Anthologie des poètes français contemporains/Soulary Joséphin

Anthologie des poètes français contemporains, Texte établi par Gérard WalchCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome premier (p. 32-35).

JOSÉPHIN SOULARY



Bibliographie. — À travers Champs, Les Cinq Cordes du luth (1838) ; — Les Ephémères (1re série, 1846) ; — Les Ephémères (2e série, 1857) ; — Sonnets humoristiques (1858) ; — Les Figulines (1862) ; — Les Diables bleus (1870) ; — Pendant l’Invasion (1870) ; — La Chasse aux mouches d’or (1876) ; — Les Rimes ironiques (1877) ; — Un Grand Homme qui attend, comédie en deux actes et en vers (1879) ; — La Lune rousse, comédie en deux actes, en prose (1879) ; — Œuvres poétiques (1872-1883) ; — Promenades autour d’un tiroir (1886).

Les œuvres de Joséphin Soulary ont été éditées par Alphonse Lemerre.

Joséphin Soulary a collaboré au Parnasse, à l’Indicateur (de Bordeaux, 1832-1833), etc.

Fils d’un négociant originaire de Gênes, Joseph-Marie, dit Joséphin Soulary, né à Lyon le 23 février 1815, mort dans cette même ville le 28 mars 1891, fit ses études au séminaire de Montluel, puis entra, en 1831, comme enfant de troupeau 48e de ligne, où il resta jusqu’en 1836. Il y était encore quand il publia dans l’Indicateur de Bordeaux ses premiers vers, signés Soulary, grenadier. En sortant du service militaire, il fut admis comme employé à la préfecture du Rhône, où il fut chef de division de 1845 à 1867. Il la quitta pour devenir bibliothécaire au Palais des Arts de Lyon. Sa grande célébrité date de la publication de ses Sonnets humoristiques (1858), qui furent l’objet de grands éloges de la part de Sainte-Beuve et de Jules Janin. En 1866, il fut décoré de la Légion d’honneur. En outre, il fut membre de l’Académie de Lyon, de l’Athénée de Troyes et de plusieurs sociétés savantes.

Bien que Joséphin Soulary n’ait pas collaboré au premier Parnasse, et malgré ses affinités — d’ailleurs assez lointaines — avec Musset, il faut le considérer comme l’un des précurseurs du Parnasse. En y venant plus tard, il ne faisait, pour ainsi dire, qu’ « entrer dans sa maison ».

« Joséphin Soulary, écrivait en 1868 Saint-René Taillandier n’est pas un imitateur de Lamartine ou de Victor Hugo ; rien ne le rattache non plus à l’école gauloise de Béranger, à l’école aristocratique d’Alfred de Vigny, à l’école humaine de Barbir ou de Brizeux. Le seul des maîtres chanteurs de nos jours avec lequel on puisse lui découvrir certaines affinités, c’est l’auteur de Rolla ; mais que de métamorphoses ils ont subi, ces emprunts involontaires !… Un sonnet ! Oui, cette forme curieuse, bizarre, ce jouet charmant, mais qui n’est qu’un jouet, est le mode préféré, que dis-je, le mode unique des inspirations de Joséphin Soulary. Benvenuto de la rime, il cisèle ses petites coupes dans le bois on dans la pierre avec une dextérité merveilleuse. Voulez-vous une larme de la rosée du matin dans la coque de noix de Titania ? Aimez-vous mieux une goutte de fine essence, le philtre de l’ivresse, le breuvage de l’oubli, ou bien un peu de ce poison que distillent les joies d’ici-bas ? Voici des aiguières de tout prix : celles-ci sont fuites avec les pierres dures que taillent si patiemment les mosaïstes de Florence, celles-là sont de chêne ou d’érable. Voulez-vous des médaillons de jeunes filles, tout un musée de figures, de figurines, de silhouettes ? Le magasin de l’orfèvre est richement pourvu. » (La Revue de Paris, 1868.)



