Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Introduction à l’histoire des minéraux/Partie expérimentale/Troisième mémoire



TROISIÈME MÉMOIRE

OBSERVATIONS SUR LA NATURE DU PLATINE[NdÉ 1].

On vient de voir que de toutes les substances minérales que j’ai mises à l’épreuve, ce ne sont pas les plus denses, mais les moins fusibles auxquelles il faut le plus de temps pour recevoir et perdre la chaleur ; le fer et l’émeril, qui sont les matières métalliques les plus difficiles à fondre, sont en même temps celles qui s’échauffent et se refroidissent le plus lentement. Il n’y a dans la nature que le platine qui pourrait être encore moins accessible à la chaleur, et qui la conserverait plus longtemps que le fer. Ce minéral, dont on ne parle que depuis peu, paraît être encore plus difficile à fondre ; le feu des meilleurs fourneaux n’est pas assez violent pour produire cet effet, ni même pour en agglutiner les petits grains qui sont tous anguleux, émoussés, durs, et assez semblables pour la forme à de la grosse limaille de fer, mais d’une couleur un peu jaunâtre ; et quoiqu’on puisse les faire couler sans addition de fondants, et les réduire en masse au foyer d’un bon miroir brûlant, le platine semble exiger plus de chaleur que la mine et la limaille de fer, que nous faisons aisément fondre à nos fourneaux de forge. D’ailleurs la densité du platine étant beaucoup plus grande que celle du fer, les deux qualités de densité et de non-fusibilité se réunissent ici pour rendre cette matière la moins accessible de toutes au progrès de la chaleur. Je présume donc que le platine serait à la tête de ma table et avant le fer, si je l’avais mis en expérience ; mais il ne m’a pas été possible de m’en procurer un globe d’un pouce de diamètre : on ne le trouve qu’en grains[1], et celui qui est en masse n’est pas pur, parce qu’on y a mêlé, pour la fondre, d’autres matières qui en ont altéré la nature. Un de mes amis[2], homme de beaucoup d’esprit, qui a la bonté de partager souvent mes vues, m’a mis à portée d’examiner cette substance métallique encore rare, et qu’on ne connaît pas assez. Les chimistes qui ont travaillé sur le platine l’ont regardé comme un métal nouveau, parfait, propre, particulier et différent de tous les autres métaux ; ils ont assuré que sa pesanteur spécifique était à très peu près égale à celle de l’or, que néanmoins ce huitième métal différait d’ailleurs essentiellement de l’or, n’en ayant ni la ductilité ni la fusibilité. J’avoue que je suis dans une opinion différente et même tout opposée. Une matière qui n’a ni ductilité ni fusibilité ne doit pas être mise au nombre des métaux, dont les propriétés essentielles et communes sont d’être fusibles et ductiles. Et le platine, d’après l’examen que j’en ai pu faire, ne me paraît pas être un nouveau métal différent de tous les autres, mais un mélange, un alliage de fer et d’or formé par la nature, dans lequel la quantité d’or semble dominer sur la quantité de fer ; et voici les faits sur lesquels je crois pouvoir fonder cette opinion[NdÉ 2].

De huit onces trente-cinq grains de platine que m’a fournis M. d’Angivillers, et que j’ai présentés à une forte pierre d’aimant, il ne m’en est resté qu’une once un gros vingt-neuf grains ; tout le reste a été enlevé par l’aimant à deux gros près, qui ont été réduits en poudre qui s’est attachée aux feuilles de papier, et qui les a profondément noircies, comme je le dirai tout à l’heure ; cela fait donc à très peu près six septièmes du total qui ont été attirés par l’aimant, ce qui est une quantité si considérable, relativement au tout, qu’il est impossible de se refuser à croire que le fer ne soit contenu dans la substance intime du platine, et qu’il n’y soit même en assez grande quantité. Il y a plus : c’est que si je ne m’étais pas lassé de ces expériences, qui ont duré plusieurs jours, j’aurais encore tiré par l’aimant une grande partie du restant de mes huit onces de platine, car l’aimant en attirait encore quelques grains un à un, et quelquefois deux quand on a cessé de le présenter. Il y a donc beaucoup de fer dans le platine ; et il n’y est pas simplement mêlé comme matière étrangère, mais intimement uni, et faisant partie de sa substance, ou, si l’on veut le nier, il faudra supposer qu’il existe dans la nature une seconde matière qui, comme le fer, est attirable par l’aimant ; mais cette supposition gratuite tombera par les autres faits que je vais rapporter.

Tout le platine que j’ai eu occasion d’examiner m’a paru mélangé de deux matières différentes, l’une noire et très attirable par l’aimant, l’autre en plus gros grains d’un blanc livide un peu jaunâtre et beaucoup moins magnétique que la première ; entre ces deux matières, qui sont les deux extrêmes de cet espèce de mélange, se trouvent toutes les nuances intermédiaires, soit pour le magnétisme, soit pour la couleur et la grosseur des grains. Les plus magnétiques, qui sont en même temps les plus noirs et les plus petits, se réduisent aisément en poudre par un frottement assez léger, et laissent sur le papier blanc la même couleur que le plomb frotté. Sept feuilles de papier dont on s’est servi successivement pour exposer le platine à l’action de l’aimant ont été noircies sur toute l’étendue qu’occupait le platine, les dernières feuilles moins que les premières à mesure qu’il se triait, et que les grains qui restaient étaient moins noirs et moins magnétiques. Les plus gros grains, qui sont les plus colorés et les moins magnétiques, au lieu de se réduire en poussière comme les petits grains noirs, sont au contraire très durs et résistent à toute trituration ; néanmoins ils sont susceptibles d’extension dans un mortier d’agate[3], sous les coups réitérés d’un pilon de même matière, et j’en ai aplati et étendu plusieurs grains certain au double et au triple de l’étendue de leur surface ; cette partie du platine a donc un degré de malléabilité et de ductilité, tandis que la partie noire ne paraît être ni malléable ni ductile. Les grains intermédiaires participent des qualités des deux extrêmes ; ils sont aigres et durs, ils se cassent ou s’étendent plus difficilement sous les coups du pilon, et donnent un peu de poudre noire, mais moins noire que la première.

