Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 04/Mathématiques appliquées, article 1

MATHÉMATIQUES APPLIQUÉES.

Solution des deux problèmes proposés à la page 243
du III.e volume des
Annales[1], avec quelques applications
à la construction des thermomètres métalliques
en forme de montre
 ;
Par M. Argand.
≈≈≈≈≈≈≈≈≈

1. Soient (fig. 1) la tangente commune, la perpendiculaire à sur laquelle se trouvent les centres des arcs tangens, un point pris, à volonté, sur Que de ce point, comme centre, et du rayon on décrive l’arc , la longueur donnée étant Qu’on abaisse sur la perpendiculaire et soient

on tire de ces deux équations, par l’élimination de et au moyen de celle-ci :

En substituant cette valeur de dans chacune des deux premières équations, on obtient celle de la courbe cherchée, sous ces deux formes

Ces deux équations diffèrent non seulement par la forme, mais encore par l’étendue de leur signification. La première n’appartient qu’à la courbe qui naît des arcs tracés dans le sens des ordonnées positives. La seconde comprend, en outre, la courbe semblable formée du côté des ordonnées négatives : car on voit qu’elle ne change pas en mettant au lieu de C’est donc cette dernière équation seule qui résout le problème tel qu’il est énoncé, en y supprimant toutefois la condition que les arcs touchent la droite donnée du même côté car, par cette restriction, on n’aurait qu’une moitié de la courbe ; savoir : celle qui est tracée du côté des abscisses positives, et la courbe se terminerait brusquement à la ligne

2. Quant à la surface courbe qui fait le sujet du second problème ; c’est une sphère dont le centre est le point de contact commun et dont le rayon étant la surface constante des calottes, et la demi-circonférence appartenant au rayon 1. En effet, la figure 1 peut représenter une section perpendiculaire au plan tangent, et passant par le point Qu’on décrive le cercle d’un rayon Ce cercle sera la section de la sphère dont il s’agit. Qu’on prenne ensuite, comme ci-dessus, à volonté, et qu’on décrive l’arc qui sera la section d’une demi-calotte. Par les élémens, la surface de la calotte et donc en substituant et réduisant, cette surface On doit ici, comme dans le problème précédent, et par une raison semblable, retrancher de l’énoncé du problème la condition que les calottes touchent le plan du même côté.

3. Les applications pratiques étant propres à jeter de l’intérêt sur les questions de théorie, auxquelles on reproche quelquefois de n’être que des objets de curiosité, il ne sera peut-être pas hors de propos de recueillir ici, à l’occasion de la courbe du premier problème, quelques considérations utiles dans la construction des thermomètres métalliques en forme de montre, instrumens dont plusieurs artistes se sont occupés dans ces derniers temps.

Le mécanisme de cet instrument est porté sur une platine et emboité comme un mouvement de montre. La figure 3 en représente les parties principales. est un pied ou talon, fixé sur la platine, auquel est attachée une lame d’acier dont la forme et la position sont assez semblables à celle de ces ressorts qui, depuis quelques années, ont remplacé les timbres des montres à répétition. est la pièce destinée à donner le mouvement thermométrique. Elle est composée de deux lames fort minces de métaux différens, comme acier et cuivre, soudées l’une à l’autre par leurs faces, de manière à ne former qu’un seul et même corps. Les deux lames et sont réunies en à l’extrémité de cette dernière est adaptée une troisième lame fort mince qui en forme, en quelque sorte, le prolongement. Le système ne tient à la platine que par le pied tout le reste est porté en l’air et se trouve éloigné de la platine de la distance requise pour le passage des roues et est le pignon du centre dans lequel engrène la roue L’axe de cette roue porte le bras ou levier qui appuye contre l’extrémité de la lame est une roue auxiliaire, engrenant de même dans le pignon à la tige de cette roue est adapté un ressort spiral dont l’effort tend à faire tourner de droite à gauche les rouages et Cet effort maintient le bras contre le bout de la lame. L’axe du pignon porte une aiguille, du côté du cadran, c’est-à-dire, du côté de la platine opposé à celui que représente la figure.

En vertu de la différence de dilatabilité entre le cuivre et l’acier, la lame se resserre ou s’ouvre, par les variations de température ; de manière qu’étant fixée par une de ses extrémités, l’extrémité libre acquiert, par ces variations, un mouvement thermométrique très-sensible. On peut l’évaluer à environ 5 millimètres, dans les limites de la température atmosphérique, pour une lame d’un demi-millimètre d’épaisseur et de 10 à 12 centimètres de longueur, et dont la courbure est celle d’un cercle de 25 millimètres de rayon.

