Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Oiseaux étrangers qui ont rapport au moineau

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome VI, Histoire naturelle des oiseauxp. 113-116).

OISEAUX ÉTRANGERS
QUI ONT RAPPORT AU MOINEAU

I.Le moineau du Sénégal.

L’oiseau[NdÉ 1] représenté dans nos planches enluminées, no 223, fig. 1, sous la dénomination de moineau du Sénégal, et auquel nous ne donnerons pas d’autre nom parce qu’il nous paraît être de la même espèce que notre moineau d’Europe, dont il ne diffère que par la couleur du bec, le sommet de la tête et les parties inférieures du corps, qu’il a rougeâtres, tandis que dans le moineau d’Europe le bec est brun, le sommet de la tête et les parties inférieures du corps sont grises ; mais comme la grandeur, la forme, la position du corps, du bec, de la queue, des pieds, tout le reste, en un mot, nous a paru semblable, nous ne pouvons guère douter de l’identité de l’espèce de cet oiseau du Sénégal avec notre moineau d’Europe, et nous regardons la différence de couleur comme une variété produite par l’influence du climat.

L’oiseau dont le mâle et la femelle sont représentés, fig. 1 et 2, dans nos planches enluminées, no 665, ne nous paraît être qu’une variété de celui-ci.

II.Le moineau à bec rouge du Sénégal.

Il en est de même de l’oiseau[NdÉ 2] représenté dans les planches enluminées, no 183, fig. 2, sous la dénomination de moineau à bec rouge du Sénégal, et auquel nous ne donnerons pas d’autre nom, parce qu’il ne nous paraît être qu’une variété, peut-être, d’âge ou de sexe du précédent, d’autant qu’il est du même climat ; ainsi ces deux oiseaux d’Afrique doivent être regardés comme de simples variétés dans l’espèce du moineau d’Europe.

III.Le père noir.

Voici maintenant des oiseaux étrangers dont l’espèce[NdÉ 3], quoique voisine de celle de notre moineau, nous paraît néanmoins en différer assez pour leur donner des noms particuliers. Par exemple, l’oiseau d’Amérique auquel les habitants de nos îles ont donné le nom de père noir, que nous lui conservons, n’est pas précisément un moineau. Cet oiseau est représenté dans nos planches enluminées, no 201, fig. 1 ; il paraît qu’on le trouve non seulement dans nos îles, mais aussi dans la terre ferme du continent méridional de l’Amérique, comme au Mexique ; car il a été indiqué par Fernandez sous le nom mexicain yohual tototl[1], et donné par Hans Sloane comme oiseau de la Jamaïque[2]. Nous présumons aussi que les trois oiseaux représentés dans nos planches enluminées, no 224, pourraient bien n’être que des variétés de celui-ci ; la seule chose qui s’oppose à cette présomption, c’est qu’ils se trouvent dans des climats très éloignés les uns des autres. Ils ont été nommés au bas de nos planches : I. Moineau de Macao[NdÉ 4] ; II. Moineau de Java[NdÉ 5] ; III. Moineau de Cayenne[NdÉ 6] ; néanmoins ils ne nous paraissent faire que le même oiseau et n’être que des variétés de l’espèce du père noir ; car quoique ces noms de climats aient été donnés par les voyageurs qui ont apporté ces oiseaux en France, je ne sais s’ils méritent toute confiance. D’ailleurs il se pourrait aussi que cette espèce d’oiseau noir se trouvât également dans les climats chauds des deux continents.

Indépendamment de ces trois oiseaux, qu’on peut rapporter à l’espèce de père noir, il y en a encore d’autres qui ne nous paraissent être aussi que des variétés de cette même espèce. L’oiseau que nous avons fait représenter dans nos planches, no 291, fig. 1, le mâle, et fig. 2, la femelle, sous le nom de moineau du Brésil[NdÉ 7] ressemble si fort au père noir, qu’on ne peut guère douter qu’il ne soit de son espèce ; à la vérité, cette ressemblance presque parfaite ne se trouve que dans le mâle ; les couleurs de la femelle sont fort différentes, mais cela même nous apprend combien peu l’on doit compter sur la différence des couleurs pour constituer celle des espèces.

Enfin, il y a encore une espèce voisine de notre moineau, et qu’on ne pourrait se dispenser de rapporter immédiatement à celle du père noir, s’il n’y avait pas une grande différence dans la longueur de la queue : c’est l’oiseau représenté dans nos planches enluminées, no 183, fig. 1, sous la dénomination de moineau du royaume de Juda[NdÉ 8]. Nous l’appellerons père noir à longue queue, parce qu’il nous paraît être de la même espèce que le père noir, et n’en différer que par sa queue, qui est plus longue, et composée de plumes de grandeur inégale[3]. Si les noms des climats nous ont été fidèlement transmis, on voit que l’espèce du père noir se trouve aux îles Antilles, à la Jamaïque, au Mexique, à Cayenne, au Brésil, au royaume de Juda, ensuite en Abyssinie, à Java et jusqu’à Macao, c’est-à-dire dans toutes les contrées méridionales de l’ancien et du nouveau continent.

