Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Oiseaux étrangers qui ont rapport au rollier

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 608-612).

OISEAUX ÉTRANGERS
QUI ONT RAPPORT AU ROLLIER

I.LE ROLLIER D’ABYSSINIE.

Cette espèce[NdÉ 1] ressemble beaucoup par le plumage à notre rollier d’Europe : seulement les couleurs en sont plus vives et plus brillantes, ce qui peut s’attribuer à l’influence d’un climat plus sec et plus chaud. D’un autre côté, il se rapproche du rollier d’Angola par la longueur des deux pennes latérales de la queue, lesquelles dépassent toutes les autres de cinq pouces, en sorte que la place de cet oiseau semble marquée entre le rollier d’Europe et celui d’Angola. La pointe du bec supérieur est très crochue. C’est une espèce tout à fait nouvelle.

Variété du rollier d’Abyssinie.

On doit regarder le rollier du Sénégal[NdÉ 2], représenté dans les planches enluminées, no 326[1], comme une variété de celui d’Abyssinie. La principale différence que l’on remarque entre ces deux oiseaux d’Afrique consiste en ce que, dans celui d’Abyssinie, la couleur orangée du dos ne s’étend pas comme dans celui du Sénégal jusque sur le cou et la partie postérieure de la tête, différence qui ne suffit pas, à beaucoup près, pour constituer deux espèces distinctes, et d’autant moins que les deux rolliers dont il s’agit ici appartiennent à peu près au même climat ; qu’ils ont l’un et l’autre à la queue ces deux pennes latérales excédantes, dont la longueur est double de celles des pennes intermédiaires ; qu’ils ont tous deux les ailes plus courtes que celles de notre rollier d’Europe ; enfin, qu’ils se ressemblent encore par les nuances, l’éclat et la distribution de leurs couleurs.

II.LE ROLLIER D’ANGOLA ET LE CUIT[2] OU LE ROLLIER DE MINDANAO.

Ces deux rolliers ont entre eux des rapports si frappants qu’il n’est pas possible de les séparer. Celui d’Angola[NdÉ 3] ne se distingue du cuit ou rollier de Mindanao[NdÉ 4] que par la longueur des pennes extérieures de sa queue, double de la longueur des pennes intermédiaires, et par de légers accidents de couleurs ; mais on sait que de telles différences, et de plus grandes encore, sont souvent l’effet de celles du sexe, de l’âge et même de la mue ; et que cela soit ainsi à l’égard des deux rolliers dont il est question, c’est ce qui paraîtra fort probable d’après la comparaison des figures enluminées, nos 88 et 285[NdÉ 5], et même d’après l’examen des descriptions faites par M. Brisson[3], qui ne peut être soupçonné d’avoir voulu favoriser mon opinion sur l’identité spécifique de ces deux oiseaux, puisqu’il en fait deux espèces distinctes et séparées. Tous deux ont à peu près la grosseur de notre rollier d’Europe, sa forme totale, son bec un peu crochu, ses narines découvertes, ses pieds courts, ses longs doigts, ses longues ailes et même les couleurs de son plumage, quoique distribuées un peu différemment : c’est toujours du bleu, du vert et du brun, tantôt séparés et tranchant l’un sur l’autre, tantôt mêlés, fondus ensemble et formant plusieurs teintes intermédiaires différemment nuancées et donnant des reflets différents, mais de manière que le vert bleuâtre ou vert de mer est répandu sur le sommet de la tête ; le brun plus ou moins foncé, plus ou moins verdâtre, sur tout le dessus du corps et toute la partie antérieure de l’oiseau, avec quelques teintes de violet sur la gorge ; le bleu, le vert et toutes les nuances qui résultent de leur mélange, sur le croupion, la queue, les ailes et le ventre. Seulement le rollier de Mindanao a au-dessous de la poitrine une espèce de ceinture orangée que n’a point le rollier d’Angola.

