Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 05/7/12

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XII


Comment saint François, ayant reçu de sainte Claire et de saint frère Sylvestre l’avis de prêcher pour convertir beaucoup de monde, institua le tiers ordre, prêcha aux oiseaux, et fit tenir en paix les hirondelles.


L’humble serviteur du Christ, saint François, peu de temps après sa conversion, ayant déjà rassemblé et reçu dans l’Ordre beaucoup de compagnons, entra dans une grande préoccupation et une grande perplexité au sujet de ce qu’il devait faire, ou de s’appliquer seulement à la prière, ou de se livrer quelquefois à la prédication ; et là-dessus il désirait beaucoup savoir la volonté de Dieu. Et parce que la sainte humilité qui était en lui ne lui permettait pas de présumer de lui-même ni de ses prières, il eut la pensée d’interroger la volonté divine par les prières d’autrui. C’est pourquoi il appela frère Masséo, et lui parla ainsi : « Va trouver sœur Claire, et dis-lui de ma part qu’elle et quelques-unes de ses compagnes les plus élevées en esprit prient dévotement Dieu qu’il lui plaise de me montrer quel est le meilleur, que je m’applique à la prédication ou seulement à l’oraison. Ensuite va à frère Sylvestre, et dis lui la même chose. » C’était ce même Sylvestre qui avait vu sortir de la bouche de saint François une croix d’or, laquelle s’élevait jusqu’au ciel et s’étendait jusqu’aux extrémités du monde ; et ce frère Sylvestre était d’une telle sainteté, que s’il demandait à Dieu quelque chose, il l’obtenait, et souvent il s’entretenait avec Dieu : c’est pourquoi saint François l’avait en grande dévotion. Frère Masséo s’en alla, et, selon le commandement de saint François, porta son message premièrement à sainte Claire, ensuite à frère Sylvestre. Aussitôt que celui-ci l’eut reçu, il se jeta incontinent en oraison ; et tandis qu’il priait, il eut la réponse divine, et revenant à frère Masséo, il lui parla ainsi : « Dieu dit ceci : Que tu répondes à frère François que Dieu ne l’a pas appelé en ce monde seulement pour lui, mais encore pour qu’il fasse une grande récolte d’âmes, et que par lui beaucoup soient sauvés. » Cette réponse reçue, frère Masséo retourna vers sainte Claire pour savoir ce qu’elle avait obtenu de Dieu, et elle lui dit qu’elle et ses compagnes avaient eu de Dieu la même réponse que frère Sylvestre. Là-dessus frère Masséo revint à saint François, et saint François le reçut avec une très-grande charité, lui lava les pieds et lui apprêta le repas. Et après le manger, saint François appela frère Masséo dans le bois, et là il s’agenouilla devant lui, abaissa son capuchon, et, mettant ses bras en croix, il demanda : « Que me commande mon Seigneur Jésus-Christ ? » Frère Masséo répliqua : « Le Christ a répondu et révélé, tant à frère Sylvestre qu’à sœur Claire et à ses compagnes, que sa volonté est que tu ailles prêcher par le monde ; car il ne t’a pas élu pour toi seul, mais encore pour le salut des autres. »

