Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Oiseaux étrangers qui ont rapport aux serins

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome VI, Histoire naturelle des oiseauxp. 147-150).

OISEAUX ÉTRANGERS
QUI ONT RAPPORT AUX SERINS

I.Le serin de Mozambique.

Les oiseaux étrangers qu’on pourrait rapporter à l’espèce du serin sont en assez petit nombre : nous n’en connaissons que trois espèces. La première est celle qui nous a été envoyée des côtes orientales de l’Afrique sous le nom de serin de Mozambique, qui nous paraît faire la nuance entre les serins et les tarins ; nous l’avons fait représenter dans nos planches enluminées, no 364, fig. 1 et 2 ; le jaune est la couleur dominante de la partie inférieure du corps de l’oiseau, et le brun celle de la partie supérieure, excepté que le croupion et les couvertures de la queue sont jaunes ; ces couvertures, ainsi que celles des ailes et leurs pennes, sont bordées de blanc ou de blanchâtre. Le même jaune et le même brun se trouvent sur la tête, distribués par bandes alternatives ; celle qui court sur le sommet de la tête est brune, ensuite deux jaunes qui surmontent les yeux, puis deux brunes qui prennent naissance derrière les yeux, puis deux jaunes, et enfin deux brunes qui partent des coins du bec. Ce serin est un peu plus petit que celui des Canaries ; la longueur de la pointe du bec à l’extrémité de la queue (que j’appelle constamment longueur totale), est d’environ quatre pouces et demi, celle de la queue n’est que d’environ un pouce. La femelle est très peu différente du mâle, soit par la grandeur, soit par les couleurs. Cet oiseau est peut-être le même que celui de Madagascar, indiqué par Flacourt sous le nom de mangoiche, qu’il dit être une espèce de serin.

Il se pourrait que ce serin qui, par les couleurs, a beaucoup de rapport avec nos serins panachés, fût la tige primitive de cette race d’oiseaux panachés, et que l’espèce entière n’appartînt qu’à l’ancien continent et aux îles Canaries, qu’on doit regarder comme parties adjacentes à ce continent ; car celui dont parle M. Brisson sous le nom de serin de la Jamaïque[NdÉ 1] et duquel Sloane et Ray ont donné une courte description[1], me paraît un oiseau d’une espèce différente et même assez éloignée de celle de nos serins, lesquels sont tout à fait étrangers à l’Amérique. Les historiens et les voyageurs nous apprennent qu’il n’y en avait point au Pérou, que le premier serin y fut porté dans l’année 1556[2], et que la multiplication de ces oiseaux en Amérique, et notamment dans les îles Antilles, est bien postérieure à cette époque. Le P. Dutertre rapporte que M. du Parquet acheta en l’année 1657, d’un marchand qui avait abordé dans ces îles, un grand nombre de serins des Canaries auxquels il donna la liberté ; que, depuis ce temps, on les entendait ramager autour de son habitation, en sorte qu’il y a apparence Qu’ils se sont multipliés dans cette contrée[3]. Si l’on trouve de vrais serins à la Jamaïque, ils pourraient bien venir originairement de ces serins transportés et naturalisés aux Antilles dès l’année 1657. Néanmoins l’oiseau décrit par MM. Sloane, Ray et Brisson, sous le nom de serin de la Jamaïque, nous paraît être trop différent du serin des Canaries pour qu’on puisse le regarder comme provenant de ces serins transportés aux Antilles.

Tandis qu’on, finissait l’impression de cet article, il nous est arrivé plusieurs serins du cap de Bonne-Espérance, parmi lesquels j’ai cru reconnaître trois mâles, une femelle et un jeune oiseau de l’année. Ce sont tous des serins panachés, mais dont le plumage est émaillé de couleurs plus distinctes et plus vives dans les mâles que dans les femelles. Ces mâles approchent beaucoup de la femelle de notre serin vert de Provence : ils en diffèrent en ce qu’ils sont un peu plus grands, qu’ils ont le bec plus gros à proportion ; leurs ailes sont aussi mieux panachées, les pennes de la queue sont bordées d’un jaune décidé, et ils n’ont point de jaune sur le croupion.

Dans le jeune serin, les couleurs étaient encore plus faibles et moins tranchées que dans la femelle.

Mais quoi qu’il en soit de ces petites différences, il me paraît prouvé de plus en plus que les serins panachés du Cap, de Mozambique[4], de Provence, d’Italie, dérivent tous d’une souche commune, et qu’ils appartiennent à une seule et même espèce, laquelle s’est répandue et fixée dans tous les climats de l’ancien continent dont elle a pu s’accommoder, depuis la Provence et l’Italie jusqu’au cap de Bonne-Espérance et aux îles voisines ; seulement cet oiseau a pris plus de vert en Provence, plus de gris en Italie, plus de brun ou plus de panaché en Afrique, et semble présenter sur son plumage différemment varié l’influence des différents climats.

II.Le worabée.

La seconde espèce[NdÉ 2], qui nous paraît avoir plus de rapport avec les serins qu’avec aucun autre genre, est un petit oiseau d’Abyssinie dont nous avons vu la figure bien dessinée et coloriée dans les portefeuilles de M. le chevalier Bruce, sous te nom de worabée d’Abyssinie.