La lame étant supposée avoir le cuivre en dehors et l’acier en dedans, l’ascension de la température produira une contraction, le ressort agira alors contre le bras et la roue tournera de gauche à droite, ainsi que le pignon , vu du côté du cadran.

On voit que l’arc (fig. 1) de longueur constante, mais de courbure variable, peut représenter la lame thermométrique ; le point est l’extrémité fixe, et le point l’extrémité mobile. Cette dernière décrira donc une portion de la courbe n.o 1.

4. Voici maintenant les questions auxquelles on est acheminé en cherchant à amener ce mécanisme à toute la régularité dont il est susceptible. Il faut d’abord donner à la lame le plus grand mouvement thermométrique possible. On y parvient en l’amincissant, mais il faut lui laisser la force suffisante pour résister aux secousses auxquelles l’instrument peut être exposé. La forme de la lame étant, comme on le voit, celle d’une portion de cercle, il ne reste qu’à en déterminer la longueur.

S’il s’agissait d’une lame droite, il est évident qu’une plus grande longueur donnerait un plus grand mouvement thermométrique ; mais, pour un arc de cercle, la question ne saurait être décidée au simple coup d’oeil. Comme le mouvement thermométrique est fort petit, relativement à la longueur de la lame, la portion de courbe décrite par l’extrémité mobile peut être sensiblement regardée comme l’élément de cette courbe.

Or, par les équations (1), on trouve

Il s’agit donc de déterminer la valeur de qui rend un maximum, en regardant et comme constans.

On trouve le résultat simple

en prenant le rayon de la lame pour unité, et en dénotant par un nombre entier quelconque. Dans la pratique, on ne peut prendre que ce qui donne On peut même et on doit, pour faciliter la distribution des pièces du mécanisme, réduire à comme on le voit dans la figure. Ce qu’on perd sur le mouvement par cette réduction, est peu de chose ; en effet, les valeurs de dans les deux suppositions de et sont entre elles

5. Après avoir ainsi fixé la longueur de la lame, il faut déterminer la direction de à laquelle le bras (fig. 3) doit être perpendiculaire. On trouve, pour la sous-tangente au point la valeur ainsi, la direction cherchée fait un angle d’environ avec le diamètre qui répond à la ligne de la figure 1.re. On voit par là pourquoi il a fallu donner au ressort une forme rentrante et à inflexion.

On vient de dire que le bras doit être perpendiculaire à la direction  ; mais, ce bras étant mobile, il faut entendre que cette perpendicularité doit avoir lieu au degré de température moyen, entre les limites des variations atmosphériques.

La détermination ci-dessus fournit d’abord un à-peu-près, pour obtenir la situation requise ; mais il convient d’avoir un moyen d’y mettre plus de précision. On peut y parvenir, par l’observation, de la manière suivante.

6. Soient trois hauteurs observées sur un thermomètre de comparaison, et les degrés correspondans, observés, en même temps, sur le cadran du thermomètre métallique. On réduira d’abord en degrés angulaires, en les multipliant par étant le nombre de degrés thermométriques dans lesquels est divisée la circonférence du cadran.

Soient ensuite (fig. 2) le centre autour duquel tourne le bras, la direction sur laquelle se meut l’extrémité de la lame, la position de cette extrémité au moment des observations, et par conséquent les situations correspondantes du bras.

Prenons la perpendiculaire pour unité, et faisons l’angle

Le mouvement de la lame étant sensiblement proportionnel aux variations de la température, on aura d’abord

La marche de l’aiguille fera connaître les angles En effet, le mouvement angulaire de l’aiguille est au mouvement angulaire du bras, comme le nombre des dents de la roue est à celui des dents du pignon. Dénotant dans ces nombres par et on aura

angles que, pour abréger, nous appellerons et .

Or,

En substituant ces valeurs, la proportion ci-dessus donnera, pour déterminer l’équation

En développant et les deux membres deviennent divisibles par et l’on trouve

Pour employer plus commodément les logarithmes au calcul de , on peut prendre un angle auxiliaire donné par l’équation

on aura ensuite

Soient maintenant et la position de la lame et du bras, à la température adoptée comme moyenne, celle température exprimée en degrés du thermomètre de comparaison, et soit fait l’angle  ; on aura, comme ci-dessus

d’où l’on tire

ou, en employant, comme ci-dessus, un angle auxiliaire

puis

L’angle , ainsi déterminé, fera connaître la quantité dont la position de l’extrémité (fig, 3) doit être avancée ou reculée. Cette quantité sera , en dénotant par la longueur de la partie utile du bras, c’est-à-dire, la distance entre le centre de la roue et l’extrémité du ressort, mesurée à la température moyenne.

Si, comme on le verra plus loin, cette opération peut se faire, l’instrument étant monté, on observera la marche de l’aiguille qui devra parcourir degrés de l’échelle du cadran.

