Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Discours sur la nature des oiseaux

DISCOURS
SUR LA NATURE DES OISEAUX


Le mot nature a, dans notre langue et dans la plupart des autres idiomes anciens et modernes, deux acceptions très différentes : l’une suppose un sens actif et général ; lorsqu’on nomme la nature purement et simplement, on en fait une espèce d’être idéal auquel on a coutume de rapporter, comme cause, tous les effets constants, tous les phénomènes de l’univers ; l’autre acception ne présente qu’un sens passif et particulier, en sorte que lorsqu’on parle de la nature de l’homme, de celle des animaux, de celle des oiseaux, ce mot signifie, ou plutôt indique et comprend dans sa signification la quantité totale, la somme des qualités dont la nature, prise dans la première acception, a doué l’homme, les animaux, les oiseaux, etc. Ainsi la nature active, en produisant les êtres, leur imprime un caractère particulier qui fait leur nature propre et passive, de laquelle dérive ce qu’on appelle leur naturel, leur instinct et toutes leurs autres habitudes et facultés naturelles. Nous avons déjà traité de la nature de l’homme et de celle des animaux quadrupèdes[NdÉ 1] ; la nature des oiseaux demande des considérations particulières ; et, quoique à certains égards elle nous soit moins connue que celle des quadrupèdes, nous tâcherons néanmoins d’en saisir les principaux attributs et de la présenter sous son véritable aspect, c’est-à-dire avec les traits caractéristiques et généraux qui la constituent.

Le sentiment ou plutôt la faculté de sentir, l’instinct, qui n’est que le résultat de cette faculté, et le naturel, qui n’est que l’exercice habituel de l’instinct guidé et même produit par le sentiment, ne sont pas, à beaucoup près, les mêmes dans les différents êtres : ces qualités intérieures dépendent de l’organisation en général, et en particulier de celle des sens, et elles sont relatives, non seulement à leur plus ou moins grand degré de perfection, mais encore à l’ordre de supériorité que met entre les sens ce degré de perfection ou d’imperfection. Dans l’homme, où tout doit être jugement et raison, le sens du toucher est plus parfait que dans l’animal, où il y a moins de jugement que de sentiment ; et au contraire l’odorat est plus parfait dans l’animal que dans l’homme, parce que le toucher est le sens de la connaissance, et que l’odorat ne peut être que celui du sentiment. Mais comme peu de gens distinguent nettement les nuances qui séparent les idées et les sensations, la connaissance et le sentiment, la raison et l’instinct, nous mettrons à part ce que nous appelons chez nous raisonnement, discernement, jugement, et nous nous bornerons à comparer les différents produits du simple sentiment, et à rechercher les causes de la diversité de l’instinct, qui, quoique varié à l’infini dans le nombre immense des espèces d’animaux qui tous en sont pourvus, paraît néanmoins être plus constant, plus uniforme, plus régulier, moins capricieux, moins sujet à l’erreur que ne l’est la raison dans la seule espèce qui croit la posséder.

En comparant les sens, qui sont les premières puissances motrices de l’instinct dans tous les animaux, nous trouverons d’abord que le sens de la vue est plus étendu, plus vif, plus net et plus distinct dans les oiseaux en général que dans les quadrupèdes ; je dis en général, parce qu’il paraît y avoir des exceptions dans les oiseaux qui, comme les hiboux, voient moins qu’aucun des quadrupèdes ; mais c’est un effet particulier que nous examinerons à part, d’autant que, si ces oiseaux voient mal pendant le jour, ils voient très bien pendant la nuit, et que ce n’est que par un excès de sensibilité dans l’organe qu’ils cessent de voir à une grande lumière : cela même vient à l’appui de notre assertion, car la perfection d’un sens dépend principalement du degré de sa sensibilité ; et ce qui prouve qu’en effet l’œil est plus parfait dans l’oiseau, c’est que la nature l’a travaillé davantage. Il y a, comme l’on sait, deux membranes de plus, l’une extérieure et l’autre intérieure, dans les yeux de tous les oiseaux, qui ne se trouvent pas dans l’homme : la première[1], c’est-à-dire la plus extérieure de ces membranes, est placée dans le grand angle de l’œil ; c’est une seconde paupière plus transparente que la première, dont les mouvements obéissent également à la volonté, dont l’usage est de nettoyer et polir la cornée, et qui leur sert aussi à tempérer l’excès de la lumière, et ménager par conséquent la grande sensibilité de leurs yeux ; la seconde[2] est située au fond de l’œil, et paraît être un épanouissement du nerf optique[NdÉ 2], qui, recevant plus immédiatement les impressions de la lumière, doit dès lors être plus aisément ébranlé, plus sensible qu’il ne l’est dans les autres animaux, et c’est cette grande sensibilité qui rend la vue des oiseaux bien plus parfaite et beaucoup plus étendue. Un épervier voit d’en haut, et de vingt fois plus loin une alouette sur une motte de terre, qu’un homme ou un chien ne peuvent l’apercevoir. Un milan, qui s’élève à une hauteur si grande que nous le perdons de vue, voit de là les petits lézards, les mulots, les oiseaux, et choisit ceux sur lesquels il veut fondre ; et cette plus grande étendue dans le sens de la vue est accompagnée d’une netteté, d’une précision tout aussi grandes, parce que l’organe étant en même temps très souple et très sensible, l’œil se renfle ou s’aplatit, se couvre ou se découvre, se rétrécit ou s’élargit, et prend aisément, promptement et alternativement, toutes les formes nécessaires pour agir et voir parfaitement à toutes les lumières et à toutes les distances[NdÉ 3].

D’ailleurs le sens de la vue étant le seul qui produise les idées du mouvement, le seul par lequel on puisse comparer immédiatement les espaces parcourus, et les oiseaux étant de tous les animaux les plus habiles, les plus propres au mouvement, il n’est pas étonnant qu’ils aient en même temps le sens qui le guide plus parfait et plus sûr ; ils peuvent parcourir dans un très petit temps un grand espace ; il faut donc qu’ils en voient l’étendue et même les limites. Si la nature, en leur donnant la rapidité du vol, les eût rendus myopes, ces deux qualités eussent été contraires, l’oiseau n’aurait jamais osé se servir de sa légèreté ni prendre un essor rapide, il n’aurait fait que voltiger lentement, dans la crainte des chocs et des résisstances imprévues. La seule vitesse avec laquelle on voit voler un oiseau peut indiquer la portée de sa vue, je ne dis pas la portée absolue, mais relative ; un oiseau dont le vol est très vif, direct et soutenu, voit certainement plus loin qu’un autre de même forme, qui néanmoins se meut plus lentement et plus obliquement ; et si jamais la nature a produit des oiseaux a vue courte et à vol très rapide, ces espèces auront péri par cette contrariété de qualités, dont l’une non seulement empêche l’exercice de l’autre, mais expose l’individu à des risques sans nombre[NdÉ 4], d’où l’on doit présumer que les oiseaux dont le vol est le plus court et le plus lent sont ceux aussi dont la vue est la moins étendue, comme l’on voit, dans les quadrupèdes, ceux qu’on nomme paresseux (l’unau et l’aï) qui ne se meuvent que lentement, avoir les yeux couverts et la vue basse.

L’idée du mouvement et toutes les autres idées qui l’accompagnent ou qui en dérivent, telles que celles des vitesses relatives, de la grandeur des espaces, de la proportion des hauteurs, des profondeurs et des inégalités des surfaces, sont donc plus nettes, et tiennent plus de place dans la tête de l’oiseau que dans celle du quadrupède ; et il semble que la nature ait voulu nous indiquer cette vérité par la proportion qu’elle a mise entre la grandeur de l’œil et celle de la tête[NdÉ 5] : car, dans les oiseaux, les yeux sont proportionnellement beaucoup plus grands[3] que dans l’homme et dans les animaux quadrupèdes ; ils sont plus grands, plus organisés, puisqu’il y a deux membranes de plus ; ils sont donc plus sensibles, et dès lors ce sens de la vue plus étendu, plus distinct et plus vif dans l’oiseau que dans le quadrupède, doit influer en même proportion sur l’organe intérieur du sentiment, en sorte que l’instinct des oiseaux sera par cette première cause modifié différemment de celui des quadrupèdes.

