Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874/Stances/XVIII

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Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874/Stances
Œuvres complètes de Théodore Agrippa d’AubignéAlphonse Lemerre éd.3 (p. 113-114).

XVIII.

A qui ne fut point ravie
L’amitié qu’avec la vie,
De qui les chastes amours
N’ont finy qu’avec les jours.

Que de douceurs d’une douleur,
Que de vers rameaux d’une graine,
Que de sallaires d’une peine,
Que de fleurs naissent d’une fleur !
Qu’un œil ha de raions ardents,
Que de mortz sortent d’une vie,
Que de beaux printemps d’une pluie,
Que d’estés chaults d’un doux printemps !
Amours qui par l’aer voletez,
Portez sur vos aisles dorees
Le miel que vos langues sucrees
Ont succé de tant de beautez.
Que tous ceux qui liront ces vers
Et les amours qui y florissent,
Du miel qu’ilz gousteront benissent
Ces belles fleurs, ces rameaux vers.
Heureux de ta douleur, Monteil,
Qui triomphes de ton martire,
Et autant de fleurs en retire

Comme de larmes de ton œil !
Le soleil chaud de tes ardeurs
N’a point moissonné l’esperance
Et la delectable aparance
De ton printemps & de tes fleurs.
Tesmoins ces doux & riches vers
A qui la mort la mort ne donne,
De qui l’yver, de qui l’autonne
Ne secheront les rameaux vers.
Pour salaire de tes ennuis,
Pour la fin de tes douces rages,
Pour couronne de tes ouvrages
Dieu te donne encor’ d’autres fruitz.
Ces fruitz feront qu’en bien aymant
Ton doux chant fleschira ta dame ;
Tes pleurs feront noier ta flamme
Et les douleurs de ton tourment.
Tu cuilleras de ta beauté
Les espitz aprés l’esperance :
Ta Chloris en Ceres s’advance,
Ton printemps se fait un esté.
Ces fruiz là feront que l’amour
De ceste fleur espanouie
Ne verra la mort & la vie
Paroistre & finir en un jour.