Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 05/7/05

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V


Comment saint François fit le carême dans une île du lac de Pérouse, où il jeûna quarante jours et quarante nuits, et ne mangea que la moitié d’un pain.


Le véritable serviteur du Christ, saint François, fut en certaines choses comme un autre Christ donné au monde, pour le salut des hommes. Et c’est pourquoi Dieu le Père voulut qu’il fût, en beaucoup de points, conforme et semblable à son fils Jésus-Christ, ainsi qu’on l’a vu par le vénérable collège des douze compagnons de saint François, par l’admirable mystère de ses sacrés stigmates, et par le jeûne continuel du saint carême qu’il fit de la manière qu’on va dire.

Saint François se trouvant, le jour du carnaval, auprès du lac de Pérouse, dans la maison d’un de ses dévots, avec lequel il avait passé la nuit, fut inspiré de Dieu d’aller pour ce carême dans une île du lac. Saint François pria donc son ami de vouloir bien, pour l’amour du Christ, le porter sur sa nacelle dans une île qui ne fût habitée de personne, et de le faire la nuit du jour des Cendres, afin que nul ne s’en aperçût. Celui-ci, par la grande dévotion qu’il avait pour saint François, serendit avec empressement à sa prière, et le conduisit dans cette île et saint François n’emporta rien avec lui, sinon deux petits pains.

Étant arrivé dans l’île, et son ami le quittant pour retourner chez lui, saint François le pria avec tendresse de ne révéler à personne qu’il fût la, et de ne revenir vers lui que le jeudi saint ; et là-dessus l’autre se retira. Saint François, resté seul, et n’ayant aucune habitation qui pût l’abriter, entra dans un buisson très-épais, où les ronces et les petits arbres entrelacés avaient formé comme un gîte pour les bêtes sauvages ou comme une petite butte et dans ce lieu il se mit en oraison, et à contempler les choses célestes. Il resta ainsi tout le carême, sans boire ni manger autre chose que la moitié d’un des petits pains, ainsi que s’en assura son ami, quand il le revint chercher le jeudi saint ; car des deux pains il trouva l’un entier, et la moitié de l’autre. On croit que saint François en mangea la moitié par respect pour le jeûne du Christ béni, lequel jeûna quarante jours et quarante nuits sans prendre aucune nourriture matérielle et ainsi avec cette moitié de pain il rejeta loin de lui le venin de la vaine gloire, en même temps qu’à l’exemple du Christ il jeûnait quarante jours et quarante nuits.

Par la suite, dans ce lieu où saint François avait fait une si merveilleuse abstinence, Dieu opéra beaucoup de miracles par ses mérites ; et à cause de ces miracles, les hommes commencèrent à y bâtir des maisons qu’ils habitèrent en peu. de temps il s’y forma un bon et grand village ; il y a un couvent de frères, qu’on appelle le monastère de l’île. Et encore maintenant les hommes et les femmes du village ont un grand respect et une grande dévotion pour ce lieu où saint François fit le carême qu’on a dit.