Une seconde cause qui vient à l’appui de la première, et qui doit rendre l’instinct de l’oiseau différent de celui du quadrupède, c’est l’élément qu’il habite et qu’il peut parcourir sans toucher à la terre. L’oiseau connaît peut-être mieux que l’homme tous les degrés de la résistance de l’air, de sa température à différentes hauteurs, de sa pesanteur relative, etc. Il prévoit plus que nous, il indiquerait mieux que nos baromètres et nos thermomètres les variations, les changements qui arrivent à cet élément mobile ; mille et mille fois il a éprouvé ses forces contre celles du vent, et plus souvent encore il s’en est aidé pour voler plus vite et plus loin. L’aigle, en s’élevant au-dessus des nuages[4], peut passer tout à coup de l’orage dans le calme, jouir d’un ciel serein et d’une lumière pure, tandis que les autres animaux dans l’ombre sont battus de la tempête ; il peut en vingt-quatre heures changer de climat, et, planant au-dessus des différentes contrées, s’en former un tableau dont l’homme ne peut avoir d’idée. Nos plans a vue d’oiseau, qui sont si longs, si difficiles à faire avec exactitude, ne nous donnent encore que des notions imparfaites de l’inégalité relative des surfaces qu’ils représentent : l’oiseau, qui a la puissance de se placer dans les vrais points de vue, et de les parcourir promptement et successivement en tout sens, en voit plus, d’un coup d’œil, que nous ne pouvons en estimer, en juger, par nos raisonnements, même appuyés de toutes les combinaisons de notre art ; et le quadrupède borné, pour ainsi dire, à la motte de terre sur laquelle il est né, ne connaît que sa vallée, sa montagne ou sa plaine ; il n’a nulle idée de l’ensemble des surfaces, nulle notion des grandes distances, nul désir de les parcourir ; et c’est par cette raison que les grands voyages et les migrations sont aussi rares parmi les quadrupèdes qu’elles sont fréquentes dans les oiseaux ; c’est ce désir, fondé sur la connaissance des lieux éloignés, sur la puissance qu’ils se sentent de s’y rendre en peu de temps, sur la notion anticipée des changements de l’atmosphère et de l’arrivée des saisons, qui les détermine à partir ensemble et d’un commun accord : dès que les vivres commencent à leur manquer[NdÉ 6], dès que le froid ou le chaud les incommode, ils méditent leur retraite ; d’abord ils semblent se rassembler de concert pour entraîner leurs petits et leur communiquer ce même désir de changer de climat, que ceux-ci ne peuvent encore avoir acquis par aucune notion, aucune connaissance, aucune expérience précédente. Les pères et mères rassemblent leur famille pour la guider pendant la traversée, et toutes les familles se réunissent, non seulement parce que tous les chefs sont animés du même désir, mais parce qu’en augmentant les troupes ils se trouvent en force pour résister à leurs ennemis.

Et ce désir de changer de climat, qui communément se renouvelle deux fois par an, c’est-à-dire en automne et au printemps, est une espèce de besoin si pressant, qu’il se manifeste dans les oiseaux captifs par les inquiétudes les plus vives. Nous donnerons à l’article de la caille un détail d’observations à ce sujet, par lesquelles on verra que ce désir est l’une des affections les plus fortes de l’instinct de l’oiseau ; qu’il n’y a rien qu’il ne tente dans ces deux temps de l’année pour se mettre en liberté, et que souvent il se donne la mort par les efforts qu’il fait pour sortir de sa captivité ; au lieu que dans tous les autres temps il paraît la supporter tranquillement, et même chérir sa prison, s’il s’y trouve renfermé avec sa femelle dans la saison des amours : lorsque celle de la migration approche, on voit les oiseaux libres, non seulement se rassembler en famille, se réunir en troupes, mais encore s’exercer à faire de longs vols, de grandes tournées avant que d’entreprendre leur plus grand voyage. Au reste, les circonstances de ces migrations varient dans les différentes espèces ; tous les oiseaux voyageurs ne se réunissent pas en troupes, il y en a qui partent seuls, d’autres avec leurs femelles et leur famille, d’autres qui marchent par petits détachements, etc. Mais, avant d’entrer dans le détail que ce sujet exige[5], continuons nos recherches sur les causes qui constituent l’instinct et modifient la nature des oiseaux.

L’homme, supérieur à tous les êtres organisés, a le sens du toucher, et peut-être celui du goût, plus parfait qu’aucun des animaux, mais il est inférieur à la plupart d’entre eux par les trois autres sens ; et, en ne comparant que les animaux entre eux, il paraît que la plupart des quadrupèdes ont l’odorat plus vif, plus étendu que ne l’ont les oiseaux ; car, quoi qu’on dise de l’odorat du corbeau, du vautour, etc., il est fort inférieur à celui du chien, du renard, etc. : on peut d’abord en juger par la conformation même de l’organe ; il y a un grand nombre d’oiseaux qui n’ont point de narines, c’est-à-dire point de conduits ouverts au-dessus du bec ; en sorte qu’ils ne peuvent recevoir les odeurs que par la fente intérieure qui est dans la bouche ; et dans ceux qui ont des conduits ouverts au-dessus du bec[6], et qui ont plus d’odorat que les autres, les nerfs olfactifs sont néanmoins bien plus petits proportionnellement, et moins nombreux, moins étendus que dans les quadrupèdes : aussi l’odorat ne produit dans l’oiseau que quelques effets assez rares, assez peu remarquables[NdÉ 8], au lieu que, dans le chien et dans plusieurs autres quadrupèdes, ce sens paraît être la source et la cause principale de leurs déterminations et de leurs mouvements. Ainsi le toucher dans l’homme, l’odorat dans le quadrupède, et l’œil dans l’oiseau, sont les premiers sens, c’est-à-dire ceux qui sont les plus parfaits, ceux qui donnent à ces différents êtres les sensations dominantes.

Après la vue, l’ouïe me paraît être le second sens de l’oiseau, c’est-à-dire le second par la perfection ; l’ouïe est non seulement plus parfaite que l’odorat, le goût et le toucher dans l’oiseau, mais même plus parfaite que l’ouïe des quadrupèdes ; on le voit par la facilité avec laquelle la plupart des oiseaux retiennent et répètent des sons et des suites de sons, et même la parole ; on le voit par le plaisir qu’ils trouvent à chanter continuellement, à gazouiller sans cesse, surtout lorsqu’ils sont le plus heureux, c’est-à-dire dans le temps de leurs amours ; ils ont les organes de l’oreille et de la voix plus souples et plus puissants ; ils s’en servent aussi beaucoup plus que les animaux quadrupèdes. La plupart de ceux-ci sont fort silencieux, et leur voix, qu’ils ne font entendre que rarement, est presque toujours désagréable et rude ; dans celle des oiseaux, on trouve de la douceur, de l’agrément, de la mélodie ; il y a quelques espèces dont, à la vérité, la voix paraît insupportable, surtout en la comparant à celle des autres, mais ces espèces sont en assez petit nombre, et ce sont les plus gros oiseaux que la nature semble avoir traités comme les quadrupèdes, en ne leur donnant pour voix qu’un seul ou plusieurs cris, qui paraissent d’autant plus rauques, plus perçants et plus forts, qu’ils ont moins de proportion avec la grandeur de l’animal ; un paon, qui n’a pas la centième partie du volume d’un bœuf, se fait entendre de plus loin ; un rossignol peut remplir de ses sons tout autant d’espace qu’une grande voix humaine : cette prodigieuse étendue, cette force de leur voix dépend en entier de leur conformation, tandis que la continuité de leur chant ou de leur silence ne dépend que de leurs affections intérieures : ce sont deux choses qu’il faut considérer à part.

L’oiseau a d’abord les muscles pectoraux beaucoup plus charnus et plus forts que l’homme ou que tout autre animal, et c’est par cette raison qu’il fait agir ses ailes avec beaucoup plus de vitesse et de force que l’homme ne peut remuer ses bras ; et en même temps que les puissances qui font mouvoir les ailes sont plus grandes, le volume des ailes est aussi plus étendu, et la masse plus légère, relativement à la grandeur et au poids du corps de l’oiseau ; de petits os vides et minces[NdÉ 9], peu de chair, des tendons fermes et des plumes avec une étendue souvent double, triple et quadruple de celle du diamètre du corps, forment l’aile de l’oiseau, qui n’a besoin que de la réaction de l’air pour soulever le corps, et de légers mouvements pour le soutenir élevé. La plus ou moins grande facilité du vol, ses différents degrés de rapidité, sa direction même de bas en haut et de haut en bas dépendent de la combinaison de tous les résultats de cette conformation. Les oiseaux dont l’aile et la queue sont plus longues et le corps plus petit sont ceux qui volent le plus vite et le plus longtemps ; ceux au contraire qui, comme l’outarde, le casoar ou l’autruche, ont les ailes et la queue courtes, avec un grand volume de corps, ne s’élèvent qu’avec peine ou même ne peuvent quitter la terre.

