Anthologie des poètes français contemporains/Liégeard Stéphen

Anthologie des poètes français contemporains, Texte établi par Gérard WalchCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome premier (p. 176-179).







Bibliographie. — De la maxime : le Partage est déclaratif de propriété, monographie qui a remporté la médaille d’or au concours du doctorat, 2e édition (Auguste Durand, Paris, 1855) ; — Les Abeilles d’or, chants impériaux (1859) ; — Le Verger d’Isaure, poèmes couronnés (Hachette, Paris, 1870) ; — Une Visite aux Monts Maudits (Hachette, Paris, 1872) ; — Trois Ans à la Chambre : travaux législatifs et discours prononcés à la tribune (Dentu, Paris, 1873) ; — Vingt Journées au pays de Luchon (Hachette, Paris, 1874) ; — Livingstone, poème couronné par l’Académie française (1876) ; — À travers l’Engadine, la Valteline, le Tyrol du Sud et les lacs de l’Italie supérieure (Hachette, Paris, 1877) ; — Les Grands Cœurs, poésies, 5e édition, ouvrage couronné par l’Académie française, prix Montyon (Hachette, Paris, 1882) ; — Au Caprice de la plume (Hachette, Paris, 1884) ; — La Côte d’Azur, ouvrage couronné par l’Académie française, prix Bordin (maison Quantin, Paris, 1887) ; — Rêves et Combats, poésies (Hachette, Paris, 1892) ; — Les Saisons et les Mois, sonnets ornés de cinquante eaux-fortes par Paul Avril et d’un portrait de l’auteur par Focillon (Motteroz et librairie H. Floury, Paris, 1899) ; — Pages françaises (Hachette, Paris, 1902) ; — Les Boers, poème (1902).

En Préparation : Un volume de vers.

M. Stéphen Liégeard a collaboré à de nombreux journaux et revues.

M. Stéphen Liégeard, fils de Jean-Baptiste Liégeard qui fut maire de Dijon sous l’Empire, est né dans cette même ville le 29 mars 1830. Après de brillantes études achevées au lycée de sa ville natale et à la faculté de droit, il obtint la médaille d’or au concours du doctorat, se fit inscrire au barreau de Dijon, plaida avec succès, puis entra dans l’administration préfectorale en 1856 et occupa notamment les sous-préfectures de Briey, de Parthenay et de Carpentras. Elu deux fois — en 1867 et en 1869 — député de la Moselle, il brilla à la tribune du Corps législatif, mais se retira des luttes politiques après la guerre de 1870 pour désormais consacrer exclusivement aux lettres son activité et son talent.

Là, comme ailleurs, le succès couronna ses efforts et ses œuvres. Aussitôt l’apparition de son premier volume : Le Verger d’Isaure, un public d’élite s’attacha au lamartinien qu’il f fut dés l’abord, et l’Académie honora de ses prix Livingstone, Les Grands Cœurs et La Côte d’Azur, ce bel ouvrage devenu populaire dans le monde entier.

Grand admirateur de l’architecture des xve et xvie siècles Mr Stéphen Liégeard a fait bâtir récemment près de Gevrey (Côte-d’Or) un élégant château Renaissance Henri II, le château de Brochon, magnifique résidence, entourée de parcs et de jardins où se trouvent religieusement conservés un pavillon habité jadis par le grand Crébillon, et une allée de tilleuls où l’auteur d’Electre et de Rhadamiste se promenait en méditant. Quand il n’habite pas Brochon, M. Liégeard réside soit à Paris, soit à Cannes, où il possède une féerique villa, la villa des Violettes, située sur la côte d’Azur, sa « filleule ». Il est possesseur encore à Dijon d’un vieil et superbe hôtel qui porte son nom. Admirablement conservé’ et entretenu, cet hôtel fut jadis habité par Vauban et par d’autres personnages illustres dans les fastes de la Bourgogne. Protecteur et ami des arts et des lettres, l’action de Mr Stéphen Liégeard peut se comparer à celle des grands seigneurs lettrés d’autrefois ; il a su y joindre le prestige du philanthrope, en présidant avec tant de maîtrise la Société d’encouragement au bien, où il a remplacé Jules Simon.

Parmi les récents ouvrages de Mr Liégeard, il convient de citer Rêves et Combats (1892), Les Saisons et les Mois (1899), qui contiennent nombre de pièces d’une grande beauté ; Pages françaises (1902), études critiques d’art et de littérature et discours prononcés dans diverses solennités, pages éloquentes et noblement patriotiques, et, enfin, cette belle Ode aux Boers (1902), dédiée au général de la Rey et destinée à être comprise en un volume en préparation.




SONGE BLEU
… Portaque emittit eburna.
Virgile.


Par la porte d’ivoire, au seuil des nuits sereines,
Voici venir le Songe, enfant du pâle azur ;
De son char de saphir sa main saisit les rênes,
Puis les bleus papillons l’entraînent d’un vol sûr.

Il passe, et son bruit, doux comme un chant de sirènes,
Berce, dans son sommeil, la vierge, ce lis pur.

sème des bleuets sur l’oreiller des reines,
Il pique un rayon d’or au toit le plus obscur.

Alors, dans l’âme en deuil, tout est joie et lumière ;
Le pâtre devient prince, et palais la chaumière :
On combat, on triomphe, on aime, on est aimé…

Mais l’aube, en souriant, le chasse, à coups de roses,
Et le Songe qui fuit les paupières mi-closes
Y laisse, perle humide, un long pleur embaumé.


(Rêves et Combats.)


SUR UNE CROIX DE VILLAGE
Inter rubeta lilium.

Par un matin d’octobre, au temps de la vendange,
J’ai vu la blonde enfant passer dans le chemin ;
Passant aussi, la Mort la toucha de la main…
Les lis sont donc trop purs, hélas ! pour notre fange,
Ou si le Ciel jaloux nous enviait cet ange ?
Réponds, ô fleur d’un jour, qui fus sans lendemain !


(Rêves et Combats.)


OCTOBRE


Déjà, dans le grand parc, le hêtre se défeuille,
Ridant de son or roux le miroir des bassins ;
L’églantine, bercée aux bras du chèvrefeuille,
Egrène son corail sur les buissons voisins.
Ah ! qu’elle a meilleur prix, la fleur qu’alors on cueille !
Qu’il est bleu, le rayon où dansent mille essaims !
Comme l’herbe des bois qui, mourante, l’accueille,
Au rêveur égaré fait d’odorants coussins !
Ainsi de ton soleil, Octobre de la vie…
Sa clarté ne sera de nulle autre suivie ;
S’y noyer, pour le cœur reste un besoin jaloux…
Donc, qu’au dernier rameau fleurisse la tendresse !
Si moins vive est l’ardeur, plus longue est la caresse,
Et la lèvre pâlie a le baiser plus doux.

(Les Saisons et les Mois.)