Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 02/Astronomie, article 1

ANNALES
DE MATHÉMATIQUES
PURES ET APPLIQUÉES.

ASTRONOMIE.

Recherches sur la détermination des orbites des corps
célestes ;
Par M. Gergonne.
≈≈≈≈≈≈≈≈≈
PREMIÈRE PARTIE.
Détermination des orbites des corps célestes, par quatre ou un plus grand
nombre d’observations voisines.

La méthode que je vais tracer, dans cette première partie, est directe ; elle est fondée sur la plus saine théorie ; et elle réduit au premier degré un problème généralement regardé comme très-difficile. Néanmoins, on la jugera peut-être plus curieuse qu’utile. Elle suppose, en effet, que l’on a au moins quatre observations complètes de l’astre dont il s’agit de déterminer les élémens ; elle suppose, de plus, que l’intervalle de temps qu’embrassent ces observations n’est pas très-considérable ; elle suppose, enfin, que ces observations sont assez exactes pour qu’il soit permis de compter sur les troisièmes différences des données qu’elles auront fournies ; et l’on sent que ce sont là autant de circonstances très-difficiles à réunir.

C’est donc moins dans la vue des applications pratiques que j’indique ici cette méthode, que pour montrer 1.o quelle influence exerce, dans la solution du problème, la considération des lois du mouvement auquel l’observateur est assujetti ; 2.o  quel parti on peut tirer de la méthode des différences dans les applications de l’analise ; 3.o enfin, combien il importe de perfectionner l’art d’observer, puisque des observations plus exactes, en même temps qu’elles conduisent à des résultats plus précis, permettent, dans la recherche de ces résultats, de substituer, à des tâtonnemens toujours incommodes et souvent très compliqués, des méthodes directes extrêmement simples.

Toutefois, à ne considérer même la méthode que je vais sommairement présenter que comme propre seulement à fournir une approximation grossière, peut-être serait-elle encore de beaucoup préférable à toutes celles qui reposent sur l’hypothèse d’un mouvement sensiblement rectiligne et uniforme, pendant l’intervalle de temps qu’embrassent les observations ; hypothèse tout à fait illusoire, comme M. Lagrange l’a prouvé dans l’un de ses mémoires sur la détermination des orbites des comètes, et comme je l’ai fait voir, par de nouvelles considérations, dans un mémoire que j’ai lu, il y a quelques mois, à l’académie du Gard[1]. J’ajouterai qu’en réduisant ainsi le problème au premier degré, en même temps qu’on le simplifie, on élude une discussion, toujours pénible, et souvent très-délicate, entre les diverses solutions que peut admettre un problème d’un degré plus élevé ; ce qui me parait être un avantage très-précieux.

Je montrerai, au surplus, dans la seconde partie de ce mémoire, que, même en n’employant seulement que les premières et secondes différences des données fournies par les observations, le problème de la détermination des élémens du mouvement d’un astre, n’est que du troisième degré, si l’orbite de cet astre est assez alongée pour pouvoir être considérée comme sensiblement parabolique, et qu’il n’est que du second degré seulement si, au contraire, le peu d’excentricité de cette orbite permet de la considérer comme circulaire de manière que le cas où l’excentricité n’est ni très-grande ni très-petite, c’est-à-dire, le cas le plus rare dans la nature, est le seul où le problème, même pour une première approximation, soit inévitablement du septième degré. Mais ces simplifications ne peuvent avoir lieu qu’autant qu’on emploie concurremment les premières et secondes différences tant des longitudes que des latitudes observées, ce que l’extrême précision que l’on apporte aujourd’hui dans les observations, semble d’ailleurs suffisamment autoriser, du moins dans un grand nombre de cas.

Les seules suppositions que je me permettrai dans ce qui va suivre, et elles sont indispensables pour le but que j’ai en vue, sont 1.o que les observations sont faites au centre même de la terre ; 2.o  que le centre du soleil est dans une immobilité parfaite ; 3.o que les masses de la terre et de l’astre observé peuvent être considérées comme nulles, par rapport à la sienne ; 4.o que conséquemment ces deux corps n’exercent aucune attraction l’un sur l’autre ; 5.o qu’enfin il n’existe, d’autre part, aucune cause perturbatrice du mouvement. Au surplus, si l’on en excepte, peut-être, la belle méthode de M. Gauss, il n’en est aucune qui ne soit fondée sur ces diverses hypothèses.