La force des muscles, la conformation des ailes, l’arrangement des plumes et la légèreté des os, sont les causes physiques de l’effet du vol, qui paraît fatiguer si peu la poitrine de l’oiseau, que c’est souvent dans ce temps même du vol qu’il fait le plus retentir sa voix par des cris continus ; c’est que, dans l’oiseau, le thorax avec toutes les parties qui en dépendent ou qu’il contient, est plus fort et plus étendu à l’intérieur et à l’extérieur qu’il ne l’est dans les autres animaux ; de même que les muscles pectoraux placés à l’extérieur sont plus gros, la trachée-artère est plus grande et plus forte, elle se termine ordinairement au-dessous en une large cavité qui multiplie le volume du son. Les poumons, plus grands, plus étendus que ceux des quadrupèdes, ont plusieurs appendices qui forment des poches[NdÉ 10], des espèces de réservoirs d’air qui rendent encore le corps de l’oiseau plus léger[NdÉ 11], en même temps qu’ils fournissent aisément et abondamment la substance aérienne qui sert d’aliment à la voix. On a vu, dans l’histoire de l’ouarine, qu’une assez légère différence, une extension de plus dans les parties solides de l’organe, donne à ce quadrupède, qui n’est que d’une grandeur médiocre, une voix si facile et si forte, qu’il la fait retentir presque continuellement à plus d’une lieue de distance, quoique les poumons soient conformés comme ceux des autres animaux quadrupèdes ; à plus grande raison, ce même effet se trouve dans l’oiseau où il y a un grand appareil dans les organes qui doivent produire les sons, et où toutes les parties de la poitrine paraissent être formées pour concourir à la force et à la durée de la voix[7].

Il me semble qu’on peut démontrer, par des faits combinés, que la voix des oiseaux est non seulement plus forte que celle des quadrupèdes, relativement au volume de leur corps, mais même absolument, et sans y faire entrer ce rapport de grandeur : communément les cris de nos quadrupèdes domestiques ou sauvages ne se font pas entendre au delà d’un quart ou d’un tiers de lieue, et ce cri se fait dans la partie de l’atmosphère la plus dense, c’est-à-dire la plus propre à propager le son ; au lieu que la voix des oiseaux qui nous parvient du haut des airs se fait dans un milieu plus rare, et où il faut une plus grande force pour produire le même effet. On sait, par des expériences faites avec la machine pneumatique, que le son diminue à mesure que l’air devient plus rare ; et j’ai reconnu, par une observation que je crois nouvelle, combien la différence de cette raréfaction influe en plein air. J’ai souvent passé des jours entiers dans les forêts, où l’on est obligé de s’appeler de loin et d’écouter avec attention pour entendre le son du cor et la voix des chiens ou des hommes ; j’ai remarqué que, dans le temps de la plus grande chaleur du jour, c’est-à-dire depuis dix heures jusqu’à quatre, on ne peut entendre que d’assez près les mêmes voix, les mêmes sons que l’on entend de loin le matin, le soir, et surtout la nuit, dont le silence ne fait rien ici, parce qu’à l’exception des cris de quelques reptiles ou de quelques oiseaux nocturnes, il n’y avait pas le moindre bruit dans ces forêts ; j’ai de plus observé qu’à toutes les heures du jour et de la nuit on entendait plus loin en hiver par la gelée que par le plus beau temps de toute autre saison. Tout le monde peut s’assurer de la vérité de cette observation, qui ne demande, pour être bien faite, que la simple attention de choisir les jours sereins et calmes, pour que le vent ne puisse déranger le rapport que nous venons d’indiquer dans la propagation du son ; il m’a souvent paru que je ne pouvais entendre à midi que de six cents pas de distance la même voix que j’entendais de douze ou quinze cents à six heures du matin ou du soir, sans pouvoir attribuer cette grande différence à d’autre cause qu’à la raréfaction de l’air plus grande à midi, et moindre le soir ou le matin ; et puisque ce degré de raréfaction fait une différence de plus de moitié sur la distance à laquelle peut s’étendre le son à la surface de la terre, c’est-à-dire dans la partie la plus basse et la plus dense de l’atmosphère, qu’on juge de combien doit être la perte du son dans les parties supérieures où l’air devient plus rare à mesure qu’on s’élève et dans une proportion bien plus grande que celle de la raréfaction causée par la chaleur du jour ! Les oiseaux dont nous entendons la voix d’en haut, et souvent sans les apercevoir, sont alors élevés à une hauteur égale à trois mille quatre cent trente-six fois leur diamètre, puisque ce n’est qu’à cette distance que l’œil humain cesse de voir les objets. Supposons donc que l’oiseau avec ses ailes étendues fasse un objet de quatre pieds de diamètre, il ne disparaîtra qu’à la hauteur de treize mille sept cent quarante-quatre pieds ou de plus de deux mille toises ; et si nous supposons une troupe de trois ou quatre cents gros oiseaux, tels que des cigognes, des oies, des canards, dont quelquefois nous entendons la voix avant de les apercevoir, l’on ne pourra nier que la hauteur à laquelle ils s’élèvent ne soit encore plus grande, puisque la troupe, pour peu qu’elle soit serrée, forme un objet dont le diamètre est bien plus grand. Ainsi l’oiseau, en se faisant entendre d’une lieue du haut des airs, et produisant des sons dans un milieu qui en diminue l’intensité et en raccourcit de plus de moitié la propagation, a par conséquent la voix quatre fois plus forte que l’homme ou le quadrupède qui ne peut se faire entendre à une demi-lieue sur la surface de la terre ; et cette estimation est peut-être plus faible que trop forte, car, indépendamment de ce que nous venons d’exposer, il y a encore une considération qui vient à l’appui de nos conclusions, c’est que le son rendu dans le milieu des airs doit, en se propageant, remplir une sphère dont l’oiseau est le centre, tandis que le son produit à la surface de la terre ne remplit qu’une demi-sphère, et que la partie du son qui se réfléchit contre la terre aide et sert à la propagation de celui qui s’étend en haut et à côté ; c’est par cette raison qu’on dit que la voix monte, et que de deux personnes qui se parlent du haut d’une tour en bas, celui qui est au-dessus est forcé de crier beaucoup plus fort que l’autre, s’il veut s’en faire également entendre.

Et à l’égard de la douceur de la voix et de l’agrément du chant des oiseaux, nous observerons que c’est une qualité en partie naturelle et en partie acquise : la grande facilité qu’ils ont à retenir et répéter les sons fait que non seulement ils en empruntent les uns des autres, mais que souvent ils copient les inflexions, les tons de la voix humaine et de nos instruments. N’est-il pas singulier que, dans tous les pays peuplés et policés, la plupart des oiseaux aient la voix charmante et le chant mélodieux, tandis que, dans l’immense étendue des déserts de l’Afrique et de l’Amérique, où l’on n’a trouvé que des hommes sauvages, il n’existe aussi que des oiseaux criards, et qu’à peine on puisse citer quelques espèces dont la voix soit douce et le chant agréable ? Doit-on attribuer cette différence à la seule influence du climat ? l’excès du froid et du chaud produit, à la vérité, des qualités excessives dans la nature des animaux, et se marque souvent à l’extérieur par des caractères durs et par des couleurs fortes[NdÉ 12]. Les quadrupèdes dont la robe est variée et empreinte de couleurs opposées, semée de taches rondes ou rayée de bandes longues, tels que les panthères, les léopards, les zèbres, les civettes, sont tous des animaux des climats les plus chauds ; presque tous les oiseaux de ces mêmes climats brillent à nos yeux des plus vives couleurs, au lieu que dans les pays tempérés les teintes sont plus faibles, plus nuancées, plus douces : sur trois cents espèces d’oiseaux que nous pouvons compter dans notre climat, le paon, le coq, le loriot, le martin-pêcheur, le chardonneret, sont presque les seuls que l’on puisse citer pour la variété des couleurs, tandis que la nature semble avoir épuisé ses pinceaux sur le plumage des oiseaux de l’Amérique, de l’Afrique et de l’Inde. Ces quadrupèdes, dont la robe est si belle, ces oiseaux dont le plumage éclate des plus vives couleurs, ont en même temps la voix dure et sans inflexions, les sons rauques et discordants, le cri désagréable et même effrayant[NdÉ 13] ; on ne peut douter que l’influence du climat ne soit la cause principale de ces effets, mais ne doit-on pas y joindre, comme cause secondaire, l’influence de l’homme ? Dans tous les animaux retenus en domesticité ou détenus en captivité, les couleurs naturelles et primitives ne s’exaltent jamais, et paraissent ne varier que pour se dégrader, se nuancer et se radoucir[NdÉ 14] ; on en a vu nombre d’exemples dans les quadrupèdes ; il en est de même dans les oiseaux domestiques ; les coqs et les pigeons ont encore plus varié pour les couleurs que les chiens ou les chevaux. L’influence de l’homme sur la nature s’étend bien au delà de ce qu’on imagine ; il influe directement et presque immédiatement sur le naturel, sur la grandeur et la couleur des animaux qu’il propage et qu’il s’est soumis ; il influe médiatement et de plus loin sur tous les autres, qui, quoique libres, habitent le même climat. L’homme a changé, pour sa plus grande utilité, dans chaque pays la surface de la terre ; les animaux qui y sont attachés, et qui sont forcés d’y chercher leur subsistance, qui vivent, en un mot, sous ce même climat et sur cette même terre dont l’homme a changé la nature, ont dû changer aussi et se modifier ; ils ont pris par nécessité plusieurs habitudes qui paraissent faire partie de leur nature ; ils en ont pris d’autres par crainte qui ont altéré, dégradé leurs mœurs ; ils en ont pris par imitation ; enfin ils en ont reçu par l’éducation, à mesure qu’ils en étaient plus ou moins susceptibles ; le chien s’est prodigieusement perfectionné par le commerce de l’homme, sa férocité naturelle s’est tempérée et a cédé à la douceur de la reconnaissance et de l’attachement dès qu’en lui donnant sa subsistance l’homme a satisfait à ses besoins : dans cet animal, les appétits les plus véhéments dérivent de l’odorat et du goût, deux sens qu’on pourrait réunir en un seul, qui produit les sensations dominantes du chien et des autres animaux carnassiers, desquels il ne diffère que par un point de sensibilité que nous avons augmenté ; une nature moins forte, moins fière, moins féroce que celle du tigre, du léopard ou du lion, un naturel dès lors plus flexible, quoique avec des appétits tout aussi véhéments, s’est néanmoins modifié, ramolli par les impressions douces du commerce des hommes, dont l’influence n’est pas aussi grande sur les autres animaux, parce que les uns ont une nature revêche, impénétrable aux affections douces ; que les autres sont durs, insensibles ou trop défiants ou trop timides ; que tous, jaloux de leur liberté, fuient l’homme, et ne le voient que comme leur tyran ou leur destructeur.