On objectera peut-être contre cette identité d’espèce que le royaume d’Angola est loin du Bengale et bien plus encore des Philippines… ; mais est-il impossible, n’est-il pas, au contraire, assez naturel que ces oiseaux soient répandus en différentes parties du même continent et dans des îles qui en sont peu éloignées ou qui y tiennent par une chaîne d’autres îles, surtout les climats étant à peu près semblables ? D’ailleurs, on sait qu’il ne faut pas toujours se fier sur tous les points au témoignage de ceux qui nous apportent les productions des pays éloignés, et que même, en supposant ces personnes exactes et de bonne foi, elles peuvent très bien, vu la communication perpétuelle que les vaisseaux européens établissent entre toutes les parties du monde, trouver en Afrique et apporter de Guinée ou d’Angola des oiseaux originaires des Indes orientales, et c’est à quoi ne prennent point assez garde la plupart des naturalistes lorsqu’ils veulent fixer le climat natal des espèces étrangères : quoi qu’il en soit, si l’on veut attribuer les petites dissemblances qui sont entre le rollier de Mindanao et le rollier d’Angola à la différence de l’âge, c’est le dernier qui sera le plus vieux ; que, si on les attribue à la différence du sexe, ce sera encore lui qui sera le mâle ; car l’on sait que, dans les rolliers, les belles couleurs des plumes et sans doute les longues pennes de la queue ne paraissent que la seconde année, et que, dans toutes les espèces, si le mâle diffère de la femelle, c’est toujours en plus et par la surabondance des parties, ou par l’intensité plus grande des qualités semblables.

Variété des rolliers d’Angola et de Mindanao.

Il vient d’arriver de Goa au Cabinet du Roi un nouveau rollier qui a beaucoup de rapports avec celui de Mindanao ; il en diffère seulement par sa grosseur et par une sorte de collier couleur de lie de vin qui n’embrasse que la partie postérieure du cou, un peu au-dessous de la tête. Il n’a pas, non plus que le rollier d’Angola, la ceinture orangée du rollier de Mindanao ; mais s’il s’éloigne en cela du dernier, il se rapproche d’autant du premier, qui est certainement de la même espèce.

III.LE ROLLIER DES INDES.

Ce rollier[NdÉ 6], qui est le quatrième de M. Brisson, diffère moins de ceux dont nous avons parlé par ses couleurs, qui sont toujours le bleu, le vert, le brun, etc., que par l’ordre de leur distribution ; mais, en général, son plumage est plus rembruni ; son bec est aussi plus large à sa base, plus crochu et de couleur jaune ; enfin, c’est de tous les rolliers celui qui a les ailes les plus longues.

M. Sonnerat a remis depuis peu au Cabinet du Roi un oiseau ressemblant presque en tout au rollier des Indes ; il a seulement le bec encore plus large : aussi l’avait-on étiqueté du nom de grand’gueule de crapaud. Mais ce nom conviendrait mieux au tette-chèvre.

IV.LE ROLLIER DE MADAGASCAR.

Cette espèce[NdÉ 7] diffère de toutes les précédentes par le bec, qui est plus épais à sa base ; par les yeux, qui sont plus grands ; par la longueur des ailes et de la queue, quoique cependant celle-ci n’ait point les pennes extérieures plus longues que les intermédiaires ; enfin par l’uniformité de plumage, dont la couleur dominante est un brun pourpre ; seulement le bec est jaune, les plus grandes pennes de l’aile sont noires, le bas-ventre est d’un bleu clair, la queue est de même couleur, bordée à son extrémité d’une bande de trois nuances : pourpre, bleu clair, et la dernière bleu foncé presque noir. Du reste, cet oiseau a tous les autres caractères apparents des rolliers, les pieds courts, les bords du bec supérieur échancrés vers la pointe, les petites plumes qui naissent autour de sa base relevées en arrière, les narines découvertes, etc.

V.LE ROLLIER DU MEXIQUE.

C’est le merle du Mexique de Seba, dont M. Brisson a fait son huitième rollier[NdÉ 8]. Il faudrait l’avoir vu pour le rapporter à sa véritable espèce, car cela serait assez difficile d’après le peu qu’en a dit Seba, lequel est ici L’auteur original. Si je l’admets en ce moment parmi les rolliers, c’est que, n’ayant aucune raison décisive de lui donner l’exclusion, j’ai cru devoir m’en rapporter sur cela à l’avis de M. Brisson, jusqu’à ce qu’une connaissance plus exacte confirme ou détruise cet arrangement provisionnel. Au reste, les couleurs de cet oiseau ne sont point du tout celles qui dominent ordinairement dans le plumage des rolliers. La partie supérieure du corps est d’un gris obscur mêlé d’une teinte de roux, et la partie inférieure d’un gris plus clair relevé par des marques couleur de feu[4].

VI.LE ROLLIER DE PARADIS[5].