Ayant recueilli cette poudre noire et les grains les plus magnétiques que l’aimant avait attirés les premiers, j’ai reconnu que le tout était du vrai fer, mais dans un état différent du fer ordinaire. Celui-ci, réduit en poudre et en limaille, se charge de l’humidité et se rouille aisément ; à mesure que la rouille le gagne, il devient moins magnétique et finit absolument par perdre cette qualité magnétique lorsqu’il est entièrement et intimement rouillé : au lieu que cette poudre de fer, ou, si l’on veut, ce sablon ferrugineux qui trouve dans le platine, est au contraire inaccessible à la rouille, quelque longtemps qu’il soit exposé à l’humidité ; il est aussi plus infusible et beaucoup moins dissoluble que le fer ordinaire, mais ce n’en est pas moins du fer, qui ne m’a paru différer du fer connu de que par une plus grande pureté. Ce sablon est en effet du fer absolument dépouillé de toutes les parties combustibles, salines et terreuses qui se trouvent dans le fer ordinaire et même dans l’acier ; il paraît enduit et recouvert d’un vernis vitreux qui le défend de toute altération. Et ce qu’il y a de très remarquable, c’est que ce sablon de fer pur n’appartient pas exclusivement à beaucoup près à la mine de platine ; j’en ai trouvé, quoique toujours en petite quantité, dans plusieurs endroits où l’on a fouillé les mines de fer qui se consomment à mes forges. Comme je suis dans l’usage de soumettre à plusieurs épreuves toutes les mines que je fais exploiter avant de me déterminer à les faire travailler en grand pour l’usage de mes fourneaux, je fus assez surpris de voir que dans quelques-unes de ces mines, qui toutes sont en grains, et dont aucune n’est attirable par l’aimant, il se trouvait néanmoins des particules de fer un peu arrondies et luisantes comme de la limaille de fer, et tout à fait semblables au sablon ferrugineux du platine ; elles sont tout aussi magnétiques, tout aussi peu fusibles, tout aussi difficilement dissolubles. Tel fut le résultat de la comparaison que je fis du sablon du platine et de ce sablon trouvé dans deux de mes mines de fer à trois pieds de profondeur, dans des terrains où l’eau pénètre assez facilement : j’avais peine à concevoir d’où pouvaient provenir ces particules de fer, comment elles avaient pu se défendre de la rouille, depuis des siècles qu’elles sont exposées à l’humidité de la terre, enfin comment ce fer très magnétique pouvait avoir été produit dans des veines de mines qui ne le sont point du tout. J’ai appelé l’expérience à mon secours, et je me suis assez éclairé sur tous ces points pour être satisfait. Je savais, par un grand nombre d’observations, qu’aucune de nos mines de fer en grains n’est attirable par l’aimant ; j’étais bien persuadé, comme je le suis encore, que toutes les mines de fer qui sont magnétiques n’ont acquis cette propriété que par l’action du feu ; que les mines du Nord, qui sont assez magnétiques pour qu’on les cherche avec la boussole, doivent leur origine à l’élément du feu, tandis que toutes nos mines en grains, qui ne sont point du tout magnétiques, n’ont jamais subi l’action du feu, et n’ont été formées que par le moyen ou l’intermède de l’eau. Je pensai donc que ce sablon ferrugineux et magnétique que je trouvais en petite quantité dans mes mines de fer devait son origine au feu, et ayant examiné le local, je me confirmai dans cette idée. Le terrain où se trouve ce sablon magnétique est en bois ; de temps immémorial, on y a fait très anciennement et on y fait tous les jours des fourneaux de charbon ; il est aussi plus que probable qu’il y a eu dans ces bois des incendies considérables. Le charbon et le bois brûlé, surtout en grande quantité, produisent du mâchefer, et ce mâchefer renferme la partie la plus fixe du fer que contiennent les végétaux ; c’est ce fer fixe qui forme le sablon dont il est question lorsque le mâchefer se décompose par l’action de l’air, du soleil et des pluies, car alors ces particules de fer pur, qui ne sont point sujettes à la rouille ni à aucune autre espèce d’altération, se laissent entraîner par l’eau et pénètrent dans la terre avec elle à quelques pieds de profondeur. On pourra vérifier ce que j’avance ici en faisant broyer du mâchefer bien brûlé ; on y trouvera toujours une petite quantité de ce fer pur, qui, ayant résisté à l’action du feu, résiste également à celle des dissolvants, et ne donne point de prise à la rouille[4].

M’étant satisfait sur ce point, et après avoir comparé le sablon tiré de mes mines de fer et du mâchefer avec celui du platine assez pour ne pouvoir douter de leur identité, je ne fus pas longtemps à penser, vu la pesanteur spécifique du platine, que si ce sablon de fer pur, provenant de la décomposition du mâchefer, au lieu d’être dans une mine de fer, se trouvait dans le voisinage d’une mine d’or, il aurait, en s’unissant à ce dernier métal, formé un alliage qui serait absolument de la même nature que le platine. On sait que l’or et le fer ont un grand degré d’affinité ; on sait que la plupart des mines de fer contiennent une petite quantité d’or ; on sait donner à l’or la teinture, la couleur et même l’aigre du fer en les faisant fondre ensemble ; on emploie cet or couleur de fer sur différents bijoux d’or, pour en varier les couleurs ; et cet or mêlé de fer est plus ou moins gris et plus ou moins aigre, suivant la quantité de fer qui entre dans le mélange. J’en ai vu d’une teinte absolument semblable à la couleur du platine. Ayant demandé à un orfèvre quelle était la proportion de l’or et du fer dans ce mélange qui était de la couleur du platine, il me dit que l’or de 24 karats n’était plus qu’à 18 karats, et qu’il y entrait un quart de fer. On verra que c’est à peu près la proportion qui se trouve dans le platine naturel, si l’on en juge par la pesanteur spécifique. Cet or mêlé de fer est plus dur, plus aigre et spécifiquement moins pesant que l’or pur ; toutes ces convenances, toutes ces qualités communes avec le platine m’ont persuadé que ce prétendu métal n’est dans le vrai qu’un alliage d’or et de fer, et non pas une substance particulière, un métal nouveau, parfait et différent de tous les autres métaux, comme les chimistes l’ont avancé.

On peut d’ailleurs se rappeler que l’alliage aigrit tous les métaux, et que quand il y a pénétration, c’est-à-dire augmentation dans la pesanteur spécifique, l’alliage en est d’autant plus aigre que la pénétration est plus grande, et le mélange devenu plus intime, comme on le reconnaît dans l’alliage appelé métal des cloches, quoiqu’il soit composé de deux métaux très ductiles. Or, rien n’est plus aigre ni plus pesant que le platine ; cela seul aurait dû faire soupçonner que ce n’est qu’un alliage fait par la nature, un mélange de fer et d’or, qui doit sa pesanteur spécifique en partie à ce dernier métal, et peut-être aussi en grande partie à la pénétration des deux matières dont il est composé.

Néanmoins cette pesanteur spécifique du platine n’est pas aussi grande que nos chimistes l’ont publié. Comme cette matière traitée seule et sans addition de fondants est très difficile à réduire en masse, qu’on n’en peut obtenir au feu du miroir brûlant que de très petites masses et que les expériences hydrostatiques faites sur des petits volumes sont si défectueuses qu’on n’en peut rien conclure, il me paraît qu’on s’est trompé sur l’estimation de la pesanteur spécifique de ce minéral. J’ai mis de la poudre d’or dans un petit tuyau de plume que j’ai pesé très exactement, j’ai mis dans le même tuyau un égal volume de platine, il pesait près d’un dixième de moins, mais cette poudre d’or était beaucoup trop fine en comparaison du platine. M. Tillet, qui joint à une connaissance approfondie des métaux, le talent rare de faire des expériences avec la plus grande précision, a bien voulu répéter, à ma prière, celle de la pesanteur spécifique du platine comparé à l’or pur. Pour cela, il s’est servi comme moi d’un tuyau de plume, et il a fait couper à la cisaille de l’or à 24 karats, réduit autant qu’il était possible à la grosseur des grains du platine, et il a trouvé par huit expériences, que la pesanteur du platine différait de celle de l’or pur d’un quinzième à très peu près ; mais nous avons observé tous deux que les grains d’or coupés à la cisaille avaient les angles beaucoup plus vifs que le platine ; celui-ci, vu à la loupe, est à peu près de la forme des galets roulés par l’eau, tous les angles sont émoussés, il est même doux au toucher, au lieu que les grains de cet or coupés à la cisaille avaient des angles vifs et des pointes tranchantes, en sorte qu’ils ne pouvaient pas s’ajuster ni s’entasser les uns sur les autres aussi aisément que ceux du platine ; tandis qu’au contraire la poudre d’or dont je me suis servi était de l’or en paillettes, telles que les orpailleurs les trouvent dans le sable des rivières. Ces paillettes s’ajustent beaucoup mieux les unes contre les autres ; j’ai trouvé environ un dixième de différence entre le poids spécifique de ces paillettes et celui du platine ; néanmoins ces paillettes ne sont pas ordinairement d’or pur, il s’en faut souvent plus de deux ou trois karats, ce qui en doit diminuer en même rapport la pesanteur spécifique ; ainsi tout bien considéré et comparé, nous avons cru qu’on pouvait maintenir le résultat de mes expériences, et assurer que le platine en grains et tel que la nature le produit, est au moins d’un onzième ou d’un douzième moins pesant que l’or. Il y a toute apparence que cette erreur de fait sur la densité du platine, vient de ce qu’on ne l’aura pas pesé dans son état de nature, mais seulement après l’avoir réduit en masse : et comme cette fusion ne peut se faire que par l’addition d’autres matières et à un feu très violent, ce n’est plus du platine pur, mais un composé dans lequel sont entrées des matières fondantes, et duquel le feu enlevé toutes les parties les plus légères.

