Anthologie des poètes français contemporains/Auguste Barbier

Anthologie des poètes français contemporains, Texte établi par Gérard WalchCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome premier (p. 24-27).


AUGUSTE BARBIER



Bibliographie. — Iambes (1831) ; — Iambes et Poèmes, augmentés d’il Pianto et de Lazare (1833) ; — Benvenuto Cellini, opéra en deux actes, avec Léon de Wailly, musique de Berlioz (1838) ; — Chants civils et religieux (1841) ; — Rimes héroïques (1843) ; — Le Décaméron, de Boccace, traduction (1845) ; — Jules César, de Shakespeare, traduction (1848) ; — Silves (1864) ; — Satires (1865) ; — Trois Passions nouvelles (1867) ; — La Chanson du vieux marin, de Coleridge (1876) ; — Contes du soir (1879) ; — Histoires de voyage (1880) ; — Chez les poètes, études, traductions et imitations en vers (1882) ; — Souvenirs personnels et Silhouettes contemporaines (1883) ; — Poésies posthumes (1884).

Les œuvres poétiques d’Auguste Barbier se trouvent chez Alphonse Lemerre.

Auguste Barbier a collaboré au Parnasse Contemporain, à la Revue des Deux-Mondes, à la Revue de Paris, etc.

Henri-Auguste Barbier, né à Paris le 29 avril 1805, mort à Nice le 13 février 1882, fit ses études au Lycée Henri IV et suivit pendant quelque temps les cours de l’École de droit. Il débuta par sa célèbre Curée, publiée après la révolution de Juillet dans la Revue de Paris, et fit paraître, bientôt après, la Popularité, l’Idole, virulente protestation contre la légende napoléonienne, Paris, où se trouvent les strophes fameuses sur le « pâle voyou », Le Dante, Quatre-vingt-treize, Varsovie, etc., qui ont été réunis sous le nom générique de Iambes (1831). Ils ont reparu depuis sous celui de Iambes et Poèmes, justifié par l’addition de Il Pianto et de Lazare, recueils de chants mélancoliques ou satiriques inspirés à l’auteur par deux séjours en Italie et en Angleterre. Ces œuvres obtinrent un succès prodigieux, que ne trouvèrent plus, malgré leurs qualités encore fort estimables, les publications qui suivirent. C’est seulement en 1869 qu’Auguste Barbier fut élu membre de l’Académie française en remplacement d’Ampère, au quatrième tour de scrutin, par 18 voix, alors que Théophile Gautier en obtenait 14. Le 7 février 1878, il se vit conférer la décoration de la Légion d’honneur. « Après les journées de Juillet, dit Théophile Gautier dans son Rapport sur le progrès des lettres, Auguste Barbier fit siffler le fouet de ses Iambes et produisit une vive impression par le lyrisme de la satire, la violence du ton et l’emportement du rythme. Cette gamme, qui s’accordait avec la tumultueuse effervescence des esprits, était difficile à soutenir en temps plus paisible. Il Pianto, destiné à peindre le voyage du poète en Italie, est d’une couleur comparativement plus sereine, et le tonnerre qui s’éloigne n’y gronde plus que par roulements sourds. Lazare décrit la souffrance des misérables sur qui roule le poids de la civilisation, les plaintes de l’homme et de l’enfant pris dans les engrenages des machines, et les gémissements de la nature troublée par les promesses du progrès… »


L’IDOLE


Ô Corse à cheveux plats ! que ta France était belle
Au grand soleil de messidor !
C’était une cavale indomptable et rebelle,
Sans freins d’acier ni rênes d’or ;
Une jument sauvage à la croupe rustique,
Fumante encor du sang des rois,
Mais fière, et d’un pied fort heurtant le sol antique,
Libre pour la première fois.
Jamais aucune main n’avait passé sur elle
Pour la flétrir et l’outrager ;
Jamais ses larges flancs n’avaient porté la selle
Et le harnais de l’étranger ;
Tout son poil était vierge, et, belle vagabonde,
L’œil haut, la croupe en mouvement,
Sur ses jarrets dressée, elle effrayait le monde
Du bruit de son hennissement.
Tu parus, et sitôt que tu vis son allure,
Ses reins si souples et dispos,
Centaure impétueux, tu pris sa chevelure,
Tu montas botté sur son dos.
Alors, comme elle aimait les rumeurs de la guerre,
La poudre, les tambours battants,
Pour champ de course, alors, tu lui donnas la terre
Et des combats pour passe-temps :
Alors, plus de repos, plus de nuits, plus de sommes ;
Toujours l’air, toujours le travail,

Toujours comme du sable écraser des corps d’hommes,
Toujours du sang jusqu’au poitrail ;
Quinze ans son dur sabot, dans sa course rapide,
Broya les générations ;
Quinze ans elle passa, fumante, à toute bride,
Sur le ventre des nations ;
Enfin, lasse d’aller sans finir sa carrière,
D’aller sans user son chemin,
De pétrir l’univers, et comme une poussière
De soulever le genre humain ;
Les jarrets épuisés, haletante et sans force,
Près de fléchir a chaque pas,
Elle demanda grâce à son cavalier corse ;
Mais, bourreau, tu n’écoutas pas !
Tu la pressas plus fort de ta cuisse nerveuse ;
Pour étouffer ses cris ardents,
Tu retournas le mors dans sa bouche baveuse,
De fureur tu brisas ses dents ;
Elle se releva : mais un jour de bataille,
Ne pouvant plus mordre ses freins,
Mourante, elle tomba sur un lit de mitraille
Et du coup te cassa les reins.

(Iambes.)


MICHEL-ANGE


Que ton visage est triste et ton front amaigri,
Sublime Michel-Ange, ô vieux tailleur de pierre !
Nulle larme jamais n’a mouillé ta paupière :
Comme Dante, on dirait que tu n’as jamais ri.
Hélas ! d’un lait trop fort la Muse t’a nourri,
L’art fut ton seul amour et prit ta vie entière ;
Soixante ans tu courus une triple carrière
Sans reposer ton cœur sur un cœur attendri.
Pauvre Buonarotti ! ton seul bonheur au monde
Fut d’imprimer au marbre une grandeur profonde,
Et, puissant comme Dieu, d’effrayer comme lui :
Aussi, quand tu parvins à ta saison dernière,
Vieux lion fatigué, sous ta blanche crinière,
Tu mourus longuement plein de gloire et d’ennui.

(Il Pianto.)
(Fragment d’une lettre adressée à M. Louis-Xavier de Ricard.)
(Fragment d’une lettre adressée à M. Louis-Xavier de Ricard.)