Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 02/Analise, article 4

QUESTIONS RÉSOLUES.

Démonstration du théorème énoncé à la page 96 de
ce volume ;
Par M. Tédenat, correspondant de la première classe de
l’Institut, recteur de l’académie de Nismes.
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À MM. les Rédacteurs des Annales,

Messieurs,

Je viens de recevoir le 3e  numéro du 2.me volume de vos Annales. Pour me distraire un moment de mes occupations ordinaires, je l’ai parcouru, et je me suis arrêté sur le théorème d’analise que l’on trouve énoncé à la page 96. La démonstration n’en sera pas difficile pour ceux à qui le calcul des différences est familier. Je me contenterai d’en indiquer la marche, sans entrer dans aucun détail.

On sait que désignant les états successifs d’une fonction d’une variable , on a généralement

Soit

et supposons que prenne successivement des accroissernens désignés par on aura

Substituant donc dans l’équation , il viendra

équation qui, en y supposant se change en celle-ci

Mais, d’un autre côté, d’après la valeur et l’égalité des accroissemens de la variable indépendante , il est connu qu’on doit avoir

[1] ;
on aura donc, à cause de l’équation  ;

équation qui, en y faisant et divisant ensuite ses deux membres par devient

faisant, dans cette dernière, on obtiendra celle qu’il s’agissait de démontrer.[2]

Agréez, Messieurs, etc.

Nismes, le 2 septembre 1811.
Séparateur
Sur les différences des ordres successifs des puissances
semblables des termes d’une progression arithmétique ;
Pour servir de réponse à la même question ;
Par M. Lhuilier, professeur de mathématiques à l’académie
impériale de Genève.
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Le théorème algébrique proposé à démontrer à la page 96 du 2.me volume des Annales, peut être énoncé comme il suit : Les différences de l’ordre m.eme des puissances m.emes des nombres naturels successifs sont une quantité constante ; savoir : le produit continuel des nombres naturels depuis l’unitè jusqu’à l’exposant .

Cette proposition appartient à la doctrine des différences finies, qui sert d’introduction aux calculs supérieurs. Je l’ai démontrée dans mon ouvrage intitulé : Principiorum calculi differentialis et integralis expositio elementaris. En travaillant de nouveau ce sujet, à l’occasion de la demande faite dans les Annales, j’ai établi la loi générale des différences de tous les ordres des puissances semblables des termes successifs d’une progression arithmétique. Le théorème proposé devient ainsi un cas très-particulier de cette doctrine générale.

§. 1.

Pour abréger et pour faciliter le développement de ce sujet, je vais d’abord établir quelques symboles.

Je désignerai par les sommes des produits de dimensions, faits avec des lettres proposées et leurs puissances.

Les lettres proposées étant la somme des produits de dimensions, faits avec ces lettres déterminées, sera exprimée comme il suit

Que les lettres qui composent ces produits soient au nombre de deux seulement ; on conservera cette symbolisation, en supprimant les points mis entre ces lettres. Ainsi l’expression est celle de la somme des produits de dimensions, faits avec les deux lettres et [3].

§. 2.
Sur les différences premières.

Soient et  ; deux termes successifs d’une progression arithmétique, des termes de laquelle on prend les m.emes puissances ; et les différences premières de ces m.emes puissances : on aura

Savoir : un terme des différences premières des puissances m.emes des termes d’une progression arithmétique, est le produit de la différence constante des termes de cette progression par la somme des produits de dimensions, faits avec les termes dont on prend les différences premières des puissances.

§. 3.
Sur les différences secondes.

Soient trois termes successifs d’une progression arithmétique, des termes de laquelle on prend les m.emes puissances, et les différences secondes de ces puissances, on a, par ce qui précède,

d’où

ou enfin

Savoir : un terme de différences secondes des puissances m.emes des termes d’une progression arithmétique est le double du produit du quarré de la différence constante des termes de la progression par la somme des produits de dimensions, faits avec les termes dont on prend les différences secondes des puissances.

§. 4.
Sur les différences troisièmes.

