Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 04/Dynamique, article 2

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Réflexions et recherches sur le même problème ;
Par M. Gergonne.

Ce problème se trouve traité par Clairaut, ainsi que plusieurs autres problèmes analogues, dans le volume de l’Académie des sciences de Paris pour 1786. Ce géomètre prouve très-bien, par des considérations purement synthétiques, que l’espace élémentaire parcouru par le point, dans un instant quelconque, divisé par l’angle que forment entre elles les deux directions de la verge au commencement et à la fin de cet instant, est une quantité constante : d’où il suit que le point décrit une circonférence autour du point d’un mouvement uniforme, pendant que ce dernier se meut uniformément sur une droite, et qu’ainsi la Tratoire est une cycloïde.

Clairaut s’était occupé de ce problème à l’occasion d’une discussion qu’il avait eue avec Fontaine, lequel prétendait que, dans le mouvement, la direction de la verge devait constamment être tangente à la courbe ; d’où il concluait que la Tractoire n’était autre que la courbe aux tangentes égales ; ce qui réduisait le problème à un simple problème de géométrie.

Malgré la solution de Clairaut, beaucoup de géomètres ont continué jusqu’ici, avec Fontaine, à ne pas distinguer la Tractoire de la Courbe aux tangentes égales. Ils en ont même conclu, et ont dû en conclure, en effet, que, ni la vitesse constante ou variable du point ni le frottement ni la résistance du milieu, qui agissent toujours dans la direction du mouvement, laquelle est ici la même que celle de la verge ne pouvaient aucunement modifier la nature de la courbe. Quant à Clairaut, il accordait bien à Fontaine, ce qui, ce me semble, était beaucoup trop, que lorsque le corps frottait sur le plan horisontal et qu’il n’y avait aucune vitesse imprimée, la Tractoire pouvait être une courbe aux tangentes égales, et son dessein était seulement de démontrer que ce devait être une cycloïde, dans le cas où le frottement et les autres obstacles étaient nuls.

Dans un mémoire que j’ai lu, il y a quelques mois, à l’académie du Gard, j’ai ébauché la solution du problème général des tractoires dans les milieux résistans, en supposant que le point, décrit, dans l’espace, une courbe donnée quelconque, à double courbure, et qu’il la décrit d’un mouvement varié aussi quelconque ; on voit qu’il suffirait de supposer la verge pesante et flexible, et d’avoir égard à son poids et à sa courbure, pour obtenir la théorie complète du Cerf-volant.

En particularisant mes résultats pour les rendre propres au cas présent, je suis parvenu, en général, à des conclusions semblables à celles de M. Français. Cependant, comme ma marche diffère un peu de la sienne, je pense qu’on ne sera pas fâché de trouver ici un rapprochement des deux méthodes.

Pour me débarrasser de la rainure et de la considération des masses, je me suis proposé ce cas particulier du problème, ainsi qu’il suit :

PROBLÈME. Un point parcourant l’axe des d’un mouvement uniforme, avec une vitesse connue égale à exerce une force attractive ou répulsive inconnue, constante ou variable, sur un autre point absolument libre d’ailleurs, posé sur le plan des coordonnées que l’on suppose rectangulaires. L’action de sur est telle que ces deux points sont toujours maintenus à une distance constante l’une de l’autre. On demande, d’après cela, la nature de la courbe décrite par le point ainsi que les autres circonstances du mouvement ?

Solution. Soient, à une époque quelconque, et les coordonnées de l’abscisse de et l’action de sur  ; cette action s’exerçant suivant la droite qui joint ces deux points, il s’ensuit que ses composantes parallèles aux axes des et des sont respectivement d’où il résulte que les équations du mouvement du point doivent être, étant la variable indépendante,

(1)(2)

à quoi il faut joindre

(3)(4)

Cela posé, si l’on différencie deux fois l’équation (3), en ayant égard à l’équation (4), il viendra

(5)
(6)

Mais, d’un autre côté, en éliminant entre les équations (1) et (2), on obtient

(7)

En éliminant entre les équations (3), (5), (6), (7) on aura

(8)

équation dont l’intégrale première est

(9)

valeur qui, substituée dans l’équation (5), donne

(10)

Éliminant donc entre les équations (9) et (10) ; on aura pour équation différentielle de la trajectoire

(11)

équation que l’on reconnaît déjà pour être celle d’une cycloïde, laquelle sera allongée, ordinaire ou raccourcie, suivant les diverses valeurs qu’on attribuera à la constante

Pour déterminer cette constante M. Français considère successivement les deux composantes, parallèles aux axes, de l’impulsion initiale qu’il suppose avoir été imprimée originairement à ce qui le conduit à une équation de relation entre ses composantes ; équation qui entraîne cette conséquence paradoxale que l’une de ces composantes est donnée lorsqu’on donne l’autre, et qu’ainsi on n’a pas la liberté d’imprimer à une vitesse initiale qui soit à la fois arbitraire d’intensité et de direction.

