Anthologie des poètes français contemporains/Henri de Bornier
Bibliographie. — Les Premières Feuilles, poésies (1845) ; — Le Mariage de Luther, drame en cinq actes et en vers (1845) ; — Le Monde renversé, comédie en vers (1853) ; — Dante et Béatrix (1853) ; — La Muse de Corneille (1854) ; — Le Quinze Janvier ou La Muse de Molière (1860) ; — Le Fils de la Terre, roman (1864) ; — Agamemnon, tragédie en cinq actes (1868) ; — La Fille de Roland, drame en quatre actes et en vers, représenté sur la scène du Théâtre-Français le 15 février 1875 (1875) ; — Les Noces d’Attila, drame en quatre actes et en vers, représenté sur la scène du théâtre de l’Odéon le 31 mars 1880 (1881) ; — Poésies complètes, 1850-1881 (1881) ; — La Lizardière, roman (1883) ; — Le Jeu des Vertus, roman d’un auteur dramatique (1885) ; — Mahomet (1888) ; — Le Fils de l’Arétin (1896) ; — France… d’abord ! (1899).
Les œuvres de Henri de Bornier ont été publiées par Dentu.
Le vicomte Henri de Bornier, né à Lunel le 25 décembre 1825, d’une très ancienne famille du Languedoc, mort en 1901, vint à Paris en 1845 pour étudier le droit. Dès son arrivée, il publia, chez l’éditeur Desloges, un recueil de vers, Les Premières Feuilles, et présenta au Théâtre-Français un drame, Le Mariage de Luther, qui fut reçu à correction. Remarqué par M. de Salvandy, il fut nommé surnuméraire à la Bibliothèque de l’Arsenal, dont il fut depuis l’un des conservateurs. Ses poésies complètes ont paru en 1881. Elles comprennent, outre ses vers de jeunesse, quelques à-propos en vers et trois grands poèmes : L’Isthme de Suez (1861), La France dans l’extrême Orient (1863) et Eloge de Chateaubriand (1864), couronnés par l’Académie française. Henri de Bornier a donné au théâtre plusieurs pièces fort remarquables, dont nous citerons La Fille de Roland, œuvre généreuse et forte, qui, représentée sur la scène du Théâtre-Français le 15 février 1875, eut un succès immense, et un autre drame en vers, Les Noces d’Attila, joué à l’Odéon le 31 mars 1880, dont le succès égala presque celui de La Fille de Roland. En prose, il a publié trois romans : La Lizardière (1883), Le Jeu des Vertus (1885), et Comment on devient belle. En 1893, l’auteur de La Fille
de Roland fut élu membre de l’Académie française.
La France, dans ce siècle, a deux grandes épées,
Deux glaives, l’un royal et l’autre féodal,
Dont les lames d’un flot divin furent trempées :
L’une a pour nom Joyeuse, et l’autre Durandnl.
Roland eut Durandal, Charlemagne a Joyeuse,
Sœurs jumelles de gloire, héroïnes d’acier
En qui vivait du fer l’âme mystérieuse,
Que pour son œuvre Dieu voulut s’associer.
Toutes les deux dans les mêlées
Entraient, jetant leur rude éclair,
Et les bannières étoilées
Les suivaient en flottant dans l’air !
Quand elles faisaient leur ouvrage,
L’étranger frémissait de rage.
Sarrasins, Saxons ou Danois,
Tourbe hurlante et carnassière,
Tombaient dans la rouge poussière
De ces formidables tournois !
Durandal a conquis l’Espagne ;
Joyeuse a dompté le Lombard ;
Chacune à sa noble compagne
Pouvait dire : « Voici ma part ! »
Toutes les deux ont, par le monde,
Suivi, chassé le crime immonde,
Vaincu les païens en tout lieu ;
Après mille et mille batailles,
Aucune d’elles n’a d’entailles,
Pas plus que le glaive de Dieu !
Hélas ! la même fin ne leur est pas donnée :
Joyeuse est fière et libre après tant de combats,
Et quand Roland périt dans la sombre journée,
Durandal des païens fut captive là-bas !
Elle est captive encore, et la France la pleure ;
Mais le sort différent laisse l’honneur égal,
Et la France, attendant quelque chance meilleure
Aime du même amour Joyeuse et Durandal !