Ainsi le platine, au lieu d’être d’une densité égale ou presque égale à celle de l’or, comme l’ont avancé les auteurs qui en ont écrit, n’est que d’une densité moyenne entre celle de l’or et celle du fer, et seulement plus voisine de celle de ce premier métal que de celle du dernier. Supposons donc que le pied cube d’or pèse treize cent vingt-six livres, et celui du fer pur cinq cent quatre-vingts livres, celui du platine en grains se trouvera peser environ onze cent quatre-vingt-quatorze livres, ce qui supposerait plus des trois quarts d’or sur un quart de fer dans cet alliage, s’il n’y a pas de pénétration ; mais comme on en tire six septièmes à l’aimant, on pourrait croire que le fer y est en quantité de plus d’un quart, d’autant plus qu’en s’obstinant à cette expérience, je suis persuadé qu’on viendrait à bout d’enlever avec un fort aimant tout le platine jusqu’au dernier grain. Néanmoins, on ne doit pas conclure que le fer y soit contenu en si grande quantité : car, lorsqu’on le mêle par la fonte avec l’or, la masse qui résulte de cet alliage est attirable par l’aimant, quoique le fer n’y soit qu’en petite quantité ; j’ai vu, entre les mains de M. Baumé, un bouton de cet alliage, pesant soixante-six grains, dans lequel il n’était entré que six grains, c’est-à-dire un onzième de fer, et ce bouton se laissait enlever aisément par un bon aimant. Dès lors, le platine pourrait bien ne contenir qu’un onzième de fer sur dix onzièmes d’or, et donner néanmoins tous les mêmes phénomènes, c’est-à-dire être attiré en entier par l’aimant ; et cela s’accorderait parfaitement avec la pesanteur spécifique, qui est d’un dixième ou d’un douzième moindre que celle de l’or.

Mais ce qui me fait présumer que le platine contient plus d’un onzième de fer sur dix onzièmes d’or, c’est que l’alliage qui résulte de cette proportion est encore couleur d’or et beaucoup plus jaune que ne l’est le platine le plus coloré, et qu’il faut un quart de fer sur trois quarts d’or pour que l’alliage ait précisément la couleur naturelle du platine. Je suis donc très porté à croire qu’il pourrait bien y avoir cette quantité d’un quart de fer dans le platine. Nous nous sommes assurés, M. Tillet et moi, par plusieurs expériences, que le sablon de ce fer pur, que contient le platine, est plus pesant que la limaille de fer ordinaire ; ainsi, cette cause ajoutée à l’effet de la pénétration suffit pour rendre raison de cette grande quantité de fer contenue sous le petit volume indiqué par la pesanteur spécifique du platine.

Au reste, il est très possible que je me trompe dans quelques-unes des conséquences que j’ai cru devoir tirer de mes observations sur cette substance métallique ; je n’ai pas été à portée d’en faire un examen aussi approfondi que j’aurais voulu ; ce que j’en dis n’est que ce que j’ai vu, et pourra peut-être servir à faire voir mieux.



PREMIÈRE ADDITION

Comme j’étais sur le point de livrer ces feuilles à l’impression, le hasard fit que je parlai de mes idées sur le platine à M. le comte de Milly, qui a beaucoup de connaissances en physique et en chimie ; il me répondit qu’il pensait à peu près comme moi sur la nature de ce minéral ; je lui donnai le Mémoire ci-dessus pour l’examiner, et deux jours après il eut la bonté de m’envoyer les observations suivantes, que je crois aussi bonnes que les miennes, et qu’il m’a permis de publier ensemble.

« J’ai pesé exactement trente-six grains de platine ; je l’ai étendu sur une feuille de papier blanc pour pouvoir mieux l’observer avec une bonne loupe, j’y ai aperçu ou j’ai cru y apercevoir très distinctement trois substances différentes : la première avait le brillant métallique, elle était la plus abondante ; la seconde vitriforme, tirant sur le noir, ressemble assez à une matière métallique ferrugineuse qui aurait subi un degré de feu considérable, telles que les scories de fer, appelées vulgairement mâchefer ; la troisième, moins abondante que les deux premières, est du sable de toutes couleurs où cependant le jaune, couleur de topaze, domine ; chaque grain de sable, considéré à part, offre à la vue des cristaux réguliers de différentes couleurs ; j’en ai remarqué de cristallisé en aiguilles hexagones, se terminant en pyramide comme le cristal de roche, et il m’a semblé que ce sable n’était qu’un détritus de cristaux de roche ou de quartz de différentes couleurs.

» Je formai le projet de séparer, le plus exactement possible, ces différentes substances par le moyen de l’aimant, et de mettre à part la partie la plus attirable à l’aimant d’avec celle qui l’était moins, et enfin de celle qui ne l’était pas du tout ; ensuite d’examiner chaque substance en particulier et de les soumettre à différentes épreuves chimiques et mécaniques.

» Je mis à part les parties du platine qui furent attirées avec vivacité à la distance de deux ou trois lignes, c’est-à-dire sans le contact de l’aimant, et je me servis, pour cette expérience, d’un bon aimant factice de M. l’abbé … ; ensuite, je touchai avec ce même aimant le métal, et j’en enlevai tout ce qui voulut céder à l’effort magnétique, que je mis à part ; je pesai ce qui était resté et qui n’était presque plus attirable ; cette matière non attirable, et que je nommerai no 4, pesait vingt-trois grains ; no 1er , qui était le plus sensible à l’aimant, pesait quatre grains ; no 2 pesait de même quatre grains ; et no 3 cinq grains.

» No 1er , examiné à la loupe, n’offrait à la vue qu’un mélange de parties métalliques d’un blanc sale tirant sur le gris, aplaties et arrondies en forme de galets et de sable noir vitriforme, ressemblant à du mâchefer pilé, dans lequel on aperçoit des parties très rouillées, enfin telles que les scories de fer en présentent lorsqu’elles ont été exposées à l’humidité.

» No 2 présentait à peu près la même chose, à l’exception que les parties métalliques dominaient, et qu’il n’y en avait que très peu de rouillées.

