Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome XXVII/Cinquième partie/Livre II/Suite du Chapitre VII/3e voyage de Cook/Chapitre I


TROISIÈME VOYAGE DU CAPITAINE COOK.

CHAPITRE PREMIER.

Premières opérations du voyage jusqu’au départ de la Nouvelle-Zélande.

La seconde campagne de Cook l’avait couvert de gloire en Angleterre et dans toute l’Europe. Le roi d’Angleterre lui donna le grade de capitaine de vaisseau et un emploi dans l’administration de l’hôpital de Greemvich. Le 29 février 1776, la Société royale de Londres l’admit à l’unanimité dans son sein, et dans la suite elle lui décerna le prix fondé par sir Godfrey Copley, pour être donné à celui qui aurait fait les expériences les plus utiles à la conservation des hommes. Le soin qu’il avait pris de la santé de ses équipages l’avait rendu digne de cette distinction. De tels succès ne firent qu’augmenter, en Angleterre, le zèle des découvertes. Le comte de Sandwich, premier lord de l’amirauté, conçut l’idée d’une troisième expédition pour décider une grande question qui avait partagé les géographes. Il voulait vérifier s’il était possible de pénétrer dans le grand Océan par la baie d’Hudson, et s’il existait un passage entre le nord de l’Amérique et de l’Asie. Les fatigues que Cook avait éprouvées durant huit ans consécutifs empêchèrent de lui proposer cette nouvelle entreprise. On ne voulut cependant pas perdre le fruit de son expérience et de ses lumières ; il fut consulté sur le plan de cette campagne et sur le choix de l’officier à qui on devait la confier. Cook, qui avait d’abord discuté assez froidement les avantages que l’on pouvait en attendre, et les moyens les plus propres de les obtenir, s’anima insensiblement ; et lorsqu’on vint à lui parler de l’officier à qui l’on pouvait confier une mission de cette importance, il resta un instant dans le recueillement ; ensuite, s’élançant de son siége, il dit qu’il s’en chargerait lui-même. Cette proposition, qui répondait au désir que l’on n’avait osé exprimer, fut acceptée avec transport, et les préparatifs furent faits sans perdre de temps.[1]

Cook montait le vaisseau la Résolution ; il avait sous ses ordres la Découverte, commandée par le capitaine Clerke, qui avait été son second lieutenant durant le dernier voyage autour du monde. Les deux vaisseaux furent équipés avec tout le soin possible, et munis de tout ce qui était nécessaire pour le voyage.

Le roi d’Angleterre, dont les vues bienfaisantes s’occupaient des habitans de Taïti et des autres îles du grand Océan où aborderait Cook, lui ordonna d’y porter des animaux utiles à ces peuplades. On embarqua un taureau, deux vaches avec leurs veaux, quelques moutons, avec du foin et des graines pour leur subsistance. Cook se proposait d’en prendre encore d’autres au Cap.

« Afin de mieux remplir les généreux desseins du roi, on me donna, dit Cook, une quantité suffisante de graines de nos légumes qui pouvaient convenir aux habitans des îles du grand Océan, et ajouter à leurs moyens de subsistance.

» On me remit de plus, par ordre du bureau de l’amirauté, une foule de choses propres à augmenter l’industrie, et améliorer le sort des pays où je relâcherais. Les deux vaisseaux avaient d’ailleurs une cargaison assez considérable d’outils et d’instrumens de fer, de miroirs, de verroterie, qu’ils devaient échanger contre des provisions ou donner en présent.

» On s’occupa avec le même zèle des besoins des équipages ; on leur donna des vêtemens convenables pour les climats froids ; et on ne me refusa rien de ce qui pouvait, à quelques égards, contribuer à la santé, ou même à l’agrément de mes gens.

» Les soins de l’amirauté allèrent plus loin encore. Ses membres s’empressèrent de donner tous les moyens qui pouvaient rendre le voyage utile à toutes les nations. Ils envoyèrent à bord plusieurs instrumens d’astronomie et de marine, que le bureau des longitudes voulut bien me confier, ainsi qu’à M. King, mon second lieutenant ; nous promîmes l’un et l’autre de faire les observations nécessaires aux progrès de l’astronomie et de la navigation, et de remplacer à cet égard l’observateur de profession qu’on avait d’abord voulu engager.

» Le bureau des longitudes m’accorda la montre marine ou le garde-temps que j’avais emporté dans mon second voyage, et qui avait toujours marché très-exactement.

» On mit à bord de la Découverte un garde-temps, et autant d’instrumens d’observation que sur la Résolution : on les confia M. Bayley, qui avait donné durant mon second voyage des preuves de son zèle et de son talent sur l’Aventure.

» Le chirurgien, M. Anderson, qui aux connaissances de son art enjoignait de profondes en histoire naturelle, se chargea de décrire tout ce qu’on trouverait digne d’attention dans cette science. Il m’avait accompagné dans mon second voyage, et m’avait rendu des services signalés.

» Je devais relâcher à Taïti et aux îles de la Société avant de parcourir les parties septentrionales du grand Océan, et de me rendre à la côte nord-ouest d’Amérique ; et le roi voulut profiter de cette occasion, qui semblait ne devoir jamais se retrouver, pour renvoyer O-maï dans sa patrie.

» O-maï quitta Londres avec un mélange de regret et de satisfaction. Lorsque nous parlions de la Grande-Bretagne, et de ceux qui, durant son séjour en Europe, l’avaient honoré de leur protection et de leur amitié, il était vivement ému, et il avait peine à retenir ses larmes. Mais ses yeux étincelaient de plaisir dès que les îles de la Société devenaient la matière de notre conversation. Il était pénétré de l’accueil qu’il avait reçu en Angleterre, et il avait la plus haute idée de ce pays et de ses habitans ; mais le tableau des richesses et des trésors qu’il étalerait à son arrivée, et le flatteur espoir d’obtenir avec cette opulence une sorte de supériorité sur ses compatriotes, calmèrent peu à peu ses regrets.

» Le roi lui avait donné une quantité considérable de ces choses qu’on regarde comme d’utilité ou de luxe dans les îles du grand Océan ; il avait reçu d’ailleurs une foule de présens du même genre de lord Sandwich, de M. Banks, et de plusieurs autres personnes. Enfin on n’avait rien négligé durant son séjour à Londres, et on n’oublia rien à son départ de ce qui pouvait lui inspirer une haute idée de la grandeur et de la générosité de la nation britannique. » On verra plus bas qu’arrivé dans sa patrie il fit un mauvais usage de ses richesses, et que, loin de lui avoir procuré le bonheur sur lequel il comptait, il y a lieu de craindre qu’elles ne lui aient attiré de grands malheurs. »

Les deux vaisseaux, qui avaient été gréés et équipés en partie à Deptfort, partirent de ce port le 29 mai 1776, et arrivèrent à Plymouth le 30 juin.

Cook fait, avant de partir de Plymouth, deux réflexions bien intéressantes : « Au moment, dit-il, où nous allions commencer un voyage qui avait pour objet de faire de nouvelles découvertes sur la côte nord-ouest de l’Amérique septentrionale, l’Angleterre se trouvait dans la malheureuse nécessité d’envoyer des escadres et de nombreuses troupes de terre contre la partie orientale de ce continent, qui avait été reconnue et peuplée par nos compatriotes dans le dernier siècle. Cette circonstance assez singulière m’inspira des réflexions douloureuses. »

Il ajoute ensuite : « L’Europe fut si frappée de la hardiesse éclairée et du courage intrépide des navigateurs qui découvrirent le Nouveau-Monde, ou qui parcoururent les premiers la mer des Indes et le grand Océan, que leurs noms se sont transmis à la postérité avec toute la gloire des anciens Argonautes. Nous n’avons pas, comme les peuples de l’antiquité, changé leurs vaisseaux en constellations ; mais, long-temps après leur retour, on allait voir avec une sorte de respect les débris des bâtimens qui avaient fait des navigations si longues et si périlleuses[2].

» Quant à moi et à mes braves camarades, qui vivons dans un siècle où l’art de la marine est très-perfectionné, qui profitons des travaux de nos prédécesseurs, et qui les suivons comme nos guides, nous ne devons pas aspirer à la même célébrité. Le public cependant croit devoir encore quelques éloges à ceux qui vont reconnaître les parties du globe où les autres voyageurs ne sont point allés. »

La Résolution avait le même nombre d’officiers, de matelots et de soldats de marine que dans son premier voyage, c’est-à-dire cent douze hommes[3]. Le complément de la Découverte était aussi le même que celui de l’Aventure, excepté seulement que six soldats de marine qu’elle avait à bord s’y trouvaient sans officier[4].

La Résolution sortit de la rade de Plymouth le 11 juillet 1776 ; Cook était revenu de son second voyage autour du monde le 29 juillet de l’année précédente. Les préparatifs de l’expédition qu’il allait entreprendre l’occupaient depuis plus de six mois, et le lecteur remarquera sans doute avec intérêt cette continuité de travaux.

Cook arriva à Ténériffe le 1er. août, et il y resta jusqu’au 4.

« Si l’on jugeait, dit-il, de l’île entière par l’aspect des campagnes aux environs de Sainte-Croix, on en conclurait que Ténériffe est stérile, et qu’elle ne peut pas même fournir à la subsistance de ses habitans. Mais la quantité considérable des provisions que l’on nous vendit nous prouva que les habitans ne consomment point à beaucoup près toutes les productions de leur sol. Outre le vin, on y achète des bœufs à un prix modéré. Ces bœufs sont petits et osseux : la viande en est maigre. Je fis la sottise d’acheter de jeunes bœufs en vie, et je les payai très-cher. Les cochons, les moutons, les chèvres et la volaille y sont à bon marché ; on trouve des fruits en grande abondance. Nous y mangeâmes des raisins, des figues, des poires, des mûres et des melons musqués. L’île produit beaucoup d’autres fruits qui n’étaient pas de saison. Les citrouilles, les ognons et les patates y sont d’une qualité excellente, et je n’en ai jamais rencontré qui se gardent mieux à la mer.

» Les habitans prennent peu de poisson sur leur côte ; mais ils font une pêche considérable sur la côte de Barbarie, et ils en vendent le produit à bon compte. Je pense que les vaisseaux qui entreprennent de longs voyages doivent relâcher à Ténériffe plutôt qu’à Madère ; quoique, selon moi, le vin de cette dernière île soit aussi supérieur à celui de la première que la bière forte l’est à la petite bière. Mais le prix compense cette différence[5]. » Le chevalier de Borda, capitaine d’une frégate française qui mouillait dans la rade de Sainte-Croix, faisait de concert avec M. Vania, astronome espagnol, des observations pour déterminer le mouvement journalier de deux garde-temps qu’ils avaient à bord. Ils se livraient à ce travail dans une tente placée sur le môle. M. de Borda eut la bonté de m’associer à ses travaux, et nous pûmes examiner aussi le mouvement journalier de notre montre marine ; mais notre relâche à Ténériffe fut trop courte pour tirer un grand avantage du service amical que ce savant et habile navigateur voulut bien me rendre.

» Tandis que nous approchions de la côte, dit Anderson, le ciel étant parfaitement clair, nous eûmes le loisir d’examiner le célèbre pic de Ténériffe. J’avoue que je fus trompé dans mon attente : quoique sa hauteur perpendiculaire soit peut-être plus grande, il est loin d’égaler l’aspect imposant de Pico, l’une des îles Açores. Cette différence vient peut-être de ce qu’il est environné d’autres montagnes très-hautes, et de ce que Pico n’en a qu’une seule.

» Derrière la ville de Sainte-Croix, le pays s’élève peu à peu ; il est d’une hauteur modérée. Plus loin dans le sud-ouest, le sol s’élève davantage, et il continue à monter jusqu’au pic, qui de la rade ne paraît guère plus haut que les montagnes dont il est entouré. Le sol semble ensuite s’abaisser depuis le pic aussi loin que l’œil peut s’étendre, mais par un mouvement assez doux. Croyant que notre relâche serait seulement d’un jour, je ne fis pas dans l’île toutes les courses que j’avais projetées, et, malgré mon envie, je ne pus aller au sommet du pic.

