Anthélia Mélincourt/Qu’est-ce que l’esprit de la chevalerie

Traduction par Mlle Al. de L**, traducteur des Frères hongrois.
Béchet (1p. 77-87).


QU’EST-CE QUE L’ESPRIT DE LA CHEVALERIE.


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Sir Hippy, accueillit parfaitement, à son arrivée au château, sir Télégraph, que sa tante, mistriss Pinmoney, se chargea de promener dans les jardins ; elle l’exhorta à persévérer dans ses projets sur Anthélia, quoiqu’elle ne pût se flatter d’un succès certain. Le caractère de la jeune lady est, observa-t-elle, extrêmement porté à l’exagération ; mais il sera, sans doute, corrigé par le temps et l’expérience ; elle lui apprit en même-temps qu’il aurait dans peu un rival formidable, en la personne de lord Anophel-Acthar, fils et héritier du marquis d’Agaric. Sir Hippy montrait une prédilection dangereuse pour ce rival, qui serait sûr de son fait, près de toute autre dame qu’Anthélia, d’après son titre et sa fortune, à moins, qu’un duc ne se mit sur les rangs ; elle ajouta que le jeune lord devait arriver au château, accompagné de son tuteur, le révérend Grovelgrub et du célèbre poëte Feathernest, à qui le marquis avait donné, depuis peu, une place en échange de sa conscience, que le poëte lui avait vendue, par l’entremise de quelques amis qui lui avaient fait faire une très-bonne affaire, Le poëte avait en conséquence, brûlé les odes qui lui restaient en portefeuille, sur la liberté et la vérité ; il avait publié un volume de panégyriques adressés à toutes les puissances de l’Europe, ayant pour devise ces mots : Tout ce que veulent les gouvernans est juste.

La société, que le dîner réunit ce jour-là à Mélincourt, consistait en sir Hippy, représentant le seigneur du château, en miss Anthélia, sa pupille volontaire, mistriss et miss Pinmoney, amies de la maison, et sir Télégraph, connaissance de ces dames, engagé par sir Hippy, à établir pendant quelques jours sa résidence au château ; le dîner n’offrit rien d’intéressant.

La nouvelle de l’arrivée de sir Hippy et de ses fonctions, fut rapidement répandue par le docteur Kilquick, docteur du canton, qui pensait qu’une médecine ou des pillules ne faisaient aucun bien si elles n’étaient assaisonnées d’anecdotes. Il avait été appelé au château pour guérir sir Hippy, d’une forte douleur au coude, que le gentilhomme hypocondre croyait sentir. Le savant docteur, en étudiant avec un soin particulier les symptômes et les pronostics de l’hypocondrie, était arrivé à cette découverte merveilleuse, que la méthode la plus efficace de guérir un mal imaginaire, était d’en donner un réel. Dans ce dessein, il envoya à sir Hippy un bol qui contenait une potion, pour être prise de deux heures en deux heures. Elle aurait infailliblement produit son effet, si le bol n’avait été brisé sur la tête d’Harry, par son maître qui avait, lorsqu’on le lui présenta, une nouvelle attaque d’hypocondrie.

La passion à la mode pour les ruines et les bois, fut le prétexte dont quelques amans d’Anthélia se servirent pour prendre des logemens dans son voisinage et pour faire une visite au château de Mélincourt, où ils furent reçus et parfaitement accueillis par le lord sénéchal qui les engagea à passer quelques jours dans cette habitation.

Les gentilshommes, ainsi invités, étaient lord Anophel-Achthar et ses deux acolytes, le révérend Grovelgrub et Feathernest, l’écuyer O’scarum, propriétaire d’une vaste fondrière, dans le comté de Kerry, et sir Derrydown, fils unique d’une douairière de Londres qui, ayant en vain sollicité une visite d’Anthélia, envoyait son cher fils tenter la fortune en Westmoreland. M. Derrydown, avait long-temps pâli sur les bancs de l’école et feuilleté les livres poudreux de l’antiquité ; ses longues études n’ayant servi qu’à redoubler la très-profonde obscurité, dont sont enveloppées les connaissances humaines, il en avait tiré cette conclusion, que tout savoir est vanité. Un jour, par un mouvement machinal, il lut un volume contenant des fragmens des anciens poètes nationaux ; il trouva, ou crut trouver dans les expressions naïves des vieilles ballades : la vérité des choses, qu’il avait cherché vainement dans les volumineux ouvrages des philosophes. D’après cette découverte, il fut chez son libraire, chargea une voiture de collections de ballades et de chansons populaires ; il les étudia attentivement ; il les porta dans les voyages qu’il faisait tous les ans à la campagne ; voyages, dont le but était, comme il le disait lui-même, d’arriver à la connaissance de la vérité des choses ; en observant les villageois et en commentant leurs vieilles chansons.