En prenant pour le degré le plus élevé et par le plus bas, de manière que suivent l’ordre de la température ascendante, il faudra, si est positive, accourcir le ressort ou faire reculer l’aiguille. Ce sera le contraire, si est négative.

7. La manière dont le mouvement de la lame se transmet au rouage, a l’avantage d’occasionner le moins de frottement possible et de donner beaucoup de facilité pour régler le thermomètre, ainsi qu’on va le voir ; mais elle a cependant un défaut qui frappe au premier coup d’œil. En effet, les angles décrits par l’aiguille, à partir de la température moyenne, sont proportionnels, non aux lignes (fig. 2) parcourus par l’extrémité mobile, comme il le faudrait, mais aux arcs dont ces lignes sont les tangentes. Il en résulte donc une erreur qu’il faut évaluer ; mais, avant d’examiner cette question, il convient de faire ici deux observations.

1.o La marche de l’aiguille (supposée d’ailleurs régulière) est en proportion inverse de la longueur dénotée par au n.o précédent. Or, cette marche n’est pas arbitraire ; elle doit correspondre à la division du cadran, qui est supposé donnée. Il faut donc, pour obtenir cette correspondance, pouvoir faire varier, à volonté, la distance C’est dans ce but qu’a été imaginé le ressort subsidiaire (fig. 3), maintenu par la vis de pression Par le jeu de cette vis, on peut ouvrir ou refermer le ressort  : mouvement qui approche ou éloigne l’extrémité du centre de et produit ainsi la variation demandée.

2.o Cette correspondance obtenue, l’indication de l’aiguille peut n’être pas d’accord avec celle du thermomètre de comparaison, de même qu’une montre bien réglée peut être en avance ou en retard. Pour établir l’accord, on ne peut point, comme dans une montre qu’on met à l’heure, faire tourner l’aiguille sur la tige du centre ; car ici le rouage n’offre point de résistance ; il faut donc enlever l’aiguille de dessus son axe, et l’y replacer dans la situation convenable. Cette opération, toute simple qu’elle paraît, ne saurait néanmoins s’effectuer avec une précision suffisante. Il est donc nécessaire de pouvoir obtenir une plus grande approximation. Le moyen suivant remplit cet objet.

La platine est emboîtée de manière que le poussoir, se trouve vis-à-vis d’un point de la lame extérieure tel qu’en exerçant sur ce point une pression dirigée vers le centre il en résulte à l’extrémité d’un mouvement dans la direction  ; ce point se détermine facilement par l’expérience. Le poussoir étant traversé par une vis dont le bout vient appuyer contre le point on peut, par le jeu de cette vis, faire avancer ou reculer l’extrémité sans rien déranger au reste du mécanisme, et achever ainsi de rendre l’indication de l’aiguille concordante avec celle du thermomètre de comparaison. On doit observer ici que l’emploi de cette vis doit être mis à profit pour obtenir une dernière approximation, dans l’opération du n.o 6, laquelle doit précéder celle dont on vient de parler. À la vérité ; cette dernière dérangera la position prescrite par le n.o 6 ; mais tout ce qui en résultera, c’est que le bras qui devrait être perpendiculaire à la direction à la température moyenne ne le sera véritablement qu’à la température un ou deux degrés, ce qui ne présente aucun inconvénient sensible.

8. L’effet des vis et étant ainsi expliqué, on voit qu’il peut être assimilé à deux constantes arbitraires au moyen desquelles on peut faire en sorte que l’indication de l’instrument soit exacte à la température moyenne et à une autre température On voit aussi que l’accord étant obtenu dans ces deux cas, il aura également lieu à la température En général, on peut ne s’occuper que de ce qui se passe en supposant positif, car les mêmes effets seront produits, mais en sens contraire, étant négatif.

Soient maintenant (fig. 4) la direction  ; perpendiculaire à la direction du bras à la température moyenne cette direction à la température Faisons et et prenons un autre angle indéterminé Pour que l’accord demandé eût lieu lorsque le bras est en , il faudrait que l’on eût

c’est-à-dire,

puis donc qu’on a réellement

il s’ensuit que l’erreur est

Le maximum de cette erreur a lieu, lorsque ce qui donne

L’erreur elle-même est alors

série dont il suffit de conserver le premier terme.

Maintenant on doit prendre pour la moitié de la distance entre les températures extrêmes de l’atmosphère. On peut donc faire centigrades ; l’angle sera en conservant à les valeurs du n.o 6.