» À l’est de Sainte-Croix, l’île semble être d’une stérilité complète. Des chaînes de montagnes se prolongent vers la mer ; on y trouve des vallées profondes qui aboutissent à d’autres montagnes ou collines qui coupent les premières et qui sont plus élevées. Celles qui courent vers la mer semblent avoir été battues par les vagues qui y ont laissé des empreintes de leur action : elles se montrent comme des rangées de cônes, dont les sommets offrent beaucoup d’inégalité. Les collines ou montagnes transversales, à l’égard de ces dernières, sont plus unies.

» L’après-midi du jour de notre arrivée, j’allai dans une de ces vallées, avec le projet de gagner les sommets des collines les plus éloignées, qui semblaient couvertes de bois ; mais je n’eus que le temps d’en atteindre le pied. Après avoir fait environ trois milles, je ne vis aucun changement dans l’aspect des collines les plus basses, qui produisent en abondance l’euphorbia canariensis : on est surpris que cette plante, grosse et pleine de suc, croisse si bien sur une terre si brûlée. Lorsqu’on la brise, il en sort une quantité considérable de suc ; et l’on pourrait supposer que, quand elle est sèche, elle doit se trouver réduite à rien : cependant quoique le bois en soit mou et léger, il est assez fort. Les habitans croient que le suc de cette plante est corrosif ; je leur démontrai avec beaucoup de peine qu’ils se trompaient. J’insérai un de mes doigts dans cette plante, et, ma peau n’étant point altérée, ils convinrent que j’avais raison. Ils coupent l’euphorbe, la laissent sécher, et la brûlent ensuite. Je ne rencontrai d’ailleurs dans cette vallée que deux ou trois espèces d’arbrisseaux, et un petit nombre de figuiers.

» Une roche compacte, bleuâtre, et mêlée de quelques particules brillantes, sert de base aux collines ; on voit dispersées sur la surface, de grosses masses d’une terre ou d’une pierre rouge et friable. Je trouvai souvent aussi la même substance disposée en couches épaisses ; le peu de terre répandu çà et là était un terreau noirâtre. On rencontrait aussi quelques morceaux d’une autre substance, dont la pesanteur et la surface polie me firent croire qu’elle était entièrement métallique.

» Il faut sans doute attribuer l’état de décomposition de ces collines à l’action perpétuelle du soleil qui calcine leur surface : les grosses pluies doivent entraîner ensuite les parties décomposées. Si l’on admet cette supposition, on expliquera pourquoi leurs flancs offrent de si grandes inégalités. Les diverses substances dont elles sont formées, étant plus ou moins perméables à la chaleur du soleil, se détachent dans la même proportion du lieu qu’elles occupaient primitivement ; c’est peut-être par cette cause que les sommets qui présentent une roche plus dure ont résisté, tandis que plusieurs portions de la pente ont été détruites. J’ai observé que les sommets de la plupart des montagnes couvertes d’arbres sont d’un aspect plus uni, et c’est, à mon avis, parce qu’elles ont un abri qui les préserve de la pluie et du soleil.

» La ville de Sainte-Croix, qui a peu d’étendue, est assez bien bâtie ; les églises n’ont rien de magnifique au-dehors, mais l’intérieur en est un peu orné. Elles ne sont pas aussi belles que quelques-unes de celles de Madère : cette différence provient plutôt du caractère des habitans que de leur pauvreté. Les Espagnols de Sainte-Croix sont mieux logés et mieux vêtus que les Portugais de Madère, qui semblent disposés à se dépouiller eux-mêmes, afin d’orner leurs églises.

» On voit sur le port, presqu’en face du môle, une belle colonne de marbre, élevée depuis peu, et ornée de quelques figures qui ne font point honte à l’artiste. On y lit une inscription en espagnol, qui indique l’époque de l’érection et l’objet de ce monument.

» L’après-midi du 2, quatre d’entre nous louèrent des mules pour aller à la ville de Laguna[6], qui a pris son nom d’un lac voisin, éloigné de Sainte-Croix d’environ quatre milles : nous y arrivâmes entre cinq et six heures du soir, par un très-mauvais chemin ; rien ne nous dédommagea de nos peines. Laguna est assez grande ; ses rues sont tortueuses ; cependant quelques-unes sont d’une largeur passable, et on y voit des maisons assez propres. En général cependant Sainte-Croix, quoique beaucoup plus petite, offre un aspect bien supérieur. On nous apprit que Laguna déchoit tous les jours ; au contraire la population de Sainte-Croix augmente.

» Pour aller de Sainte-Croix à Laguna, on traverse une colline escarpée qui est très-stérile de ce côté ; en la descendant nous vîmes quelques figuiers et plusieurs champs de blé. Ces espaces de terrain mis en culture sont de peu d’étendue. Il paraît que les habitans ne recueillent du grain qu’à force de travail, car le sol est si rempli de pierres, qu’ils sont obligés de les rassembler et d’en faire de larges tas peu éloignés les uns des autres. Les grandes montagnes qui se prolongent au sud-ouest nous semblèrent bien boisées. Excepté des aloès en fleur que nous trouvâmes près du chemin, nous ne remarquâmes rien d’ailleurs, durant ce petit voyage, qui mérite d’être cité. Nos guides avaient beaucoup de gaieté, et ils nous amusèrent avec leurs chansons pendant la route.

» Les mules font la plupart des gros ouvrages ; nous jugeâmes que les chevaux sont rares, et destinés principalement à l’usage des officiers : ils sont d’une petite taille, mais bien faits et pleins de feu. Les habitans emploient les bœufs à traîner des tonneaux sur des chariots très-grossiers, et ils les mettent au joug par la tête ; nous les attelons par les épaules : leur méthode ne semble pas préférable à la nôtre. Dans mes promenades, je vis des faucons, des perroquets, des hirondelles de mer, des goëlands, des perdrix, des bergeronnettes, des hirondelles de terre, des martinets, des merles et des troupes nombreuses d’oiseaux des Canaries ou serins. On trouve aussi à Ténériffe deux espèces de lézards, quelques insectes, tels que des sauterelles, et trois ou quatre espèces de mouche-dragon.

» J’eus occasion de causer avec un habitant du pays, plein d’esprit, d’instruction et de mérite. Il m’apprit plusieurs choses qu’une relâche de trois jours ne m’aurait pas laissé le loisir d’observer. Il me dit, par exemple, que l’île renferme un arbrisseau qui répond exactement à la description donnée par Tournefort et Linné de l’arbrisseau à thé de la Chine et du Japon, et qu’il y est très-commun. Cet Espagnol ajouta qu’on extirpait cet arbrisseau, et que toutes les années il en arrachait pour sa part des milliers dans ses vignes ; que les habitans néanmoins en tirent quelquefois une boisson pareille au thé, et qu’ils lui attribuent toutes les qualités de celui qu’on achète des Chinois : ils lui donnent aussi le nom de thé ; mais ce qui est remarquable, ils assurent que les premier navigateurs européens le trouvèrent à Ténériffe.

» Le sol produit un fruit singulier que les insulaires appellent citron emprisonné ; c’est un citron parfait, enfermé dans un autre : il diffère seulement de celui qui lui sert d’enveloppe en ce qu’il est plus rond. Les feuilles de l’arbre qui donne ce fruit sont beaucoup plus longues que celles du citronnier ordinaire ; mais d’après ce qu’on m’a dit, elles sont recroquevillées et n’ont pas la même beauté.

» J’ai su de la même source qu’une espèce de raisin de Ténériffe est regardée comme un excellent remède dans les phthisies. L’air et le climat de cette île sont d’ailleurs d’une salubrité remarquable, et très-propres à donner du soulagement dans ce genre de maladie. Mon Espagnol m’en expliqua la raison : il me dit qu’on peut toujours choisir la température convenable, en fixant sa demeure d’après les divers degrés d’élévation des montagnes, et il me témoigna sa surprise de ce que les médecins anglais n’ont jamais songé à envoyer leurs malades à Ténériffe, au lieu de les envoyer à Nice ou à Lisbonne. En allant de Sainte-Croix à Laguna, je reconnus moi-même combien la température de l’air varie : lorsqu’on monte, on ressent peu à peu le froid, qui finit par être insupportable. On m’assura que, passé le mois d’août, personne ne peut habiter à un mille de distance du sommet du pic en ligne perpendiculaire sans éprouver un froid très-rigoureux.

» Quoiqu’il sorte constamment de la fumée des environs de ce sommet, on n’a éprouvé à Ténériffe ni tremblement de terre ni éruption de volcan depuis 1704 ; le port de Garrachica, où l’on faisait autrefois une grande partie du commerce, fut détruit à cette époque[7].

» Le commerce de Ténériffe est assez considérable, car on y fait quarante mille pipes de vin ; on les consomme dans l’île, ou bien on les convertit en eaux-de-vie, qu’on envoie aux îles espagnoles du Nouveau-Monde : l’Amérique septentrionale en tirait chaque année six mille pipes, lorsque ses liaisons avec Ténériffe n’étaient pas interrompues ; l’exportation se trouve aujourd’hui diminuée de moitié. En général, le blé de l’île ne suffit pas à la subsistance des insulaires : nos colonies du Nouveau-Monde y portaient des grains il y a quelques années.

» Ténériffe produit un peu de soie ; mais, à moins de compter les pierres à filtrer qu’elle tire de la grande Canarie et qu’elle exporte, le vin forme le seul objet de son commerce à l’étranger.

» La race d’habitans trouvée dans l’île par les Espagnols, lors de la découverte des Canaries, ne forme plus un peuple distinct[8]. Les mariages ont confondu les indigènes et les colons ; mais on reconnaît les descendans des premiers à leur grande taille, à la grosseur de leurs os, à leur force. Le teint des hommes, en général, est basané ; le visage des femmes offre de la pâleur, et on n’y voit point cette teinte vermeille qui distingue nos beautés des pays du nord. Elles portent des habits noirs comme en Espagne ; les hommes paraissent moins asservis à cet usage ; ils ont des vètemens de toute sorte de couleurs, à l’exemple des Français dont ils imitent les modes ; nous les avons trouvés honnêtes et polis ; ils conservent d’ailleurs la gravité qui est propre aux Espagnols. Quoique nos mœurs et nos manières ressemblent peu à celles des peuples de l’Espagne, O-maï n’y aperçut pas une grande différence ; il dit seulement que les habitans de Ténériffe étaient moins affables que les Anglais, et que leur figure approchait de celle de ses compatriotes. »

Après une traversée de deux mois et demi, la Résolution arriva au cap de Bonne-Espérance le 18 octobre.

« Les pluies, et la chaleur étouffante qui les accompagne, dit Cook, produisent très-souvent des maladies dans cette traversée. On peut craindre de voir la moitié de son équipage sur les cadres, et les capitaines des vaisseaux ne peuvent trop prendre de précautions ; ils doivent purifier l’air dans les entreponts par le feu et la fumée, et obliger les matelots à sécher leurs hardes toutes les fois qu’on en trouve l’occasion. On s’occupa de ces soins avec une assiduité constante à bord de la Résolution et de la Découverte : ils produisirent sûrement de bons effets ; car les fièvres étaient moins fréquentes que dans mes deux premiers voyages. Nous eûmes cependant le chagrin de trouver plusieurs voies d’eau dans tous les hauts. La chaleur brûlante de l’air avait ouvert les coutures ; elles étaient si mal calfatées, qu’elles laissaient passer une grande partie de la pluie dans le corps du vaisseau. La plupart des hamacs étaient mouillés, et les officiers qui occupaient la sainte-barbe furent tous chassés de leurs postes. La soute aux voiles prit de l’humidité ; la plupart de nos voiles de rechange, n’ayant pu être séchées assez tôt, essuyèrent des avaries considérables, et il fallut employer beaucoup de toile et de temps pour les mal réparer. Le même accident était arrivé à la soute aux voiles durant mon second voyage. Je recommandai à ceux qui en étaient chargés d’y prendre garde ; mais il paraît qu’ils n’eurent pas égard à mes plaintes.