L’homme a moins d’influence sur les oiseaux que sur les quadrupèdes, parce que leur nature est plus éloignée, et qu’ils sont moins susceptibles des sentiments d’attachement et d’obéissance ; les oiseaux que nous appelons domestiques, ne sont que prisonniers ; ils ne nous rendent aucun service pendant leur vie : ils ne nous sont utiles que par leur propagation, c’est-à-dire par leur mort ; ce sont des victimes que nous multiplions sans peine, et que nous immolons sans regret et avec fruit. Comme leur instinct diffère de celui des quadrupèdes et n’a nul rapport avec le nôtre, nous ne pouvons leur rien inspirer directement, ni même leur communiquer indirectement aucun sentiment relatif ; nous ne pouvons influer que sur la machine, et eux aussi ne peuvent nous rendre que machinalement ce qu’ils ont reçu de nous. Un oiseau dont l’oreille est assez délicate, assez précise pour saisir et retenir une suite de sons et même de paroles, et dont la voix est assez flexible pour les répéter distinctement, reçoit ces paroles sans les entendre, et les rend comme il les a reçues ; quoiqu’il articule des mots, il ne parle pas, parce que cette articulation de mots n’émane pas du principe de la parole, et n’en est qu’une imitation qui n’exprime rien de ce qui se passe à l’intérieur de l’animal, et ne représente aucune de ses affections. L’homme a donc modifié dans les oiseaux quelques puissances physiques, quelques qualités extérieures, telles que celles de l’oreille et de la voix, mais il a moins influé sur les qualités intérieures. On en instruit quelques-uns à chasser et même à rapporter leur gibier ; on en apprivoise quelques autres assez pour les rendre familiers ; à force d’habitude, on les amène au point de s’attacher à leur prison, de reconnaître aussi la personne qui les soigne ; mais tous ces sentiments sont bien légers, bien peu profonds, en comparaison de ceux que nous transmettons aux animaux quadrupèdes, et que nous leur communiquons avec plus de succès en moins de temps et en plus grande quantité. Quelle comparaison y a-t-il entre l’attachement d’un chien et la familiarité d’un serin, entre l’intelligence d’un éléphant et celle de l’autruche, qui néanmoins paraît être le plus grave, le plus réfléchi des oiseaux, soit parce que l’autruche est en effet l’éléphant des oiseaux par la taille, et que le privilège de l’air sensé est, dans les animaux, attaché à la grandeur, soit qu’étant moins oiseau qu’aucun autre, et ne pouvant quitter la terre, elle tienne en effet de la nature des quadrupèdes ?

Maintenant si l’on considère la voix des oiseaux, indépendamment de l’influence de l’homme, que l’on sépare dans le perroquet, le serin, le sansonnet, le merle, les sons qu’ils ont acquis de ceux qui leur sont naturels ; que surtout on observe les oiseaux libres et solitaires, on reconnaîtra que non seulement leur voix se modifie suivant leurs affections, mais même qu’elle s’étend, se fortifie, s’altère, se change, s’éteint ou se renouvelle selon les circonstances et le temps : comme la voix est, de toutes leurs facultés, l’une des plus faciles et dont l’exercice leur coûte le moins, ils s’en servent au point de paraître en abuser, et ce ne sont pas les femelles qui (comme on pourrait le croire) abusent le plus de cet organe ; elles sont, dans les oiseaux, bien plus silencieuses que les mâles ; elles jettent, comme eux, des cris de douleur ou de crainte ; elles ont des expressions ou des murmures d’inquiétude ou de sollicitude, surtout pour leurs petits ; mais le chant paraît être interdit à la plupart d’entre elles, tandis que dans le mâle c’est l’une des qualités qui fait le plus de sensation. Le chant est le produit naturel d’une douce émotion, c’est l’expression agréable d’un désir tendre qui n’est qu’à demi satisfait : le serin dans sa volière, le verdier dans les plaines, le loriot dans les bois, chantent également leurs amours à voix éclatante, à laquelle la femelle ne répond que par quelques petits sons de pur consentement ; dans quelques espèces, la femelle applaudit au chant du mâle par un semblable chant, mais toujours moins fort et moins plein ; le rossignol, en arrivant avec les premiers jours du printemps, ne chante point encore, il garde le silence jusqu’à ce qu’il soit apparié ; son chant est d’abord assez court, incertain, peu fréquent, comme s’il n’était pas encore sûr de sa conquête, et sa voix ne devient pleine, éclatante et soutenue jour et nuit, que quand il voit déjà sa femelle, chargée du fruit de ses amours, s’occuper d’avance des soins maternels ; il s’empresse à les partager, il l’aide à construire le nid, jamais il ne chante avec plus de force et de continuité que quand il la voit travaillée des douleurs de la ponte, et ennuyée d’une longue et continuelle incubation ; non seulement il pourvoit à sa subsistance pendant tout ce temps, mais il cherche à le rendre plus court en multipliant ses caresses, en redoublant ses accents amoureux ; et ce qui prouve que le chant dépend en effet et en entier des amours, c’est qu’il cesse avec elles : dès que la femelle couve, elle ne chante plus, et vers la fin de juin le mâle se tait aussi, ou ne se fait entendre que par quelques sons rauques semblables au coassement d’un reptile, et si différents des premiers qu’on a de la peine à se persuader que ces sons viennent du rossignol, ni même d’un autre oiseau.

Ce chant, qui cesse et se renouvelle tous les ans, et qui ne dure que deux ou trois mois ; cette voix dont les beaux sons n’éclatent que dans la saison de l’amour, qui s’altère ensuite et s’éteint comme la flamme de ce feu satisfait, indique un rapport physique entre les organes de la génération et ceux de la voix, rapport qui paraît avoir une correspondance plus précise et des effets encore plus étendus dans l’oiseau. On sait que, dans l’homme, la voix ne devient pleine qu’après la puberté ; que, dans les quadrupèdes, elle se renforce et devient effrayante dans le temps du rut : la réplétion des vaisseaux spermatiques, la surabondance de la nourriture organique, excitent une grande irritation dans les parties de la génération ; celles de la gorge et de la voix paraissent se ressentir plus ou moins de cette chaleur irritante ; la croissance de la barbe, la force de la voix, l’extension de la partie génitale dans le mâle, l’accroissement des mamelles, le développement des corps glanduleux dans la femelle, qui tous arrivent en même temps, indiquent assez la correspondance des parties de la génération avec celles de la gorge et de la voix. Dans les oiseaux, les changements sont encore plus grands : non seulement ces parties sont irritées, altérées ou changées par ces mêmes causes, mais elles paraissent même se détruire en entier pour se renouveler : les testicules, qui, dans l’homme et dans la plupart des quadrupèdes, sont à peu près les mêmes en tout temps, se flétrissent dans les oiseaux, et se trouvent, pour ainsi dire, réduits à rien après la saison des amours, au retour de laquelle ils renaissent, prennent une vie végétative et grossissent au delà de ce que semble permettre la proportion du corps ; le chant, qui cesse et renaît dans les mêmes temps, nous indique des altérations relatives dans le gosier de l’oiseau, et il serait bon d’observer s’il ne se fait pas alors dans les organes de sa voix quelque production nouvelle, quelque extension considérable, qui ne dure qu’autant que le gonflement des parties de la génération.

