Anthologie des poètes français contemporains/Frechette Louis

Anthologie des poètes français contemporains, Texte établi par Gérard WalchCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome premier (p. 220-222).







Bibliographie. — Mes Loisirs (Québec, 1863) ; — La Voix d’un exilé (Chicago, 1867) ; — Pêle-Mêle (Montréal, 1877) ; — Les Fleurs boréales, ouvrage couronné par l’Académie française (Montréal, 1880) ; — Les Oiseaux de neige, ouvrage couronné par l’Académie française (Montréal, 1880) ; — La Légende d’un peuple (Librairie illustrée, Paris, 1888).

« M. Louis Fréchette, né au Canada, n’est pas un poète ordinaire, chantant ses impressions fugitives, ses joies et ses douleurs particulières. Il sert de voix à tout un peuple, dont il rend en beaux vers lyriques la grands passion. Le passé français vit là-bas au cœur de tout Canadien et s’échappe des lèvres impersonnelles de M. Fréchette dans La Légende d’un peuple. On s’aperçoit rapidement, à la lecture de ce livre, que le Canadien n’oublie point la langue de la mère patrie et qu’il en suit très bien toutes les transformations. Si l’on trouve, en effet, chez M. Fréchette nous ne savons quel accent pur et ferme du xviie et du xviiie siècle, on remarque pareillement jusqu’à quel point les contemporains lui sont familiers. Il est si français et tellement imprégné de nos plus modernes écrivains, qu’il semble avoir constamment habité Paris depuis ses jeunes années. Le vigoureux lyrisme de M. Fréchette, la mâle beauté de ses vers peut pleinement rassurer sur les sentiments de la Nouvelle-France à notre endroit et sur le génie de cette vieille race de laboureurs et de marins français. » (E. Ledrain.)




LA FORÊT


Chênes au front pensif, grands pins mystérieux,
Vieux troncs penchés au bord des torrents furieux,
Dans votre rêverie éternelle et hautaine,
Songez-vous quelquefois à l’époque lointaine
Où le sauvage écho des déserts canadiens
Ne connaissait encor que la voix des Indiens,

Qui, groupés sous l’abri de vos branches compactes,
Mêlaient leurs chants de guerre au bruit des cataractes ?

Sous le ciel étoilé, quand les vents assidus
Balancent dans la nuit vos longs bras éperdus,
Songez-vous à ces temps glorieux où nos pères
Domptaient la barbarie au fond de ses repaires ?
Quand, épris d’un seul but, le cœur plein d’un seul vœu,
Ils passaient sous votre ombre, en criant : « Dieu le veut ! »
Défrichaient la forêt, créaient des métropoles,
Et, le soir, réunis sous vos vastes coupoles,
Toujours préoccupés de mille ardents travaux,
Soufflaient dans leurs clairons l’esprit des jours nouveaux ?

Oui, sans doute ; témoins vivaces d’un autre âge,
Vous avez survécu tout seuls au grand naufrage
Où les hommes se sont l’un sur l’autre engloutis ;
Et, sans souci du temps qui brise les petits,
Votre ramure, aux coups des siècles échappée,
A tous les vents du ciel chante notre épopée !


OCTOBRE


Les feuilles des bois sont rouges et jaunes,
La forêt commence à se dégarnir ;
L’on se dit déjà : l’hiver va venir,
Le morose hiver de nos froides zones.

Sous le vent du nord tout va se ternir…
Il ne reste plus de vert que les aulnes,
Et que les sapins dont les sombres cônes
Sous les blancs frimas semblent rajeunir.

Plus de chants joyeux, plus de fleurs nouvelles
Aux champs moissonnés les lourdes javelles
Font sous leur fardeau crier les essieux.

Un brouillard dormant couvre les savanes ;
Les oiseaux s’en vont, et leurs caravanes
Avec des cris sourds passent dans les cieux

(Oiseaux de neige.)