On retrouve, dans ce petit oiseau, non seulement les couleurs de certaines variétés appartenant à l’espèce des serins, le jaune et le noir, mais la même grandeur, à peu près la même forme totale, seulement un peu plus arrondie, le même bec et un appétit de préférence pour une graine huileuse comme le serin en a pour le mil et le panis. Mais le worabée a un goût exclusif pour la plante qui porte la graine dont je viens de parler, et qui s’appelle nuk[5] en abyssin ; il ne s’éloigne jamais beaucoup de cette plante, et ne la perd que rarement de vue.

Le worabée a les côtés de la tête jusqu’au-dessous des yeux, la gorge, le devant du cou, la poitrine et le haut du ventre jusqu’aux jambes, noir, le dessus de la tête et de tout le corps et le bas-ventre jaunes, à l’exception d’une espèce de collier noir qui embrasse le cou par derrière, et qui tranche avec le jaune. Les couvertures et les pennes des ailes sont noires, bordées d’une couleur plus claire ; les pennes de la queue sont pareillement noires, mais bordées d’un jaune verdâtre, le bec est encore noir et les pieds d’un brun clair. Cet oiseau va par troupes, et nous ne savons rien de plus sur ses habitudes naturelles.

III.L’outre-mer.

La troisième espèce[NdÉ 3] de ces oiseaux étrangers, qui ont rapport au serin, ne nous est connue de même que par les dessins de M. Bruce. J’appelle outre-mer cet oiseau d’Abyssinie, parce que son plumage est d’un beau bleu foncé. Dans la première année cette belle couleur n’existe pas, et le plumage est gris comme celui de l’alouette, et cette couleur grise est celle de la femelle dans tous les âges ; mais les mâles prennent cette belle couleur bleue dès la seconde année, avant l’équinoxe du printemps.

Ces oiseaux ont le bec blanc et les pieds rouges. Ils sont communs en Abyssinie, et ne passent point d’une contrée à l’autre. Leur grosseur est à peu près celle des canaris ; mais ils ont la tête plus ronde ; leurs ailes vont un peu au delà de la moitié de la queue. Leur ramage est fort agréable, et ce dernier rapport semble les rapprocher encore du genre de nos serins.


Notes de Buffon
  1. « Serino affinis avis è cinereo, luteo et fusco varia. » Ray, Synopsis, p. 188. — Le serin de la Jamaïque. Brisson, t. III, p. 189. — Cet oiseau a 8 pouces de longueur totale, c’est-à-dire, de la pointe du bec à l’extrémité de la queue ; 12 pouces de vol, bec court et fort ; 3/4 de pouce de longueur (ou 1/3 de pouce selon Ray) ; queue 1 pouce, jambe et pied 1 pouce1/4. (M. Brisson a jugé que Sloane s’est trompé à l’égard de ces dimensions, ne trouvant pas que les proportions fussent gardées.) Le bec supérieur est d’un brun tirant au bleu, le bec inférieur d’une couleur plus claire ; la tête et la gorge grises ; la partie supérieure du corps jaune brun, les ailes et la queue d’un brun foncé rayé de blanc, la poitrine et le ventre jaunes, le dessous de la queue blanc, les pieds bleuâtres, les ongles bruns, crochus et fort courts. Traduit de Sloane’s Jamaïca, p. 311, n. 49.
  2. Histoire des Incas, t. II, p. 329.
  3. Histoire générale des Antilles, par le P. Dutertre, in-4o, t. II, page 262.
  4. Il paraît que le serin de Mozambique n’est pas tellement propre à cette contrée, qu’il ne se rencontre ailleurs. J’ai trouvé, parmi les dessins de M. Commerson, le dessin colorié de ce serin bien caractérisé : M. Commerson l’appelle canari du Cap, et il nous apprend qu’il avait été transporté à l’île de France, où il s’était naturalisé et même beaucoup trop multiplié, et où il est connu sous le nom vulgaire d’oiseau du Cap. On peut s’attendre pareillement à retrouver, à Mozambique et dans quelques autres pays de l’Afrique, les serins panachés du Cap, peut-être même ceux des Canaries, et, suivant toute apparence, plusieurs autres variétés de cette espèce.
  5. La fleur de cette plante est jaune, et de la forme d’une crescente ou maricolde ; sa tige ne s’élève que de deux ou trois pieds : on tire de sa graine une huile dont les moines du pays font grand usage.
Notes de l’éditeur
  1. Fringilla cana Lath. [Note de Wikisource : actuellement Spindalis nigricephala Jameson, vulgairement zéna de Jamaïque, d’une famille mal déterminée]. [Note de Wikisource : Les serins de Mozambique des planches enluminées correspondent à deux espèces distinctes, le Crithagra mozambica Statius Müller ou serin du Mozambique, et le Crithagra flaviventris Gmelin ou serin de Sainte-Hélène.]
  2. Fringilla abyssinica Lath. [Note de Wikisource : actuellement Euplectes afer Gmelin, vulgairement euplecte vorabée, de la famille des Plocéidés].
  3. Fringilla ultramarina Lath. [Note de Wikisource : une sous-espèce du combassou du Sénégal, déjà mentionné à l’article du père-noir].