Au reste, l’homme paraît encore avoir influé sur ce sentiment d’amour, le plus profond de la nature ; il semble au moins qu’il en ait étendu la durée et multiplié les effets dans les animaux quadrupèdes et dans les oiseaux qu’il retient en domesticité ; les oiseaux de basse-cour et les quadrupèdes domestiques ne sont pas bornés, comme ceux qui sont libres, à une seule saison, à un seul temps de rut ; le coq, le pigeon, le canard, peuvent, comme le cheval, le bélier et le chien, s’unir et produire presque en toute saison, au lieu que les quadrupèdes et les oiseaux sauvages, qui n’ont reçu que la seule influence de la nature, sont bornés à une ou deux saisons, et ne cherchent à s’unir que dans ces seuls temps de l’année.

Nous venons d’exposer quelques-unes des principales qualités dont la nature a doué les oiseaux ; nous avons tâché de reconnaître les influences de l’homme sur leurs facultés ; nous avons vu qu’ils l’emportent sur lui et sur tous les animaux quadrupèdes, par l’étendue et la vivacité du sens de la vue, par la précision, la sensibilité de celui de l’oreille, par la facilité et la force de la voix, et nous verrons bientôt qu’ils l’emportent encore de beaucoup par les puissances de la génération et par l’aptitude au mouvement, qui paraît leur être plus naturel que le repos ; il y en a, comme les oiseaux de paradis, les mouettes, les martins-pêcheurs, etc., qui semblent être toujours en mouvement, et ne se reposer que par instants ; plusieurs se joignent, se choquent, semblent s’unir dans l’air ; tous saisissent leur proie en volant, sans se détourner, sans s’arrêter ; au lieu que le quadrupède est forcé de prendre des points d’appui, des moments de repos pour se joindre, et que l’instant où il atteint sa proie est la fin de sa course : l’oiseau peut donc faire dans l’état de mouvement plusieurs choses qui, dans le quadrupède, exigent l’état de repos ; il peut aussi faire beaucoup plus en moins de temps, parce qu’il se meut avec plus de vitesse, plus de continuité, plus de durée : toutes ces causes réunies influent sur les habitudes naturelles de l’oiseau, et rendent encore son instinct différent de celui du quadrupède.

Pour donner quelque idée de la durée et de la continuité du mouvement des oiseaux, et aussi de la proportion du temps et des espaces qu’ils ont coutume de parcourir dans leurs voyages, nous comparerons leur vitesse avec celle des quadrupèdes dans leurs plus grandes courses naturelles ou forcées : le cerf, le renne et l’élan peuvent faire quarante lieues en un jour ; le renne, attelé à un traîneau, en fait trente, et peut soutenir ce même mouvement plusieurs jours de suite ; le chameau peut faire trois cents lieues en huit jours ; le cheval élevé pour la course, et choisi parmi les plus légers et les plus vigoureux, pourra faire une lieue en six ou sept minutes, mais bientôt sa vitesse se ralentit, et il serait incapable de fournir une carrière un peu longue qu’il aurait entamée avec cette rapidité. Nous avons cité l’exemple de la course d’un Anglais, qui fit en onze heures trente-deux minutes soixante-douze lieues en changeant vingt et une fois de cheval ; ainsi les meilleurs chevaux ne peuvent pas faire quatre lieues dans une heure, ni plus de trente lieues dans un jour. Or la vitesse des oiseaux est bien plus grande, car en moins de trois minutes on perd de vue un gros oiseau, un milan qui s’éloigne, un aigle qui s’élève et qui présente une étendue dont le diamètre est de plus de quatre pieds : d’où l’on doit inférer que l’oiseau parcourt plus de sept cent cinquante toises par minute, et qu’il peut se transporter à vingt lieues dans une heure : il pourra donc aisément parcourir deux cents lieues tous les jours en dix heures de vol, ce qui suppose plusieurs intervalles dans le jour, et la nuit entière de repos. Nos hirondelles et nos autres oiseaux voyageurs peuvent donc se rendre de notre climat sous la ligne en moins de sept ou huit jours. M. Adanson[8] a vu et tenu, à la côte du Sénégal, des hirondelles arrivées le 9 octobre, c’est-à-dire huit ou neuf jours après leur départ d’Europe. Pietro della Valle dit qu’en Perse[9] le pigeon messager fait en un jour plus de chemin qu’un homme de pied ne peut en faire en six. On connaît l’histoire du faucon de Henri II, qui, s’étant emporté après une canepetière à Fontainebleau, fut pris le lendemain à Malte, et reconnu à l’anneau qu’il portait ; celle du faucon des Canaries[10], envoyé au duc de Lerme, qui revint d’Andalousie à l’île de Téneriffe en seize heures, ce qui fait un trajet de deux cent cinquante lieues. Hans Sloane[11] assure qu’à la Barbade les mouettes vont se promener en troupes à plus de deux cents milles de distance, et qu’elles reviennent le même jour. Une promenade de plus de cent trente lieues indique assez la possibilité d’un voyage de deux cents ; et je crois qu’on peut conclure, de la combinaison de tous ces faits, qu’un oiseau de haut vol peut parcourir chaque jour quatre ou cinq fois plus de chemin que le quadrupède le plus agile.

Tout contribue à cette facilité de mouvement dans l’oiseau, d’abord les plumes, dont la substance est très légère, la surface très grande, et dont les tuyaux sont creux ; ensuite l’arrangement[12] de ces mêmes plumes, la forme des ailes convexe en dessus et concave en dessous, leur fermeté, leur grande étendue et la force des muscles qui les font mouvoir ; enfin, la légèreté même du corps, dont les parties les plus massives, telles que les os, sont beaucoup plus légères que celles des quadrupèdes ; car les cavités dans les os des oiseaux sont proportionnellement beaucoup plus grandes que dans les quadrupèdes, et les os plats qui n’ont point de cavités sont plus minces et ont moins de poids. « Le squelette[13] de l’onocrotale, disent les anatomistes de l’Académie, est extrêmement léger : il ne pesait que vingt-trois onces, quoiqu’il soit très grand. » Cette légèreté des os diminue considérablement le poids du corps de l’oiseau, et l’on reconnaîtra, en pesant à la balance hydrostatique le squelette d’un quadrupède et celui d’un oiseau, que le premier est spécifiquement bien plus pesant que l’autre.

Un second effet très remarquable, et que l’on doit rapporter à la nature des os, est la durée de la vie des oiseaux, qui, en général, est plus longue et ne suit pas les mêmes règles, les mêmes proportions que dans les animaux quadrupèdes. Nous avons vu que dans l’homme et dans ces animaux la durée de la vie est toujours proportionnelle au temps employé à l’accroissement du corps, et en même temps nous avons observé qu’en général ils ne sont en état d’engendrer que lorsqu’ils ont pris la plus grande partie de leur accroissement. Dans les oiseaux, l’accroissement est plus prompt et la reproduction plus précoce ; un jeune oiseau peut se servir de ses pieds en sortant de la coque, et de ses ailes peu de temps après ; il peut marcher en naissant et voler un mois ou cinq semaines après sa naissance ; un coq est en état d’engendrer à l’âge de quatre mois, et ne prend son entier accroissement qu’en un an ; les oiseaux plus petits le prennent en quatre ou cinq mois ; ils croissent donc plus vite et produisent bien plus tôt que les animaux quadrupèdes, et néanmoins ils vivent bien plus longtemps proportionnellement ; car la durée totale de la vie étant dans l’homme et dans les quadrupèdes six ou sept fois plus grande que celle de leur entier accroissement, il s’ensuivrait que le coq ou le perroquet, qui ne sont qu’un an à croître, ne devraient vivre que six ou sept ans, au lieu que j’ai vu grand nombre d’exemples bien différents : des linottes prisonnières et néanmoins âgées de quatorze et quinze ans, des coqs de vingt ans et des perroquets âgés de plus de trente ; je suis même porté à croire que leur vie pourrait s’étendre bien au delà des termes que je viens d’indiquer[14], et je suis persuadé qu’on ne peut attribuer cette longue durée de la vie dans des êtres aussi délicats, et que les moindres maladies font périr, qu’à la texture de leurs os, dont la substance moins solide, plus légère que celle des os des quadrupèdes, reste plus longtemps poreuse ; en sorte que l’os ne se durcit, ne se remplit, ne s’obstrue pas aussi vite à beaucoup près que dans les quadrupèdes ; cet endurcissement de la substance des os est, comme nous l’avons dit, la cause générale de la mort naturelle[NdÉ 15] : le terme en est d’autant plus éloigné que les os sont moins solides ; c’est par cette raison qu’il y a plus de femmes que d’hommes qui arrivent à une vieillesse extrême ; c’est par cette même raison que les oiseaux vivent plus longtemps que les quadrupèdes, et les poissons plus longtemps que les oiseaux, parce que les os des poissons sont d’une substance encore plus légère, et qui conserve sa ductilité plus longtemps que celle des oiseaux.