Or saint François, ayant entendu cette réponse et reconnu la volonté de Jésus-Christ, se leva, et avec une très-grande ferveur il dit : « Allons au nom de Dieu. » Et il prit pour compagnons frère Masséo et frère Ange, deux hommes saints. Et se laissant aller à l’entraînement de l’esprit, sans considérer ni chemin ni sentier, ils arrivèrent à un bourg qui s’appelait Savurniano ; et saint François se mit à prêcher, et commanda premièrement aux hirondelles qui chantaient de se tenir en silence jusqu’à ce qu’il eût prêché, et les hirondelles lui obéirent. Il prêcha avec tant de ferveur, que tous les hommes et les femmes de ce bourg voulaient le suivre par dévotion et abandonner leurs demeures ; mais saint François ne le permit pas, leur disant « N’ayez pas tant de hâte, et restez je mettrai ordre à ce que vous devez faire pour le salut de vos âmes. » Et alors il eut la pensée de fonder le tiers ordre pour le salut de tous. Puis, les laissant ainsi très consolés et bien disposés à la pénitence, il partit, et arriva entre Cannaio et Bevagna. Et comme il passait outre, toujours avec la même ferveur, il leva les yeux, et vit à côté de la route quelques arbres sur lesquels étaient une multitude presque infinie d’oiseaux ; de quoi saint François s’émerveilla, et il dit à ses compagnons : « Vous m’attendrez ici sur le chemin, et j’irai prêcher aux oiseaux. » Il entra donc dans le champ, et se mit à prêcher aux oiseaux qui étaient à terre ; aussitôt ceux qui étaient sur les arbres s’en vinrent à lui, et tous ensemble restèrent tranquilles jusqu’à ce que saint François eût fini de prêcher et alors même ils ne partirent qu’après qu’il leur eut donné sa bénédiction. Et, selon ce que raconta dans la suite frère Masséo, à frère Jacques de Massa, saint François allait au milieux d’eux, les touchant avec sa robe, et aucun ne bougeait. La substance de la prédication de saint François fut celle-ci : « Mes oiseaux, vous êtes extrêmement obligés à Dieu votre Créateur et toujours et en tous lieux vous le devez louer, parce qu’il vous a donné la liberté de voler partout, et qu’il vous a encore donné un double et un triple vêtement ; ensuite, parce qu’il a réservé votre espèce dans l’arche de Noé, afin que votre race ne vînt pas à manquer. Vous lui êtes encore obligés pour l’élément de l’air qu’il vous a départi. Outre cela, vous ne semez ni ne moissonnez, et Dieu vous nourrit et vous donne les fleuves et les fontaines pour vous abreuver ; il vous donne les montagnes et les vallées pour votre refuge, et les grands arbres pour y faire vos nids. Et parce que vous ne savez ni filer ni coudre, Dieu prend soin de vous vêtir, vous et vos petits en sorte que votre Créateur vous aime beaucoup, puisqu’il vous accorde tant de bienfaits. Gardez-vous donc du péché d’ingratitude, et toujours étudiez-vous à louer Dieu. » Saint François leur ayant dit ces paroles, les oiseaux, tous tant qu’ils étaient, commencèrent à ouvrir le bec et les ailes, tendant le cou, et inclinant la tête jusqu’à terre ; et par leurs mouvements et par leurs chants ils montraient que le saint leur causait un très-grand plaisir. Et saint François se réjouissait avec eux ; il était charmé et s’émerveillait beaucoup d’une telle multitude d’oiseaux, de leur admirable variété, et aussi de leur attention et de leur familiarité ; et pour cette raison il trouvait sujet en eux de louer dévotement le Créateur. Finalement, la prédication terminée, saint François leur fit le signe de la croix, et leur donna licence de partir. Alors tous ces oiseaux s’élevèrent dans l’air avec des chants merveilleux ; puis, suivant la croix que saint François avait faite, ils se divisèrent en quatre parties l’une vola vers l’Orient, l’autre vers l’Occident, l’autre vers le Midi, et la quatrième vers l’Aquilon ; et chaque bande s’envolait, répétant des chants merveilleux. Ils montraient ainsi que comme saint François, gonfalonier de la croix du Christ, leur avait prêché et avait fait sur eux le signe de la croix, suivant lequel ils s’étaient divisés entre les quatre parties du monde, ainsi la prédication de la croix du Christ, renouvelée par saint François, devait être portée sur tous les points du monde par lui et par les frères. Et en effet les frères, de même que les oiseaux, ne possédant ici-bas rien en propre, remettent à la seule providence de Dieu tout le soin de leur vie.