Je place cet oiseau[NdÉ 9] entre les rolliers et les oiseaux de Paradis, comme faisant la nuance entre ces genres, parce qu’il me paraît avoir la forme des premiers, et se rapprocher des oiseaux de Paradis par la petitesse et la situation des yeux au-dessus et fort près de la commissure des deux pièces du bec, et par l’espèce de velours naturel qui recouvre la gorge et une partie de la tête. D’ailleurs, les deux longues plumes de la queue qui se trouvent quelquefois dans notre rollier d’Europe, et qui sont bien plus longues dans celui d’Angola, sont encore un trait d’analogie qui rapproche le genre du rollier de celui de l’oiseau de Paradis.

L’oiseau dont il s’agit dans cet article a le dessus du corps d’un orangé vif et brillant, le dessous d’un beau jaune ; il n’a de noir que sous la gorge, sur une partie du maniement de l’aile et sur les pennes de la queue. Les plumes qui revêtent le cou par derrière sont longues, étroites, flexibles, et retombent un peu de chaque côté sur les parties latérales du cou et de la poitrine.

On avait fait l’honneur au sujet décrit et dessiné par M. Edwards de lui arracher les pieds et les jambes, comme à un véritable oiseau de Paradis, et c’est sans doute ce qui avait engagé M. Edwards à le rapporter à cette espèce, quoiqu’il n’en eût pas les principaux caractères. Les grandes pennes de l’aile manquaient aussi, mais celles de la queue étaient complètes : il y en avait douze de couleur noire, comme j’ai dit, et terminées de jaune. M. Edwards soupçonne que les grandes pennes de l’aile devaient aussi être noires, soit parce qu’elles sont le plus souvent de la même couleur que celles de la queue, soit par cela même qu’elles manquaient dans l’individu qu’il a observé ; les marchands qui trafiquent de ces oiseaux ayant coutume, en les faisant sécher, d’arracher comme inutiles les plumes de mauvaise couleur, afin de laisser paraître les belles plumes, pour lesquelles seules ces oiseaux sont recherchés.


Notes de Buffon
  1. Ce rollier du Sénégal est exactement le même que le rollier des Indes à queue d’hirondelle de M. Edwards (planche 327) ; nouvelle preuve de l’incertitude des traditions sur le pays natal des oiseaux. M. Edwards n’a compté que dix pennes à la queue de ce rollier, qui lui a paru parfaite.
  2. C’est le nom que les habitants de Mindanao donnent à ce rollier ; M. Edwards lui donne celui de geai bleu, planche 326 ; et Albin celui de geai de Bengale, t. Ier, no 17.
  3. Ornithologie, t. II, p. 72 et 69.
  4. Voyez Seba, t. Ier, pl. 64, fig. v.
  5. Golden bird of Paradise. Edwards, planche 112. Remarquez que dans cette figure les grandes pennes de l’aile manquent, et que les pieds et les jambes ont été supplées par M. Edwards, le sujet qu’il a dessiné en étant absolument privé. M. Linnæus en a fait sa 5e espèce de coracias, genre 49 ; et M. Brisson son 31e troupiale, t. IV, p. 37.
Notes de l’éditeur
  1. Coracias abyssinica L. [Note de Wikisource : actuellement Coracias abyssinicus Hermann, vulgairement rollier d’Abyssinie].
  2. Coracias senegala L.. — C’est une simple variété du Coracias abyssinien.
  3. Coracias caudata L. [Note de Wikisource : actuellement Coracias caudatus Linnæus, vulgairement rollier à longs brins]. — D’après Cuvier, « le Coracias caudata n’est qu’un individu de l’abyssinica défiguré par l’addition de la tête du Bengalis. » [Note de Wikisource : Cette opinion de Cuvier est à rejeter.]
  4. Coracias bengalensis Cuv. [Note de Wikisource : actuellement Coracias bengalensis Linnæus, vulgairement rollier indien].
  5. Planches enluminées de Buffon.
  6. Coracias orientalis L. [Note de Wikisource : actuellement Eurystomus orientalis Linnæus, vulgairement rolle oriental].
  7. Coracias madagascariensis L. [Note de Wikisource : actuellement Eurystomus glaucurus Statius Müller, vulgairement rolle violet].
  8. Coracias mexicana L. [Note de Wikisource : Il s’agit du même oiseau que le mésangeai du Canada ; voyez l’article du geai brun du Canada.]
  9. Oriolus aureus Gmel. [Note de Wikisource : probablement l’actuel Sericulus aureus Linnæus, vulgairement jardinier du Prince d’Orange ; cet oiseau n’est pas apparenté aux corvidés].