Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874/Stances/V

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Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874/Stances
Œuvres complètes de Théodore Agrippa d’AubignéAlphonse Lemerre éd.3 (p. 85-86).

V.

Puisque le cors blessé, mollement estendu
Sur un lit qui se courbe aux malheurs qu’il suporte
Me fait venir au ronge & gouster mes douleurs,
Mes membres, joissez du repos pretendu,
Tandis l'esprit lassé d’une douleur plus forte
Esgalle au cors bruslant ses ardentes chaleurs.
Le cors vaincu se rend, & lassé de souffrir
Ouvre au dart de la mort sa tremblante poitrine,
Estallant sur un lit ses miserables os,
Et l'esprit qui ne peult pour endurer mourir,
Dont le feu viollant jamais ne se termine,
N’a moien de trouver un lit pour son repos.
Les medecins fascheux jugent diversement
De la fin de ma vie & de l'ardante flamme
Qui mesme fait le cors pour mon ame souffrir,
Mais qui pourroit juger de l’eternel torment

Qui me presse ? d’ailleurs je say bien que mon ame
N’a point de médecins qui la peussent guerir.
Mes yeux enflez de pleurs regardent mes rideaux
Cramoisyr, esclatans du jour d’une fenestre
Qui m’offusque la veuë, & sait cliner les yeux,
Et je me resouviens des celestes flambeaux,
Comme le lis vermeil de ma dame fait naistre
Un vermeillon pareil à l’aurore des Cieulx.
Je voy mon lict qui tremble ainsi comme je fais,
Je foy trembler mon ciel, le chaslit & la frange
Et les soupirs des vens passer en tremblottant ;
Mon esprit tremble ainsi & gemist soubz le fais
D’un amour plain de vent qui muable se change
Aux vouloirs d’un cerveau plus que l’aer inconstant.
Puis quant je ne voy’ rien que mes yeux peussent voir,
Sans bastir là dessus les loix de mon martire,
Je coulle dans le lict ma pencee & mes yeux ;
Ainsi puisque mon ame essaie à concevoir
Ma fin par tous moiens, j’atten’ & je desire
Mon cors en un tumbeau, & mon esprit es Cieux.