» Deux ou trois jours avant notre arrivée au Cap, un bâtiment français qui retournait en Europe rompit son câble, et échoua à l’entrée de la baie, où il périt. On sauva l’équipage ; mais la plus grande partie de la cargaison fut ensevelie dans les flots, ou, ce qui est la même chose, fut pillée et volée par les habitans de la colonie. Les officiers français m’apprirent ces détails que les Hollandais ne pouvaient nier ; néanmoins, pour se disculper d’un crime qui déshonore un peuple civilisé, ils essayèrent de rejeter la faute sur le capitaine, qui, à ce qu’ils disaient, n’avait pas demandé une garde assez tôt.

» La Découverte arriva le 10 novembre au matin. Le capitaine Clerke me dit qu’il était parti de Plymouth le 10 août, et qu’il m’aurait joint une semaine plus tôt, si un coup de vent ne l’eût pas éloigné de la côte. Sa traversée dura sept jours de plus que la mienne. Il eut le malheur de perdre un de ses soldats de marine, qui tomba dans les flots ; d’ailleurs il ne fit pas d’autre perte, et son équipage arriva bien portant.

» D’après la permission que m’accorda le gouverneur, nous mîmes au pâturage notre bœuf, nos deux vaches avec leurs veaux, et le reste de notre bétail. On me conseilla de tenir près de nos tentes nos moutons, qui étaient au nombre de seize : on les parquait toutes les nuits. Durant celle du 13 au 14, des chiens, s’étant introduits dans le parc, firent sortir nos moutons de l’enceinte ; ils en tuèrent quatre, et ils dispersèrent les autres. Nous en retrouvâmes six le lendemain ; mais les deux béliers et deux de nos plus belles brebis manquaient. Le gouverneur se trouvait à la campagne, et je m’adressai au gouverneur en second, M. Hemmy, et au fiscal. Ces messieurs me promirent leurs bons offices. Je sais que les Hollandais se vantent de l’exactitude de la police du Cap ; ils disent qu’il est presque impossible à l’esclave le plus adroit et le mieux instruit des routes du pays de se sauver. Cependant mes moutons échappèrent à toute la vigilance des officiers du fiscal. Je fus réduit pour les retrouver à employer la plus vile et la plus méprisable canaille de la colonie. Je m’adressai à des hommes qui, si j’en crois ceux qui me les proposèrent, auraient égorgé leur maître, brûlé des maisons, et enseveli sous les ruines des familles entières pour un ducat ; après beaucoup de peines et de dépenses, je recouvrai mes moutons, excepté les deux brebis. Je ne pus en avoir aucune nouvelle, et j’abandonnai mes recherches, lorsqu’on m’assura que je devais être content d’avoir retrouvé les deux béliers. L’un des béliers cependant avait été si maltraité par les chiens, qu’il ne semblait pas devoir jamais guérir.

» M. Hemmy voulut réparer la perte que je venais de faire ; il eut la bonté de m’offrir un bélier d’Espagne qu’il avait tiré de Lisbonne. Je le refusai, convaincu que les béliers du Cap rempliraient également bien mon objet : je reconnus ma méprise par la suite. M. Hemmy s’est donné beaucoup de peine pour transplanter au Cap les moutons d’Europe ; mais il n’a pu réussir. Il attribuait ce mauvais succès à l’opiniâtreté des habitans de la campagne, qui préfèrent les moutons du pays à cause de leurs grosses queues, dont la graisse rapporte quelquefois plus d’argent que n’en produit le corps entier d’un mouton d’une autre espèce. Ils croient que la laine de nos moutons d’Europe ne compenserait point ce désavantage. Des hommes éclairés m’ont fait la même observation, et elle paraît fondée ; car, en supposant que nos moutons donnassent au Cap une laine de la même qualité qu’en Europe (l’expérience a prouvé le contraire), la colonie manque de bras pour la manufacture. Il est sûr que, si l’on n’y importait chaque jour des esclaves, la population de cet établissement serait moindre que celle d’aucune autre partie du monde habité. »

Tandis que les vaisseaux se disposaient à reprendre la mer, quelques-uns des officiers allèrent voir les environs du Cap. M. Anderson, qui était du nombre, a donné la relation suivante de leur petit voyage.

« Le 16, après midi, je partis dans un chariot avec cinq de nos messieurs pour examiner les environs du Cap. Nous traversâmes la grande plaine qu’on trouve à l’est de la ville, et qui offre partout un sable blanc pareil à celui qu’on rencontre ordinairement sur les plages de la mer : elle ne produit que des bruyères et d’autres petites plantes de différentes espèces. À cinq heures nous dépassâmes une grosse ferme environnée de champs de blé et de vignobles assez considérables ; elle est située au delà de la plaine, presqu’au pied de quelques collines basses, où le sol commence à devenir meilleur. Entre six et sept heures nous arrivâmes à Stellenbosch, le meilleur des établissemens du pays après celui du Cap.

» Le village ne contient pas plus de trente maisons ; il est situé au pied de la chaîne des hautes montagnes, à plus de vingt milles à l’est de la ville du Cap. Les habitations sont propres : un ruisseau coule à peu de distance ; de gros chênes plantés par les premiers colons y donnent de l’ombre, et l’ensemble forme un joli paysage au milieu de ces déserts. On voit autour de la bourgade des vignes et des vergers qui semblent annoncer un sol très-fertile. L’air étant ici d’une sérénité extraordinaire, on doit peut-être attribuer au climat cette belle apparence.

» Je passai la journée du lendemain à chercher des plantes et des insectes dans le voisinage de Stellenbosch : mes soins furent mal récompensés. Peu de plantes se trouvaient en fleur dans cette saison, et les insectes étaient rares. J’examinai le sol en plusieurs endroits : c’est une argile jaunâtre, mêlée de beaucoup de sable. Les flancs des collines inférieures paraissent bruns et composés d’une espèce de marne.

» Nous partîmes de Stellenbosch le lendemain au matin, et nous atteignîmes bientôt la maison près de laquelle nous avions passé le 16. M. Cloeder, à qui elle appartenait, nous avait fait prier la veille de nous arrêter chez lui. Il nous accueillit avec beaucoup d’hospitalité, et d’une manière qui nous surprit agréablement. La musique commença dès qu’on nous aperçut, et nous dînâmes au son des instrumens. Le repas fut très-élégant, vu la situation du lieu où il se donnait. M. Cloeder nous montra ses caves, ses vergers et ses vignes. Tout cela, je l’avoue, m’inspira le désir de savoir comment l’industrieux Hollandais peut faire naître l’abondance dans un endroit où je pense que les autres nations de l’Europe n’auraient pas même songé à s’établir.

» Nous partîmes l’après-midi ; nous passâmes devant un petit nombre de plantations, dont l’une paraissait très-considérable, et était disposée sur un plan nouveau. Le soir nous arrivâmes à la première ferme qu’on trouve dans le district cultivé appelé le canton de la Perle. Nous aperçûmes en même temps Drakenstein, une des colonies du Cap ; elle occupe le pied des hautes montagnes dont j’ai parlé, et contient plusieurs fermes ou plantations de peu d’étendue.

» Le matin du 19 je cherchai des plantes et des insectes ; je les trouvai presque aussi rares qu’à Stellenbosch : mais les vallées m’offrirent plus d’arbrisseaux et de petits arbres que les autres cantons dont j’avais fait l’examen.

» L’après-midi nous allâmes voir une pierre d’une grosseur remarquable, appelée par les habitans Tour de Babylone, ou Diamant de la Perle. Elle gît au sommet de collines basses, au pied desquelles notre ferme était située ; et, quoique le chemin ne fût ni escarpé ni raide, il nous fallut plus d’une heure et demie pour y arriver. Elle est de forme oblongue, arrondie vers le haut, et dirigée du sud au nord. Ses côtés est et ouest sont escarpés et presque perpendiculaires. Son extrémité méridionale est escarpée aussi ; c’est le point de sa plus grande hauteur. De là elle s’abaisse doucement vers le côté du nord par où nous étions montés. Arrivés au sommet, nous découvrîmes tout le pays.

» Je crois que la circonférence de ce rocher est au moins d’un demi-mille, car il nous fallut une demi-heure pour en achever le tour ; déduction faite pour le mauvais chemin et pour nos pauses. Si l’on veut que je compare à un objet connu sa partie la plus élevée, c’est-à-dire son extrémité méridionale, je crois sa hauteur égale à celle du dôme de Saint-Paul. Cette massé ou bloc de rocher n’offre qu’un petit nombre de crevasses, où plutôt de rainures qui n’ont pas plus de trois ou quatre pieds de profondeur, et une veine qui la coupe près de son extrémité nord. C’est une espèce d’agglomérat, composé principalement de morceaux de quartz grossier et de mica, liés par un ciment argileux. La veine qui la traverse est de la même substance, mais beaucoup plus compacte ; elle n’a qu’un pied de largeur : sa surface est divisée en petits carrés, ou parallélogrammes disposés obliquement : on dirait que c’est un ouvrage des hommes ; je n’ai pas observé si elle pénètre bien avant dans le bloc, ou si elle en sillonne seulement la superficie. En descendant, nous trouvâmes au pied du rocher un terreau noir très-fertile, et sur les flancs des collines quelques arbres indigènes qui sont du genre de l’olivier[9], et d’une grosseur considérable.

» Le 20, au matin, nous partîmes de la Perle, et nous suivîmes un chemin différent de celui que nous avions pris en y allant. Nous traversâmes un pays absolument inculte ; mais aux environs des collines du Tygre, quelques champs de blé frappèrent nos regards. À midi nous nous arrêtâmes dans un ravin, afin de prendre quelques rafraîchissemens ; nous voulûmes nous promener autour du lieu de notre halte, et nous fûmes assaillis d’un grand nombre de mousquites, les premiers que je visse dans cette colonie. Nous nous remîmes en route l’après-dînée, et nous arrivâmes le soir à la ville du Cap, bien fatigués des secousses de notre chariot.

» Après l’accident arrivé à nos moutons, on imagine bien, continue Cook, que je ne laissai pas à terre ceux qui nous restaient. Je les fis conduire promptement à bord, ainsi que nos autres animaux. J’ajoutai à ceux que nous avions amenés d’Angleterre deux jeunes taureaux, deux génisses, deux chevaux entiers, deux jumens, deux béliers, plusieurs brebis, deux chèvres, quelques lapins et des volailles. Je voulais les déposer à la Nouvelle-Zélande, à Taïti, dans les îles voisines, et sur les différentes terres où je jugerais que leur transplantation serait utile aux navigateurs et aux naturels du pays.

» Les calfats achevèrent leurs travaux à bord de la Découverte. Vers la fin de novembre ce bâtiment avait embarqué toutes ses provisions ; il avait des vivres pour plus de deux ans. Je lui procurai d’ailleurs, ainsi qu’à la Résolution, les autres choses nécessaires pendant le voyage. Ignorant à quelle époque ou en quel endroit nous pourrions trouver beaucoup de choses indispensables, je crus devoir prendre au Cap tout ce que fournit la colonie.

» Ayant donné au capitaine Clerke une copie de mes instructions, et un ordre particulier sur ce qu’il devait faire si les vaisseaux se séparaient, nous nous rendîmes à bord le 30 novembre au matin. »



Les deux vaisseaux appareillèrent le même jour au soir ; Cook gouverna au sud-est, pour arriver aux îles découvertes quelques années auparavant par Marion-Dufresne, ou du moins faire des observations précieuses dans cette partie de l’Océan indien. Le 6 décembre il eut du gros temps. « Les vagues, dit-il, ressemblaient à des montagnes, et produisaient un roulis et un tangage extraordinaires. Nous prîmes beaucoup de peines pour conserver notre bétail ; malgré tous nos soins, plusieurs chèvres, et surtout les boucs, moururent ; nous perdîmes aussi quelques moutons. Nous attribuâmes, en grande partie, cet accident au froid, qui commençait à être bien rigoureux.

« Le 12, à midi, je découvris une terre, et lorsque j’en fus plus près, je reconnus qu’elle formait deux îles. Celle qui est plus au sud, et qui est aussi la plus grande, me parut avoir quinze lieues de circonférence. Je jugeai que sa latitude est de 46° 53′ sud, et sa longitude de 37° 46′ à l’est de Greenwich. La plus septentrionale a environ neuf lieues de tour ; elle gît par 46° 40′ de latitude sud, et 38° 8′ de longitude est. La distance de l’une à l’autre est d’environ cinq lieues.