LE SONNET


Je n’entrerai pas là, — dit la folle en riant, —
Je vais faire éclater ce corset de Procuste !
Puis elle enfle son sein, tord sa hanche robuste,
Et prête à contresens un bras luxuriant.

J’aime ces doux combats, et je suis patient.
Dans l’étroit vêtement qu’à sa taille j’ajuste,
Là serrant un atour, ici le déliant,
J’ai fait passer enfin tête, épaules et buste.

Avec art maintenant dessinons sous ces plis
La forme bondissante et les contours polis.
Voyez ! la robe flotte, et la beauté s’accuse.

Est-elle bien ou mal en ces simples dehors ?
Bien de moins dans le cœur, rien de plus sur le corps,
Ainsi me plaît la femme, ainsi je veux la Muse.


LES DEUX ROSES


Hier, sous la verte tonnelle
J’aperçus Rose qui pleurait,
Et, pleurant, de larmes couvrait
Une rose, moins rose qu’elle.

« Qui peut te causer tel regret ?
Dis-je à la blonde colombelle.
— Ah ! Monsieur, répondit la belle,
Entre nous, c’est un grand secret !

« Je passais là, lorsqu’une rose,
Celle-là que de pleurs j’arrose,
M’a dit de sa plus douce voix :

« Rose ouverte plus ne se ferme ! »
Et mon cœur qui s’ouvre, je crois,
Au petit pâtre de la ferme ! »


RÊVES AMBITIEUX


Si j’avais un arpent de sol, mont, val ou plaine,
Avec un filet d’eau, torrent, source ou ruisseau,
J’y planterais un arbre, olivier, saule ou frêne,
J’y bâtirais un toit, chaume, tuile ou roseau.

Sur mon arbre, un doux nid, gramen, duvet ou laine,
Retiendrait un chanteur, pinson, merle ou moineau.
Sous mon toit, un doux lit, hamac, natte ou berceau,
Retiendrait une enfant, blonde, brune ou châtaine.

Je ne veux qu’un arpent ; pour le mesurer mieux,
Je dirais à l’enfant la plus belle à mes yeux :
« Tiens-toi debout devant le soleil qui se lève ;

« Aussi loin que ton ombre ira sur le gazon,
Aussi loin je m’en vais tracer mon horizon. »
Tout bonheur que la main n’atteint pas n’est qu’un rêve


LES DEUX CORTÈGES


Deux cortèges se sont rencontrés à l’église.
L’un est morne : — il conduit le cercueil d’un enfant ;
Une femme le suit, presque folle, étouffant,
Dans sa poitrine en feu, le sanglot qui la brise.

L’autre, c’est un baptême : — au bras qui le défend
Un nourrisson gazouille une note indécise ;
Sa mère, lui tendant le doux sein qu’il épuise,
L’embrasse tout entier d’un regard triomphant !

On baptise, on absout, et le temple se vide.
Les deux femmes alors, se croisant sous l’abside,
Échangent un coup d’œil aussitôt détourné ;

Et — merveilleux retour qu’inspire la prière —
La jeune mère pleure en regardant la bière,
La femme qui pleurait sourit au nouveau-né !


SUR LA MONTAGNE


Des sommets les plus fiers je touche enfin la crête.
Mais plus loin n’est-il pas un horizon plus beau ?
L’oiseau monte si haut au-dessus de ma tête !
Et je voudrais monter bien plus haut que l’oiseau !

Si haut que l’oiseau plane en l’azur, sa conquête,
Il ne perd pas des yeux son nid dans ce rameau ;
Si bas que l’homme rampe au sillon qui l’arrête,
Ses yeux plongent toujours dans un azur nouveau !

Combien de cieux franchir encor, quelle étendue,
Pour atteindre à l’objet qui tente et fuit ma vue ?
— Comme l’oiseau, poète, abaisse ton regard !

Ce qu’au loin ton vol cherche est dans ce brin de mousse
Dieu, dont le double aimant t’attire et te repousse,
S’il n’était que là-haut ne serait nulle part !