L’erreur au maximum, rapportée à l’aiguille et exprimée en degrés thermométriques, sera ainsi

Soit donc la plus grande erreur qu’on veuille se permettre ; il faudra avoir

Soit, par exemple ( Réaumur), on devra avoir Les valeurs de et de sont limitées par la nature de l’instrument. On ne pourrait guère faire, plus grand que 100. Quant à il faut bien se garder de le prendre trop petit. On ne peut nullement employer ici, comme dans les montres, des pignons de 6 ou 7 ailes. En faisant on aurait  ; mais, comme il y a une certaine élégance à avoir pour une partie aliquote de l’unité thermométrique, on pourrait encore prendre ce qui permettrait de faire

9. Il ne faut point omettre de faire mention ici d’un défaut qui paraît inhérent à tous les instrumens où le corps thermométrique est solide : défaut qui tient à un fait physique sur lequel M. Laplace a appelé l’attention des observateurs (Exposit. du syst. du monde, liv. I, chap. XII). Il s’agit de la résistance que les corps, en changeant de température, opposent à leur changement de volume et de figure : résistance qui paraît être due au frottement interne entre les molécules et à l’élasticité de ces mêmes molécules. Cet effet est très-apparent sur l’instrument dont nous nous occupons. Si on le met en action de manière que l’aiguille ait un mouvement sensible et qu’on lui fasse subir un léger choc, pour lequel il convient d’employer un corps dur, on verra l’aiguille faire un saut, dans le sens de sa marche, puis rester stationnaire pendant tout le temps qu’il lui aurait fallu pour parcourir l’espace qu’elle a franchi. Et ce qui prouve que cet effet ne provient pas, au moins en totalité, du frottement externe, comme on pourrait d’abord le penser, c’est la régularité qu’on y observe. L’espace dont il s’agit paraît être de à ° centigrade, pour la lame dont les dimensions sont données au n.o 3. Ces limites seraient beaucoup plus écartées, si une cause aussi variable que le frottement externe exerçait la principale influence dans l’effet en question.

On peut ajouter que la même résistance a lieu relativement au changement de figure qui provient d’une autre cause que la variation de la température ; par exemple, de la propre pesanteur du corps. En effet, si, en maintenant le thermomètre dans un plan vertical, on le fait tourner autour de l’axe de l’aiguille, la température demeurant constante, la pesanteur des parties mobiles de l’instrument, particulièrement celle de la lame, produira un changement de figure d’où naîtra un mouvement dans l’aiguille. Pendant ce mouvement, on pourra faire l’expérience dont nous venons de parler, et on obtiendra le même effet. Cette variation dans l’indication de l’aiguille, suivant la situation du thermomètre est, au reste, un défaut qu’on doit corriger, afin que l’instrument soit comparable à lui-même dans toutes les positions. On y parvient facilement, en adaptant sur l’axe de la roue (fig. 3) un petit contre-poids, semblable au bras On observera la position dans laquelle l’action dont il s’agit de corriger l’effet est à son maximum. La direction du contre-poids devra alors être horizontale, et dans le sens où l’action de la pesanteur contrarie celle de la lame. Le poids de cette petite correctrice se détermine facilement par l’expérience.

10. Il y aurait encore plusieurs préceptes de pratique à indiquer ici, mais on se bornera au point le plus essentiel. Comme la force qui agit sur le mécanisme est proportionnelle à la variation de la température, et qu’un frottement, quelque petit qu’il soit, demande une force finie pour être surmonté, on voit qu’il y aura toujours, dans la machine, une inexactitude d’autant plus grande que la résistance à vaincre le sera elle-même. On doit donc s’attacher, avec un soin extrême à diminuer toutes les causes de frottement. Donner au rouage la plus grande liberté, alléger les roues et l’aiguille, réduire la grosseur des pivots, employer un ressort spiral très-faible ; éviter tout contact entre l’aiguille et le cadran ou la glace qui le recouvre, tels sont les principaux moyens de parvenir à ce but.

On voit que la construction des thermomètres métalliques exige des considérations dont les résultats ne pourraient pas toujours être connus par l’expérience et le tâtonnement ; ce qui explique pourquoi des artistes, habiles d’ailleurs, n’ont obtenu, dans ce genre, que des produits imparfaits quant à l’exactitude. Quelques essais dirigés sur les principes qu’on vient de présenter ont été plus satisfaisans ; et on croit pouvoir assurer qu’avec un peu de soin, les artistes obtiendraient une précision, sinon assez parfaite pour des expériences très-délicates, du moins suffisante dans bien de cas, et pourraient ainsi offrir aux observateurs une nouvelle espèce de thermomètre que sa forme portative leur rendrait très-commode en voyage, et dans les excursions où le transport des instrumens est souvent un sujet d’embarras.

Paris, le 27 février 1813.



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  1. Voyez aussi la page 377 du même volume.