Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 05/7/11

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XI

Comment sainte Claire mangea avec saint François et ses frères à Sainte-Marie-des-Anges.


Saint François, quand il habitait à Assise, visitait souvent sainte Claire, lui donnant de saints enseignements. Celle-ci avait un extrême désir de manger une fois avec lui, et elle l’en pria bien souvent mais il ne voulait jamais lui donner cette consolation. C’est pourquoi ses compagnons, voyant le désir de sainte Claire, dirent à saint François : Père, il nous paraît que cette rigidité n’est pas selon la charité divine, de ne pas vouloir exaucer sœur Claire, vierge sainte et si chère à Dieu, dans une aussi petite chose que de manger avec toi, surtout si tu considères qu’à ta prédication elle a abandonné les richesses et les pompes du monde. En vérité, si elle te demandait une plus grande grâce que celle-ci, tu devrais l’accorder à ta fille spirituelle. » Alors saint François répondit « Vous paraît-il donc que je la doive exaucer ? » Ses compagnons répondirent « Oui, père, c’est une chose juste que tu lui accordes cette grâce et cette consolation. » Alors saint François dit : « Puisqu’il vous paraît ainsi, il me paraît de même. Mais, afin qu’elle soit encore plus consolée, je veux que ce repas se fasse à Sainte-Marie-des-Anges, parce qu’il y a longtemps qu’elle est recluse à Saint-Damien. Elle aura une grande joie de voir Sainte-Marie-des-Anges, où elle a été voilée et faite épouse de Jésus-Christ et nous y mangerons ensemble au nom de Dieu. »

Le jour désigné étant arrivé, sainte Claire sortit du monastère avec une compagne, suivie des compagnons de saint François, et vint à Sainte-Marie-des-Anges. Elle salua dévotement la vierge Marie devant son autel, où on lui avait coupé les cheveux et donné le voile. Ensuite ils la menèrent visiter le couvent, jusqu’à ce qu’il fût l’heure du repas et pendant ce temps saint François fit servir sur la terre nue, comme il avait accoutumé. Et l’heure du repas arrivée, ils s’assirent ensemble, saint François et sainte Claire, et un des compagnons de saint François avec la compagne de sainte Claire : puis tous les autres compagnons de saint François s’approchèrent humblement. Or, pour le premier service, saint François commença à parler de Dieu d’une manière si suave, si sublime, si merveilleuse, que la grâce divine descendit sur eux en abondance, et tous furent ravis en Dieu. Et pendant qu’ils étaient ainsi ravis, les yeux et les mains levés au ciel, les gens d’Assise et de Bettona, et ceux des environs, virent Sainte-Marie-des-Anges tout embrasée, ainsi que le couvent et le bois qui alors était près du couvent et il leur sembla que c’était un grand feu qui enveloppait l’église, le couvent et le bois tout ensemble, tellement que ceux d’Assise coururent de ce côté en grande hâte pour éteindre le feu, croyant que tout brûlait. Mais, arrivés au couvent, ils trouvèrent que rien ne brûlait. Ils entrèrent, et virent saint François avec sainte Claire, et toute leur compagnie, ravis en Dieu, dans la contemplation, et assis autour de cette humble table. À cette vue, ils comprirent, sans hésiter, que c’était un feu divin et non matériel que Dieu avait fait apparaître miraculeusement, pour montrer et signifier le feu du divin amour qui embrasait les âmes de ces saints frères et de ces saintes religieuses ; et ils partirent avec une grande consolation dans le cœur et une sainte édification. Puis, après un long espace de temps, saint François, sainte Claire et leurs compagnons revenant à eux, et se sentant fortifiés de la nourriture spirituelle, ne songèrent plus guère à la nourriture corporelle.

Ainsi se termina ce repas béni, et sainte Claire revint bien accompagnée à Saint-Damien, où les sœurs la revirent avec une grande joie, parce qu’elles craignaient que saint François ne l’eût envoyée gouverner quelque autre monastère, comme il avait déjà envoyé sœur Agnès, sœur de la sainte, pour être abbesse au monastère de Monticelli à Florence. En effet, saint François avait dit quelquefois à sainte Claire « Tiens-toi prête pour le cas où j’aurais à t’envoyer en quelque couvent » et elle, comme une véritable fille de la sainte Obéissance, lui avait répondu « Mon père, je suis toujours prête à me rendre partout où vous m’enverrez. » Voilà pourquoi les sœurs se réjouirent si fort, quand elle leur fut rendue ; et, depuis lors, sainte Claire demeura très-consolée.