Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Oiseaux étrangers qui ont rapport au geai

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 594-598).

OISEAUX ÉTRANGERS
QUI ONT RAPPORT AU GEAI

I.LE GEAI DE LA CHINE À BEC ROUGE[NdÉ 1].

Cette espèce nouvelle vient de paraître en France pour la première fois : son bec rouge fait d’autant plus d’effet que toute la partie antérieure de la tête, du cou et même de la poitrine est d’un beau noir velouté ; le derrière de la tête et du cou est d’un gris tendre, qui se mêle par petites taches sur le sommet de la tête avec le noir de la partie antérieure ; le dessus du corps est brun et le dessous blanchâtre ; mais pour se former une idée juste de ces couleurs, il faut supposer une teinte de violet répandue sur toutes, excepté sur le noir, mais plus foncée sur les ailes, un peu moins sur le dos et encore moins sous le ventre. La queue est étagée, les ailes ne passent pas le tiers de sa longueur, et chacune de ses pennes est marquée de trois couleurs, savoir : de violet clair à l’origine, de noir à la partie moyenne, et de blanc à l’extrémité ; mais le violet tient plus d’espace que le noir, et celui-ci plus que le blanc.

Les pieds sont rouges comme le bec, les ongles blanchâtres à leur naissance et bruns vers la pointe, du reste fort longs et fort crochus. Ce geai est un peu plus gros que le nôtre et pourrait bien n’être qu’une variété de climat.

II.LE GEAI DU PÉROU.

Le plumage de cet oiseau[NdÉ 2] est d’une grande beauté : c’est un mélange des couleurs les plus distinguées, tantôt fondues avec un art inimitable, tantôt contrastées avec une dureté qui augmente l’effet. Le vert tendre qui domine sur la partie supérieure du corps s’étend d’une part sur les six pennes intermédiaires de la queue, et de l’autre va s’unir en se dégradant par nuances insensibles, et prenant en même temps une teinte bleuâtre, à une espèce de couronne blanche qui orne le sommet de la tête. La base du bec est entourée d’un beau bleu, qui reparaît derrière l’œil et dans l’espace au-dessous. Une sorte de pièce de corps de velours noir, qui couvre la gorge et embrasse tout le devant du cou, tranche par son bord supérieur avec cette belle couleur bleue, et par son bord inférieur avec le jaune jonquille qui règne sur la poitrine, le ventre et jusque sur les trois pennes latérales de chaque côté de la queue. Cette queue est étagée et plus étagée que celle du geai de Sibérie.

On ne sait rien des mœurs de cet oiseau, qui n’avait point encore paru en Europe.

III.LE GEAI BRUN DU CANADA[1].

S’il était possible de supposer que le geai eût pu passer en Amérique, je serais tenté de regarder celui-ci[NdÉ 3] comme une variété de notre espèce d’Europe, car il en a le port, la physionomie, ces plumes douces et soyeuses qui sont comme un attribut caractéristique du geai ; il n’en diffère que par sa grosseur, qui est un peu moindre, par les couleurs de son plumage, par la longueur et la forme de sa queue, qui est étagée : ces différences pourraient à toute force s’imputer à l’influence du climat ; mais notre geai a l’aile trop faible et vole trop mal pour avoir pu traverser des mers ; et, en attendant qu’une connaissance plus détaillée des mœurs du geai brun du Canada nous mette en état de porter un jugement solide sur sa nature, nous nous déterminons à le produire ici comme une espèce étrangère, analogue à notre geai et l’une de celles qui en approchent de plus près.

La dénomination de geai brun donne une idée assez juste de la couleur qui domine sur le dessus du corps ; car le dessous, ainsi que le sommet de la tête, la gorge et le devant du cou sont d’un blanc sale, et cette dernière couleur se retrouve encore à l’extrémité de la queue et des ailes. Dans l’individu que j’ai observé, le bec et les pieds étaient d’un brun foncé, le dessous du corps plus rembruni et le bec inférieur plus renflé que dans la figure[NdÉ 4] ; enfin les plumes de la gorge, se portant en avant, formaient une espèce de barbe à l’oiseau.

IV.LE GEAI DE SIBÉRIE.

Les traits d’analogie par lesquels cette nouvelle espèce[NdÉ 5] se rapproche de celle de notre geai consistent en un certain air de famille, en ce que la forme du bec et des pieds et la disposition des narines sont à peu près les mêmes, et en ce que le geai de Sibérie a sur la tête, comme le nôtre, des plumes étroites qu’il peut à son gré relever en manière de huppe.

Ses traits de dissemblance sont qu’il est plus petit, qu’il a la queue étagée, et que les couleurs de son plumage sont fort différentes, comme on pourra s’en assurer en comparant les figures enluminées qui représentent ces deux oiseaux. Les mœurs de celui de Sibérie nous sont absolument inconnues.

V.LE BLANCHE-COIFFE OU LE GEAI DE CAYENNE[2].

Il est à peu près de la grosseur de notre geai commun, mais il a le bec plus court, les pieds plus hauts, la queue et les ailes plus longues à proportion, ce qui lui donne un air moins lourd et une forme plus développée[NdÉ 6].

On peut lui trouver encore d’autres différences, principalement dans le plumage : le gris, le blanc, le noir et différentes nuances de violet, font toute la variété de ses couleurs ; le gris sur le bec, les pieds et les ongles ; le noir sur le front, les côtés de la tête et la gorge ; le blanc autour des yeux, sur le sommet de la tête et le chignon jusqu’à la naissance du cou, et encore sur toute la partie inférieure du corps ; le violet, plus clair sur le dos et les ailes, plus foncé sur la queue ; celle-ci est terminée de blanc et composée de douze pennes dont les deux du milieu sont un peu plus longues que les latérales.

