Anthologie des poètes français contemporains/Lacaussade (Auguste)

Anthologie des poètes français contemporains, Texte établi par Gérard WalchCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome premier (p. 36-38).


AUGUSTE LACAUSSADE



Bibliographie. — Les Salaziennes (1839) ; — Œuvres complètes d’Ossian, traduction (1842) ; — Poèmes et Paysages (1852) ; — Les Épaves (1861) ; — Les Poésies de Léopardi, adaptées en vers français (1888).

Les œuvres d’Auguste Lacaussade ont été publiées par Alphonse Lemerre.

Auguste Lacaussade a collaboré au Parnasse, à la Revue Contemporaine, à la Revue Européenne, etc.

Né à l’Île de Bourbon le 17 février 1817, Auguste Lacaussade fut envoyé en France pour faire ses études, puis rappelé au pays natal dès 1834. Il débuta en 1839 par un recueil de vers, Les Salaziennes, dédié à Victor Hugo, puis donna en 1842 une traduction des Œuvres complètes d’Ossian, couronnée plus tard par l’Académie française. Secrétaire de Sainte-Beuve avant et après 1848, il écrivit dans divers journaux démocratiques, collabora en 1852 à la Revue Contemporaine et prit en 1859 la direction de la Revue Européenne. Conservateur des bibliothèques de l’Instruction publique et des Sociétés savantes, il fut nommé en 1872 bibliothécaire du Luxembourg.

Les vers d’Auguste Lacaussade, réunis sous le titre de Poèmes et Paysages (1852) et des Épaves (1861), lui ont valu par deux fois le prix Bordin à l’Académie française. Lacaussade a mis sa muse au service de son pays bien-aimé : « La nature des tropiques, dit Théophile Gautier, souvent décrite, rarement chantée, revit dans ces paysages, presque tous empruntés à l’île Bourbon, l’île natale du poète, l’une des plus belles des mers de l’Inde. Ce que l’auteur de Paul et Virginie a fait avec la langue de la prose, Lacaussade a pensé qu’il pouvait le tenter avec la langue des vers. Il se circonscrit et se renferme volontiers dans son île comme Brizeux dans sa Bretagne. Il s’en est fait le chantre tout filial. Il en dit avec amour les horizons, le ciel, les savanes, les aspects tantôt riants, tantôt sévères. »



RÊVERIE


Dis-moi, mobile étoile aux ailes de lumière,
Qui poursuis dans l’azur ton vol mystérieux,
Où va ta course ? Est-il un but à ta carrière ?
Cloras-tu quelque part tes ailes dans les cieux ?

Dis-moi, lune pensive, ô pâle voyageuse !
Cheminant aux déserts du firmament lacté,
Dans quelle profondeur obscure ou lumineuse,
O lune ! cherches-tu le repos souhaité ?

Dis-moi, vent fatigué, qui vas à l’aventure,
Comme un déshérité sans foyer ni repos,
Est-il un lit secret au fond de la nature,
Est-il un nid pour toi dans l’arbre ou sur les flots ?

Dis-moi, mer tourmentée, au murmure sauvage,
Qui te plains à la nuit, qui te plains au soleil,
Par delà l’horizon est-il quelque rivage
Où tu doives trouver un lit et le sommeil ?

Et toi, cœur inquiet, plus agité que l’onde,
Plus errant que la brise et qu’un rien fait gémir,
Est-il un lieu béni, dans l’un ou l’autre monde,
Où tu puisses, mon cœur, oublier et dormir ?


LE LAC DES GOYAVIERS


Beau lac, sur les gazons que ton flot calme arrose,
La colombe des bois s’arrête et se repose ;
Et, voilant ses bonheurs dans l’ombre des rameaux,
Suspend son nid à l’arbre incliné sur tes eaux.
Pour embellir tes bords, la jam-rose odorante
Ombrage de son fruit ton onde transparente ;
Pour charmer tes échos, l’aigrette du maïs
Berce parmi ses fleurs le chant des bengalis ;
Et, ridant ton azur, la poule d’eau sauvage
Montre sur tes flots bleus son bleuâtre corsage.
L’ouragan déchaîné qui rugit sur les monts,
Quand son souffle orageux descend dans ces vallons,
Epargne le bassin où ta vague demeure ;
Son courroux désarmé te caresse et t’effleure.
La lune, à son zénith, blanchissant tes roseaux,
S’arrête dans l’azur pour contempler tes eaux.
Tout s’embaume en ces lieux d’amour et d’harmonie.
N’es-tu pas le séjour de quelque heureux génie ?
Des ondes et des bois respirant la douceur,
Je l’écoute, et je crois écouter une sœur,
Qui gronde en souriant, dont la voix jeune et pure,
Fraîche comme ton eau qui se plaint et murmure,
Semble, en se consolant, me reprocher tout bas
De vivre dans un monde où le bonheur n’est pas ;
Et mon âme à ta voix descend vers ce rivage
Comme un oiseau battu par le vent et l’orage,
Et, rêvant au long bruit de tes mourants accords,
Voudrait se faire un nid à l’ombre de tes bords.

(Poèmes et Paysages.)