Anthologie des poètes français contemporains/Introduction


Anthologie des poètes français contemporains, Texte établi par Gérard WalchCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome premier (p. xvii-xxi).



INTRODUCTION





Au seuil de ce livre dû à la collaboration de la plupart des poètes français contemporains, il sied de brièvement indiquer dans quel esprit fut conçue une œuvre de vulgarisation destinée à faire connaître et admirer de tous le magnifique effort vers la Pensée et l’Harmonie réalisé par les générations de poètes qui se sont succédé en France depuis tantôt quarante ans. En 1866, le Parnasse Contemporain fit son entrée dans le monde, et, contrairement aux prévisions de certains esprits d’alors, cette collective manifestation d’art devint l’un des grands événements littéraires du siècle. Continuant le romantisme, mais avec un souci plus marqué de perfection, son action s’est prolongée jusqu’à nos jours. Et à côté du Parnasse, et après le Parnasse, d’autres poètes, d’autres générations de poètes ont surgi. Sans parler de toute une floraison d’Indépendants, assez nombreux à toute époque, si fiers d’allure souvent et si intéressants à étudier eux aussi, nous avons vu aux « Décadents », aux Esthètes, aux Symbolistes, l’Ecole romane, l’Ecole toulousaine, les Naturistes, les Humanistes succéder ; l’Ecole française, l’Ecole intégraliste, l’Ecole philosophique, ont été instaurées ; le mouvement régionaliste et décentralisateur s’est accentué ; et chaque poète, chaque groupe, chaque école, chaque cénacle, mainte petite chapelle même a contribué pour sa part à l’œuvre commune, a contribué, par ses heureux efforts, à faire triompher les somptuosités du Verbe, à faire, dans plus de magnificence, resplendir plus de Pensée, à embellir la langue, à enrichir sa prosodie, à la rendre plus digne d’être le divin instrument de l’éternelle, de l’immuable Poésie.

Tous, par des chemins différents, mais convergeant finalement là-haut, ont marché vers l’Idéal.

Et cependant, nous le constatons souvent avec un amer regret, le public, sans être indifférent à ces choses, ne pratique pas assez les poètes ; il ignore tels de leurs plus beaux vers ; tels des meilleurs poètes contemporains ne lui sont connus que de nom seulement ; d’autres, célèbres surtout comme prosateurs, valent tout autant comme poètes, et il ne pourrait que gagner à mieux les connaître. Ce sont, — est-il besoin de le dire ? — ce sont surtout les jeunes, les derniers venus que l’on connaît mal, et cependant l’heure présente est féconde en promesses, et chaque jour quelqu’une de ces promesses, pourtant, se réalise. Or, il nous a semblé que le moment était venu de mettre le public en communication plus directe avec les poètes et, par eux, avec la Poésie même. Aimer, pratiquer les poètes, c’est aimer l’humanité dans ce qu’elle a de plus noble et de plus pur. La Poésie, qui est une religion, détache l’esprit des contingences, lui montre le chemin de l’Absolu ; elle élève l’âme au-dessus des misères et des laideurs de ce monde et la fait planer dans cet éther lumineux qui est sa vraie, sa seule patrie. C’est à peine si l’homme, placé entre deux éternités, a conscience du moment présent, du court instant que dure ce qu’on est convenu d’appeler son « existence ». Il ne sait d’où il vient, il ne sait où il va. Son esprit est borné, sa sensibilité restreinte le maintient dans la zone des sensations atténuées ; mais il est éperdument désireux d’Infini. Sous la changeante Illusion, sous les trompeuses et souvent — et toujours ! — si cruelles Apparences qui s’offrent à ses yeux mortels, il devine la Réalité immuable et sereine. Elle l’attire invinciblement. Sans la connaître encore, il la sait infiniment belle, et cette Beauté auguste, inconnue, mystérieuse, divine, est la source première de ses pures émotions. Or, ce sont les poètes, les Elus, êtres privilégiés, organisés supérieurement, — humains cependant, — qui servent d’intermédiaires entre la souveraine Beauté et les hommes. Ce sont eux qui, à de certains moments, s’élèvent à la vision, partielle au moins, de l’Idéal et qui, redescendus parmi nous, les prunelles encore tout imprégnées de divine clarté, déjà commencent de réaliser comme des reflets, comme des instants, comme des parcelles de Beauté, sur cette terre. Saisissant l’Idée, le Rythme préexistants, d’un suprême effort concrétant l’Harmonie, ils font vibrer les âmes à l’unisson de la leur et leur communiquent l’extase qui les ravit à la terre, détruit en elles l’erreur des vaines apparences et les fait communier avec la Réalité, avec l’Infini. Et de cette communion l’âme sort retrempée, purifiée, éclairée désormais sur sa vraie destinée… Oui, établir le contact plus complet, plus intime, entre ce siècle naissant et la Poésie nous a paru œuvre utile et salutaire, et c’est pourquoi nous sommes heureux d’adresser ici nos remerciements émus aux poètes qui ont daigné répondre à notre appel, qui ont bien voulu nous indiquer ou nous envoyer les pièces — quelques-unes inédites, — qui leur ont semblé les plus propres à les représenter dans notre anthologie. C’est à leur généreux concours[1] que nous devons de pouvoir offrir à nos lecteurs ce choix de poèmes où se reflètent les nobles inquiétudes et les hautes aspirations de l’âme contemporaine si vaste et si tourmentée.