» Nous traversâmes le canal qui les sépare, et nous ne pûmes a l’aide de nos meilleures lunettes découvrir ni arbre ni arbrisseaux sur ces deux terres. Elles me parurent avoir une côte escarpée et remplie de rochers, excepté dans les parties du sud-est, où le terrain s’abaisse et s’aplatit : nous ne vîmes que des montagnes pelées, qui s’élevaient à une hauteur considérable, et dont les sommets et les flancs étaient couverts de neige. Je jugeai que la neige avait beaucoup de profondeur en plusieurs endroits : les parties du sud-est en offraient une quantité beaucoup plus grande que les autres, ce qui vient, selon toute apparence, de ce que le soleil y agit moins long-temps que sur les parties du nord et du nord-ouest. Le sol, dans les espaces où il n’était pas caché par la neige, présentait des teintes diverses, et il me sembla couvert de mousse, ou de cette herbe grossière qu’on trouve en quelques endroits des îles Falkland. On aperçoit à la côte nord de chacune des îles un rocher détaché ; celui qui est près de l’île méridionale a la forme d’une tour. Nous vîmes beaucoup de goémon sur notre route, et la couleur de l’eau indiquait des sondes ; rien n’annonçait un golfe : peut-être cependant y en a-t-il un près du rocher dont je viens de parler ; mais il doit être petit, et il ne promet pas un bon mouillage.

» Ces deux îles, ainsi que quatre autres, situées de 9 à 12 degrés de longitude, plus à l’est, et à peu près à la même latitude, furent découvertes au mois de janvier 1772, par les capitaines français, Marion-Dufresne et Crozet. Elles n’ont point de noms dans la carte de l’hémisphère austral que me donna M. Crozet en 1775. J’appellerai les deux que nous vîmes îles du prince Édouard, nom du quatrième fils de sa majesté. J’ai laissé aux quatre autres celui d’îles de Marion et d’îles de Crozet, afin de rappeler le souvenir des navigateurs qui les ont découvertes.

» Nous avions presque toujours alors de forts vents qui soufflaient entre le nord et l’ouest ; le temps était assez mauvais : quoique nous fussions au milieu de l’été de cet hémisphère, le froid approchait de celui qu’on éprouve ordinairement en Angleterre au milieu de l’hiver. Cependant la rigueur du climat ne me découragea point ; et, après avoir quitté les îles du Prince Édouard, je changeai de route, afin de passer au sud des autres, et d’atteindre la latitude de la terre découverte par Kerguelen. »

Le 24, à six heures du matin, Cook eut connaissance d’une terre, et quand il en fut plus près, il vit que c’était une île d’une hauteur considérable et d’environ trois lieues de tour. Bientôt il en découvrit une seconde de la même grandeur, à une lieue à l’est de la première, et d’autres plus petites, qui gisent entre les deux dans la direction du sud-est, enfin une troisième. Au milieu des éclaircis de la brume, il crut pouvoir débarquer sur les petites îles, et voulut pénétrer entre elles ; mais lorsqu’il se trouva plus près des côtes, il sentit que cette entreprise serait dangereuse par un ciel très-obscur : car s’il n’y avait point eu de passage, ou s’il était tombé sur des écueils, il lui eût été impossible de regagner le large ; le vent soufflait directement de l’arrière, la mer était d’une grosseur prodigieuse, et produisait sur les côtes un ressac effrayant. Une autre île frappa ses regards dans le nord-est ; et, prévoyant qu’il en découvrirait peut-être de nouvelles encore, l’épaisseur de la brume continuant, il craignit d’échouer : enfin il crut qu’il était plus prudent de s’éloigner et d’attendre un temps plus serein.

Il mouilla le lendemain près d’une de ces îles, qui étaient effectivement les terres découvertes par Kerguelen.

« Dès que nous eûmes mouillé, dit-il, je fis mettre tous les canots à la mer, et préparer les futailles que je voulais envoyer à terre ; cependant je descendis dans l’île, afin d’examiner en quel endroit on pourrait les remplir plus commodément, et voir d’ailleurs ce qu’offrait l’intérieur du pays.

» Je trouvai le rivage presque entièrement couvert de manchots et d’autres oiseaux aquatiques, ainsi que de phoques. Ces derniers étaient peu nombreux, mais si peu sauvages, que nous en tuâmes autant que nous le voulûmes ; leur graisse nous donna de l’huile pour les lampes et pour divers autres usages. Nous ne fûmes pas embarrassés pour remplir nos futailles, car on rencontrait partout des ruisseaux d’eau douce. Il n’y a pas sur l’île un seul arbre, pas un seul arbrisseau, et en général très-peu de végétaux. Lorsque les vaisseaux arrivèrent dans le havre, les flancs de plusieurs des collines nous parurent d’un vert éclatant, et nous espérâmes y trouver des plantes. Je reconnus qu’une seul plante avait produit cet effet. Avant de retourner à bord, je gravis la première chaîne de rochers qui s’élèvent en amphithéâtre : je comptais prendre une vue générale du pays ; mais je n’étais pas encore au sommet, qu’il survint une brume très-épaisse : j’eus bien de la peine à reconnaître mon chemin pour descendre. Le soir, on jeta la seine au fond du havre, et on ne prit qu’une demi-douzaine de petits poissons. Le lendemain nous essayâmes l’hameçon et la ligne ; nous ne fûmes pas plus heureux. Ainsi les oiseaux furent les seuls comestibles que nous offrit la terre de Kerguelen : cette ressource était inépuisable.

» L’équipage ayant achevé de remplir les futailles, le 27 je permis aux matelots de se reposer et de célébrer la fête de Noël. La plupart d’entre eux descendirent à terre, et firent des courses dans l’intérieur du pays ; ils ne rencontrèrent que des montagnes stériles et d’un aspect affreux. L’un d’eux me rapporta le soir une bouteille qu’il avait trouvée attachée avec un fil d’archal sur un rocher qui s’avance en saillie au côté septentrional du havre. Cette bouteille renfermait un morceau de parchemin sur lequel on lisait l’inscription suivante :

Ludovicus xv. Galliarum rege, et d. de Boynes, regi a secretis ad res maritimas, annis 1772 et 1773.

» Afin de laisser un monument de notre séjour dans ce havre, j’écrivis de l’autre côté du parchemin :

naves Resolution et Discovery, de rege Magnæ-Britanniæ, decembris 1776.

» Je le remis dans la bouteille, avec une pièce de deux penny d’argent, frappée en 1772 ; et après avoir couvert le goulot d’un chapeau de plomb, je la plaçai le lendemain au milieu d’un monceau de pierres, que nous élevâmes pour cet objet sur une petite colline qui est au côté septentrionale du havre, et près de l’endroit où elle fut trouvée : elle sera sûrement aperçue de tous les navigateurs qui aborderont à cette baie, par hasard ou à dessein. J’y arborai le pavillon de la Grande-Bretagne, et je donnai le nom de havre de Noël au lieu où mouillaient nos vaisseaux.

» Je fis ensuite le tour du havre en canot, et je descendis en plusieurs endroits, afin d’examiner les productions de la côte, et surtout afin de chercher du bois flottant. Quoique le sol n’offrit aucun arbre aux environs du port, il pouvait y en avoir en d’autres cantons de l’île ; et si effectivement il s’y en trouvait, je présumai que les torrens auraient entraîné des arbres, ou du moins des branches dans la mer, qui les rejette sur le rivage. C’est ce qui arrive sur toutes les îles où il y a du bois, et même sur quelques-unes qui en sont absolument dénuées ; mais dans toute l’étendue du havre je n’en découvris pas un seul morceau.

» L’après-midi, je montai sur un des caps de l’île, accompagné de M. King, mon second lieutenant ; je comptais avoir de cette hauteur une vue de la côte de la mer et des petites îles qui gisent au large ; mais, lorsque je fus au sommet, une brume épaisse me cacha tous les objets éloignés placés au-dessous de moi ; ceux qui se trouvaient sur le même niveau, ou plus élevés, étaient assez visibles ; ils me parurent d’une nudité affreuse, excepté des collines au sud, qui étaient couvertes de neige. »

Après une relâche de trois jours au havre de Noël, Cook remit en mer pour suivre les côtes de l’île et en examiner les caps et les baies. Il a reconnu presqu’en entier cette terre, dont Kerguelen n’avait relevé que quelques points, et même d’une manière imparfaite.

« Si cette terre se prolonge au sud de son cap méridional, ce prolongement n’est pas considérable. Lorsque le vaisseau du capitaine Furneaux se sépara du mien durant mon second voyage au mois de février 1773, il coupa le méridien de cette terre dix-sept lieues seulement au sud de ce cap ; il l’aurait vue à cette distance par un ciel clair. Il paraît que le ciel fut serein lorsqu’il traversa ce parage, car il ne parle ni de brume, ni de ciel gris ; au contraire, il dit expressément qu’à cette époque il put faire des observations de latitude et de longitude ; d’où il résulte qu’il aurait dû découvrir cette terre, si elle se prolongeait plus loin au sud.

» Nous sommes en état de déterminer à quelques milles près l’espace en latitude qu’elle occupe ; il ne peut excéder de beaucoup 1° 15′ : quant à son étendue de l’est à l’ouest, ce point demeure indécis ; mais nous savons qu’elle ne s’étend pas à l’ouest jusqu’à 65°, puisqu’en 1773, je la cherchai vainement sous ce méridien.

» Les navigateurs français imaginèrent d’abord que leur cap Saint-Louis était la pointe avancée d’un continent austral. Je crois avoir prouvé depuis qu’il n’existe point de continent austral, et que la terre dont il est ici question est une île de peu d’étendue. J’aurais pu, d’après sa stérilité, lui donner fort convenablement le nom de l’île de la Désolation ; mais, pour ne pas ôter à M. de Kerguelen la gloire de l’avoir découverte, je l’ai appelée la terre de Kerguelen.

» M. Anderson ne laissa échapper aucune occasion, dans notre courte relâche au havre de Noël, d’examiner le pays sous tous ses rapports ; il me communiqua ses observations, que je vais insérer telles qu’il me les a données.

» Aucune des terres découvertes jusqu’ici dans l’un et l’autre hémisphère à la même latitude n’offre peut-être un champ moins vaste aux recherches des naturalistes que l’île stérile de Kerguelen. La verdure qu’on y aperçoit lorsqu’on est à peu de distance de la côte donne l’espoir d’y trouver un assez grand nombre de plantes ; mais c’est une apparence trompeuse : en débarquant, nous reconnûmes qu’une petite plante, peu différente de quelques espèces de saxifrage, produit cette verdure ; elle croît en larges touffes qui s’étendent assez loin sur les flancs des collines, forme une surface assez grande, et croît sur une espèce de tourbe pourie, dans laquelle on enfonce à chaque pas d’un pied ou deux. On pourrait au besoin sécher cette tourbe et la brûler : c’est la seule chose que nous ayons trouvée propre à cet usage.

» Une autre plante est assez abondante sur les fondrières du penchant des collines ; sa hauteur est de près de deux pieds ; elle ressemble beaucoup à un petit chou qui est monté en graines ; les feuilles du collet de la racine sont nombreuses, grandes et arrondies ; elles sont plus étroites à la base, et terminées par une petite pointe ; celles de la tige sont beaucoup plus petites, oblongues et pointues ; les tiges, souvent au nombre de trois ou quatre, offrent de longues têtes cylindriques, composées de petites fleurs. Elle a le port et le goût âcre des plantes antiscorbutiques, mais elle diffère essentiellement de toute cette famille, et nous la regardâmes comme une production particulière à la terre de Kerguelen. Nous la mangeâmes souvent crue ; sa saveur approchait alors de celle du cochléaria de la Nouvelle-Zélande ; mais elle semblait acquérir une saveur trop forte quand on la faisait bouillir ; quelques personnes de l’équipage néanmoins la trouvaient bonne, même dans cet état. Si on la transplantait en Europe, il est vraisemblable qu’elle deviendrait meilleure par la culture, et qu’elle augmenterait la liste des plantes potagères. Ses graines n’étaient pas assez mûres pour les conserver, et il fallut renoncer au désir que j’avais d’en porter en Angleterre.