Il m’a semblé qu’on ne pouvait guère expliquer cette sorte de paradoxe qu’en considérant qu’il n’entre point dans l’esprit des procédés analitiques d’admettre que le point commence brusquement à se mouvoir avec la vitesse finie et constante et que les formules ci-dessus doivent supposer tacitement que ce point était déjà en mouvement avant d’être parvenu au lieu où on le suppose arrivé à l’instant par lequel on compte Ce qu’on appelle ici vitesse initiale ne doit donc être autre chose que celle qu’il faudrait imprimer à à cette époque, afin de suppléer au défaut effectif du mouvement de ce point, antérieurement à cette même époque ; et voilà sans doute pourquoi cette vitesse initiale n’est point à la fois arbitraire de grandeur et de direction. Je ne propose ceci, au surplus, que comme une simple conjecture, qui a besoin d’être mûrie par la réflexion.

Afin donc de déterminer la constante je supposerai qu’à l’époque pour laquelle on compte le point se trouve avoir une vitesse soit imprimée, soit antérieurement acquise, dans une direction formant un angle avec l’axe des et dont les composantes, respectivement parallèles aux axes des et des seront conséquemment et je supposerai d’ailleurs, avec M. Français, qu’à la même époque le point est à l’origine et que la verge fait un angle avec l’axe des c’est-à-dire, que je supposerai qu’on a en même temps

À l’aide de ces diverses suppositions, les équations (9) et (10) deviendront

d’où

(12)

ce qui donne l’équation de relation

(13)

Si présentement on intègre l’équation (11) on trouvera

les circonstances initiales du mouvement donnent, en réduisant

en sorte qu’on a définitivement

(14)

équation dans laquelle, en vertu de la relation (13), on pourra substituer pour l’une quelconque des deux valeurs données par les équations (12). On aura ensuite

Mais l’équation (9) donne, en intégrant et ayant égard aux circonstances initiales du mouvement,

 ;

d’où

 ;

donc

(15)

Il paraît bien établi, par tout ce qui précède, que, tant qu’on fera abstraction du frottement et de la résistance du milieu, et qu’on supposera le mouvement du point rectiligne et uniforme, la tractoire plane sera une cycloïde. Supposons présentement, s’il est possible, qu’en ayant égard soit au frottement, soit à la résistance du milieu, soit à tout autre obstacle agissant dans un sens directement opposé à celui du mouvement du point la tractoire pût devenir la courbe aux tangentes égales ; la suppression de tous ces obstacles revenant à l’introduction d’une force égale et contraire à leur somme, dirigée dans le sens du mouvement, ne devrait altérer en aucune sorte la nature de la courbe, et n’aurait d’autre effet que d’augmenter ou diminuer plus ou moins la tension ou compression de la verge et de faire varier l’intensité et la direction de la puissance variable à appliquer au point, pour lui faire décrire une ligne droite d’un mouvement uniforme, avec la vitesse la tractoire devrait donc dans ce cas, comme dans le premier, être une courbe aux tangentes égales ; or, nous venons de voir qu’alors elle est une cycloïde ; donc dans le premier cas elle ne saurait être une courbe aux tangentes égales. Ainsi, loin que jamais, par l’effet du frottement et de la résistance du milieu, la tractoire puisse devenir une courbe aux tangentes égales, cette courbe est peut-être la seule au contraire que le point ne puisse jamais décrire, du moins tant que ce point ne sera soumis à l’action d’aucune force étrangère au système.

Pour ne rien laisser à désirer sur ce sujet, je vais finalement chercher quelle est la force accélératrice qui devrait agir sur le point pour lui faire décrire la courbe aux tangentes égales ; c’est-à-dire, que je vais résoudre le problème suivant :

PROBLÈME. Pendant qu’un point parcourt l’axe des , d’un mouvement uniforme, avec la vitesse un autre point se meut d’un mouvement varié et curviligne sur le plan des Le mouvement de ce dernier point est tel que toujours il se trouve à une même distance constante du point, et qu’en outre la droite mobile qui joint ces deux points est perpétuellement tangente à la courbe décrue par le point On demande d’après cela quelle est la nature de cette courbe, et quelle est la force accélératrice qui agit sur  ?

Solution. Soient conservées les notations et conventions du problème précédent. L’invariabilité de la distance entre les points et sera exprimée par l’équation

(1)

et la propriété dont jouit la droite qui les joint, d’être perpétuellement tangente à la courbe décrite par sera exprimée par cette autre équation

ou(2)

Éliminant entre elles, il viendra

équation dont l’intégrale est

Si, pour déterminer la constante, on suppose, comme ci-dessus, qu’on ait en même temps

il viendra

ce qui donne, enfin, pour l’équation de la courbe aux tangentes égales,

(3)

Présentement, en considérant comme la variable indépendante, nous pouvons mettre l’équation (2) sous la forme

(4)

d’un autre côté, en différenciant l’équation (1), il vient, à cause de

(5)

De ces deux équations on tire

On trouve ensuite, par une nouvelle différentiation

(8)
(9)

En désignant donc par respectivement, les composantes de la force accélératrice, parallèlement aux axes, on aura

et, conséquemment ; si l’on désigne cette force par on aura

et elle fera, avec l’axe des , un angle dont la tangente tabulaire sera

d’où il est facile de conclure que ses composantes, suivant la tangente et suivant la normale, seront respectivement

On voit donc que la puissance n’est point dirigée suivant

Rien ne serait plus facile maintenant que d’obtenir , et en fonction de  ; mais nous croyons superflu de nous arrêter à la recherche de ces diverses expressions.


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