» No 3 était la même chose, mais les parties métalliques étaient plus volumineuses : elles ressemblaient à du métal fondu, et qui a été jeté dans l’eau pour le diviser en grenailles ; elles sont aplaties, elles affectent toutes sortes de figures, mais arrondies sur les bords, à la manière des galets qui ont été roulés et polis par les eaux.

» No 4, qui n’avait point été enlevé par l’aimant, mais dont quelques parties donnaient encore des marques de sensibilité au magnétisme, lorsqu’on passait l’aimant sous le papier où elles étaient étendues, était un mélange de sable, de parties métalliques et de vrai mâchefer friable sous les doigts, qui noircissait à la manière du mâchefer ordinaire. Le sable semblait être composé de petits cristaux de topaze, de cornaline et de cristal de roche ; j’en écrasai quelques cristaux sur un tas d’acier, et la poudre qui en résulta était comme du vernis réduit en poudre ; je fis la même chose au mâchefer, il s’écrasa avec la plus grande facilité, et il m’offrit une poudre noire ferrugineuse qui noircissait le papier comme le mâchefer ordinaire.

» Les parties métalliques de ce dernier (no 4) me parurent plus ductiles sous le marteau que celles du no 1er , ce qui me fit croire qu’elles contenaient moins de fer que les premières ; d’où il s’ensuit que le platine pourrait fort bien n’être qu’un mélange de fer et d’or fait par la nature, ou peut-être de la main des hommes, comme je le dirai par la suite.

» Je tâcherai d’examiner, par tous les moyens qui me seront possibles, la nature du platine, si je peux en avoir à ma disposition en suffisante quantité ; en attendant, voici les expériences que j’ai faites.

» Pour m’assurer de la présence du fer dans le platine par des moyens chimiques, je pris les deux extrêmes, c’est-à-dire no 1er , qui était très attirable à l’aimant, et no 4, ne l’était pas ; je les arrosai avec de l’esprit de nitre un peu fumant, j’observai avec la loupe ce qui en résulterait, mais je n’y aperçus aucun mouvement d’effervescence ; j’y ajoutai de l’eau distillée, et il ne se fit encore aucun mouvement, mais les parties métalliques se décapèrent, et elles prirent un brillant nouveau semblable à celui de l’argent ; j’ai laissé ce mélange tranquille pendant cinq ou six minutes, et ayant encore ajouté de l’eau, j’y laissai tomber quelques gouttes de la liqueur alcaline saturée de la matière colorante du bleu de Prusse, et sur-le-champ le no 1er  me donna un très beau bleu de Prusse.

» Le no 4 ayant été traité de même, et quoiqu’il se fût refusé à l’action de l’aimant et à celle de l’esprit de nitre, me donna, de même que le no 1er , du très beau bleu de Prusse.

» Il y a deux choses fort singulières à remarquer dans ces expérience : 1o  il passe pour constant, parmi les chimistes qui ont traité le platine, que l’eau forte ou l’esprit de nitre n’a aucune action sur lui ; cependant, comme on vient de le voir, il s’en dissout assez, quoique sans effervescence, pour donner du bleu de Prusse lorsqu’on y ajoute de la liqueur alcaline phlogistiquée et saturée de la matière colorante, qui, comme on sait, précipite le fer en bleu de Prusse

» 2o  Le platine, qui n’est pas sensible à l’aimant, n’en contient pas moins du fer, puisque l’esprit de nitre en dissout assez, sans occasionner d’effervescence, pour former du bleu de Prusse.

» D’où il s’ensuit que cette substance que les chimistes modernes, peut-être trop avides du merveilleux et de vouloir donner du nouveau, regardent comme un huitième métal, pourrait bien n’être, comme je l’ai dit, qu’un mélange d’or et de fer.

» Il reste sans doute bien des expériences à faire pour pouvoir déterminer comment ce mélange a pu avoir lieu ; si c’est l’ouvrage de la nature et comment ; ou si c’est le produit de quelque volcan, ou simplement le produit des travaux que les Espagnols ont fait dans le nouveau monde pour retirer l’or du Pérou ; je ferai mention par la suite de mes conjectures là-dessus.

» Si l’on frotte du platine naturel sur un linge blanc, il le noircit comme pourrait le faire le mâchefer ordinaire, ce qui m’a fait soupçonner que ce sont les parties de fer réduit en mâchefer qui se trouve dans le platine qui donnent cette couleur, et qui ne sont dans cet état que pour avoir éprouvé l’action d’un feu violent. D’ailleurs, ayant examiné une seconde fois le platine avec ma loupe, j’y aperçus différents globules de mercure coulant, ce qui me fit imaginer que le platine pourrait bien être un produit de la main des hommes, et voici comment :

» Le platine, à ce qu’on m’a dit, se tire des mines les plus anciennes du Pérou, que les Espagnols ont exploitées après la conquête du nouveau monde : dans ces temps reculés on ne connaissait guère que deux manières d’extraire l’or des sables qui le contenaient : 1o  par l’amalgame du mercure ; 2o  par le départ à sec : on triturait le sable aurifère avec du mercure, et lorsqu’on jugeait qu’il s’était chargé de la plus grande partie de l’or, on rejetait le sable, qu’on nommait crasse, comme inutile et de nulle valeur.

» Le départ à sec se faisait avec aussi peu d’intelligence : pour y vaquer, on commençait par minéraliser les métaux aurifères par le moyen du soufre qui n’a point d’action sur l’or, dont la pesanteur spécifique est plus grande que celle des autres métaux ; mais pour faciliter sa précipitation on ajoute du fer en limaille qui s’empare du soufre surabondant, méthode qu’on suit encore aujourd’hui[5]. La force du feu vitrifie une partie du fer ; l’autre se combine avec une petite portion d’or et même d’argent qui le mêle avec les scories, d’où on ne peut le retirer que par plusieurs fontes, et sans être bien instruit des intermèdes convenables que les docimasistes emploient. La chimie, qui s’est perfectionnée de nos jours, donne à la vérité les moyens de retirer cet or et cet argent en plus grande partie ; mais dans le temps où les Espagnols exploitaient les mines du Pérou, ils ignoraient sans doute l’art de traiter les mines avec le plus grand profit ; et d’ailleurs ils avaient de si grandes richesses à leur disposition qu’ils négligeaient vraisemblablement les moyens qui leur auraient coûté de la peine, des soins et du temps ; ainsi il y a apparence qu’ils se contentaient d’une première et jetaient les scories comme inutiles, ainsi que le sable qui avait passé par le mercure, peut-être même ne faisaient-ils qu’un tas de ces deux mélanges qu’ils regardaient comme de nulle valeur.

» Ces scories contenaient encore de l’or, beaucoup de fer sous différents états, et cela en des proportions différentes qui nous sont inconnues, mais qui sont telles qu’elles peuvent avoir donné l’existence au platine. Les globules de mercure que j’ai observés, et les paillettes d’or que j’ai vues distinctement, à l’aide d’une bonne loup, dans le platine que j’ai eu entre les mains, m’ont fait naître les idées que je viens d’écrire sur l’origine de ce métal ; mais je ne les donne que comme conjectures hasardées ; il faudrait, pour en acquérir quelque certitude, savoir au juste où sont situées les mines du platine ; si elles ont été exploitées anciennement, si on le tire d’un terrain neuf ou si ce ne sont que des décombres, à quelle profondeur on le trouve, et enfin si la main des hommes y est exprimée ou non. Tout cela pourrait aider à vérifier ou détruire les conjectures que j’ai avancées[6]. »

REMARQUES.