» Nous cueillîmes près des ruisseaux et des fondrières deux autres petites plantes que nous mangions en salade ; la première ressemble beaucoup au cresson de nos jardins, et elle est très-âcre ; la seconde est très-douce. Cette dernière, quoique petite, est digne d’attention ; elle offre non-seulement des individus mâles et des femelles, mais aussi des androgynes, pour me servir du langage des botanistes.

» L’herbe grossière que nous recueillîmes pour notre bétail est assez abondante sur quelques coins de terre qu’on trouve le long du havre de Noël : on y voit aussi une autre sorte d’herbe plus petite et plus rare. On rencontre sur les terrains plats une espèce d’anserine, et une autre petite plante qui lui ressemble beaucoup. En un mot, la Flore de la terre de Kerguelen ne va pas à plus de seize ou dix-huit plantes, encore faut-il y comprendre quelques mousses et une jolie espèce de lichen qui croît sur les rochers, plus haut que les autres plantes. On n’aperçoit pas un seul arbrisseau dans toute l’île.

» Les animaux y sont plus nombreux, quoiqu’à parler rigoureusement on ne puisse pas les dire habitans de l’île ; car ils vivent tous dans la mer, et en général ils ne vont à terre que pour y faire leurs petits et s’y reposer. Les plus gros sont les phoques, ou, comme nous avons coutume de les appeler, les ours de mer ; car c’est l’espèce qu’on y rencontre. Ils ne sont pas en grand nombre, et on ne doit pas s’en étonner, car on sait qu’ils préfèrent aux baies ou aux goulets les rochers qui s’avancent en mer, et les petites îles qui gisent près des côtes. Ils muaient à cette époque, et ils étaient si peu farouches, que nous en tuâmes autant que nous en voulûmes.

» Nous ne vîmes pas d’autres quadrupèdes marins ou terrestres ; mais nous trouvâmes une quantité considérable d’oiseaux, tels que des canards, des pétrels, des albatros, des nigauds, des goélands et des hirondelles de mer.

» Les canards sont à peu près de la grosseur d’une sarcelle ou d’un millouin, dont ils diffèrent par la couleur. Ils se tenaient en assez grand nombre sur les flancs des collines, et même plus bas ; on en tua une quantité considérable ; nous les trouvâmes bons à manger ; ils n’avaient pas le plus léger goût de poisson. Nous en avions rencontré quelques-uns de la même espèce à l’île de Géorgie durant le second voyage du capitaine Cook.

» Le pétrel du Cap ou le pétrel damier, le petit pétrel bleu qu’on voit toujours à la mer, et le petit pétrel brun n’y sont pas nombreux ; mais nous trouvâmes un nid de pétrels de la première espèce, dans lequel il y avait un œuf de la grosseur de celui d’une poule. La seconde espèce, qui est plus rare, se tenait dans des trous qui ressemblaient à des terriers de lapins.

» Une autre espèce, qui est la plus grande de tous les pétrels, était plus abondante et si peu sauvage, que nous la tuâmes d’abord sur la grève, à coups de bâton. Ce pétrel est de la grosseur d’un albatros, et carnivore, car il mangeait des phoques ou des oiseaux morts que nous jetions dans la mer. Sa couleur est brune ; il a le bec et les pieds verdâtres : c’est sans doute celui que les Espagnols appellent quebrantra-huessos, et dont la tête est figurée dans le voyage de Pernetti aux îles Malouines.

» Nous ne vîmes sur la côte que des albatros gris, qu’on rencontre ordinairement à la mer dans les hautes latitudes australes ; j’en aperçus un posé sur la pointe d’un rocher : mais ils voltigent souvent autour du havre ; nous distinguâmes, à quelque distance de la côte, la grande espèce, qui est la plus commune, ainsi qu’une autre plus petite dont la tête est noire.

» Il y a beaucoup plus de manchots que d’autres oiseaux : j’en ai remarqué trois espèces. J’avais déjà vu, à l’île de Géorgie, la première et la plus grande : elle est indiquée aussi par Bougainville ; mais elle ne me parut pas aussi solitaire qu’il le dit, car nous en aperçûmes des troupes nombreuses. Sa tête est noire ; elle a la partie supérieure du corps d’un gris de plomb, la partie inférieure blanche, et les pieds noirs. Deux larges bandes d’un très-beau jaune descendent des deux côtés de la tête, le long du cou, et se rencontrent au-dessus de la poitrine. Le bec est rougeâtre en quelques endroits, et plus long que dans les autres espèces.

» La seconde espèce de manchots n’a guère que la moitié de la grosseur de la première. La partie supérieure du corps est d’un gris noirâtre ; elle a sur le haut de la tête une tache blanche qui s’élargit en s’approchant des côtés ; le bec et les pieds sont d’une teinte jaune.

» Personne de l’équipage n’avait jamais vu la troisième. Sa longueur est de 24 pouces, et sa largeur de 20. La partie supérieure du corps et le cou sont noirs ; le reste est blanc, excepté le haut de la tête, d’où partent des plumes d’un beau jaune qui tombent en arrière, et se terminent de chaque côté en longues touffes de duvet, que l’oiseau dresse comme une crête.

» Les deux premières espèces se voient en troupe sur la grève ; les plus gros se tenaient toujours ensemble, et se promenaient en petites troupes au milieu des autres, qui étaient plus nombreux, et qu’on apercevait à une grande hauteur sur les flancs des collines. Ceux de la troisième espèce étaient séparés des deux premières, et toujours en grand nombre sur les rivages du dehors du havre. Nous étions au temps de la couvée ; ils pondaient sur des pierres nues un seul œuf blanc, et du volume de celui des canards. Tous ces manchots, de quelque espèce qu’ils fussent ; se montrèrent si peu farouches, que nous en prîmes à la main autant que nous le jugeâmes à propos.

» J’ai vu deux espèces de nigauds, le petit cormoran, et un autre qui est noir dans la partie supérieure du corps, et a le ventre blanc ; c’est le même qu’on rencontre à la Nouvelle-Zélande, à la Terre du Feu et à l’île de Géorgie.

» Nous trouvâmes aussi le goêland commun, des hirondelles de mer de deux espèces, et le goêland brun : ces derniers oiseaux étaient peu sauvages et en grand nombre.

» Un autre oiseau blanc, dont nous aperçûmes des volées entières autour de la haie, est très-singulier : il a la base du bec couverte d’un bourrelet de la nature de la corne ; est plus gros que le pigeon ; a le bec noir, et ses pieds, qui sont blancs, ressemblent à ceux du courlis. Quelques personnes de l’équipage le jugèrent aussi bon que le canard.

» On jeta la seine une fois, mais on ne prit que quelques poissons de la grosseur d’une petite morue. L’espèce ne ressemblait en rien à celles que nous connaissons. Ce poisson a le museau allongé, la tête armée de fortes épines, les rayons des nageoires de derrière longs et très-forts, le ventre gros : son corps n’est pas couvert d’écailles. Nous ne trouvâmes en coquillages qu’un petit nombre de moules et de lépas ; nous ramassâmes sur les rochers quelques étoiles et anémones de mer.

» Les montagnes sont médiocrement élevées ; cependant la plupart de leurs sommets étaient couverts de neige, à cette saison de l’année qui répond à notre mois de juin. On voit au pied ou sur le flanc de quelques-unes une quantité considérable de pierres entassées d’une manière irrégulière. Les flancs des autres, qui forment du côté de la mer des rochers escarpés, sont fendus du haut en bas, et semblent prêts à tomber, car les crevasses sont remplies de pierres d’une grosseur énorme. Plusieurs de nos officiers pensèrent que ces crevasses pouvaient être l’effet de la gelée ; mais il me paraît qu’il faut recourir aux tremblemens de terre, ou à d’autres commotions violentes, si l’on veut expliquer l’état du bouleversement de ces collines.

» Il doit presque toujours pleuvoir sur cette île, car les lits des torrens qu’on aperçoit de tous côtés sont larges, et même sur les montagnes on ne rencontre que des fondrières ou des marécages où l’on enfonce à chaque pas.

» Les rochers qui servent de base aux montagnes sont composés principalement d’une roche très-dure, d’un bleu foncé, entremêlée de petites particules de mica ou de quartz. Il semble que cette roche est une des productions les plus universelles de la nature, car elle compose toutes les montagnes de la Suède, de l’Écosse, des îles Canaries et du cap de Bonne-Espérance. Une autre pierre friable et de couleur brune forme à la terre de Kerguelen des rochers considérables ; une troisième, qui est plus noire et qu’on trouve en fragmens détachés, renferme des morceaux de quartz grossier. On y rencontre aussi de petits morceaux de grès, d’un jaune pâle ou couleur de pourpre, et d’assez gros morceaux de quartz demi-transparent, qui est disposé irrégulièrement en cristaux polyèdres, de forme pyramidale, en longues fibres brillantes. On voit dans les ruisseaux, des fragmens de la roche ordinaire, arrondis par le frottement ; mais aucun d’eux n’avait assez de dureté pour résister à la lime. L’eau-forte n’agissait sur aucune des autres pierres, et l’aimant ne les attirait point.

» Nous n’avons rien découvert qui eût l’apparence d’un minerai ou d’un métal. »

Après avoir quitté la terre de Kerguelen, le 30 décembre, Cook fit route à l’est-nord-est. Il voulait, d’après les instructions de l’amirauté, relâcher à la Nouvelle-Zélande, y faire de l’eau et du bois, et y embarquer du foin pour son bétail. Le nombre des quadrupèdes qu’il se proposait de laisser sur les différentes îles du grand Océan se trouvait considérablement diminué. Deux jeunes taureaux, une des génisses, deux béliers, et plusieurs chèvres étaient morts tandis qu’il faisait la reconnaissance des côtes désolées dont on vient de parler.

« Lorsque l’on fut par 48° 16′ de latitude sud, et par 85° de longitude est, le temps, qui jusqu’alors avait été assez clair, devint très-brumeux, les vents passèrent de l’ouest au nord. On fit plus de cent lieues par ce temps sombre. Les éclaircis, qui laissaient voir le soleil, étaient rares et de peu de durée. Ces circonstances déterminèrent Cook le 7 janvier 1777, à mettre un canot à la mer, pour envoyer au capitaine Clerke un ordre qui fixait comme rendez-vous la baie de l’Aventure sur la côte de la terre Van-Diemen, dans le cas où les bâtimens seraient séparés avant d’arriver au méridien de cette terre. Mais, au milieu de ces brouillards épais, nous fûmes assez heureux, en tirant fréquemment des coups de canon, de toujours marcher de conserve, quoique nous nous vissions rarement.

» Le 19 un grain subit jeta à la mer le petit mât de hune de la Résolution, qui entraîna avec lui le mât du grand perroquet. Cet accident occasiona quelque délai, car il fallut passer la journée entière à enlever les débris et à remplacer le mât.

» Le 24, à trois heures du matin, on eut connaissance de la terre de Van-Diemen. On y mouilla le 26.

» Dès que nous fûmes à l’ancre, dit Cook, je fis mettre les canots à la mer, et j’allai voir quel serait l’endroit le plus commode pour nous y fournir des choses dont nous avions besoin. Le capitaine Clerke descendit à terre de son côté dans le même dessein. L’eau et le bois s’offrirent en abondance à nos regards : il était facile surtout de conduire le bois aux vaisseaux : mais l’herbe, chose dont nous manquions le plus, était rare et très-grossière ; la nécessité nous obligea de la prendre telle que nous la trouvâmes.

» Le 27, dès le grand matin, j’envoyai le lieutenant King à la côte orientale de la baie, avec deux détachemens ; l’un pour couper du bois, et l’autre pour cueillir de l’herbe : je crus devoir lui donner aussi des soldats de marine. Quoique nous n’eussions encore aperçu aucun des naturels, il s’en trouvait certainement quelques-uns dans les environs ; car nous avions vu des colonnes de fumée depuis que nous nous étions approchés de la côte ; et nous en apercevions alors au milieu des bois à peu de distance. J’expédiai aussi la chaloupe pour l’aiguade, et j’allai ensuite visiter les travailleurs. Le soir on jeta la seine au fond de la baie, et l’on prit d’un seul coup une quantité considérable de poissons. On en aurait bien pêché davantage, si le filet ne s’était pas rompu en le tirant sur la grève : on revint ensuite à bord avec le bois et l’herbe, afin d’appareiller dès que le vent le permettrait.