Si nous voulons maintenant comparer un peu plus en détail les oiseaux avec les animaux quadrupèdes, nous y trouverons plusieurs rapports particuliers qui nous rappelleront l’uniformité du plan général de la nature ; il y a dans les oiseaux, comme dans les quadrupèdes, des espèces carnassières, et d’autres auxquelles les fruits, les grains, les plantes, suffisent pour se nourrir. La même cause physique, qui produit dans l’homme et dans les animaux la nécessité de vivre de chair et d’aliments très substantiels, se retrouve dans les oiseaux ; ceux qui sont carnassiers n’ont qu’un estomac et des intestins moins étendus que ceux qui se nourrissent de grains ou de fruits[15] ; le jabot dans ceux-ci, et qui manque ordinairement aux premiers, correspond à la panse des animaux ruminants ; ils peuvent vivre d’aliments légers et maigres, parce qu’ils peuvent en prendre un grand volume en remplissant leur jabot, et compenser ainsi la qualité par la quantité ; ils ont deux cæcums et un gésier qui est un estomac très musculeux, très ferme, qui leur sert à triturer les parties dures des grains qu’ils avalent, au lieu que les oiseaux de proie ont les intestins bien moins étendus, et n’ont ordinairement ni gésier, ni jabot, ni double cæcum.

Le naturel et les mœurs dépendent beaucoup des appétits : en comparant donc à cet égard les oiseaux aux quadrupèdes, il me paraît que l’aigle, noble et généreux, est le lion ; que le vautour, cruel, insatiable, est le tigre ; le milan, la buse, le corbeau, qui ne cherchent que les vidanges et les chairs corrompues, sont les hyènes, les loups et les chacals ; les faucons, les éperviers, les autours et les autres oiseaux chasseurs, sont les chiens, les renards, les onces et les lynx ; les chouettes, qui ne voient et ne chassent que la nuit, seront les chats ; les hérons, les cormorans, qui vivent de poissons, seront les castors et les loutres ; les pics seront les fourmiliers, puisqu’ils se nourrissent de même en tirant également la langue pour la charger de fourmis. Les paons, les coqs, les dindons, tous les oiseaux à jabot représentent les bœufs, les brebis, les chèvres et les autres animaux ruminants ; de manière qu’en établissant une échelle des appétits, et présentant le tableau des différentes façons de vivre, on retrouvera dans les oiseaux les mêmes rapports et les mêmes différences que nous avons observées dans les quadrupèdes, et même les nuances en seront peut-être plus variées ; par exemple, les oiseaux paraissent avoir un fonds particulier de subsistance, la nature leur a livré, pour nourriture, tous les insectes que les quadrupèdes dédaignent : la chair, le poisson, les amphibies, les reptiles, les insectes, les fruits, les grains, les semences, les racines, les herbes, tout ce qui vit ou végète devient leur pâture ; et nous verrons qu’ils sont assez indifférents sur le choix, et que souvent ils suppléent à l’une des nourritures par une autre. Le sens du goût, dans la plupart des oiseaux, est presque nul, ou du moins fort inférieur à celui des quadrupèdes ; ceux-ci, dont le palais et la langue sont, à la vérité, moins délicats que dans l’homme, ont cependant ces organes plus sensibles et moins durs que les oiseaux, dont la langue est presque cartilagineuse ; car, de tous les oiseaux, il n’y a guère que ceux qui se nourrissent de chair dont la langue soit molle et assez semblable, pour la substance, à celle des quadrupèdes. Ces oiseaux auront donc le sens du goût meilleur que les autres, d’autant qu’ils paraissent aussi avoir plus d’odorat, et que la finesse de l’odorat supplée à la grossièreté du goût ; mais, comme l’odorat est plus faible et le tact du goût plus obtus dans tous les oiseaux que dans les quadrupèdes, ils ne peuvent guère juger des saveurs : aussi voit-on que la plupart ne font qu’avaler sans jamais savourer ; la mastication, qui fait une grande partie de la jouissance de ce sens, leur manque ; il sont, par toutes ces raisons, si peu délicats sur les aliments que quelquefois ils s’empoisonnent en voulant se nourrir[16].

C’est donc sans connaissance et sans réflexion que quelques naturalistes[17] ont divisé les genres des oiseaux par leur manière de vivre ; cette idée eût été plus applicable aux quadrupèdes, parce que leur goût étant plus vif et plus sensible, leurs appétits sont plus décidés, quoique l’on puisse dire avec raison des quadrupèdes comme des oiseaux que la plupart de ceux qui se nourrissent de plantes ou d’autres aliments maigres pourraient aussi manger de la chair. Nous voyons les poules, les dindons et les autres oiseaux qu’on appelle granivores, rechercher les vers, les insectes, les parcelles de viande encore plus soigneusement qu’ils ne cherchent les graines ; on nourrit avec de la chair hachée le rossignol qui ne vit que d’insectes ; les chouettes, qui sont naturellement carnassières, mais qui ne peuvent attraper la nuit que des chauves-souris, se rabattent sur les papillons phalènes qui volent aussi dans l’obscurité : le bec crochu n’est pas, comme le disent les gens amoureux des causes finales, un indice, un signe certain d’un appétit décidé pour la chair, ni un instrument fait exprès pour la déchirer, puisque les perroquets et plusieurs autres oiseaux dont le bec est crochu semblent préférer les fruits et les graines à la chair ; ceux qui sont les plus voraces, les plus carnassiers, mangent du poisson, des crapauds, des reptiles, lorsque la chair leur manque. Presque tous les oiseaux qui paraissent ne vivre que de graines ont néanmoins été nourris dans le premier âge par leurs pères et mères avec des insectes. Ainsi rien n’est plus gratuit et moins fondé que cette division des oiseaux tirée de leur manière de vivre, ou de la différence de leur nourriture ; jamais on ne déterminera la nature d’un être par un seul caractère ou par une seule habitude naturelle ; il faut au moins en réunir plusieurs, car plus les caractères seront nombreux et moins la méthode aura d’imperfection ; mais, comme nous l’avons tant dit et répété, rien ne peut la rendre complète que l’histoire et la description de chaque espèce en particulier.

Comme la mastication manque aux oiseaux, que le bec ne représente qu’à certains égards la mâchoire des quadrupèdes, que même il ne peut suppléer que très imparfaitement à l’office des dents[18], qu’ils sont forcés d’avaler les graines entières ou à demi concassées, et qu’ils ne peuvent les broyer avec le bec, ils n’auraient pu les digérer, ni par conséquent se nourrir, si leur estomac eût été conformé comme celui des animaux qui ont des dents[NdÉ 16] ; les oiseaux granivores ont des gésiers, c’est-à-dire des estomacs d’une substance assez ferme et assez solide pour broyer les aliments, à l’aide de quelques petits cailloux qu’ils avalent ; c’est comme s’ils portaient et plaçaient à chaque fois des dents dans leur estomac où l’action du broiement et de la trituration par le frottement[19] est bien plus grande que dans les quadrupèdes et même dans les animaux carnassiers qui n’ont point de gésier, mais un estomac souple et assez semblable à celui des autres animaux : on a observé que ce seul frottement dans le gésier avait rayé profondément et usé presque aux trois quarts plusieurs pièces de monnaie qu’on avait fait avaler à une autruche[20].