Les petites plumes noires qu’il a sur le front sont courtes et peu flexibles : une partie, se dirigeant en avant, recouvre les narines ; l’autre partie, se relevant en arrière, forme une sorte de toupet hérissé.

VI.LE GARLU OU LE GEAI À VENTRE JAUNE DE CAYENNE.

C’est celui de tous les geais qui a les ailes les plus courtes, et qu’on peut le moins soupçonner d’avoir fait le trajet des mers qui séparent les deux continents, d’autant moins qu’il se tient dans les pays chauds[NdÉ 7]. Il a les pieds courts et menus, et la physionomie caractérisée. Je n’ai rien à ajouter, quant aux couleurs, à ce que la figure présente[NdÉ 8], et l’on ne sait encore rien de ses mœurs ; on ne sait pas même s’il relève les plumes de sa tête en manière de huppe, comme font les autres geais. C’est une espèce nouvelle[3].

VII.LE GEAI BLEU DE L’AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE[4].

Cet oiseau[NdÉ 9] est remarquable par la belle couleur bleue de son plumage, laquelle domine avec quelque mélange de blanc, de noir et de pourpre, sur toute la partie supérieure de son corps, depuis le dessus de la tête jusqu’au bout de la queue.

Il a la gorge blanche avec une teinte de rouge ; au-dessous de la gorge une espèce de hausse-col noir, et plus bas une zone rougeâtre, dont la couleur, se dégradant insensiblement, va se perdre dans le gris et le blanc qui règnent sur la partie inférieure du corps.

Les plumes du sommet de la tête sont longues, et l’oiseau les relève, quand il veut, en manière de huppe[5] : cette huppe mobile est plus grande et plus belle que dans notre geai ; elle est terminée sur le front par une sorte de bandeau noir qui, se prolongeant de part et d’autre sur un fond blanc jusqu’au chignon, va se rejoindre aux branches du hausse-col de la poitrine : ce bandeau est séparé de la base du bec supérieur par une ligne blanche formée des petites plumes qui couvrent les narines. Tout cela donne beaucoup de variété, de jeu et de caractère à la physionomie de cet oiseau.

La queue est presque aussi longue que l’oiseau même, et composée de douze pennes étagées.

M. Catesby remarque que ce geai d’Amérique a la même pétulance dans les mouvements que notre geai commun, que son cri est moins désagréable, et que la femelle ne se distingue du mâle que par ses couleurs moins vives : cela étant, la figure qu’il a donnée doit représenter une femelle[6], et celle de M. Edwards un mâle[7] ; mais l’âge de l’oiseau peut faire aussi beaucoup à la vivacité et à la perfection des couleurs.

Ce geai nous vient de la Caroline et du Canada, et il doit y être fort commun, car on en envoie souvent de ces pays-là.


Notes de Buffon
  1. Voyez l’Ornithologie de M. Brisson, t. II, p. 54.
  2. C’est le geai de Cayenne de M. Brisson, t. II, p. 52.
  3. Un voyageur instruit a cru reconnaître dans la figure enluminée de cet oiseau celui qu’on appelle à Cayenne bon jour commandeur, parce qu’il semble prononcer ces trois mots : mais il me reste des doutes sur l’identité de ces deux oiseaux, parce que ce même voyageur m’a paru confondre le garlu ou geai à ventre jaune avec le tyran du Brésil : celui-ci ressemble, en effet, au premier par le plumage, mais il a le bec tout différent.
  4. C’est le geai bleu de Canada de M. Brisson, t. Ier, p. 55.
  5. Je ne sais pourquoi M. Klein, qui a copié Catesby, avance que cette huppe est toujours droite et relevée. Ordo avium, p. 61.
  6. Hist. nat. de la Caroline, t. Ier, p. 15.
  7. Planche 239.
Notes de l’éditeur
  1. Corvus erythrorynchos L. [Note de Wikisource : actuellement Urocissa erythroryncha Boddaert, vulgairement pirolle à bec rouge].
  2. Corvus peruvianus L. [Note de Wikisource : actuellement Cyanocorax yncas Boddaert, vulgairement geai vert].
  3. Corvus canadensis L. [Note de Wikisource : actuellement Perisoreus canadensis Linnæus, vulgairement mésangeai ou geai du Canada].
  4. No 530 des planches enluminées de Buffon.
  5. Corvus sibiricus L. [Note de Wikisource : actuellement Perisoreus infaustus Linnæus, sous-espèce sibericus Boddaert, vulgairement mésangeai imitateur].
  6. Corvus cayanus L. [Note de Wikisource : actuellement Cyanocorax cayanus Linnæus, vulgairement geai de Cayenne].
  7. Corvus flavus L. — D’après Cuvier, « le Garlu ou Geai à ventre jaune de Cayenne est le même oiseau que le Tyran à ventre jaune (Lanius sulfuraceus Gmel. [Note de Wikisource : actuellement Pitangus sulphuratus Linnæus, vulgairement tyran quiquivi].) »
  8. No 249 des planches enluminées de Buffon.
  9. Corvus cristatus L. [Note de Wikisource : actuellement Cyanocitta cristata Linnæus, vulgairement geai bleu].