, à l’occasion d’une explication absurde des phases. Riccioli ajoutait : « Quand Dieu veut montrer aux hommes quelques signes extraordinaires, il fait tourner brusquement une de ces étoiles sur son centre ; par une semblable révolution, l’étoile se dérobe à nos regards soit subitement, soit seulement peu à peu, comme la lune dans son décours, suivant les circonstances du mouvement.

Après avoir tant hésité à recourir à des mouvements de rotation pour expliquer les changements d’intensité réguliers et rapides qu’offrent les étoiles périodiques, on est allé jusqu’à faire dépendre de la même cause les apparitions des étoiles nouvelles. Ainsi les étoiles, citées par des historiens, qui se montrèrent en 945 et en 1264, dans la région du ciel comprise entre Céphée et Cassiopée, seraient d’anciennes apparitions de l’étoile de 1572.

Il est naturel d’opposer à cette hypothèse que les trois époques ne sont pas également espacées ; que de 945 à 1264, on compte 319 années, et que de 1264 à 1572, il y en a 308 seulement. À cela voici la réponse : des étoiles périodiques à courts intervalles et fréquemment observées, ont présenté des irrégularités proportionnellement aussi fortes.

Si 300 et quelques années constituent la durée de la révolution de l’étoile nouvelle de Tycho, pourquoi ne la vit-on pas dans le VIIe siècle ? On ne pourrait ici se réfugier dans le peu de valeur des arguments négatifs. Il est mieux de faire remarquer que la plupart des étoiles changeantes ne reviennent pas au même éclat dans toutes leurs périodes ; que la différence, à cet égard, va quelquefois jusqu’à près de deux grandeurs ; qu’en supposant enfin, que l’étoile de Cassiopée ne se soit élevée dans quelques-uns de ses éclats qu’au niveau des étoiles de septième grandeur, les observateurs privés de lunettes n’en ont pas pu tenir note.

Je dois dire que les astronomes Keill et Pigott, au lieu d’attribuer à l’étoile de 1572 une période de 300 et quelques années, trouvaient préférable d’adopter la moitié de ce nombre, ou environ 150 ans. Une période de 150 ans, sans soulever d’autres difficultés que la période double, aurait sur celle-ci l’avantage de se rapprocher beaucoup plus des périodes reconnues dans des étoiles variables proprement dites. Herschel crut faire une découverte essentielle le jour où il intercala α d’Hercule avec ses 60 jours de révolution, entre des étoiles de 3 à 7 jours et des étoiles de 400 jours. Ici, le chaînon intermédiaire entre ces premières étoiles et l’étoile de 150 ans de période, serait l’étoile, située dans la poitrine du Cygne, découverte en 1600 par Jansonius. Suivant Pigott, en effet, la durée de tous les changements d’intensité de cette étoile, pour les périodes croissante et décroissante réunies, s’élèverait à dix-huit ans.

Quoi qu’il en soit de ces divers rapprochements, je vais m’appuyer sur des observations certaines, quoique d’une nature assez délicate, pour établir que l’étoile de 1572 ne pourrait pas, sans d’importantes restrictions, être assimilée aux vraies étoiles périodiques.

Le 11 novembre 1572,
jour où l’étoile se montra subitement, où Tycho l’aperçut pour la première fois, elle était blanche. Tout le monde la compara, en effet, pour la nuance à Sirius, à Jupiter et à Vénus ; elle surpassait en intensité les deux premiers de ces astres.
En décembre 1572,
l’étoile, déjà diminuée, était comparable à Jupiter pour l’intensité et la nature de la lumière.
En janvier 1573,
l’étoile inférieure à Jupiter semblait un peu jaunâtre.
A la fin de mars 1573,
les astronomes assimilaient l’étoile nouvelle à Aldebaran (étoile rougeâtre). Ils lui attribuaient unanimement une couleur semblable à celle de Mars. Sa teinte rouge n’était donc pas équivoque.
Au mois de mai 1573,
elle avait perdu la teinte rouge. Sa nuance était alors le blanc de la planète de Saturne.
En janvier 1574, elle était de cinquième grandeur ; blanche.
En mars 1574,
elle était devenue invisible à l’œil nu. Les lunettes alors n’étaient pas encore inventées.

Pour concilier la coloration en rouge de l’étoile dans les premiers mois de l’année 1573, avec ce que nous savons de l’égalité de vitesse des rayons de différentes couleurs, ou avec ce que nous a offert l’observation des étoiles périodiques proprement dites, nous devons admettre qu’il s’opéra des changements physiques considérables dans l’étoile nouvelle, et c’est par ce caractère qu’elle se distingua des étoiles périodiques ; remarquons toutefois qu’on pouvait supposer, suivant les idées d’un astronome célèbre, sir John Herschel, qu’un milieu imparfaitement diaphane, qu’une sorte de nuage cosmique voyageant dans les espaces célestes, s’interposa entre Cassiopée et la Terre, et que la portion de ce nuage traversée par les rayons venant de l’étoile nouvelle, était plus épaisse en mars qu’à toutes les autres époques.

Ceux qui lisent les ouvrages de Kepler sans une attention suffisante, sans un sévère esprit de critique, s’imaginent que l’étoile nouvelle de 1604 ou du Serpentaire, présenta des phénomènes de coloration extraordinaires, les plus divers et les plus prononcés ; c’est une erreur qu’il importe de relever.

Kepler parle de teintes jaunes, safran, pourprées, rouges ; mais, puisqu’on ne les voyait qu’à travers les vapeurs de l’horizon, elles n’avaient rien de réel. À une certaine hauteur, l’étoile était blanche ; seulement elle présentait alors successivement toutes les couleurs qui jaillissent d’un diamant à facettes exposé au soleil. C’est là le caractère essentiel de la scintillation d’une étoile brillante. Sous ce rapport, l’astre nouveau du Serpentaire n’offrit donc rien qui le distinguât des étoiles périodiques ordinaires.

Les arguments à l’aide desquels j’ai essayé de prouver que l’étoile de 1572 fut sujette à des changements physiques ne pourraient donc pas être appliqués à l’étoile de 1604.