De la même manière que la nature a donné aux quadrupèdes qui fréquentent les eaux, ou qui habitent les pays froids, une double fourrure et des poils plus serrés, plus épais, de même tous les oiseaux aquatiques et ceux des terres du nord sont pourvus d’une grande quantité de plumes et d’un duvet très fin, en sorte qu’on peut juger, par cet indice, de leur pays natal et de l’élément auquel ils donnent la préférence. Dans tous les climats, les oiseaux d’eau sont à peu près également garnis de plumes, et ils ont près de la queue de grosses glandes, des espèces de réservoirs d’une matière huileuse dont ils se servent pour lustrer et vernir leurs plumes : ce qui, joint à leur épaisseur, les rend imperméables à l’eau, qui ne peut que glisser sur leur surface ; les oiseaux de terre manquent de ces glandes, ou les ont beaucoup plus petites.

Les oiseaux presque nus, tels que l’autruche, le casoar, le dronte, ne se trouvent que dans les pays chauds ; tous ceux des pays froids sont bien fourrés et bien couverts ; les oiseaux de haut vol ont besoin de toutes leurs plumes pour résister au froid de la moyenne région de l’air. Lorsqu’on veut empêcher un aigle de s’élever trop haut et de se perdre à nos yeux, il ne faut que lui dégarnir le ventre ; il devient dès lors trop sensible au froid pour s’élever à cette grande hauteur.

Tous les oiseaux, en général, sont sujets à la mue comme les quadrupèdes ; la plus grande partie de leurs plumes tombent et se renouvellent tous les ans, et même les effets de ce changement sont bien plus sensibles que dans les quadrupèdes ; la plupart des oiseaux sont souffrants et malades dans la mue, quelques-uns en meurent, aucun ne produit dans ce temps ; la poule la mieux nourrie cesse alors de pondre, la nourriture organique qui auparavant était employée à la reproduction se trouve consommée, absorbée et au delà par la nutrition de ces plumes nouvelles, et cette même nourriture organique ne redevient surabondante que quand elles ont pris leur entière croissance. Communément c’est vers la fin de l’été et en automne que les oiseaux muent[21] ; les plumes renaissent en même temps, la nourriture abondante qu’ils trouvent dans cette saison est en grande partie consommée par la croissance de ces plumes nouvelles, et ce n’est que quand elles ont pris leur entier accroissement, c’est-à-dire à l’arrivée du printemps, que la surabondance de la nourriture, aidée de la douceur de la saison, les porte à l’amour ; alors toutes les plantes renaissent, les insectes engourdis se réveillent ou sortent de leur nymphe, la terre semble fourmiller de vie ; cette chère nouvelle, qui ne paraît préparée que pour eux, leur donne une nouvelle vigueur, un surcroît de vie qui se répand par l’amour et se réalise par la reproduction.

On croirait qu’il est aussi essentiel à l’oiseau de voler qu’au poisson de nager, et au quadrupède de marcher ; cependant il y a, dans tous ces genres, des exceptions à ce fait général ; et de même que dans les quadrupèdes il y en a, comme les roussettes, les rougettes et les chauves-souris, qui volent et ne marchent pas, d’autres qui, comme les phoques, les morses et les lamantins, ne peuvent que nager, ou qui, comme les castors et les loutres, marchent plus difficilement qu’ils ne nagent ; d’autres enfin qui, comme les paresseux, peuvent à peine se traîner. De même, dans les oiseaux, on trouve l’autruche, le casoar, le dronte, le thouyou, etc., qui ne peuvent voler et sont réduits à marcher ; d’autres, comme les pingoins, les perroquets de mer, etc., qui volent et nagent, mais ne peuvent marcher ; d’autres qui, comme les oiseaux de paradis, ne marchent ni ne nagent, et ne peuvent prendre de mouvement qu’en volant. Seulement il paraît que l’élément de l’eau appartient plus aux oiseaux qu’aux quadrupèdes ; car, à l’exception d’un petit nombre d’espèces, tous les animaux terrestres fuient l’eau, et ne nagent que quand ils y sont forcés par la crainte ou par le besoin de nourriture : au lieu que dans les oiseaux il y a une grande tribu d’espèces qui ne se plaisent que sur l’eau, et semblent n’aller à terre que par nécessité et pour des besoins particuliers, comme celui de déposer leurs œufs hors de l’atteinte des eaux, etc., et ce qui démontre que l’élément de l’eau appartient plus aux oiseaux qu’aux animaux terrestres, c’est qu’il n’y a que trois ou quatre quadrupèdes qui aient des membranes entre les doigts des pieds ; au lieu qu’on peut compter plus de trois cents oiseaux pourvus de ces membranes qui leur donnent la facilité de nager. D’ailleurs, la légèreté de leurs plumes et de leurs os, la forme même de leur corps, contribuent prodigieusement à cette plus grande facilité ; l’homme est peut-être, de tous les êtres, celui qui fait le plus d’efforts en nageant, parce que la forme de son corps est absolument opposée à cette espèce de mouvement ; dans les quadrupèdes, ceux qui ont plusieurs estomacs ou de gros et longs intestins nagent, comme plus légers, plus aisément que les autres, parce que ces grandes cavités intérieures rendent leur corps spécifiquement moins pesant ; les oiseaux dont les pieds sont des espèces de rames, dont la forme du corps est oblongue, arrondie comme celle d’un navire, et dont le volume est si léger qu’il n’enfonce qu’autant qu’il faut pour se soutenir, sont, par toutes ces causes, presque aussi propres à nager qu’à voler ; et même cette faculté de nager se développe la première, car on voit les petits canards s’exercer sur les eaux longtemps avant que de prendre leur essor dans les airs.

Dans les quadrupèdes, surtout dans ceux qui ne peuvent rien saisir avec leurs doigts, qui n’ont que des cornes aux pieds ou des ongles durs, le sens du toucher paraît être réuni avec celui du goût dans la gueule : comme c’est la seule partie qui soit divisée, et par laquelle ils puissent saisir les corps et en connaître la forme, en appliquant à leur surface la langue, le palais et les dents, cette partie est le principal siège de leur toucher, ainsi que de leur goût. Dans les oiseaux, le toucher de cette partie est donc au moins aussi imparfait que dans les quadrupèdes, parce que leur langue et leur palais sont moins sensibles ; mais il paraît qu’ils l’emportent sur ceux-ci par le toucher des doigts, et que le principal siège de ce sens y réside ; car, en général, ils se servent de leurs doigts beaucoup plus que les quadrupèdes, soit pour saisir[22], soit pour palper les corps ; néanmoins l’intérieur des doigts étant, dans les oiseaux, toujours revêtu d’une peau dure et calleuse, le tact ne peut en être délicat, et les sensations qu’il produit doivent être assez peu distinctes.

Voici donc l’ordre des sens, tel que la nature paraît l’avoir établi pour les différents êtres que nous considérons. Dans l’homme, le toucher est le premier, c’est-à-dire le plus parfait ; le goût est le second, la vue le troisième, l’ouïe le quatrième et l’odorat le dernier des sens. Dans le quadrupède, l’odorat est le premier, le goût le second, ou plutôt ces deux sens n’en font qu’un ; la vue, le troisième ; l’ouïe, le quatrième, et le toucher le dernier. Dans l’oiseau, la vue est le premier, l’ouïe est le second, le toucher le troisième, le goût et l’odorat les derniers. Les sensations dominantes, dans chacun de ces êtres, suivront le même ordre : l’homme sera plus ému par les impressions du toucher, le quadrupède par celles de l’odorat, et l’oiseau par celles de la vue ; la plus grande partie de leurs jugements, de leurs déterminations, dépendront de ces sensations dominantes ; celles des autres sens, étant moins fortes et moins nombreuses, seront subordonnées aux premières et n’influeront qu’en second sur la nature de l’être. L’homme sera aussi réfléchi que le sens du toucher paraît grave et profond ; le quadrupède aura des appétits plus véhéments que ceux de l’homme, et l’oiseau, des sensations plus légères et aussi étendues que l’est le sens de la vue.

Mais il y a un sixième sens, qui, quoique intermittent, semble, lorsqu’il agit, commander à tous les autres, et produire alors les sensations dominantes, les mouvements les plus violents et les affections les plus intimes : c’est le sens de l’amour ; rien n’égale la force de ses impressions dans les animaux quadrupèdes, rien n’est plus pressant que leurs besoins, rien de plus fougueux que leurs désirs ; ils se recherchent avec l’empressement le plus vif, et s’unissent avec une espèce de fureur. Dans les oiseaux, il y a plus de tendresse, plus d’attachement, plus de morale en amour, quoique le fonds physique en soit peut-être encore plus grand que dans les quadrupèdes ; à peine peut-on citer, dans ceux-ci, quelques exemples de chasteté conjugale, et encore moins du soin des pères pour leur progéniture ; au lieu que dans les oiseaux ce sont les exemples contraires qui sont rares, puisqu’à l’exception de ceux de nos basses-cours et de quelques autres espèces, tous paraissent s’unir par un pacte constant, et qui dure au moins aussi longtemps que l’éducation de leurs petits.

