Anthologie des poètes français contemporains/Louis Bouilhet
Bibliographie. — Melænis, poème (1851) ; — Madame de Montarcy, drame en cinq actes et en vers, représenté sur la scène du théâtre national de l’Odéon le 6 novembre 1856 ; — Hélène Peyron, drame en cinq actes et en vers, représenté sur la scène du théâtre national de l’Odéon le 11 novembre 1858 ; — Festons et Astragales, poésies (1859) ; — L’Oncle Million, comédie en cinq actes et en vers, représentée sur la scène du théâtre national de l’Odéon le 6 décembre 1860 ; — Dolorès, drame en quatre actes et en vers, représenté sur la scène du Théâtre-Français le 22 septembre 1862 ; — Faustine, drame en cinq actes, en prose, représenté sur la scène du théâtre de la Porte-Saint-Martin en février 1864 ; — La Conjuration d’Amboise, drame en cinq actes et en vers, représenté sur la scène du théâtre national de l’Odéon le 29 octobre 1866 ; — Mademoiselle Aïssé (1869-1872) ; — Dernières Chansons, avec une notice de Gustave Flaubert (1872).
Les œuvres de Louis Bouilhet ont été publiées par Alphonse Lemerre.
Louis Bouilhet a collaboré à la Revue de Paris, etc.
Louis-Hyacinthe Bouilhet, né à Cany (Seine-Inférieure) le 27 mai 1822, mort à Rouen le 18 juillet 1869, était fils d’un médecin des armées de l’Empire qui fut chef des ambulances dans la campagne de 1812, passa la Bérézina à la nage en portant sur sa tête la caisse du régiment, et mourut jeune par suite de ses blessures. Après de brillantes études classiques au collège de Rouen, Louis Bouilhet fut l’un des internes du père de Gustave Flaubert, auquel le lia de bonne heure une amitié fraternelle, mais il renonça bientôt à la chirurgie pour donner des répétitions de grec et de latin, qui lui laissaient le loisir de se livrer aux lettres. L’éclatant succès de Melaenis, publiée par la Revue de Paris, puis tirée à part (1851), signala son début dans la nouvelle carrière qu’il s’était choisie, « et révéla d’abord Louis Bouilhet, dit M. André Lemoyne, comme un vrai dilettante dans les scènes antiques de la vie romaine… » Plus tard, dans les Fossiles, « il s’affirma comme un puissant virtuose dans un ample décor du monde antédiluvien ». C’est dans Festons et Astragales (1859) et dans Dernières Chansons (1872) que nous trouvons de petites toiles magistralement brossées, où le dessin et la couleur rivalisent de justesse et de précision. Ces œuvres de patience et de lumière nous rappellent les riches éventails chinois et les fines laques japonaises où les artistes du Levant traduisent leurs plus chères fantaisies. À côté de ces petites toiles heureuses, Louis Bouilhet aime à nous peindre des scènes humoristiques qui nous font ressouvenir des trumeaux galants où s’épanouissaient les belles rieuses d’autrefois, nos aïeules du siècle dernier : bergères et bergers mondains, reines amoureuses et tourterelles roucoulantes, sur des pelouses de haute lisse dans leurs panneaux fleuris. »
Véritable précurseur du Parnasse, Louis Bouilhet a le constant souci de la pureté de la forme, de la « perfection » ; on a pu dire de lui, comme de Sully Prudhomme, que « la moindre de ses pièces a une composition » ; il possède tous les secrets de la métrique. Ajoutons que Louis Bouilhet s’est toujours proclamé partisan de la poésie objective et impersonnelle, quoique quelques-uns de ses meilleurs vers soient précisément ceux où il a trahi le sentiment qui l’obsédait en les écrivant.
Louis Bouilhet a fait représenter avec succès plusieurs pièces de théâtre, telles que Madame de Montarcy, Hélène Peyron, La Conjuration d’Amboise, etc.
Quand chassés, sans retour, des temples vénérables,
Tordus au vent de feu qui soufflait du Thabor,
Les grands Olympiens étaient si misérables
Que les petits enfants tiraient leur barbe d’or ;
Durant ces jours d’angoisse où la terre étonnée
Portait, comme un fardeau, l’écroulement des cieux,
Un seul homme, debout contre la destinée,
Osa, dans leur détresse, avoir pitié des dieux.
C’était un large front, — un Empereur, — un sage,
Assez haut sur son trône et sur sa volonté
Pour arrêter du doigt tout un siècle au passage,
Et donner son mot d’ordre à la Divinité.
Or, un soir qu’il marchait avec ses capitaines,
Incliné sous ce poids de l’avenir humain,
Il aperçut, au fond des brumes incertaines,
Un vieux temple isolé, sur le bord d’un chemin ;
Un vieux temple isolé, plein de mornes visages,
Un de ces noirs débris, au souvenir amer,
Qui dorment échoués sur la grève des âges,
Quand les religions baissent comme la mer.