» Le vent ne fut pas favorable le 28, et j’envoyai une seconde fois du monde à terre, afin d’en tirer une plus grande quantité de bois et de foin. J’ordonnai aussi au charpentier et à ses aides de couper des épars pour l’usage de la Résolution.

» L’après-midi, nous fûmes agréablement surpris de voir arriver huit naturels du pays, et un jeune garçon à l’endroit où nous coupions du bois : ils s’approchèrent de nous sans montrer aucune crainte, ou plutôt ils se présentèrent avec une extrême confiance : ils n’avaient point d’armes ; seulement l’un d’eux tenait un bâton de deux pieds de long et pointu à l’une de ses extrémités.

» Ils étaient entièrement nus, à moins qu’on ne veuille regarder comme une espèce d’ornement de larges piqûres qui offraient sur différentes parties de leur corps des lignes renflées, droites ou courbes.

» Ils étaient d’une taille ordinaire, un peu minces : ils avaient la peau noire, la chevelure de même couleur, et aussi laineuse que celle des Nègres de Guinée, sans avoir leurs grosses lèvres et leur nez plat. Au contraire, leurs traits ne présentaient rien de désagréable ; leurs yeux étaient assez beaux, et leurs dents assez bien rangées, mais très-sales ; les cheveux et la barbe de la plupart étaient chargés d’une espèce
d’onguent rouge, et le visage de quelques-uns était peint avec la même drogue.

» Ils reçurent tous les présens que nous leur fîmes, mais sans témoigner la moindre satisfaction. Lorsque nous leur donnions du pain, et que nous les avertissions par signes que c’était pour le manger, ils le rendaient ou ils le jetaient, sans même le goûter ; ils refusèrent aussi des poissons crus et apprêtés que nous leur offrîmes. Quand nous leur présentâmes des oiseaux, ils ne les rendirent pas, et nous comprîmes par leurs signes qu’ils aimaient beaucoup cet aliment. J’avais amené deux cochons à terre, dans l’intention de les abandonner au milieu des bois. Dès qu’ils furent à la portée de ces animaux, ils les saisirent par les oreilles, comme l’aurait fait un chien, et ils se disposaient à les enlever tout de suite : autant que nous pûmes l’apercevoir, ils n’avaient d’autre intention que de les tuer.

» Comme j’avais envie de connaître l’usage du bâton que l’un de ces hommes tenait à sa main, je témoignai ce désir par mes gestes ; ils me comprirent : l’un d’eux posa un morceau de bois qui devait lui servir de but, et il lança le bâton à la distance d’environ soixante pieds ; mais sa dextérité ne mérita point d’éloges car, dans chacun des essais qu’il répéta, le bâton alla tomber très-loin du but. O-maï, afin de leur montrer combien nos armes étaient supérieures aux leurs, tira un coup de fusil en visant la marque ; l’explosion les effraya tellement, que, malgré tout ce que nous pûmes faire ou dire pour les rassurer, ils s’enfuirent dans les bois : l’un d’eux fut si épouvanté, qu’il laissa échapper de ses mains une hache et deux couteaux qui nous lui avions donnés. Après nous avoir quittés, ils abordèrent cependant quelques hommes de la Découverte, qui embarquaient de l’eau. L’officier de ce détachement, ne sachant ni quelles étaient leurs dispositions ni ce qu’ils voulaient, tira en l’air un coup de fusil, et ils s’enfuirent avec la plus grande précipitation.

» Ainsi se termina notre première entrevue avec les naturels du pays. Je jugeai que leur frayeur les empêcherait de se tenir assez près de nous pour observer ce qui se passerait, et j’ordonnai de conduire au fond de la baie, à environ un mille dans le bois, un verrat et une truie : on les abandonna sous mes yeux au bord d’un ruisseau d’eau douce. J’avais d’abord résolu de laisser aussi à la terre Van-Diemen un taureau, une génisse, des chèvres et des moutons ; convaincu ensuite que les naturels n’avaient pas assez d’intelligence pour seconder mes desseins d’améliorer l’état de leur pays, et qu’ils détruiraient ces animaux, je renonçai à mon projet. Si jamais ils rencontrent les cochons, je suis persuadé qu’ils les tueront ; mais comme cet animal devient sauvage en peu de temps, qu’il aime les parties les plus épaisses des forêts, il est vraisemblable que la race s’en perpétuera : il aurait fallu choisir un terrain ouvert pour les bœufs, les génisses, les chèvres et les moutons, et les habitans n’auraient pas tardé à les découvrir.

» La matinée du 19 commença par un calme plat, qui dura toute la journée, et qui différa notre appareillage ; j’envoyai un détachement sur la pointe orientale de la baie pour y couper de l’herbe ; car on m’avait informé qu’il s’y en trouvait d’une qualité supérieure : un second détachement alla faire du bois ; je descendis moi-même à terre. Nous avions vu plusieurs naturels courant le long de la côte ; ainsi, quoique leur frayeur les eût déterminés la veille à nous quitter si brusquement, ils paraissaient convaincus que nous ne leur ferions pas de mal, et que nous désirions les revoir. Je voulais assister à la seconde entrevue si elle pouvait avoir lieu.

» Nous eûmes à peine débarqué, qu’environ vingt sauvages, parmi lesquels se trouvaient des jeunes garçons, arrivèrent près de nous sans donner le moindre signe de crainte ou de défiance : l’un d’eux était remarquable par sa difformité ; une bosse énorme qu’il avait au dos, ses gestes plaisans et la gaieté que semblaient annoncer ses discours, attirèrent d’ailleurs notre attention. Nous supposâmes qu’il s’efforçait de nous divertir ; par malheur nous ne l’entendions pas ; la langue qu’il parlait était absolument inintelligible pour nous : elle me parut différente de celle des habitans des parties les plus septentrionales de ce pays que j’avais rencontrés dans mon premier voyage. On doit d’autant moins en être surpris, que les insulaires que nous vîmes alors diffèrent de ceux-ci à beaucoup d’autres égards.

» Les naturels de la terre Van-Diemen ne paraissent pas d’ailleurs aussi misérables que les peuplades rencontrées par Dampier sur la côte occidentale de la Nouvelle-Hollande.

» Trois ou quatre rangs de petites cordes tirées de la fourrure d’un animal flottaient autour du cou de plusieurs de ces sauvages ; une bande étroite de peau de kangarou entourait la cheville du pied de quelques autres. Je leur donnai à chacun un collier de verroterie et une médaille. Ce présent parut leur faire plaisir. Ils semblaient ne mettre aucun prix au fer ni aux outils de ce métal ; ils ignoraient même l’usage des hameçons, si l’on peut établir cette opinion d’après l’indifférence avec laquelle ils regardèrent les nôtres.

» Il est cependant difficile de croire qu’une peuplade établie sur la côte de la mer, et qui ne semble tirer des productions du sol aucune partie de sa subsistance, ne connaisse aucun moyen de prendre du poisson. J’observerai seulement que nous ne les avons jamais vus occupés de la pêche, et que nous n’avons aperçu ni pirogues ni canots. Ils rejetèrent, il est vrai, l’espèce de poisson que nous leur offrîmes ; mais les amas de coquilles de moules que nous trouvâmes en différens endroits près du rivage, et autour des habitations désertes situées au fond de la baie, démontrèrent du moins qu’ils mangent quelquefois des coquillages. Les habitations désertes dont je viens de parler étaient de petites huttes construites avec des perches et couvertes d’écorce. Nous aperçûmes plusieurs gros troncs d’arbres qui avaient été creusés par le feu, et nous pensâmes avec raison que ces troncs d’arbres leur servent de temps en temps d’habitations. Nous aperçûmes des vestiges de feu dans l’intérieur ou aux environs de ces demeures, et partout où il y avait des amas de coquillages ; ce qui est une preuve sûre qu’ils cuisent leurs alimens.

» Je passai environ une heure avec ceux des naturels qui entouraient nos bûcherons. Comme je n’avais à craindre aucune hostilité de leur part, je me rendis auprès du détachement qui coupait de l’herbe sur la pointe orientale de la baie. Ce détachement avait rencontré une belle prairie. On chargea les canots devant moi, et je retournai dîner à bord, où le lieutenant King arriva bientôt.

» Il m’apprit qu’au moment où je venais de quitter la côte, plusieurs femmes et quelques enfans abordèrent nos travailleurs, et que ces femmes et ces enfans lui furent présentés. Il leur donna les bagatelles qu’il avait avec lui : une peau de kangarou, qui n’était point apprêtée, flottait sur les épaules et autour de la ceinture des femmes. Nous la jugeâmes destinée à soutenir les enfans qu’elles portent quelquefois sur leur dos ; car elle ne couvrait pas les parties naturelles. Les femmes étaient d’ailleurs aussi nues et aussi noires que les hommes, et elles avaient le corps tatoué ou tailladé de la même manière ; quoique leurs cheveux fussent de la même couleur et de la même nature, quelques-unes avaient la tête complètement rasée ; d’autres n’avaient leurs cheveux coupés que d’un seul côté ; la partie supérieure de la tête des autres offrait une espèce de couronne qui ressemblait à celle de quelques moines romains. La plupart des enfans nous parurent jolis ; mais il n’en fut pas de même des femmes, et surtout de celles qui étaient avancées en âge. On m’apprit cependant que quelques officiers de la Découverte leur avaient adressé des hommages, qu’ils leur avaient offert des présens d’une grande valeur, et qu’ils furent refusés. Je ne dirai pas si elles résistèrent par un sentiment de dédain, ou dans la crainte de déplaire aux hommes du pays ; il est sûr que cette galanterie de nos messieurs n’était point agréable aux insulaires ; car un vieillard qui s’en aperçut ordonna tout de suite aux femmes et aux enfans de se retirer. Les femmes obéirent, en montrant un peu de répugnance.

» Cette conduite des Européens envers les femmes des peuples sauvages est très-blâmable ; elle inspire aux hommes du pays une jalousie qui peut nuire beaucoup au succès d’une entreprise ; elle fait tort à un équipage entier, sans remplir les vues particulières des individus ; car j’ai vu que de pareilles avances sont assez inutiles. En général on observera, je crois, que parmi les peuplades peu civilisées, où les femmes se montrent d’un accès facile, les hommes sont les premiers à les offrir aux étrangers ; mais que, s’ils ne les offrent pas, on essaierait en vain de les séduire avec des présens, on chercherait inutilement des lieux écartés. Je puis assurer que cette remarque est juste pour toutes les îles du grand Océan où j’ai abordé. C’est donc jouer un rôle absurde, c’est compromettre sa sûreté et celle de ses camarades que de solliciter vivement des femmes qui ne veulent pas se rendre.

» L’après-midi j’allai voir les fourrageurs, afin de hâter leurs travaux. Je les trouvai sur l’île des Pingouins, où ils avaient découvert une grande quantité d’herbes excellentes. Nous travaillâmes avec ardeur jusqu’au coucher du soleil, et nous nous rendîmes ensuite à bord. Je jugeai que nous avions alors assez de foin jusqu’à notre arrivée à la Nouvelle-Zélande.

» Durant notre séjour nous eûmes ou des calmes ou de petits vents de la partie de l’est. Ainsi ma relâche ne nous fit point perdre de temps ; car, si j’avais tenu la mer, nous n’aurions pas avancé notre voyage de plus de vingt lieues, et quoique notre séjour à la terre Van-Diemen ait été de courte durée, il m’a mis en état d’ajouter quelques remarques à la description encore bien imparfaite de cette partie du globe.

» Avant nous, la terre Van-Diemen avait été visitée deux fois. Elle reçut ce nom de Tasman, qui la découvrit au mois de novembre 1642. Elle n’avait ensuite attiré l’attention d’aucun navigateur européen jusqu’au mois de mars 1773, époque où le capitaine Furneaux y toucha. Je n’ai pas besoin de dire que c’est la pointe méridionale de la Nouvelle-Hollande, qui, si elle ne mérite pas le nom de continent, est la plus grande île du monde connu.