À l’avenir, lorsque j’emploirai les coordonnées rectangulaires, le centre du soleil sera l’origine, la ligne des équinoxes sera l’axe des  ; celle des solstices sera l’axe des  ; l’axe de l’écliptique sera celui des , et l’angle des coordonnées positives sera compris entre Ariés, le Cancer et le pôle boréal de l’écliptique. Je prendrai le jour moyen pour unité de temps, la distance moyenne du soleil à la terre pour unité de longueur, et l’angle droit pour unité de mesure des angles. Enfin, je considérerai les latitudes comme positives ou comme négatives, suivant qu’elles seront boréales ou australes.

I. Cela posé, soient, pour une époque quelconque , les coordonnées d’un astre observé, et son rayon vecteur ;

les coordonnées de la terre, et son rayon vecteur ;

sa longitude, ou celle du soleil augmentée de deux angles droits ;

les longitude et latitude géocentriques de l’astre.

Il est aisé de voir qu’on aura

on aura d’ailleurs

(1)

posant donc, en outre,

ou, ce qui revient au même,

(3)

les deux équations ci-dessus deviendront

(5)
(6)

II. Soit considéré le temps comme variable indépendante, et soient adoptées, pour plus de simplicité, les notations de M. Lagrange. En différentiant trois fois chacune des deux équations (5, 6), il viendra

Mais, par le principe des aires, on a

Dans chaque colonne, chacune des équations est comportée par les deux autres, en sorte que les six équations n’équivalent réellement qu’à quatre, mais, réunies aux huit équations (5, 6, 7, …, 11, 12), elles sont en nombre suffisant pour déterminer les douze inconnues

III. On a aussi, en vertu du même principe,

et, bien que ces deux dernières équations n’expriment que de simples relations entre les données du problème, leur considération n’en est pas moins très-importante, à raison des simplifications qu’elles introduisent dans la recherche des valeurs des inconnues.

IV. Pour parvenir aux valeurs de ces inconnues d’une manière simple, soient d’abord substituées, dans l’équation (19), les valeurs de données par les équations (5, 6, 9, 10), il viendra

équation qui, en vertu des équations (5, 6), peut être écrite ainsi

En développant la partie

de cette équation, et l’ordonnant par rapport à et , on voit qu’elle s’évanouit, en vertu des équations (13, 14, 15), en sorte que l’équation devient simplement

V. Soient, en second lieu, substituées dans l’équation (20) pour

leurs valeurs données par les équations (5, 6, …, 11, 12), il viendra

Cette équation peut d’abord, en vertu des équations (5, 6, 7, 8, 9, 10), être écrite ainsi :

En développant la première ligne, et l’ordonnant par rapport à et , on voit qu’elle s’évanouit, en vertu des équations (16, 17, 18) ; le surplus de l’équation est, en réduisant,

VI. Soit enfin différentiée l’équation (21) ; on aura ainsi

Éliminant alors entre les équations (22, 23), il viendra

Éliminant enfin entre les équations (21, 24), et divisant par Z l’équation résultante, on en tirera

VI. Pour calculer cette valeur de Z, il faudra d’abord, à l’aide des valeurs de et qui répondent à l’époque , et que donneront les éphémérides, et par les lois connues du mouvement de la terre, déterminer d’où, par les équations (1, 2), et leurs différentielles premières et secondes, on conclura, pour la même-époque, les valeurs de dont les dernières, en vertu de l’équation (19), ne renfermeront pas .

Ensuite, à l’aide de plusieurs longitudes et latitudes observées, dans le voisinage de l’époque , on calculera, par la méthode que M. Laplace a indiquée[2], les valeurs approchées, toujours pour l’époque , de Recourant alors aux équations (3, 4), et à leurs différentielles des trois premiers ordres, on en conclura les valeurs correspondantes de au moyen de quoi tout se trouvera connu dans la valeur de Z.

Z étant ainsi déterminé, l’équation (21) fera connaître , et on obtiendra ensuite par les équations (5, 6, 7, 8).

Appelant donc le rayon vecteur, pour l’époque , on aura

de plus, en formant la quantité

suivant qu’on la trouvera positive ou négative, on saura que l’époque suit ou précède celle du périhélie.

