Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 04/Géométrie transcendante, article 4

Texte établi par Joseph Diez Gergonne (4p. 368-378).

GÉOMÉTRIE TRANSCENDANTE.

Démonstration des principaux Théorèmes de M. Dupin
sur la courbure des surfaces ;
Par M. Gergonne.
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M. Dupin, capitaine du génie maritime, ancien élève de l’école polytechnique, a publié, vers la fin de 1813, sous le titre modeste de Développemens de Géométrie[1], un de ces ouvrages dont nous ne croyons pas pouvoir nous dispenser de faire mention dans ce recueil, et sur lesquels nous aimerions même à arrêter long-temps nos lecteurs, si d’autres objets ne réclamaient l’espace dont il nous est permis de disposer.

Nous avions d’abord songé à donner une simple analise de l’ouvrage de M. Dupin ; mais, cette tâche ayant déjà été remplie par plusieurs journaux, nous avons pensé faire une chose plus convenable et plus utile à la fois, en présentant ici les principaux points de la doctrine de l’auteur dans un cadre assez resserré pour qu’il soit permis de l’introduire dans les traités élémentaires, où son importance doit désormais lui faire trouver place.

Nous nous assujettirons, dans cet exposé, à écarter toute notion d’infiniment petits, et à n’employer que le développement en série, suivant les principes de la Théorie des fonctions analitiques, persuadés que cette attention, qui d’ailleurs n’entraînera guère plus de longueur, ne pourra qu’être agréable à ceux de nos lecteurs qui attachent encore quelque prix à la rigueur des procédés.

Dans tout ce qui va suivre, nous ferons, pour abréger, et suivant l’usage

seront les coordonnées courantes dans l’espace, et nous les supposerons constamment rectangulaires.

§. I.
Théorie des Tangentes conjuguées.

Concevons que, par deux points pris arbitrairement sur une surface courbe, on mène une sécante à cette surface ; et imaginons, en outre, les plans tangens en ces deux points, lesquels se couperont suivant une droite extérieure à la surface dont il s’agit.

Concevons qu’ensuite l’un des points pris sur la surface courbe se rapproche peu à peu de l’autre, en suivant une courbe tracée arbitrairement sur cette surface, et passant par ces deux points ; il est facile d’apercevoir qu’alors la sécante et la commune section des deux plans tangens tendront sans cesse à devenir deux tangentes se coupant en celui des deux points qui sera demeuré immobile, et qu’elles le deviendront en effet, lorsqu’enfin l’autre point coïncidera avec celui-là ; ce sont ces deux tangentes que M. Dupin a nommées \operatorname{Tang}entes conjuguées. Nous allons chercher la loi analitique qui les lie l’une à l’autre, et justifier ainsi leur dénomination.

Soient deux points d’une surface courbe dont l’équation soit

(1)

et soient les coordonnées de ces points ainsi qu’il suit :

d’où résultera, en vertu de la série de Taylor,

(2)

Les équations de la sécante seront

(3)

Le plan tangent par le point ayant pour équation

(4)

l’équation du plan tangent par le point sera

(5)

Dans la recherche de l’intersection de ces deux plans, on pourra, à cette dernière équation, substituer sa différence avec la première, laquelle est, toutes réductions faites, et ayant égard à l’équation (2),

(6)

On aura, d’un autre côté, pour l’équation de la projection de sur le plan des

(7)

Si présentement on pose

(8)

d’où

(9)

les équations (6) et (7) deviendront respectivement, en réduisant

(11)

Si enfin on suppose auquel cas ces équations deviendront celles des projections sur le plan des de deux tangentes conjuguées menées à la surface (1) par le point  ; on aura, pour les équations des projections de ces deux tangentes,

(12)
(11)

Si, en place de la première de ces deux équations, on écrit simplement

(13)

on aura

ou

(14)

d’où l’on voit que ces deux tangentes sont parfaitement réciproques, et que la première peut être déduite de la seconde comme celle-ci peut l’être de l’autre.