IV.Le dattier ou moineau de datte.

M. Shaw a parlé de cet oiseau[NdÉ 9] dans ses Voyages, sous le nom de moineau de Capsa, et M. le chevalier Bruce m’en a fait voir le portrait en miniature, d’après lequel j’ai fait la description suivante.

Le moineau de datte a le bec court, épais à sa base, et accompagné de quelques moustaches près des angles de son ouverture, la pièce supérieure noire, l’inférieure jaunâtre ainsi que les pieds, les ongles noirs, la partie antérieure de la tête et la gorge blanches, le reste de la tête, le cou, le dessus du corps et même le dessous, d’un gris plus ou moins rougeâtre ; mais la teinte est plus forte sur la poitrine[4] et les petites couvertures supérieures des ailes ; les pennes des ailes et de la queue sont noires ; la queue est un tant soit peu fourchue, assez longue, et dépasse l’extrémité des ailes repliées des deux tiers de sa longueur.

Cet oiseau vole en troupes : il est familier et vient chercher les grains jusqu’aux portes des granges. Il est aussi commun dans la partie de la Barbarie située au sud du royaume de Tunis, que les moineaux le sont en France, mais il chante beaucoup mieux, s’il est vrai, comme l’avance M. Shaw, que son ramage soit préférable à celui des serins et des rossignols[5]. C’est dommage qu’il soit trop délicat pour être transporté loin de son pays natal : du moins, toutes tentatives qu’on a faites jusqu’ici pour nous l’amener vivant ont été infructueuses.


Notes de Buffon
  1. Yohual tototl, Fernandez, Hist. nov. Hisp., p. 49.
  2. « Passer niger punctis croceis notatus. » Sloane, Jamaïc., p. 311.
  3. M. le chevalier Bruce, après avoir attentivement examiné cet oiseau, l’a reconnu pour être le même que le mascalouf d’Abyssinie. On l’y nomme aussi oiseau de la croix, parce qu’il arrive ordinairement le jour de l’Exaltation de la Sainte-Croix dans cette contrée où il annonce la fin des pluies. M. Bruce ajoute qu’on voit aux sources du Nil, dans le même temps de la cessation des pluies, un oiseau qui ressemble en tout au mascalouf, excepté par la queue qu’il a beaucoup plus courte.
  4. M. Shaw parle de quelques reflets qu’il a aperçus sur la poitrine. Travels, p. 253.
  5. J’aurais été tenté à cause du joli ramage de cet oiseau de le ranger avec les serins, mais M. le chevalier Bruce qui l’a beaucoup vu, et à qui j’ai fait part de mon idée, a persisté dans l’opinion où il était qu’on devait le rapporter aux moineaux.
Notes de l’éditeur
  1. Fringilla quelea L. [Note de Wikisource : actuellement Quelea quelea Linnæus, vulgairement travailleur à bec rouge ; c’est un Plocéidé].
  2. C’est une variété du F. quelea L.
  3. Fringilla Noctis L. [Note de Wikisource : actuellement Loxigilla noctis Linnæus, vulgairement pèrenoir rougegorge, de la famille des Thraupidés (voyez la note à l’article du grand tangara)].
  4. Fringilla melanictera Lath. [Note de Wikisource : actuellement Emberiza lathami Gray, vulgairement bruant huppé ; il est de la famille des Embérizidés des bruants « vrais », qui, avec la famille des Calcaridés des plectrophanes ou bruants « faux », forme une famille intermédiaire entre les Fringillidés et les Thraupidés et Cardinalidés].
  5. Fringilla melanoleuca Lath. [Note de Wikisource : probablement un père-noir faussement dit venir de Java].
  6. Tanagra jacarina L. [Note de Wikisource : actuellement Volatinia jacarina Linnæus, vulgairement jacarini noir ; c’est un Thraupidé].
  7. Fringilla nitens Gmel. et Lath.. Cette espèce habite l’Afrique et non le Brésil, comme le croyait Buffon. [Note de Wikisource : C’est l’oiseau actuellement nommé Vidua chalybeata Statius Müller, vulgairement combassou du Sénégal ; il appartient à la famille des Viduidés, familles sœur des Estrildidés et plus proche cousine des Plocéidés. Il sera à nouveau mentionné plus bas sous le nom d’outre-mer.]
  8. Fringilla macroura L. [Note de Wikisource : actuellement Euplectes macroura Gmelin, vulgairement euplecte à dos d’or ; c’est un Plocéidé].
  9. Fringilla capsa Lath. [Note de Wikisource : très probablement l’actuel Emberiza sahari Levaillant, vulgairement bruant du Sahara ; c’est un Embérizidé].