Sir Hippy présenta lord Anophel et ses deux savans amis, aux hôtes du château. Sir Feathernest, s’adressant tout bas à Grovelgrub, lui demanda s’il ne trouvait pas que ce sir Télégraph avait bonne grâce et quelque chose de très-expressif dans la figure, ce qui le rendait dangereux.

Anthélia, désirant ne montrer aucune partialité à ses adorateurs, ne fut pas fâchée d’échapper au fléau de se trouver en présence d’un seul admirateur. Au reste, ses prétendans ressemblaient à ceux de Pénélope ; ils buvaient, ils mangeaient ensemble et s’accordaient bien entr’eux. Elle aurait désiré, quand elle les laissait dans la société des bouteilles, en avoir, de son côté, une plus agréable que celle de mistriss et de miss Pinmohey ; mais elle se soumit à cette nécessité de la meilleure grâce.

Anthélia avait fait connaître à tous ses hôtes, ses idées sur le mariage, et sans trahir la vérité, comme le font quelques jeunes dames, en assurant qu’elles ne veulent pas se marier. Elle avait dit qu’elle désirait trouver dans l’époux qu’elle choirait, l’esprit de l’âge de la chevalerie, en ajoutant que cet esprit constituait le seul caractère qui pût lui inspirer de la confiance et fixer son choix.

Lord Anophel fut embarrassé de ce discours, et s’adressant à son tuteur, Grovelgrub, il lui demanda : Qu’est-ce que l’ esprit de l âge de la chevalerie ?

— Milord, mes recherches ne se sont jamais dirigées vers ce but.

Sa seigneurie eut alors recours au poëte Featliernest, et il lui renouvella la question.

Feathernest fut surpris à son tour ; il hésita, depuis sa métamorphose avantageuse en ami du prince y il n’avait pas trop réfléchi. Cette demande le blessa comme le spectre de son intégrité passé. Il balbutia une réponse à peine intelligible sur la vérité et la liberté, le désintéressement, la bienfaisance, le dévouement héroïque et l’amour de l’honneur ; la pitié pour le faible et l’opposition à la tyrannie qui formaient le caractère distinctif des anciens chevaliers.

— Ce sont les principes d’un vrai jacobin de France ! Featbernest.

— Il y avait, dans le mot de jacobin, quelque chose qui choqua l’oreille du poëte, il craignit de s’être trahi ; heureusement son ami sir Mystic de Cimmerian-Lodge, l’avait initié dans les mystères de la philosophie transcendante, dont le jargon insignifiant, a pour effet certain d’exciter communément dans l’esprit du vulgaire, un profond étonnement pour les hautes connaissances de celui qui en use ; étonnement, qui nait de ce qu’on ne le comprend pas. Feathernest s’en servait, quand il était pris au dépourvu, pour assommer ses auditeurs ; aussi ne manqua-t-il pas de remployer dans cette circonstance.

L’esprit de l’âge de la chevalerie, pensa l’écuyer O’scarum, je crois savoir ce que c’est. J’observerai tous mes rivaux ; l’un après l’autre je leur ferai une querelle ; j’écrirai à mon ami le major o’Daskin, qui a la main la plus sûre d’Irlande, pour tracer un cartel, ou diriger une balle, et sur quatre coudées de terrain, nous déciderons à qui doit rester la belle.

L’esprit de l’âge de la chevalerie, disait sir Derrydown, je crois être le seul homme qui le possède aujourd’hui. Mais dois-je être un chevalier de la table ronde, sir Lancelot, Gauvain ou Tristan ? non, je serai un troubadour, un amoureux ménestrel : je soupirerai de tendres ballades, en l’honneur, de la beauté d’Anthélia ; elle sera la dame de mes pensées ; cet hommage ne peut manquer de plaire à son esprit romanesque, et il s’assit pour méditer sa première pièce de poésie.

Sir Télegraph, la tête remplie du souvenir des joûtes, des tournois et des antiques scènes de force et de vaillance ; cherchait comment il pourrait ressusciter cet usage. Il pensa qu’une course de chevaux pouvait remplacer un tournois ; Anthélia présiderait à cette fête, et donnerait sa main pour prix au vainqueur ; il se flattait de l’être, quoique lord Anophel fut reconnu pour le meilleur cocher des trois royaumes.