Ces observations de M. le comte de Milly confirment les miennes dans presque tous les points. La nature est une, et se présente toujours la même à ceux qui la savent observer : ainsi l’on ne doit pas être surpris que sans aucune communication M. de Milly ait vu les mêmes choses que moi, et qu’il en ait tiré la même conséquence : que le platine n’est point un nouveau métal, différent de tous les autres métaux, mais un mélange de fer et d’or. Pour concilier encore de plus près ses observations avec les miennes et pour éclaircir en même temps les doutes qui restent en grand nombre sur l’origine et sur la formation du platine, j’ai cru devoir ajouter les remarques suivantes.

1o  M. le comte de Milly distingue dans le platine trois espèces de matières, deux métalliques et la troisième non métallique, de substances et de forme quartzeuse ou cristalline ; il a observé comme moi que des deux matières métalliques, l’une est très attirable par l’aimant, et que l’autre est très peu ou point du tout. J’ai fait mention de ces deux matières comme lui, mais je n’ai pas parlé de la troisième qui n’est pas métallique, parce qu’il n’y en avait point ou très peu dans le platine sur lequel j’ai fait mes observations. Il y a apparence que le platine dont s’est servi M. de Milly était moins pur que le mien que j’ai observé avec soin, et dans lequel je n’ai vu que quelques petits globules transparents comme du verre blanc fondu, qui étaient unis à des particules de platine ou de sablon ferrugineux, et qui se laissaient enlever ensemble par l’aimant. Ces globules transparents étaient en très petit nombre, et dans huit onces de platine que j’ai bien regardé et fait regarder à d’autres avec une loupe très forte, on n’a point aperçu de cristaux réguliers. Il m’a paru au contraire que toutes les particules transparentes étaient globuleuses comme du verre fondu, et toutes attachées à des parties métalliques, comme le laitier s’attache au fer lorsqu’on le fond. Néanmoins comme je ne doutais point du tout de la vérité de l’observation de M. de Milly, qui avait vu dans son platine des particules quartzeuses et cristallines de forme régulière et en grand nombre, j’ai cru ne devoir pas me borner à l’examen du seul platine dont j’ai parlé ci-devant ; j’en ai trouvé au Cabinet du Roi, que j’ai examiné avec M. Daubenton de l’Académie des Sciences, et qui nous a paru à tous deux bien moins pur que le premier, et nous y avons en effet remarqué un grand nombre de petits cristaux prismatiques et transparents, les uns couleur de rubis balais, d’autres couleur de topaze, et d’autres enfin parfaitement blancs : ainsi M. le comte de Milly ne s’était point trompé dans son observation ; mais ceci prouve seulement qu’il y a des mines de platine bien plus pures les unes que les autres, et que dans celles qui le sont le plus, il ne se trouve point de ces corps étrangers. M. Daubenton a aussi remarqué quelques grains aplatis par-dessous et renflés par-dessus, comme serait une goutte de métal fondu qui se serait refroidie sur un plan. J’ai vu très distinctement un de ces grains hémisphériques, et cela pourrait indiquer que le platine est une matière qui a été fondue par le feu ; mais il est bien singulier que dans cette matière fondue par le feu, on trouve de petits cristaux, des topazes et des rubis, et je ne sais pas si l’on ne doit pas soupçonner de la fraude de la part de ceux qui ont fourni ce platine, et qui, pour en augmenter la quantité, auront pu le mêler avec ces sables cristallins, car, je le répète, je n’ai point trouvé de ces cristaux dans plus d’une demi-livre de platine que m’a donnée M. le comte d’Angivillers.

2o  J’ai trouvé, comme M. de Milly, des paillettes d’or dans le platine ; elles sont aisées à reconnaître par leur couleur, et parce qu’elles ne sont point du tout magnétiques ; mais j’avoue que je n’ai pas aperçu les globules de mercure qu’a vus M. de Milly. Je ne veux pas pour cela nier leur existence ; seulement il me semble que les paillettes d’or se trouvant avec ces globules de mercure dans la même matière, elles seraient bientôt amalgamées, et ne conserveraient pas la couleur jaune de l’or que j’ai remarqué dans toutes les paillettes d’or que j’ai pu trouver dans une demi-livre de platine[7]. D’ailleurs les globules transparents, dont je viens de parler, ressemblent beaucoup à des globules de mercure vif et brillant, en sorte qu’au premier coup d’œil il est aisé de s’y tromper.

3o  Il y avait beaucoup moins de parties ternes et rouillées dans mon premier platine que dans celui de M. de Milly, et ce n’est pas proprement de la rouille qui couvre la surface de ces particules ferrugineuses, mais une substance noire produite par le feu, et tout à fait semblable à celle qui couvre la surface du fer brûlé ; mais mon second platine, c’est-à-dire celui que j’ai pris au Cabinet du Roi, avait encore de commun avec celui de M. le comte de Milly, d’être mélangé de quelques parties ferrugineuses, qui sous le marteau, se réduisaient en poussière jaune et avaient tous les caractères de la rouille. Ainsi ce platine du Cabinet du Roi et celui de M. de Milly se ressemblant à tous égards, il est vraisemblable qu’ils sont venus du même endroit et par la même voie ; je soupçonne même que tous deux ont été sophistiqués et mélangés de près de moitié, avec des matières étrangères cristallines et ferrugineuses rouillées, qui ne se trouvent pas dans le platine naturel.

4o  La production du bleu de Prusse par le platine me paraît prouver évidemment la présence du fer dans la partie même de ce minéral qui est la moins attirable à l’aimant, et confirmer en même temps ce que j’ai avancé du mélange intime du fer dans sa substance. Le décapement du platine par l’esprit de nitre prouve que, quoiqu’il n’y ait point d’effervescence sensible, cet acide ne laisse pas d’agir sur le platine d’une manière évidente, et que les auteurs qui ont assuré le contraire ont suivi leur routine ordinaire, qui consiste à regarder comme nulle toute action qui ne produit pas l’effervescence. Ces deux expériences de M. de Milly me paraissent très importantes ; elles seraient même décisives si elles réussissaient toujours également.

5o  Il nous manque en effet beaucoup de connaissances qui seraient nécessaires pour pouvoir prononcer affirmativement sur l’origine du platine. Nous ne savons rien de l’histoire naturelle de ce minéral, et nous ne pouvons trop exhorter ceux qui sont à portée de l’examiner sur les lieux, de nous faire part de leurs observations. En attendant, nous sommes forcés de nous borner à des conjectures, dont quelques-unes me paraissent seulement plus vraisemblables que les autres. Par exemple, je ne crois pas que le platine soit l’ouvrage des hommes : les Mexicains et les Péruviens savaient fondre et travailler l’or avant l’arrivée des Espagnols, et ils ne connaissaient pas le fer qu’il aurait néanmoins fallu employer dans le départ à sec en grande quantité. Les Espagnols eux-mêmes n’ont point établi de fourneaux à fondre les mines de fer en cette contrée, dans les premiers temps qu’ils l’ont habitée ; il y a donc toute apparence qu’ils ne se sont pas servis de limaille de fer pour le départ de l’or, du moins dans les commencements de leurs travaux, qui d’ailleurs ne remontent pas à deux siècles et demi, temps beaucoup trop court pour une production aussi abondante que celle du platine, qu’on ne laisse pas de trouver en assez grande quantité et dans plusieurs endroits.