» La plus grande partie de cette terre est assez haute, diversifiée par des montagnes et des vallées, et offrant partout cette teinte de vert qui annonce la fertilité. Le pays est bien boisé, et si l’on peut établir son opinion d’après les apparences et d’après les observations que nous fîmes dans la baie de l’Aventure, il n’est pas mal arrosé. Nous rencontrâmes de l’eau en abondance en trois ou quatre endroits de cette baie. La meilleure, ou celle que les navigateurs peuvent embarquer plus commodément, se puise à l’un des ruisseaux qui tombe dans un étang situé derrière la grève du fond de la baie. Elle se mêle dans l’étang avec l’eau de la mer, et il faut la puiser au-dessus ; ce qui n’est point difficile. On charge très-aisément du bois à brûler.

» M. Anderson employa, avec son activité ordinaire, à examiner le pays le peu de jours que nous passâmes dans la baie de l’Aventure. Il a bien voulu me donner ses remarques sur les productions naturelles ; elles compenseront bien mon silence sur ce sujet. Quelques-unes de ses observations sur les habitans suppléeront à ce que j’ai omis ou à ce que j’ai dit d’une manière imparfaite ; et quoique son vocabulaire de la langue du pays soit peu étendu, les savans qui recueillent des matériaux pour découvrir l’origine des différentes nations, le recevront avec plaisir. Je préviendrai seulement que les grands arbres de haute-futaie dont il parle sont d’une espèce différente de ceux qu’on trouve sur les parties plus septentrionales de cette côte. Le bois en est d’un grain très-serré et fort dur ; on peut en faire des épars, des avirons, ou l’employer à beaucoup d’autres usages ; et si on découvre un moyen d’en alléger le poids, il offrira au besoin d’excellens mâts, et peut-être les meilleurs du monde.

» On trouve au fond de la baie de l’Aventure une jolie grève sablonneuse ; elle paraît formée uniquement des particules détachées par les flots, d’un très-beau grès blanc qui borde la côte presque partout, et dont la Pointe cannelée, ainsi nommée d’après son apparence, et située à peu de distance, semble composée. Cette grève a environ deux mille de longueur ; on y pêche commodément à la seine. Les deux vaisseaux profitèrent à diverses reprises, et avec succès, de cet avantage. On rencontre au-delà une plaine, avec une lagune d’eau salée, ou plutôt saumâtre, dans laquelle nous prîmes à la ligne de petites truites et un nombre assez considérable de brèmes blanches. Les rives de ce lac se prolongent parallèlement à la grève. Les autres parties du pays contiguës à la baie sont montueuses ; elles offrent, ainsi que la plaine, une forêt continue de très-grands arbres, que les broussailles, les fougeraies et les arbres tombés rendent presque impénétrable. Il faut en excepter néanmoins les flancs de quelques-unes des montagnes, où les arbres sont clairsemés, et où l’on ne rencontre qu’une herbe grossière.

» Au nord de la baie, un terrain bas se prolonge à perte de vue : on n’y aperçoit que quelques touffes de bois éparses. Nous n’avons pas eu occasion d’examiner en quoi il diffère du terrain des montagnes : le sol de la plaine est sablonneux, ou bien il consiste en un terreau jaunâtre, et quelquefois en une argile de couleur rouge. La partie inférieure des montagnes en offre un semblable, mais plus haut, et surtout dans les endroits où les arbres sont peu nombreux ; il est d’un gris foncé, et paraît très-stérile.

» L’eau descend des flancs des montagnes dans les vallées, et y forme en quelques endroits de petits ruisseaux qui suffirent pour remplir nos futailles, mais ils n’étaient pas aussi considérables que semblait le promettre l’étendue de la terre Van-Diemen, qui est montueuse et bien boisée : une foule d’indices annoncent que ce pays est très-aride ; sans ses bois, on pourrait peut-être le comparer plutôt aux environs du cap de Bonne-Espérance, quoique cette partie de l’Afrique gise 10 degrés plus au nord, qu’à la Nouvelle-Zélande, située à la même latitude, et où la plus petite vallée offre un ruisseau considérable. La chaleur paraît aussi très-grande, car le thermomètre se tenait à 64 ou 70 degrés, et il monta un jour à 74. Nous observâmes que les oiseaux, une heure ou deux après qu’on les avait tués, se couvraient de petits vers : j’attribue cet effet uniquement à la chaleur ; car nous n’avons aucune raison de supposer que ce climat a une disposition particulière à putréfier promptement les corps.

» Nous n’aperçûmes point de minéraux, et même nous ne vîmes pas d’autres pierres que le grès blanc dont j’ai déjà parlé.

» Aucune des productions végétales que nous avons trouvées ne peut servir d’aliment.

» Les arbres des forêts sont tous d’une même sorte ; ils s’élèvent très-haut, sont en général parfaitement droits, et ne poussent guère de branches que vers le sommet : l’écorce est blanche ; on dirait de loin qu’on les a pelés ; elle est d’ailleurs épaisse, et on y trouve quelquefois des morceaux d’une gomme ou résine transparente, rougeâtre et d’une saveur astringente : les feuilles sont longues, étroites et aiguës, ces arbres portent des bouquets de petites fleurs blanches, dont les calices étaient répandus sur la terre en grande quantité, et mêlés avec des calices d’une autre sorte à peu près de la même forme, mais beaucoup plus grands ; ce qui fait présumer qu’il y a deux espèces de cet arbre. L’écorce des plus petites branches, le fruit et les feuilles ont un goût piquant et agréable, et une odeur aromatique qui approche de celle de la menthe poivrée : l’arbre a quelque affinité avec le myrte des botanistes.

» L’arbre le plus commun après celui-ci est petit ; il n’a qu’environ dix pieds de haut ; il produit beaucoup de branches ; ses feuilles sont étroites, ses fleurs jaunes, grandes et cylindriques, et composées d’une multitude de filamens. Lorsque cette fleur est tombée, il lui succède un fruit qui ressemble à l’ananas : les deux arbres dont je viens de parler sont inconnus en Europe.

» On ne voit guère d’autres sous-bois qu’un arbrisseau qui approche un peu du myrte, et qui semble être le leptospermum scoparium du docteur Forster, et un second plus petit, qui est une espèce de melaleuca de Linné.

» Les plantes ne sont pas nombreuses ; ce sont : une espèce de glaïeul, le jonc, la campanule, la bacille, une petite espèce d’oxalis des bois, le laitier, le pied de chat, la larme de Job, et quelques autres particulières à cette terre. On y voit plusieurs sortes de fougères ; telles que le polypode, la scolopendre, la fougère femelle, et des mousses ; mais ces mousses sont communes, ou du moins on les trouve ailleurs, et surtout à la Nouvelle-Zélande.

» Le seul quadrupède que nous ayons pris est un opossum à peu près deux fois aussi gros qu’un gros rat ; c’est vraisemblablement le mâle de l’espèce rencontrée sur les bords de la rivière Endéavour, dans le premier voyage du capitaine Cook. Il est noirâtre dans la partie supérieure du corps, avec des teintes brunes ou couleur de rouille, et il est blanc en dessous ; le tiers de la queue, du côté du bout, est blanc et dégarni de poil par-dessous, ce qui vient probablement de ce qu’il s’accroche par là aux branches d’arbres auxquels il grimpe, parce qu’il vit de baies. Le kangarou, autre animal qu’on trouve sur les côtes plus septentrionales de la Nouvelle-Hollande, habite sûrement aussi la terre Van-Diemen ; car les naturels qui vinrent nous voir portaient des morceaux de sa peau ; d’ailleurs, en courant les bois, nous vîmes à diverses reprises, mais d’une manière confuse, des animaux qui fuyaient devant nous ; et nous jugeâmes, sur leur grosseur, qu’ils étaient de cette espèce. Il semble, par le crottin que nous rencontrâmes partout, et par les sentiers étroits qu’ils fraient au milieu des buissons, qu’ils y sont très-multipliés.

» Les espèces d’oiseaux sont nombreuses ; mais ils sont si rares et si farouches, que sûrement ils sont pourchassés par les insulaires, qui en tirent peut-être une grande partie de leur subsistance. On rencontre surtout dans les bois de grands faucons ou aigles bruns, des corneilles à peu près les mêmes que celles d’Angleterre, des perruches jaunes et de gros pigeons : il y a aussi trois ou quatre petits oiseaux, dont l’un est du genre de la grive ; un autre plus petit, dont la queue est assez longue, a une partie de la tête et du cou d’une belle couleur d’azur ; nous lui donnâmes le nom de motacilla cyanea. Nous vîmes sur la côte plusieurs espèces de goélands, un petit nombre d’huîtriers noirs, et un joli pluvier de couleur grisâtre, qui avait une huppe noire. Nous aperçûmes des canards sauvages autour de la lagune qui est derrière la grève, et des nigauds accoutumés à se percher sur les arbres élevés et sans feuilles qui sont près du rivage.

» Nous trouvâmes dans les bois des serpens noirâtres assez gros : nous tuâmes un gros lézard inconnu jusqu’alors ; il avait quinze pouces de long et six de tour ; sa peau était agréablement nuancée de noir et de jaune. Nous en tuâmes un autre plus petit, de couleur brune et dorée par-dessus, et de couleur de rouille par-dessous.

» La mer est plus peuplée, et les espèces y sont aussi variées que sur terre. Le poisson éléphant ou pejegallo, dont parle le Voyage de Frézier, est le plus commun ; et quoiqu’il soit d’une qualité inférieure à la plupart des autres poissons, nous le trouvâmes bon à manger. Nous prîmes plusieurs raies et de petites brèmes blanches, d’une chair plus ferme, et meilleures que celles que nous avions pêchées dans la lagune. Nous prîmes aussi un petit nombre de soles et de carrelets, de petits mulets tachetés, et d’autres poissons, entre autres, ce qui nous surprit beaucoup, le petit poisson qui a une raie argentée sur le côté, et qui est appelé atherina hipsetus par Hasselquist.

» Les rochers offrent une quantité considérable de moules et d’autres coquillages ; des étoiles de mer, de petits lépas, et beaucoup d’éponges ; la mer en jette sur la côte une espèce qui est d’une texture très-délicate ; celle-ci n’est pas commune.

» Nous recueillîmes sur la grève une foule de jolies méduses, et d’autres mollusques.

» Les insectes, quoique peu nombreux, sont très-variés ; nous vîmes des sauterelles, des papillons et plusieurs espèces de petites teignes dont les couleurs étaient joliment bigarrées. Il y a des taons, plusieurs espèces d’araignées, et des scorpions, mais il sont rares. La famille la plus incommode, quoiqu’elle ne soit pas très-multipliée, est celle des mousquites. Je ne dois pas oublier une grosse fourmi noire, dont les morsures causent des douleurs presque insupportables ; heureusement ces douleurs se calment bientôt. La trompe venimeuse des mousquites produit aussi une douleur très-vive.

» Les naturels que nous rencontrâmes n’avaient point ce regard farouche ordinaire aux peuplades qui sont dans leur position ; ils paraissaient au contraire doux et gais, et ils ne nous montrèrent ni réserve, ni jalousie. Cette familiarité et cette gaieté de caractère peuvent venir de ce qu’ils ont peu de chose à perdre et à garder.

» Nous ne pouvons guère parler de leur vivacité ou de leur intelligence ; rien n’annonce qu’ils possèdent la première qualité à un degré remarquable, et ils semblent doués de moins de pénétration encore que les habitans de la Terre du Feu, qui ne manquent point de matériaux, mais qui n’ont pas assez d’esprit pour se faire des vêtemens et se défendre contre la rigueur du climat. Le petit bâton grossièrement pointu que portait l’un d’eux est la seule chose qui indiquât de leur part un travail mécanique. J’ai déjà dit que quelques-uns avaient des bandes de peau de kangourou attachées autour du pied avec des lanières ; mais nous n’avons pu savoir si ces bandes de peau leur tiennent lieu de souliers, ou s’ils voulaient seulement couvrir une plaie. Les piqûres et les découpures de leurs bras et de leurs corps, ces lignes renflées ou cicatrices, qui diffèrent par leur longueur et leur direction, et qui sont assez élevées au-dessus de la surface de la peau, annoncent une sorte d’adresse : il est difficile d’imaginer la méthode qu’ils emploient pour exécuter cette singulière broderie. En voyant des hommes qui leur ressemblaient si peu, et des choses qui leur étaient absolument étrangères, ils ne témoignèrent aucune surprise ; ils montrèrent de l’indifférence pour les dons que nous leur fîmes, et ils ne parurent attentifs à rien. Il n’est pas besoin de citer d’autres preuves de l’engourdissement de leur esprit.

