Anthologie (Pierre de Coubertin)/II/XXXIV

Anthologie (Pierre de Coubertin)/II
AnthologieÉditions Paul Roubaud (p. 87).

Amérique espagnole.

La conquête du Mexique fut menée par Fernand Cortez avec une rapidité déconcertante. Sept cents hommes, dix-huit chevaux, quatorze pièces de canon y suffirent. Il y faut ajouter l’énergie du chef appuyée malheureusement d’une cruauté inutile. De pareils exploits enfièvraient les imaginations. Un pacte se noua entre trois aventuriers ; François Pizarre, ex-gardien de pourceaux, Diego d’Almagro, enfant trouvé et le dominicain Fernand de Luque, maître d’école à Panama, décidèrent de faire à eux trois la conquête du Pérou. Ils réunirent quelques deux cent cinquante hommes dont une soixantaine de cavaliers. Et le 15 novembre 1533, Pizarre entrait dans Cuzco les mains déjà souillées, hélas ! par de nombreux crimes. Dix huit mois plus tard était fondée la ville de Lima, tandis que bien loin de là, de l’autre côté du continent gigantesque, Mendoza campait sur le lieu où s’élèverait Buenos-Ayres. Les explorations audacieuses se multipliaient ; Benalcazar fondait Guayaquil et traversait le territoire de la Colombie actuelle. Quesada remontait le Magdalena et franchissait les Andes. Le Napo et l’Amazone, l’Orénoque jusqu’au Meta, le Haut-Pérou jusqu’au Gran Chaco étaient explorés. Assuncion était fondée, puis Bogota (1538), La Paz, Santiago de Chili (1541) et bientôt Caracas et Rio de Janeiro. Ainsi il n’y avait pas cinquante ans que l’existence de ces régions avait été révélée aux européens et des dix capitales actuelles des États sud-américains, il en existait neuf : non point posées toutes au bord de la mer sur des ports naturels, mais à mille kilomètres dans l’intérieur comme Assuncion ou bien à quatre mille mètres d’altitude comme La Paz. Des monts, des fleuves, des forêts de dimensions terrifiantes avaient commencé de livrer leurs secrets, des espaces dans lesquels s’enfermeraient deux Europes avaient été parcourus. Pourquoi fallait-il qu’une si noble épopée tout à la gloire de l’Espagne laissât derrière elle une pareille traînée de sang et de misères. C’est qu’elle était écrite par des hommes qu’animait « un furieux besoin de s’enrichir » ; l’or, par sa seule présence, les affolait tant ils s’étaient, par avance, grisés du désir qu’ils en avaient. Non moins regrettables furent les destructions auxquelles ils se livrèrent par fanatisme iconoclaste. À jamais perdues pour la science, d’inestimables sources de connaissances ont disparu sous les ruines de Tenochtitlan et de Cuzco.