Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874/Stances/XIV

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Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874/Stances
Œuvres complètes de Théodore Agrippa d’AubignéAlphonse Lemerre éd.3 (p. 99).

XIV.

L’aer ne peut plus avoir de vens,
De nuages s’entresuivans,
Il a versé tous les orages,
Comme j’espuise mes douleurs :
Mes yeux sont assechez de pleurs,
Mon sein de souspirs & de rages.
Helas ! mes soupirs & mes pleurs
Trempaient mes cuisantes chaleurs
Et faisoient ma mort plus tardive,
Ores destitué d’humeur,
Je brusle entier en ma chaleur
Et en ma flamme tousjours vive.
Je ne brusle plus peu à peu,
Mais en voiant tuer mon feu
Je pers la vie aprés la veuë.
Comme un criminel malheureux
A qui l’on a bandé les yeux
Afin qu’il meure à l’impourveue.
Mes yeux, où voulez vous courir ?
Me laissez vous avant mourir
Pour voir ma fin trop avancee ?
Pour Dieu ! attendez mon trepas,
Ou bien ne vous enfuiez pas
Que vous n’emmeniez ma pensee !
Mes soleils en ceste saison
Ne luisent plus en ma prison
Comme ils faisaient en la premiere.
Le feu qui me va consommant
Me luist un peu & seulement
Je me brusle de ma lumiere.