Si présentement nous supposons que le point ait été pris pour origine des coordonnées, et le plan tangent en ce point pour plan des auquel cas l’axe des sera dirigé suivant la normale ; nous aurons

et conséquemment les équations (11) et (13), lesquelles deviendront alors celles des tangentes conjuguées elles-mêmes, se réduiront à

(15)

et étant toujours liés par la relation (14).

Si l’on veut que les tangentes conjuguées soient rectangulaires, on aura, en outre,

(16)

équation qui, étant combinée avec l’équation (14), donne

de manière que les valeurs particulières de et qui répondent à ce cas seront données par l’équation

(17)

nous appellerons à l’avenir Tangentes conjuguées principales, ou simplement Tangentes principales, celles qui sont déterminées par cette équation.

La direction des axes des et des ne se trouvant pas fixée par ce qui précède, profitons de leur indétermination pour les faire coïncider avec les tangentes principales ; il faudra, pour cela que, des deux racines de l’équation (17), l’une soit nulle et l’autre infinie. Ces deux conditions concourent à donner en sorte que l’équation de relation (14) entre les directions des deux tangentes conjuguées quelconques se réduit simplement à

(18)

et étant les angles que forment ces deux tangentes avec l’une des tangentes principales.

On voit par là que deux tangentes conjuguées quelconques passent dans les quatre angles formés par les tangentes principales, ou dans deux seulement, suivant que et sont de mêmes signes ou de signes contraires.

§. II.
Théorie des Indicatrices.

Pour déterminer le cercle osculateur et conséquemment le rayon de courbure d’une courbe plane, en un quelconque de ses points, on peut, entre autres moyens, employer le suivant, qui se prête assez commodément au calcul.

On mène la normale au point dont il s’agit, et on mène une perpendiculaire sur le milieu de la droite qui joint ce point à un autre point quelconque de la courbe ; l’intersection de cette perpendiculaire avec la normale est évidemment le centre du cercle qui, touchant la courbe au premier de ces deux points, passerait en même temps par l’autre.

Si l’on suppose ensuite que le dernier de ces deux points, sans quitter la courbe, vienne coïncider avec le premier, le cercle deviendra osculateur de la courbe au point donné ; son centre et son rayon seront donc le centre et le rayon de courbure de la courbe en ce point.

Un procédé analogue peut aussi être employé à déterminer le rayon de courbure d’une section normale quelconque faite à une surface courbe. Retournons donc à nos points du §. précédent. Concevons une section par un plan passant par le dernier de ces points et par la normale au premier ; concevons un autre plan perpendiculaire sur le milieu de la droite qui joint ces deux points ; ce dernier plan coupera la normale en un point qui deviendra le centre de courbure de la section normale pour le point de cette section, lorsque le point viendra coïncider avec lui.

Traduisons ce procédé en analise ; les équations de la normale en sont

(19)

celle du plan passant par cette droite et par le point sera

(20)

enfin on trouvera, pour celle du plan perpendiculaire sur le milieu de

(21)

Si l’on combine cette dernière équation avec celles de la normale, on trouvera pour les équations du centre du cercle tangent à la section normale en et passant par en ayant égard à l’équation (2),

le rayon de ce cercle sera donc

(23)

Soit fait présentement, comme dans le §. précédent, l’équation de la projection de sur le plan des sera comme alors

(11)

et le rayon du cercle aura pour expression

(30)

Si finalement on suppose cette expression deviendra celle du rayon de courbure de la section normale, de manière qu’en désignant par ce raon de courbure, on aura

(31)

Supposons encore, comme dans le §. précédent, qu’on ait transporté l’origine en qu’on ait pris les tangentes principales pour axes des et des et la normale pour axe des  ; on aura, comme alors

et conséquemment

(32)

Désignons respectivement par et les valeurs de qui répondent à et c’est-à-dire, les rayons de courbure des sections suivant les plans des et des  ; rayon que, pour les distinguer des autres, nous appellerons Rayons de courhure principaux, ou simplement Rayons principaux ; tout comme nous appellerons Sections principales les sections faites suivant les mêmes plans ; nous aurons ainsi

(33)

Soit présentement une longueur constante arbitraire quelconque, et concevons que, sur la tangente dont l’équation est

on porte, à partir de l’origine, une longueur égale à  ; on déterminera ainsi sur le plan des un certain point dont la situation variera avec l’angle  ; voyons donc à quelle courbe ce point appartient.

