Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Le friquet

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome VI, Histoire naturelle des oiseauxp. 116-118).

LE FRIQUET[1]

Cet oiseau[NdÉ 1] est certainement d’une espèce différente de celle du moineau, et par conséquent ne doit pas en porter le nom. Quoique habitants du même climat et des mêmes terres, ils ne se mêlent point ensemble et la plupart de leurs habitudes naturelles sont toutes différentes. Le moineau ne quitte pas nos maisons, se pose sur nos murailles et sur nos toits, y niche et s’y nourrit. Le friquet ne s’en approche guère, se tient à la campagne, fréquente les bords des chemins, se pose sur les arbustes et les plantes basses, et établit son nid dans des crevasses, dans des trous à peu de distance de terre : on prétend qu’il niche aussi dans les bois et dans les creux d’arbres, cependant je n’en ai jamais vu dans les bois qu’en passant ; ce sont les campagnes ouvertes et les plaines qu’ils habitent de préférence. Le moineau a le vol pesant et toujours assez court ; il ne peut aussi marcher qu’en sautillant assez lentement et de mauvaise grâce, au lieu que le friquet se tourne plus lestement et marche mieux. L’espèce en est beaucoup moins nombreuse que celle du moineau, et il y a toute apparence que leur ponte, qui n’est que de quatre ou cinq œufs, ne se répète pas et se borne à une seule couvée, car les friquets se rassemblent en grande troupe dès la fin de l’été et demeurent ensemble pendant tout l’hiver ; il est aisé, dans cette saison, d’en prendre un grand nombre sur les buissons où ils gîtent.

Cet oiseau, lorsqu’il est posé, ne cesse de se remuer, de se tourner, de frétiller, de hausser et baisser sa queue ; et c’est de tous ces mouvements, qu’il fait d’assez bonne grâce, que lui est venu le nom de friquet : quoique moins hardi que le moineau il ne fuit pas l’homme, souvent même il accompagne les voyageurs et les suit sans crainte ; il vole en tournant et toujours assez bas, car on ne le voit point se percher sur de grands arbres, et ceux qui lui ont donné le nom de moineau de noyer ont confondu le friquet avec la soulcie, qui se tient en effet sur les arbres élevés, et particulièrement sur les noyers.

Cette espèce est sujette à varier : plusieurs naturalistes ont donné le moineau de montagne, le moineau à collier et le moineau fou des Italiens, comme des espèces différentes de celle du friquet : cependant le moineau fou et le friquet sont absolument le même oiseau, et les deux autres espèces n’en sont que de très légères variétés : après avoir comparé les descriptions, les figures et les oiseaux en nature, il nous a paru que tous quatre n’étaient dans le fond que le même oiseau, et que ces quatre espèces nominales doivent se réduire à une seule espèce réelle, qui est celle du friquet[2].

La preuve que le passera mattugia ou moineau fou des Italiens[3] est le friquet même, ou tout au plus une simple variété de ce cette espèce, dont il ne diffère que par la distribution des couleurs, c’est qu’Olina[4], qui en donne la description et la figure, dit positivement qu’on l’a nommé passera mattugia, moineau fou, parce qu’il ne peut rester un seul moment sans remuer[5] ; et c’est à ce même mouvement continuel qu’on doit, comme je l’ai dit, attribuer l’origine de son nom français. Ne serait-il pas plus singulier que cet oiseau si peu rare en France, ne se trouvât point en Italie, comme l’ont écrit nos nomenclateurs modernes qui n’ont pas reconnu que le moineau fou d’Italie était notre friquet ? Il paraît au contraire qu’il y a plus de variétés de cette espèce en Italie qu’en France : elle s’est donc répandue des pays tempérés dans les pays plus chauds, et non pas dans les climats froids, car on ne la trouve point en Suède ; mais je suis surpris que M. Salerne dise que cet oiseau ne se voit ni en Allemagne ni en Angleterre, puisque les naturalistes allemands et anglais en ont donné des descriptions et la figure. M. Frisch prétend même que le friquet et le serin de Canarie peuvent s’unir et produire ensemble une race bâtarde, et qu’on en a fait l’épreuve en Allemagne[6].

Au reste, le friquet, quoique plus remuant, est cependant moins pétulant, moins familier, moins gourmand que le moineau ; c’est un oiseau plus innocent et qui ne fait pas grand tort aux grains ; il préfère les fruits, les graines sauvages, telles que celles des chardons, sur lesquels il se pose volontiers, et mange aussi des insectes ; il fuit le séjour et la rencontre du moineau, qui est plus fort et plus méchant que lui. On peut l’élever en cage et l’y nourrir comme le chardonneret, il vit cinq ou six ans : son chant est assez peu de chose, mais tout différent de la voix désagréable du moineau. On a observé que, quoiqu’il soit plus doux que le moineau, il n’est cependant pas aussi docile, et cela vient de son naturel, qui l’éloigne de l’homme, et qui, pour être un peu plus sauvage, n’en est peut-être que meilleur.


Notes de Buffon
  1. Friquet, Belon, Hist. des oiseaux, p. 363… — Moineau à tête rouge, Albin, t. III, p. 28, avec une figure, pl. 65… Moineau de montagne, idem, ib., 66. — La figure, pl. 65, représente le mâle ; et la figure, pl. 66, nous paraît représenter ou la femelle ou une variété et non pas une espèce différente. — Passer sylvestris, Frisch, pl. 7, avec une bonne figure coloriée. — Le moineau de campagne ou le friquet, Brisson, t. III, p. 82… Le moineau à collier, idem, ibid., p. 85… Le moineau de montagne, idem, ibid., p. 79.
  2. Le moineau de montagne et le moineau à collier sont le même oiseau, et ils ne diffèrent du friquet que par un collier blanc ou blanchâtre qu’ils portent au haut du cou.
  3. Passera mattuggia. Olina, p. 48, avec figure. — Passer stultus Bonnoniensium. Aldrov., Avi., t. II, p. 563.
  4. Passera montanina. Olina, p. 48, avec figure.
  5. Passer sylvestris. Aldrov., t. II, p. 561… Passer pusillus in juglandibus degens. Idem, ibid., p. 563.
  6. Frisch, à l’article passer silvestris, pl. 7.
Notes de l’éditeur
  1. Passer montanus (Fringilla montana L.) [Note de Wikisource : actuellement Passer montanus Linnæus, vulgairement moineau friquet].