» Leur teint est d’un noir sale et moins foncé que celui des nègres d’Afrique ; il paraît qu’ils en augmentent la noirceur en se barbouillant le corps ; car dès qu’ils touchaient quelque chose de propre, tel que du papier blanc, ils le salissaient. Leur chevelure est complètement laineuse ; comme ils y mettent beaucoup de graisse mêlée avec un enduit rouge ou avec de l’ocre, elle est grumelée ou divisée en petites parties ainsi que celle des Hottentots. Leurs cheveux ne bouclent point par un effet de cet usage ; car j’examinai la tête d’un petit garçon qui n’avait jamais été enduite de graisse, et je reconnus que ses cheveux étaient naturellement tels que je les décris plus haut. Leur nez est large et plein, quoiqu’il ne soit pas aplati. La partie inférieure de leur visage s’avance en saillie, comme celle de la plupart des insulaires du grand Océan que j’ai vus ; en sorte qu’une ligne partant perpendiculairement du haut de la tête couperait une partie beaucoup plus considérable du menton que sur le visage d’un Européen. Leurs yeux sont d’une grandeur médiocre ; il y a moins de blanc que dans les nôtres ; et, sans être ni vifs ni perçans, ils donnent à leur physionomie un air de franchise et de bonne humeur. Leurs dents sont larges ; elles, ne sont ni égales ni bien rangées : elles ne me semblèrent pas d’un blanc aussi parfait que celles des nègres ; mais j’ignore si la saleté n’en altérait pas la blancheur naturelle. Leur bouche est un peu trop grande ; elle l’est peut-être moins qu’elle ne le paraît, parce qu’ils portent leur barbe longue, et qu’ils l’enduisent de peinture ainsi que leurs cheveux. Leur corps est d’ailleurs bien proportionné, quoique leur ventre soit un peu gros, ce qui peut venir de ce qu’ils ne se serrent jamais ; car il faut observer que dans la plupart des autres pays on porte des ceintures plus ou moins fortes. La posture qu’ils aiment le mieux est de se tenir debout, la partie supérieure du corps un peu courbée en avant, et l’une des mains traversant le dos et saisissant l’autre bras, qui tombe nonchalamment.

» On observe ici ce que les anciens poëtes nous disent des faunes et des satyres qui habitaient des troncs d’arbre. Nous trouvâmes au fond de la baie de misérables charpentes de perches, recouvertes d’écorce, qui méritaient à peine le nom de huttes ; mais ces chétives demeures ne semblaient avoir été construites que pour un séjour passager, et nous rencontrâmes beaucoup de gros arbres creusés qui offraient un meilleur asile. À l’aide du feu, les naturels avaient pratiqué dans les troncs un espace de six ou sept pieds de hauteur. Les foyers d’argile que nous vîmes, et autour desquels quatre ou cinq personnes pouvaient s’asseoir[10], démontrent qu’ils les habitent quelquefois. Ces habitations sont très-durables, car ils ont soin de laisser entier un des côtés de l’arbre ; ce qui suffit pour y entretenir une sève aussi abondante que dans les autres.

» Les naturels de la terre Van-Diemen sont sans doute de la même race que ceux des parties septentrionales de la Nouvelle-Hollande. Quoiqu’ils n’aient pas la vue mauvaise et deux dents de moins à la mâchoire supérieure, comme ceux que vit Dampier sur la côte occidentale de ce pays ; quoique la description de ceux que le capitaine Cook aperçut sur la côte orientale durant son premier voyage ne leur convienne pas à bien des égards, je suis persuadé toutefois que la distance des lieux, la communication interrompue, la diversité du climat et le laps du temps, suffisent pour produire plus de différence dans la figure et les usages qu’il n’en existe réellement entre les peuplades de la terre Van-Diemen et celles dont parlent Dampier et le premier voyage de Cook. Si leur langue n’est pas la même, cette circonstance ne forme point une difficulté insoluble ; car la conformité du langage de deux peuplades qui vivent éloignées l’une de l’autre prouve bien qu’elles viennent d’une souche commune ; mais la différence des idiomes n’est pas une preuve du contraire[11].

» Il faudra étudier beaucoup la langue de la terre Van-Diemen, et celle des parties plus septentrionales de la Nouvelle-Hollande, avant de prononcer que ces idiomes diffèrent l’un de l’autre : je présume même que l’opinion contraire est mieux fondée ; car nous reconnûmes que l’animal appelé kangourou sur les bords de la rivière Endeavour, est connu ici sous le même nom, et je n’ai pas besoin d’observer qu’il est difficile d’attribuer au hasard cette conformité dans la langue des deux peuplades ; d’ailleurs il paraît vraisemblable que les habitans de la terre Van-Diemen n’auraient jamais perdu l’usage des pirogues et des canots, s’ils avaient été originairement transportés par mer dans cette partie de l’île. Il faut avouer que les hommes, ainsi que les kangourous, semblent être venus du nord par terre. Si cette observation est juste, elle servira tout à la fois à montrer l’origine de la race qui habite la terre Van-Diemen, et décidera une autre question que le capitaine Cook et le capitaine Furneaux paraissent avoir déjà résolue ; il s’ensuivra que la Nouvelle-Hollande n’est pas coupée en petites îles par la mer, comme quelques écrivains l’ont imaginé[12].

» Je pense donc que tous les habitans de la Nouvelle-Hollande sont de la même race : ils ressemblent beaucoup aux insulaires de Tanna et de Mallicolo : et l’on peut supposer, non sans raison, qu’ils viennent originairement de la même contrée que les autres naturels du grand Océan ; car de dix mots, les seuls de leur langue que nous vînmes à bout de recueillir, celui qui exprime le froid diffère peu du terme qui a cette signification à la Nouvelle-Zélande et à Taïti : on dit mallarida à la terre Van-Diemen, makkaridé à la Nouvelle-Zélande, et ma’ridé à Taïti. Voici les autres mots du petit vocabulaire que nous avons fait à la terre Van-Diemen :

Quadné, Une femme.
Eve’raï, L’œil.
Mnidjé, Le nez.
Ka’my, La dent, la bouche ou la langue.
Lae’reuné, Un petit oiseau indigène des bois du pays.
Koy’ghi, L’oreille.
No’onga, Les cicatrices renflées que les naturels ont sur le corps.
Tèghera, Manger.
Toga’rago, Il faut que je m’en aille, ou je veux m’en aller.
» Leur prononciation n’a rien de désagréable ; elle est un peu rapide : elle ne l’est cependant pas davantage que celle des autres peuples du grand Océan. En supposant que l’affinité des idiomes soit un guide sûr pour découvrir l’origine des nations, je suis persuadé que, si l’on s’occupe de ces recherches avec assiduité, et que, si l’on parvient à recueillir exactement et àa comparer un nombre suffisant de termes de diverses langues, on trouvera que tous les peuples répandus à l’est, depuis la Nouvelle-Hollande jusqu’à l’île de Pâques, ont une souche commune[13]. »

FIN DU VINGT-SEPTIÈME VOLUME.
  1. Voyez Biographie universelle, article Cook, par M. de Rossel, capitaine de vaisseau, chevalier de Saint-Louis, membre de l’Académie des sciences et du Bureau des longitudes.
  2. Il n’en a pas été de même du vaisseau sur lequel Cook avait fait deux voyages, dont un seul eût suffi pour l’illustrer. La Résolution fut vendue à un négociant de Dunkerque, qui l’employa à la pêche de la baleine, et elle changea même de nom.
  3. Le premier voyage de la Résolution fut le second du capitaine Cook.
  4. Il n’y avait que quatre-vingt-huit hommes sur la Découverte
  5. On faisait autrefois à Ténériffe une grande quantité de vin sec de Canarie, que les Français appellent vin de Malvoisie, et que nous nommons en Angleterre, par corruption, Malmsey. Ce nom vient de Malvésia, ville de la Morée, célèbre par ses vins doucereux. Dans le dernier siècle, et même plus tard, on en importait beaucoup en Angleterre ; mais on ne fait guère aujourd’hui d’autre vin à Ténériffe que celui dont parle le capitaine Cook. Les vignes du pays ne produisaient pas, au temps de Glas, historien des Canaries, plus de cinquante pipes de Malvoisie annuellement. Cet auteur dit que les habitans cueillent les raisins encore verts, et qu’ils en tirent un vin sec et substantiel propre aux climats chauds.
  6. Son nom espagnol est San-Christobal de Laguna ; elle passe pour la capitale de l’île. Les gens de loi, et ceux des habitans qui vivent noblement, y résident. Cependant, le gouverneur général des îles Canaries réside à Sainte-Croix, qui est le centre du commerce avec l’Europe et l’Amérique.
  7. Ce port fut comblé par des torrens de laves brûlantes qui sortirent du volcan. On trouve aujourd’hui des maisons dans les endroits où mouillaient autrefois les vaisseaux.
  8. Lorsque Glas parcourut l’île de Ténériffe, il existait encore quelques familles de Guanches dont le sang be s’était pas mêlé avec celui des Espagnols.
  9. On est étonné de ne pas trouver des détails sur la tour de Babylone dans l’ouvrage de Kolbe ou dans celui de l’abbé de La Caille. Le premier observe seulement que c’est une haute montagne, et le second se contente de dire que c’est un monticule très-bas. La description de M. Anderson a donc le mérite de l’exactitude et de la nouveauté, et elle s’accorde avec les remarques de M. Sonnerat, qui était au Cap en 1781.
    M. Gordon, commandant des troupes au Cap, a fait dernièrement trois voyages dans l’intérieur du pays, et on a lieu d’espérer qu’il ne tardera pas à les donner au public.
  10. Tasman trouva, dans la baie de Frédéric-Henri, voisine de celle de l’Aventure, deux arbres, dont l’un avait deux brasses, et l’autre deux brasses et demie de tour : les branches ne commençaient qu’à 60 ou 65 pieds de terre.
  11. L’ingénieux auteur des Recherches sur les Américains développe cette idée d’une manière très-satisfaisante. « C’est quelque chose de surprenant, dit-il, que la foule des idiomes, tous variés entre eux, que parlent les naturels de l’Amérique septentrionale : qu’on réduise ces idiomes à des racines ; qu’on les simplifie, qu’on en sépare les dialectes et les jargons dérivés, il en résulte toujours cinq à six langues mères, respectivement incompréhensibles. On a observe la même singularité dans la Sibérie et la Tartarie, où le nombre des idiomes et des dialectes est également multiplié ; et rien n’est plus commun que d’y voir des hordes unies qui ne se comprennent point. On retrouve cette même multiplicité de jargons dans toutes les provinces de l’Amérique méridionale. (Il aurait pu y ajouter l’Afrique.) Il y a beaucoup d’apparence que la vie des sauvages, en dispersant les hommes par petites troupes isolées dans des bois épais, occasione nécessairement cette grande diversité de langues, dont le nombre diminue à mesure que la société, en rassemblant les barbares vagabonds, en forme un corps de nation. Alors l’idiome le plus riche et le moins pauvre en mots devient dominant et absorbe les autres. » Tome I, pages 159, 160.
  12. Dampier semble être de cette opinion. Tome III, pages 104, 105.
  13. M. Marsden a sur cette matière les mêmes idées que M. Anderson. Il observe « qu’une langue générale, altérée et mutilée par le laps du temps, est répandue dans cette partie du monde depuis Madagascar jusqu’aux terres découvertes le plus loin à l’est : que le malais en est un dialecte très-corrompu ou raffiné par le mélange d’autres idiomes. Une conformité de langage aussi universelle annonce que les divers peuples ont une origine commune ; mais un voile épais cache les circonstances et les progrès de leur séparation. » History of Sumatra, page 35.
    Voyez aussi le mémoire intéressant qu’il a lu à la Société des antiquaires ; on le trouve dans l’Archæologia de cette académie, tom. VI, page 155. Il y développe davantage son opinion, et il l’appuie sur deux tables de mots correspondan.