VII. Ces préliminaires établis, rien ne sera plus facile que de déterminer les élémens de l’orbite, en suivant la marche tracée par l’illustre auteur de la Mécanique céleste[3] et qui revient à peu près à ce qui suit :

Soient posés

équations dans lesquelles, en désignant par la durée de l’année sydérale, on a

posant, en outre,

on trouvera

1.o demi-grand axe

2.o rapport de l’excentricité au demi-grand axe

3.o Tang. Long. du nœud ascendant

4.o Tang. inclinaison de l’orbite

5.o Tang. Long. du périhélie sur l’écliptique

6.o anomalie vraie

enfin, désignant par le demi-grand axe, par le rapport de l’excentricité à ce demi-grand axe, par l’anomalie, et posant

on aura

7.o Époque du périhélie le signe ou le signe devant être pris, suivant que l’époque précède ou suit celle du périhélie.

DEUXIÈME PARTIE.
Détermination des orbites des corps célestes, par trois ou un plus
grand nombre d’observations voisines.

Dans la première partie de ce mémoire, je n’ai fait uniquement usage que du principe des aires, et il m’a fallu, pour suppléer aux autres circonstances connues du mouvement des corps célestes, recourir aux troisièmes différences des longitudes et latitudes observées, ce qui supposait quatre observations au moins. Ici j’aurai indifféremment recours à toutes les lois qui résultent du principe de la gravitation, ce qui n’exigera plus que l’emploi des secondes différences, et ne supposera pas conséquemment que les observations doivent être au nombre de plus de trois. Je conserverai d’ailleurs les conventions et notations déjà adoptées dans la première partie.

VIII. L’équation (21) donne

(25)

d’où résultent, par les équations (7, 8)

(26)

(27)

si ensuite on substitue dans l’équation (13) les valeurs données par les équations (5, 6, 9, 10), en ayant égard aux équations (19, 21), il viendra

multipliant cette équation par et éliminant au moyen de l’équation (21), il viendra

équation qui se réduit à

mais, en vertu de l’équation (19), on a

substituant donc et divisant par on aura

(28)

d’où on conclura, par les équations (9, 10) et par la formule (25), en ayant toujours égard à l’équation (19),

(29)
(30)

Voilà donc déterminés en fonction de  ; et il est essentiel de remarquer 1.o que les valeurs de sont complètes du premier degré en  ; 2.o que celle de , aussi du premier degré en ne renferme point de terme sans  ; 3.o que les valeurs de sont complètes du second degré ; 4.o enfin que celle de , aussi du second degré en , ne renferme point de terme sans .

IX. Il nous faut donc une équation de plus pour déterminer nos inconnues, et le principe de la gravitation donne, comme l’on sait,

équation dans laquelle a la même valeur que nous lui avons déjà assignée . Faisant donc les substitutions et divisant par il viendra

Cette équation semble devoir monter au 8.me degré ; mais elle ne s’élève réellement qu’au 7.me, comme nous allons le voir[4].

Le dernier terme de cette équation est

mais, les lois du mouvement étant, pour la terre, les mêmes que pour l’astre observé, on a

d’où

ce qui donne, en quarrant, chassant le dénominateur et transposant,

d’où l’on voit en effet que, le dernier terme de l’équation (31) étant zéro, elle ne doit s’élever seulement qu’au septième degré.

Cette équation étant résolue, on en déduira les valeurs de comme ci-dessus, et on achèvera absolument le calcul comme il a été indiqué dans la première partie.

X. Nous allons montrer maintenant comment le problème se simplifie dans les cas les plus ordinaires, c’est-à-dire, dans les cas d’une très-grande ou d’une très-petite excentricité.

Supposons, en premier lieu, que le demi-grand axe soit assez grand pour pouvoir sensiblement être supposé infini, ou, ce qui revient au même, supposons que l’astre observé soit une comète ; d’après l’expression que nous avons donnée du demi-grand axe, nous aurons alors

ce qui donnera, en quarrant et introduisant la valeur de , en

Il est aisé de voir que la substitution des valeurs de ne fera monter cette équation, en , qu’au 6.me degré seulement[5] ; mais ce n’est pas la plus simple que l’on puisse employer, dans ce cas, pour parvenir à la solution du problème.

On a, en effet, par le principe de la gravitation, ainsi que nous l’avons déjà rappelé,

et l’équation (32) peut d’ailleurs être mise sous cette forme

multipliant donc ces deux équations l’une par l’autre, il viendra, en réduisant et transposant

équation qui, par la substitution des valeurs de ne s’élèvera, en , qu’au troisième degré seulement ; elle pourra donc être résolue directement, par les tables trigonométriques ; et, si elle a toutes ses racines réelles, on n’admettra que celle d’entre elles qui satisfera à peu près à l’équation (31) ; l’hypothèse d’une orbite parabolique pourra être admise avec d’autant plus de fondement que cette valeur y satisfera d’une manière plus approchée[6].