D’ailleurs lorsqu’on mêle de l’or avec du fer en les faisant fondre ensemble, on peut toujours, par les voies chimiques, les séparer et retirer l’or en entier ; au lieu que jusqu’à présent les chimistes n’ont pu faire cette séparation dans le platine, ni déterminer la quantité d’or contenue dans ce minéral : cela semble prouver que l’or y est uni d’une manière plus intime que dans l’alliage ordinaire, et que le fer y est aussi, comme je l’ai dit, dans un état différent de celui du fer commun. Le platine ne paraît donc pas être l’ouvrage de l’homme, mais le produit de la nature, et je suis très porté à croire qu’il doit sa première origine au feu des volcans. Le fer brûlé, autant qu’il est possible, intimement uni avec l’or par la sublimation ou par la fusion, peut avoir produit ce minéral, qui, d’abord ayant été formé par l’action du feu le plus violent, aura ensuite éprouvé les impressions de l’eau et les frottements réitérés qui lui ont donné la forme qu’ils donnent à tous les autres corps, c’est-à-dire celle des galets et des angles émoussés. Mais il se pourrait aussi que l’eau seule eût produit le platine : car en supposant l’or et le fer tous deux divisés autant qu’ils peuvent l’être par la voie humide, leurs molécules, en se réunissant, auront pu former les grains qui le composent, et qui depuis les plus pesants jusqu’aux plus légers, contiennent tous de l’or et du fer. La proposition du chimiste qui offre de rendre à peu près autant d’or qu’on lui fournira de platine semblerait indiquer qu’il n’y a en effet qu’un onzième de fer sur dix onzièmes d’or dans ce minéral ou peut-être encore moins ; mais l’à peu près de ce chimiste est probablement d’un cinquième ou d’un quart, et ce serait toujours beaucoup si sa promesse pouvait se réaliser à un quart près.



SECONDE ADDITION

M’étant trouvé à Dijon, cet été 1773, l’Académie des sciences et belles-lettres de cette ville, dont j’ai l’honneur d’être membre, me parut désirer d’entendre la lecture de mes observations sur le platine ; je m’y prêtai d’autant plus volontiers, que sur une matière aussi neuve on ne peut trop s’informer ni consulter assez, et que j’avais lieu d’espérer de tirer quelques lumières d’une compagnie qui rassemble beaucoup de personnes instruites en tous genres. M. de Morveau, avocat général au parlement de Bourgogne, aussi savant physicien que grand jurisconsulte, prit la résolution de travailler sur le platine ; je lui donnai une portion de celui que j’avais attiré par l’aimant, et une autre portion de celui qui avait paru insensible au magnétisme, en le priant d’exposer ce minéral singulier au plus grand feu qu’il lui serait possible de faire, et quelque temps après il m’a remis les expériences suivantes, que j’ai trouvé bon de joindre ici avec les miennes.

EXPÉRIENCES FAITES PAR M. DE MORVEAU EN SEPTEMBRE 1773.

« M. le comte de Buffon, dans un voyage qu’il a fait à Dijon, cet été 1773, m’ayant fait remarquer, dans un demi-gros de platine que M. Baumé m’avait remis en 1768, des grains en forme de boutons, d’autres plus plats et quelques-uns noirs et écailleux, et ayant séparé avec l’aimant ceux qui étaient attirables de ceux qui ne donnaient aucun signe sensible de magnétisme, j’ai essayé de former le bleu de Prusse avec les uns et les autres. J’ai versé de l’acide nitreux fumant sur les parties non attirables qui pesaient deux grains et demi ; six heures après, j’ai étendu l’acide par de l’eau distillée, et j’y ai versé de la liqueur alcaline saturée de matière colorante : il n’y a pas eu un atome de bleu, le platine avait seulement un coup d’œil plus brillant. J’ai pareillement versé de l’acide fumant sur les 33 grains 1/2 de platine restant, dont partie était attirable ; la liqueur étendue après le même intervalle de temps, le même alcali prussien en a précipité une fécule bleue qui couvrait le fond d’un vase assez large. Le platine, après cette opération, était bien décapé comme le premier ; je l’ai lavé et séché, et j’ai vérifié qu’il n’avait perdu qu’un quart de grain ou 1/138 ; l’ayant examiné en cet état, j’y ai aperçu un grain d’un beau jaune qui s’est trouvé une paillette d’or.

» M. de Fourcy avait nouvellement publié que la dissolution d’or était aussi précipitée en bleu par l’alcali prussien, et avait consigné ce fait dans une table d’affinités ; je fus tenté de répéter cette expérience : je versai en conséquence de la liqueur alcaline phlogistiquée dans de la dissolution d’or de départ, mais la couleur de cette dissolution ne changea pas, ce qui me fait soupçonner que la dissolution d’or employée par M. de Fourcy pouvait bien n’être pas aussi pure.

» Et dans le même temps, M. le comte de Buffon m’ayant donné une assez grande quantité d’autre platine pour en faire quelques essais, j’ai entrepris de le séparer de tous les corps étrangers par une bonne fonte : voici la manière dont j’ai procédé et les résultats que j’ai eus.

PREMIÈRE EXPÉRIENCE.

» Ayant mis un gros de platine dans une petite coupelle, sous le moufle du fourneau donné par M. Macquer dans les Mémoires de l’Académie des Sciences, année 1758, j’ai soutenu le feu pendant deux heures ; le moufle s’est affaissé, les supports avaient coulé ; cependant le platine s’est trouvé seulement agglutiné, il tenait à la coupelle et y avait laissé des taches couleur de rouille ; le platine était alors terne, même un peu noir, et n’avait pris qu’un quart de grain d’augmentation de poids, quantité bien faible en comparaison de celle que d’autres chimistes ont observée ; ce qui me surprit d’autant plus, que ce gros de platine ainsi que tout celui que j’ai employé aux autres expériences avait été enlevé successivement par l’aimant, et faisait portion des six septièmes de 8 onces dont M. de Buffon a parlé dans le Mémoire ci-dessus.

DEUXIÈME EXPÉRIENCE.

» Un demi-gros du même platine, exposé au même feu dans une coupelle, s’est aussi agglutiné ; il était adhérent à la coupelle, sur laquelle il avait laissé des taches de couleur de rouille ; l’augmentation de poids s’est trouvée à peu près dans la même proportion, et la surface aussi noire.

TROISIÈME EXPÉRIENCE.

» J’ai remis ce même demi-gros dans une nouvelle coupelle, mais au lieu de moufle j’ai renversé sur le support un creuset de plomb noir de Passaw ; j’avais eu l’attention de n’employer pour support que des têts d’argile pure très réfractaire ; par ce moyen je pouvais augmenter la violence du feu et prolonger sa durée, sans craindre de voir couler les vaisseaux ni obstruer l’argile par les scories. Cet appareil ainsi placé dans le fourneau, j’y ai entretenu pendant quatre heures un feu de la dernière violence ; lorsque tout a été refroidi, j’ai trouvé le creuset bien conservé, soudé au support ; ayant brisé cette soudure vitreuse, j’ai reconnu que rien n’avait pénétré dans l’intérieur du creuset, qui paraissait seulement plus luisant qu’il n’était auparavant. La coupelle avait conservé sa forme et sa position ; elle était un peu fendillée, mais pas assez pour se laisser pénétrer ; aussi le bouton de platine n’y était-il pas adhérent. Ce bouton n’était encore qu’agglutiné, mais d’une manière bien plus serrée que la première fois : les grains étaient moins saillants, la couleur en était plus claire, le brillant plus métallique ; et ce qu’il y eut de plus remarquable, c’est qu’il s’était élancé de sa surface, pendant l’opération, et probablement dans les premiers instants du refroidissement, trois jets de verre, dont l’un plus élevé, parfaitement sphérique, était porté sur un pédicule d’une ligne de hauteur, de la même matière transparente et vitreuse ; ce pédicule avait à peine un sixième de ligne, tandis que le globule avait une ligne de diamètre, d’une couleur uniforme, avec une légère teinte de rouge qui ne dérobait rien à sa transparence ; des deux autres jets de verre, le plus petit avait un pédicule comme le plus gros, et le moyen n’avait point de pédicule, et était seulement attaché au platine par sa surface extérieure.