Comme la Beauté universelle se manifeste en toute œuvre sincère ; comme toute aspiration vraie, en tant qu’intuition, est une prise de possession d’une part d’Idéal, nous avons jugé que tous les « genres », tous les « procédés », toutes les « Écoles », devaient se trouver représentés dans ce recueil. À côté de poèmes antiques et modernes d’une beauté sévère, à côté de larges poèmes philosophiques, humains et sociaux, poèmes de douleur et de joie intense, de désespoir et de sérénité, on y trouvera donc de petites pièces fines, gracieuses, mièvres, délicates, badines et légères, souvenirs émus, larmes furtives, clairs sourires de printemps ; à côté des principaux Parnassiens et de quelques Romantiques indépendants appartenant à l’époque parnassienne, on y verra les représentants les plus autorisés des diverses Écoles postérieures au Parnasse, et un assez grand nombre de Jeunes, tous rangés, — sauf de rares exceptions que nous imposaient les convenances, — d’après la date de publication de leur première œuvre poétique[2] et colligés, sans parti pris comme sans exclusivisme, dans un esprit d’éclectisme large et accueillant. Nous avons voulu présenter au public, non certes un tableau complet de la poésie française contemporaine, — la tâche eût été au-dessus de nos forces, — mais un choix de pièces caractéristiques permettant aux amis des lettres françaises de se faire au moins une idée de l’immense richesse de production poétique d’une époque qui, sous ce rapport, surpasse toutes celles qui l’ont précédée[3].

Et maintenant, que le lecteur nous permette de l’introduire, sans plus de préambule, dans le jardin enchanté de Poésie, où le rêveur émerveillé s’avance le long de sentiers éternellement fleuris bordés de massifs ombreux et de beaux marbres pentéliques ; où la frêle églantine et la suave violette des bois embaument l’air de leurs parfums subtils ; où, sur des tapis d’herbe et de mousses éclatantes, coulent de claires fontaines ; où le susurrement de l’eau dans les vasques de porphyre s’harmonise au murmure éolien des fraîches frondaisons. Et qu’il ne soit point surpris d’y voir, comme jadis, des nymphes s’éplorer au bord des sources cristallines, et des dryades épeurées fuir à travers les vallons, mais que, après avoir erré de-çà, de-là, au gré de sa fantaisie, il pénètre dans le bois sacré qui recèle le sanctuaire de la Muse, et que, dans la paix et le recueillement de la nuit tombante, il écoute la plainte mystérieuse des arbres et la longue élégie du vent, et que la divine Inspiratrice apparaisse à ses yeux éblouis, couronnée de fleurs, diadémée d’or et de pures gemmes azurées, dans un ruissellement de belle lumière aurorale.

G. W.
1905.



  1. Et à la gracieuse obligeance de MM. les éditeurs, qui, en cette occasion, se sont montrés, une fois de plus, les amis des lettres françaises. Nous tenons à leur en témoigner ici notre vive reconnaissance, comme nous adressons nos chaleureux remerciements à ceux de nos confrères et amis qui ont bien voulu faciliter notre tâche en nous aidant de leurs conseils ou en nous communiquant des autographes d’auteurs disparus.
  2. Dans l’impossibilité où nous nous sommes trouvé de déterminer à quelques jours près la date des premières publications, nous avons classé les poètes, dans chaque année, selon l’ordre alphabétique.
  3. Malgré notre vif désir de ne négliger aucune manifestation sincère, aucune nuance appréciable de la pensée poétique contemporaine, notre ouvrage — nous le savons, et il y a à cela plusieurs causes qu’il serait trop long d’énumérer ici — présente des lacunes. Des poètes de valeur n’y ont point trouvé la place à laquelle ils avaient droit. Nous sommes les premiers à le regretter, et nous espérons qu’on voudra bien nous aider à réparer ces omissions, dont quelques-unes au moins ne nous sont pas imputables.