Soient quatre termes successifs d’une progression arithmétique, des termes de laquelle on prend les m.emes puissances et les différences troisièmes de ces puissances. On a, par ce qui précède,

d’où

ou enfin

savoir : un terme des différences troisièmes des puissances m.emes des termes d’une progression arithmétique est le produit continuel des trois premiers nombres naturels, du cube de la différence constante des termes de la progression et de la somme des produits de dimensions, faits avec les termes dont on prend les différences troisièmes des puissances.

§. 5.

En procédant continuellement de cette manière, on parvient à déterminer les différences quatrièmes d’après la connaissance des différences troisièmes, puis les différences cinquièmes, et ainsi de suite.

En général ; soient termes successifs d’une progression arithmétique, des termes de laquelle on prend les puissances, et les différences de ces puissances. Qu’on se soit assuré qu’on a l’équation

j’affirme qu’on a aussi l’équation

En effet, des deux équations supposées vraies pour les termes on tire


On a donc le théorème général suivant :

Soit une progression arithmétique des termes de laquelle on prend les puissances et les différences de ces puissances. Un terme quelconque de ces différences est le produit continuel des nombres naturels, depuis l’unité jusqu’à  ; de la puissance de la différence constante des termes de la progression, et de la somme des produits de dimensions, faits avec les termes des puissances, desquels on prend les différences .

En particulier, soit la somme des produits qui forme le troisième facteur est l’unité ; et partant, les différences de l’ordre des puissances des termes d’une progression arithmétique sont une quantité constante : savoir, le produit continuel des nombres naturels depuis l’unité jusqu’à , et de la puissance de la différence constante des termes de la progression.

  1. Cette proposition n’est qu’un cas particulier de la suivante :

    « Si dans une fonction rationnelle et entière, telle que

    » on substitue pour les termes consécutifs d’une progression par différences dont la raison soit  ; les résultats des substitutions formeront une suite dont les m.emes différences seront constantes et égales à

     »

    Cette dernière trouvant une utile application dans la recherche des limites des racines incommensurables des équations numériques, nous croyons convenable d’en présenter ici une démonstration générale purement élémentaire.

    Supposons qu’elle soit déjà démontrée pour toutes les fonctions des degrés inférieurs à , et soit l’un quelconque des termes de la progression des nombres à substituer dans la fonction  ; le suivant sera exécutant donc la substitution de ces deux termes, et prenant la différence des résultats ; il viendra

    tel est donc le terme général des premières différences de la suite dont il s’agit, et on en conclura ces premières différences, en y substituant successivement pour la suite mais cette suite étant une progression par différences, dont la raison est, et la fonction , dans laquelle il faut la substituer, étant une fonction entière et rationnelle du degré dont le premier terme a pour coefficient  ; il résulte de l’hypothèse que les résultats des substitutions, c’est-à-dire, les premières difïéiences de la fonction formeront une suite dont les (m-1)emes différences, lesquelles seront par conséquent les memes différences de la fonction seront constantes et égales à

    Il est donc prouvé, par là, que la proposition serait vraie pour une fonction du degré , si elle était vraie pour une fonction du degré Or, il est très-facile de se convaincre qu’elle est vraie pour les fonctions des deux ou trois premiers degrés, d’où il faut conclure qu’elle est générale.

    On pourrait prouver, plus généralement, que si, dans une fonction entière et rationnelle du degré , on substitue les termes d’une suite dont les n.emes différences soient constantes, les résultats des substitutions formeront une suite dont les mn.emes différences seront constantes.

  2. M. Servois, professeur de mathématiques aux écoles d’artillerie de Lafère, a aussi adressé aux rédacteurs des Annales une démonstration de cette formule ; mais elle ne diffère en rien de celle de M. Tédenat.
    (Note des éditeurs.)
  3. Ces sortes de fonctions ont déjà été considérées d’une manière spéciale par M. de Wronski ; (Voy. son Introduction à la philosophie des mathématiques, pag. 65) il les désigne par la caractéristique hébraïque (Aleph) ; ainsi, par exemple, la fonction

    que M. Lhuilier désigne par

    est désignée par M. de Wronski ainsi qu’il suit :

    de manière qu’en général

    (Note des éditeurs.)