QUATRIÈME EXPÉRIENCE.

» J’ai essayé de coupeller le platine, et pour cela j’ai mis dans une coupelle 1 gros des mêmes grains enlevés par l’aimant, avec 2 gros de plomb. Après avoir donné un très grand feu pendant deux heures, j’ai trouvé dans la coupelle un bouton adhérent, couvert d’une croûte jaunâtre et un peu spongieuse, du poids de 2 gros 12 grains, ce qui annonçait que le platine avait retenu 1 gros 12 grains de plomb.

» J’ai remis ce bouton dans une autre coupelle au même fourneau, observant de le retourner : il n’a perdu que 12 grains dans un feu de deux heures ; sa couleur et sa forme avaient très peu changé.

» Je lui ai appliqué ensuite le vent du soufflet, après l’avoir placé dans une nouvelle coupelle couverte d’un creuset de Passaw, dans la partie inférieure d’un fourneau de fusion dont j’avais ôté la grille ; le bouton a pris alors un coup d’œil plus métallique, toujours un peu terne, et cette fois il a perdu 18 grains.

» Le même bouton ayant été remis dans le fourneau de M. Macquer, toujours placé dans une coupelle couverte d’un creuset de Passaw, je soutins le feu pendant trois heures, après lesquelles je fus obligé de l’arrêter, parce que les briques qui servaient de support avaient entièrement coulé ; le bouton était devenu de plus en plus métallique, il adhérait pourtant à la coupelle ; il avait perdu cette fois 34 grains. Je le jetai dans l’acide nitreux fumant pour essayer de le décaper ; il y eut un peu d’effervescence lorsque j’ajoutai de l’eau distillée ; le bouton y perdit effectivement 2 grains, et j’y remarquai quelques petits trous, comme ceux que laisse le départ.

» Il ne restait plus que 22 grains de plomb alliés au platine, à en juger par l’excédant de son poids ; je commençai à espérer de vitrifier cette dernière portion de plomb, et pour cela je mis ce bouton dans une coupelle neuve ; je disposai le tout comme dans la troisième expérience, je me servis du même fourneau, en observant de dégager continuellement la grille, d’entretenir au-devant, dans le courant d’air qu’il attirait, une évaporation continuelle par le moyen d’une capsule que je remplissais d’eau de temps en temps, et de laisser un moment la chape entr’ouverte lorsqu’on venait de remplir le fourneau de charbon ; ces précautions augmentèrent tellement l’activité du feu, qu’il fallait recharger de dix minutes en dix minutes ; je le soutins au même degré pendant quatre heures, et je laissai refroidir.

» Je reconnus le lendemain que le creuset de plomb noir avait résisté, que les supports n’étaient que faïencés par les cendres ; je trouvai dans la coupelle un bouton bien rassemblé, nullement adhérent, d’une couleur continue et uniforme, approchant plus de la couleur de l’étain que de tout autre métal, seulement un peu raboteux ; en un mot pesant 1 gros très juste, rien de plus, rien de moins.

» Tout annonçait donc que ce platine avait éprouvé une fusion parfaite, qu’il était parfaitement pur, car, pour supposer qu’il tenait encore du plomb, il faudrait supposer aussi que ce minéral avait justement perdu de sa propre substance autant qu’il avait retenu de matière étrangère, et une telle précision ne peut être l’effet d’un pur hasard.

» Je devais passer quelques jours avec M. le comte de Buffon, dont la société a, je puis le dire, le même charme que son style, dont la conversation est aussi pleine que ses livres ; je me fis un plaisir de lui porter les produits de ces essais, et je me remis à les examiner ultérieurement avec lui.

» 1o  Nous avons observé que le gros de platine agglutiné de la première expérience n’était pas attiré en bloc par l’aimant, que cependant le barreau magnétique avait une action marquée sur les grains que l’on en détachait.

» 2o  Le demi-gros de la troisième expérience n’étaient non seulement pas attirable en masse, mais les grains que l’on en séparait ne donnaient plus eux-mêmes aucun signe de magnétisme.

» 3o  Le bouton de la quatrième expérience était aussi absolument insensible à l’approche de l’aimant, ce dont nous nous assurâmes en mettant le bouton en équilibre dans une balance très sensible, et en lui présentant un très fort aimant jusqu’au contact, sans que son approche ait le moindrement dérangé l’équilibre.

» 4o  La pesanteur spécifique de ce bouton fut déterminée par une bonne balance hydrostatique, et, pour plus de sûreté, comparée à l’or de monnaie et au globe d’or très pur employé par M. de Buffon à ses belles expériences sur le progrès de la chaleur ; leur densité se trouva avoir les rapports suivants avec l’eau dans laquelle ils furent plongés :

» Le globe d’or 19 1/34
» L’or de monnaie 17 1/2
» Le bouton de platine 14 2/3

» 5o  Ce bouton fut porté sur un tas d’acier pour essayer sa ductilité ; il soutint fort bien quelques coups de marteau ; sa surface devint plane et même un peu polie dans les endroits frappés, mais il se fendit bientôt après, et il s’en détacha une portion, faisant à peu près le sixième de la totalité ; la fracture présenta plusieurs cavités, dont quelques-unes d’environ une ligne de diamètre avaient la blancheur et le brillant de l’argent ; on remarquait dans d’autres de petites pointes élancées, comme les cristallisations dans les géodes ; le sommet de l’une de ces pointes, vu à la loupe, était un globule absolument semblable, pour la forme, à celui de la troisième expérience et aussi de matière vitreuse transparente, autant que son extrême petitesse permettrait d’en juger. Au reste, toutes les parties du bouton étaient compactes, bien liées, et le grain plus fin, plus serré que celui du meilleur acier après la plus forte trempe, auquel il ressemblait d’ailleurs par la couleur.

» 6o Quelques portions de ce bouton, ainsi réduites en parcelles à coups de marteau sur le tas d’acier, nous leur avons présenté l’aimant, et aucune n’a été attirée ; mais les ayant encore pulvérisées dans un mortier d’agate, nous avons remarqué que le barreau magnétique en enlevait quelques-unes des plus petites toutes les fois qu’on le posait immédiatement dessus.