Le seuil croulait ; la pluie avait rongé la porte
Toute la lune entrait par les toits crevassés.
Au milieu de la route, il quitta son escorte,
Et s’avança, pensif, au long des murs glacés.
Les colonnes de marbre, à ses pieds, abattues,
Jonchaient de toutes parts les pavés précieux ;
L’herbe haute montait au ventre des statues,
Des cigognes rêvaient sur l’épaule des dieux.
Parfois, dans le silence, éclatait un bruit d’aile ;
On entendait, au loin, comme un frisson courir ;
Et, sur les grands vaincus penchant son front fidèle,
Phœbé, froide comme eux, les regardait mourir.
Et, comme il restait là, perdu dans ses pensées,
Des profondeurs du temple il vit se détacher,
Avec un bruit confus de plaintes cadencées,
Une lueur tremblante et qui semblait marcher.
Cela se rapprochait et sonnait sur les dalles.
C’était un grand vieillard qui pleurait en chemin,
Courbé, maigre, en haillons, et traînant ses sandales,
Une tiare au front, une lampe à la main.
Il cachait sous sa robe une blanche colombe ;
Dernier prêtre des dieux, il apportait encor
Sur le dernier autel la dernière hécatombe…
Et l’Empereur pleura, — car son rêve était mort !
Il pleura, jusqu’au jour, sous cette voûte noire.
Tu souriais, ô Christ, dans ton paradis bleu,
Tes chérubins chantaient sur des harpes d’ivoire,
Tes anges secouaient leurs six ailes de feu !
Et du morne Empyrée insultant la détresse,
Comme au bord d’un grand lac aux flots étincelants.
Dans le lait lumineux perdu par la Déesse,
Tes martyrs couronnés lavaient leurs pieds sanglants.
Ta régnais, sans partage, au ciel et sur la terre ;
Ta croix couvrait le monde et montait au milieu ;
Tout, devant ton regard, tremblait, — jusqu’à ta mère.
Pâle éternellement d’avoir porté son Dieu.
Mais tu ne savais pas le mot des destinées,
O toi qui triomphais près de l’Olympe mort ;
Vois : c’est le même gouffre... Avant deux mille années
Ton ciel y descendra, — sans le combler encor !
Ta connaîtras aussi, ployé sous l’anathème,
La désaffection des peuples et des rois,
Si pauvre et si perdu que tu n’auras plus même,
Pour t’y coucher en paix, la largeur de ta croix !
Ton dernier temple, ô Christ, est froid comme une tombe ;
Ta porte n’ouvre plus sur le vaste Avenir ;
Voilà que le jour baisse et qu’on entend venir
Le vieux prêtre courbé, qui porte une colombe !
Quoi ! tu raillais vraiment, quand tu disais : «Je t’aime ! »
Quoi ! tu mentais aussi, pauvre fille !... A quoi bon ?
Tu ne me trompais pas, tu te trompais toi-même,
Pouvant avoir l’amour, tu n’as que le pardon !
Garde-le, large et franc, comme fut ma tendresse.
Que par aucun regret ton cœur ne soit mordu :
Ce que j’aimais en toi, c’était ma propre ivresse ;
Ce que j’aimais en toi, je ne l’ai pas perdu...
Tu n’as jamais été, dans tes jours les plus rares,
Qu’un banal instrument sous mon archet vainqueur,
Et, comme un air qui sonne aux bois creux des guitares,
J’ai fait chanter mon rêve au vide de ton cœur...
S’il fut sublime et doux, ce n’est point ton affaire.
Je peux le dire au monde et ne te pas nommer :
Pour tirer du néant sa splendeur éphémère,
Il m’a suffi de croire. Il m’a suffi d’aimer.
La fleur Ing-wha, petite et pourtant des plus belles,
N’ouvre qu’à Ching-tu-fu son calice odorant ;
Et l’oiseau Tung-whang-fung est tout juste assez grand
Pour couvrir cette fleur en tendant ses deux ailes.
Et l’oiseau dit sa peine à la fleur qui sourit,
Et la fleur est de pourpre, et l’oiseau lui ressemble,
Et l’on ne sait pas trop, quand on les voit ensemble,
Si c’est la fleur qui chante, ou l’oiseau qui fleurit.
Et la fleur et l’oiseau sont nés à la même heure,
Et la même rosée avive chaque jour
Les deux époux vermeils, gonflés du même amour.
Mais quand la fleur est morte, il faut que l’oiseau meure.
Alors, sur ce rameau d’où son bonheur a fui,
On voit pencher sa tête et se faner sa plume.
Et plus d’un jeune cœur, dont le désir s’allume,
Voudrait, aimé comme elle, expirer comme lui.
Et je tiens, quant à moi, ce récit qu’on ignore
D’un mandarin de Chine, au bouton de couleur.
La Chine est un vieux monde où l’on respecte encore
L’amour qui peut atteindre à l’âge d’une fleur.