On voit donc que, dans le cas de la parabole, on a une équation surabondante ; on en pourrait faire usage pour éliminer les secondes différences soit des longitudes soit des latitudes géocentriques, et c’est ainsi qu’en use M. Laplace. Il résulte de là que cinq données seulement sont suffisantes pour la détermination complète des élémens du mouvement d’une comète.

XI. Supposons, en second lieu, que l’orbite soit assez peu excentrique pour pouvoir être sensiblement considérée comme circulaire, ainsi qu’il arrive pour la plupart des planètes, du moins lorsqu’on n’aspire qu’à une première approximation ; dans ce cas, et conséquemment devra être constant ; on aura donc, à la fois,

(36)

Après les substitutions, ces équations seront, la première du second degré et la seconde du troisième, en , il sera donc facile d’en déduire une équation de relation entre les données du problème et une valeur de au premier degré. Cette valeur substituée dans l’équation (31) donnera une nouvelle équation de relation. Si ces deux équations se trouvent satisfaites, on sera assuré que l’orbite est en effet circulaire ; et comme, par leur moyen, on pourra éliminer de la valeur de les secondes différences tant des longitudes que des latitudes géocentriques, il s’ensuit que deux observations seulement seront alors suffisantes pour résoudre complètement le problème.

XII. Considérons maintenant le cas où la trajectoire décrite serait rectiligne : on aurait alors

étant des constantes ; de là résulte

et par suite

équations qui, en vertu des équations (14, 15), peuvent être changées en celles-ci

ces dernières prouvent qu’alors le mouvement est dirigé vers le soleil. Après les substitutions, ces équations ne seront que du premier degré en , et elles fourniront, avec l’équation (31) y deux équations de condition qui serviront à vérifier l’hypothèse du mouvement rectiligne, et au moyen desquelles on pourra faire disparaître de la valeur de les secondes différences des longitudes et des latitudes observées : ainsi, encore ici, deux observations suffiront pour résoudre complètement le problème.

XIII. Pour compléter cette théorie, il nous reste encore à examiner deux cas : ce sont 1.o celui où l’astre observé serait dans une immobilité parfaite ; 2.o celui où son mouvement serait à la fois rectiligne et uniforme. Dans le premier cas on a, à la fois,

et comme les équations du mouvement sont en général

on voit qu’elles ne peuvent être satisfaites qu’autant que est infini, c’est-à-dire, qu’autant qu’une au moins des trois coordonnées est elle-même infinie.

Les équations (7, 8) deviennent simplement dans ce cas

d’où on tire

si donc ni ni ne sont infinis, c’est-à-dire, si n’est pas zéro, on devra avoir

d’où

ainsi les angles doivent être les mêmes pour des observations faites à diverses époques. C’est, par exemple, ce qui arrive pour les étoiles fixes.

XIV. Dans le cas d’un mouvement à la fois rectiligne et uniforme, on a seulement

ce qui suppose encore qu’une au moins des coordonnées est infinie, du moins en ayant égard à toutes les lois qui résultent du principe de la gravitation ; mais l’équation (28) donnant alors

si ou ne sont pas infinis, c’est-à-dire, si l’on n’a pas on devra avoir

équation dont l’intégrale complète est

ou, par les équations (3, 4),

ou aura pareillement, pour deux autres observations.

éliminant les deux constantes et entre ces trois équations, on arrivera à l’équation de condition

et l’hypothèse d’un mouvement rectiligne et uniforme ne pourra être admise qu’autant que les données fournies par trois observations vérifieront cette dernière équation.

  1. J’ai prouvé, entre autres choses, dans ce mémoire, que, dans l’hypothèse d’un mouvement sensiblement rectiligne et uniforme, les mêmes données pouvaient répondre à une infinité de trajectoires différentes.
  2. Voyez Mécanique céleste, tom. I, pag. 193.
  3. Voyez Mécanique céleste, tome I, page 160.
  4. Cette équation équivaut à celle qui a été donnée par M. Laplace. Voyez la Mécanique céleste, tome 1.er, page 209.
  5. Cette équation équivaut à celle qu’a donné M. Laplace. Voyez la Mécanique céleste, tome 1.er, page 216.
  6. Les équations (32, 33) étant combinées entre elles, pourraient conduire à une équation du premier degré seulement qui serait, sans doute, fort difficile à obtenir ; mais qui, par l’effet des réductions, pourrait peut-être devenir assez simple.