» Cette nouvelle apparition du magnétisme était d’autant plus surprenante, que les grains détachés de la masse agglutinée de la deuxième expérience nous avaient paru avoir perdu eux-mêmes toute sensibilité à l’approche et au contact de l’aimant ; nous reprîmes en conséquence quelques-uns de ces grains, ils furent de même réduits en poussière dans le mortier d’agate, et nous vîmes bientôt les parties les plus petites s’attacher sensiblement au barreau aimanté ; il n’est pas possible d’attribuer cet effet au poli de la surface du barreau ni à aucune autre cause étrangère au magnétisme : un morceau de fer aussi poli, appliqué de la même manière sur les parties de ce platine n’en a jamais pu enlever une seule.

» Par le récit exact de ces expériences et des observations auxquelles elles ont donné lieu, on peut juger de la difficulté de déterminer la nature du platine ; il est bien certain que celui-ci contenait quelques parties vitrifiables, et vitrifiables même sans addition à un grand feu ; il est bien sûr que tout platine contient du fer et des parties attirables ; mais si l’alcali prussien ne donnait jamais du bleu qu’avec les grains que l’aimant a enlevés, il semble qu’on en pourrait conclure que ceux qui lui résistent absolument sont du platine pur, qui n’a par lui-même aucune vertu magnétique, et que le fer n’en fait pas partie essentielle. On devait espérer qu’une fusion aussi avancée, une coupellation aussi parfaite, décideraient au moins cette question ; tout annonçait qu’en effet ces opérations l’avaient dépouillé de toute vertu magnétique en le séparant de tous corps étrangers ; mais la dernière observation prouve, d’une manière invincible, que cette propriété magnétique n’y était réellement qu’affaiblie, et peut-être masquée ou ensevelie, puisqu’elle a reparu lorsqu’on l’a broyé.

REMARQUES.

De ces expériences de M. de Morveau, et des observations que nous avons ensuite faites ensemble, il résulte :

1o  Qu’on peut espérer de fondre le platine sans addition dans nos meilleurs fourneaux, en lui appliquant le feu plusieurs fois de suite, parce que les meilleurs creusets ne pourraient résister à l’action d’un feu aussi violent, pendant tout le temps qu’exigerait l’opération complète ;

2o  Qu’en le fondant avec le plomb, et le coupellant successivement et à plusieurs reprises, on vient à bout de vitrifier tout le plomb, et que cette opération pourrait à la fin le purger d’une partie des matières étrangères qu’il contient ;

3o  Qu’en le fondant sans addition, il paraît se purger lui-même en partie des matières vitrescibles qu’il renferme, puisqu’il s’élance à sa surface de petits jets de verre qui forment des masses assez considérables, et qu’on en peut séparer aisément après le refroidissement ;

4o  Qu’en faisant l’expérience du bleu de Prusse avec les grains de platine qui paraissent les plus insensibles à l’aimant, on n’est pas toujours sûr d’obtenir de ce bleu, comme cela ne manque jamais d’arriver avec les grains qui ont plus ou moins de sensibilité au magnétisme ; mais comme M. de Morveau a fait cette expérience sur une très petite quantité de platine, il se propose de la répéter ;

5o  Il paraît que ni la fusion ni la coupellation ne peuvent détruire dans le platine tout le fer dont il est intimement pénétré ; les boutons fondus ou coupellés paraissaient à la vérité également insensibles à l’action de l’aimant, mais les ayant brisés dans un mortier d’agate et sur un tas d’acier, nous y avons retrouvé des parties magnétiques, d’autant plus abondantes que le platine était réduit en poudre plus fine : le premier bouton, dont les grains ne s’étaient qu’agglutinés, rendit, étant broyé, beaucoup plus de parties magnétiques que le second et le troisième, dont les grains avaient subi une plus forte fusion ; mais néanmoins tous deux, étant broyés, fournirent des parties magnétiques, en sorte qu’on ne peut douter qu’il n’y ait encore du fer dans le platine, après qu’il a subi les plus violents efforts du feu et l’action dévorante du plomb dans la coupelle : ceci semble achever de démontrer que ce minéral est réellement un mélange intime d’or et de fer, que jusqu’à présent l’art n’a pu séparer ;

6o Je fis encore, avec M. de Morveau, une autre observation sur ce platine fondu et ensuite broyé, c’est qu’il reprend, en se brisant, précisément la forme de galets arrondis et aplatis qu’il avait avant d’être fondu ; tous les grains de ce platine fondu et brisé sont semblables à ceux du platine naturel, tant pour la forme que pour la variété de grandeur, et ils ne paraissent en différer que parce qu’il n’y a que les plus petits qui se laissent enlever à l’aimant, et en quantité d’autant moindre que le platine a subi plus de feu. Cela paraît prouver aussi que, quoique le feu ait été assez fort, non seulement pour brûler et vitrifier, mais même pour chasser au dehors une partie du fer avec les autres matières vitrescibles qu’il contient, la fusion néanmoins n’est pas aussi complète que celle des autres métaux parfaits, puisqu’en le brisant les grains reprennent la même figure qu’ils avaient avant la fonte.


Notes de Buffon
  1. Un homme digne de foi m’a néanmoins assuré qu’on trouve quelquefois du platine en masse, et qu’il en avait vu un morceau de vingt livres pesant qui n’avait point été fondu, mais tiré de la mine même.
  2. M. le comte de la Billarderie d’Angivillers, de l’Académie des Sciences, intendant en survivance du Jardin et du Cabinet du Roi.
  3. Je n’ai pas voulu les étendre sur le tas d’acier, dans la crainte de leur communiquer plus de magnétisme qu’ils n’en ont naturellement.
  4. J’ai reconnu, dans le cabinet d’Histoire naturelle, des sablons ferrugineux de même espèce que celui de mes mines, qui m’ont été envoyés de différents endroits et qui sont également magnétiques. On en trouve à Quimper en Bretagne, en Danemark, en Sibérie, à Saint-Dominique, et les ayant tous comparés, j’ai vu que le sablon ferrugineux de Quimper était celui qui ressemblait le plus au mien, et qu’il n’en différait que par un peu plus de pesanteur spécifique. Celui de Saint-Domingue est plus léger, celui de Danemark est moins pur et plus mélangé de terre, et celui de Sibérie est en masse et en morceaux gros comme le pouce, solides, pesants, et que l’aimant soulève à peu près comme si c’était une masse de fer pur. On peut donc présumer que ces sablons magnétiques provenant du mâchefer se trouvent aussi communément que le mâchefer même, mais seulement en bien plus petite quantité. Il est rare qu’on en trouve des amas un peu considérables, et c’est par cette raison qu’ils ont échappé, pour la plupart, aux recherches des minéralogistes.
  5. Voyez les Éléments docimastiques de Cramer ; l’Art de traiter les mines, par Schulter, Schindeler, etc.
  6. M. le baron de Sickingen, ministre de l’électeur Palatin, a dit à M. de Milly avoir actuellement entre les mains deux mémoires qui lui ont été remis par M. Kellner, chimiste et métallurgiste, attaché à M. le prince de Birckenfeld, à Manheim, qui offre à la cour d’Espagne de rendre à peu près autant d’or pesant qu’on lui livrera de platine.
  7. J’ai trouvé depuis dans d’autre platine des paillettes d’or qui n’étaient pas jaunes, mais brunes et mêmes noires comme le sablon ferrugineux du platine, qui probablement leur avait donné cette couleur noirâtre.
Notes de l’éditeur
  1. Buffon met platine au féminin ; j’ai cru devoir corriger son texte et remplacer partout le féminin par le masculin qui est le genre aujourd’hui donné au platine.
  2. Le platine est un corps simple et non un alliage de fer et d’or, comme le pensait Buffon.