Nommons les coordonnées de ce point variable ; nous aurons

et

subtituant ces valeurs dans l’équation (32), elle deviendra

ou, en mettant pour et leurs valeurs, données par les équations (33), et divisant ensuite par

posant donc

on aura finalement

ou

(34)

équation d’une ellipse ou d’une hyperbole, suivant que et sont de mêmes signes ou de signes contraires. C’est cette courbe que M. Dupin appelle l’Indicatrice.

Si, dans l’équation (18), on met pour et leurs valeurs données par les équations (33), elle deviendra

ou, en multipliant par et substituant

équation qui exprime, comme l’on sait, la relation entre les angles que deux diamètres conjugués quelconques de la courbe (34) doivent faire avec l’axe des

Voici présentement les plus importantes des conséquences qui peuvent être déduites de ces divers résultats. On voit d’abord que, si ayant mené le plan tangent en un point quelconque d’une surface courbe, et tracé des droites sur ce plan par le point de contact, on imagine des sections planes faites suivant ces droites et la normale, et qu’on porte sur ces mêmes droites, à partir du point de contact, et de part et d’autre de ce point, des longueurs proportionnelles aux racines quarrées des rayons de courbure des sections normales qui leur répondent respectivement ; l’ensemble des points déterminés par ce procédé formera une ligne du second ordre ayant le point de contact pour centre, et dont les diamètres conjugués seront des tangentes conjuguées de la surface dont il s’agit.

Donc 1.o de toutes les sections normales qui peuvent être faites en un même point quelconque d’une surface quelconque, celles de plus grande et de moindre courbure se coupent toujours à angles droits. On peut appeler Rayons principaux les rayons de courbure de ces deux sections.

2.o En appelant Rayons conjugués les rayons de courbure des sections normales dirigées suivant deux tangentes conjuguées, on peut dire que la somme de deux rayons conjugués quelconques pris avec leurs signes est constante et égale à la somme des rayons principaux, pris aussi avec leurs signes.

3.o On peut dire encore que le produit de deux rayons conjugués quelconques et du quarré de l’angle des plans des sections normales auxquelles ils appartiennent, est également une quantité constante et égale au produit des rayons principaux.

4.o On voit aussi que, connaissant seulement deux rayons conjugués, et l’angle que forment entre eux les plans des sections normales auxquelles ils répondent, on a tout ce qu’il faut pour assigner les directions des sections principales et la grandeur des rayons principaux, et pour en conclure par suite la grandeur du rayon de courbure d’une section normale donnée de direction, ou la direction de la section normale à laquelle répond un rayon de courbure donné.

5.o En général, chaque théorème relatif aux diamètres conjugués d’une ligne du second ordre doit avoir son analogue dans la théorie de la courbure des surfaces ; et l’examen des diverses circonstances que peut présenter cette courbure en différens points d’une même surface, ou sur diverses surfaces, se réduit uniquement à la discussion des variétés que peuvent présenter les lignes du second ordre pourvues de centre. Ainsi, par exemple, on voit que, si en un point d’une surface courbe, deux courbures rectangulaires sont égales et de même signe, toutes les autres courbures en ce point seront égales entre elles et à celles-là. Si toutes les courbures eu un même point d’une surface ne sont pas de mêmes signes, cette surface aura, en ce point, des courbures infinies suivant deux directions telles que les sections normales qui diviseront en deux parties égales les quatre angles formés par ces deux directions, seront les sections principales.

Nous renvoyons, pour le surplus, à l’ouvrage même de M. Dupin, qui renferme un grand nombre d’autres recherches importantes, et qu’on ne peut lire qu’avec beaucoup de fruit.


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  1. In-4.o  d’environ 400 pages ; chez madame veuve Courcier, à Paris.