C’est qu’indépendamment du besoin de s’unir, tout mariage suppose une nécessité d’arrangement pour soi-même et pour ce qui doit en résulter ; les oiseaux qui sont forcés, pour déposer leurs œufs, de construire un nid que la femelle commence par nécessité et auquel le mâle amoureux travaille par complaisance, s’occupant ensemble de cet ouvrage, prennent de l’attachement l’un pour l’autre ; les soins multipliés, les secours mutuels, les inquiétudes communes, fortifient ce sentiment, qui augmente encore et qui devient plus durable par une seconde nécessité, c’est de ne pas laisser refroidir les œufs, ni perdre le fruit de leurs amours pour lequel ils ont déjà pris tant de soins ; la femelle ne pouvant les quitter, le mâle va chercher et lui apporte sa subsistance ; quelquefois même il la remplace, ou se réunit avec elle pour augmenter la chaleur du nid et partager les ennuis de sa situation ; l’attachement qui vient de succéder à l’amour subsiste dans toute sa force pendant le temps de l’incubation, et il paraît s’accroître encore et s’épanouir davantage à la naissance des petits ; c’est une autre jouissance, mais en même temps ce sont de nouveaux liens ; leur éducation est un nouvel ouvrage auquel le père et la mère doivent travailler de concert. Les oiseaux nous représentent donc tout ce qui se passe dans un ménage honnête : de l’amour suivi d’un attachement sans partage, et qui ne se répand ensuite que sur la famille. Tout cela tient, comme l’on voit, à la nécessité de s’occuper ensemble de soins indispensables et de travaux communs ; et ne voit-on pas aussi que cette nécessité de travail ne se trouvant chez nous que dans la seconde classe, les hommes de la première pouvant s’en dispenser, l’indifférence et l’infidélité n’ont pu manquer de gagner les conditions élevées ?

Dans les animaux quadrupèdes, il n’y a que de l’amour physique et point d’attachement, c’est-à-dire nul sentiment durable entre le mâle et la femelle, parce que leur union ne suppose aucun arrangement précédent, et n’exige ni travaux communs ni soins subséquents ; dès lors point de mariage. Le mâle dès qu’il a joui se sépare de la femelle, soit pour passer à d’autres, soit pour se refaire ; il n’est ni mari ni père de famille, car il méconnaît et sa femme et ses enfants ; elle-même, s’étant livrée à plusieurs, n’attend de soins ni de secours d’aucun : elle reste seule chargée du poids de sa progéniture et des peines de l’éducation ; elle n’a d’attachement que pour ses petits, et ce sentiment dure souvent plus longtemps que dans l’oiseau : comme il paraît dépendre du besoin que les petits ont de leur mère, qu’elle les nourrit de sa propre substance, et que ses secours sont plus longtemps nécessaires dans la plupart des quadrupèdes qui croissent plus lentement que les oiseaux, l’attachement dure aussi plus longtemps ; il y a même plusieurs espèces d’animaux quadrupèdes où ce sentiment n’est pas détruit par de nouvelles amours, et où l’on voit la mère conduire également et soigner ses petits de deux ou trois portées. Il y a aussi quelques espèces de quadrupèdes dans lesquelles la société du mâle et de la femelle dure et subsiste pendant le temps de l’éducation des petits ; on le voit dans les loups et les renards ; le chevreuil surtout peut être regardé comme le modèle de la fidélité conjugale : il y a, au contraire, quelques espèces d’oiseaux dont la pariade ne dure pas plus longtemps que les besoins de l’amour[23] ; mais ces exceptions n’empêchent pas qu’en général la nature n’ait donné plus de constance en amour aux oiseaux qu’aux quadrupèdes.

Et ce qui prouve encore que ce mariage et ce moral d’amour n’est produit dans les oiseaux que par la nécessité d’un travail commun, c’est que ceux qui ne font point de nid ne se marient point et se mêlent indifféremment : on le voit par l’exemple familier de nos oiseaux de basse-cour ; le mâle paraît seulement avoir quelques attentions de plus pour ses femelles que n’en ont les quadrupèdes, parce qu’ici la saison des amours n’est pas limitée, qu’il peut se servir plus longtemps de la même femelle, que le temps des pontes est plus long, qu’elles sont plus fréquentes, qu’enfin, comme on enlève les œufs, les temps d’incubation sont moins pressés, et que les femelles ne demandent à couver que quand leurs puissances pour la génération se trouvent amorties et presque épuisées : ajoutez à toutes ces causes le peu de besoin que ces oiseaux domestiques ont de construire un nid pour se mettre en sûreté et se soustraire aux yeux, l’abondance dans laquelle ils vivent, la facilité de recevoir leur nourriture ou de la trouver toujours au même lieu, toutes les autres commodités que l’homme leur fournit, qui dispensent ces oiseaux des travaux, des soins et des inquiétudes que les autres ressentent et partagent en commun, et vous retrouverez chez eux les premiers effets du luxe et les maux de l’opulence, libertinage et paresse.

Au reste, dans ces oiseaux dont nous avons gâté les mœurs en les servant, comme dans ceux qui les ont conservées parce qu’ils sont forcés de travailler ensemble et de se servir eux-mêmes, le fonds de l’amour physique, c’est-à-dire l’étoffe, la substance qui produit cette sensation, et en réalise les effets, est bien plus grand que dans les animaux quadrupèdes. Un coq suffit aisément à douze ou quinze poules, et féconde par un seul acte tous les œufs que chacune peut produire en vingt jours[NdÉ 17] ; il pourrait donc absolument parlant devenir chaque jour père de trois cents enfants. Une bonne poule peut produire cent œufs dans une seule saison, depuis le printemps jusqu’en automne. Quelle différence de cette grande multiplication au petit produit de nos quadrupèdes les plus féconds ! Il semble que toute la nourriture qu’on fournit abondamment à ces oiseaux, se convertissant en liqueur séminale, ne serve qu’à leurs plaisirs, et tourne tout entière au profit de la propagation ; ce sont des espèces de machines que nous montons, que nous arrangeons nous-mêmes pour la multiplication : nous en augmentons prodigieusement le nombre en les tenant ensemble, en les nourrissant largement et en les dispensant de tout travail, de tous soins, de toute inquiétude pour les besoins de la vie ; car le coq et la poule sauvages ne produisent dans l’état naturel qu’autant que nos perdrix et nos cailles, et quoique de tous les oiseaux les gallinacés soient les plus féconds, leur produit se réduit à dix-huit ou vingt œufs, et leurs amours à une seule saison, lorsqu’ils sont dans l’état de nature : à la vérité, il pourrait y avoir deux saisons et deux pontes dans des climats plus heureux, comme l’on voit dans celui-ci plusieurs espèces d’oiseaux pondre deux et même trois fois dans un été, mais aussi le nombre des œufs est moins grand dans toutes ces espèces, et le temps de l’incubation est plus court dans quelques-unes. Ainsi, quoique les oiseaux soient en puissance bien plus prolifiques que les quadrupèdes, ils ne le sont pas beaucoup plus par l’effet : les pigeons, les tourterelles, etc., ne pondent que deux œufs ; les grands oiseaux de proie n’en pondent que trois ou quatre ; la plupart des autres oiseaux cinq ou six ; et il n’y a que les poules et les autres gallinacés, tels que le paon, le dindon, le faisan, les perdrix et les cailles, qui produisent en grand nombre[NdÉ 18].

La disette, les soins, les inquiétudes, le travail forcé, diminuent dans tous les êtres les puissances et les effets de la génération. Nous l’avons vu dans les animaux quadrupèdes, et on le voit encore plus évidemment dans les oiseaux ; ils produisent d’autant plus qu’ils sont mieux nourris, plus choyés, mieux servis ; et si nous ne considérons que ceux qui sont livrés à eux-mêmes et exposés à tous les inconvénients qui accompagnent l’entière indépendance, nous trouverons qu’étant continuellement travaillés de besoins, d’inquiétudes et de crainte, ils n’usent pas, à beaucoup près, autant qu’il se pourrait, de toutes leurs puissances pour la génération ; ils semblent même en ménager les effets et les proportionner aux circonstances de leur situation. Un oiseau, après avoir construit son nid et fait sa ponte que je suppose de cinq œufs, cesse de pondre, et ne s’occupe que de leur conservation ; tout le reste de la saison sera employé à l’incubation et à l’éducation des petits, et il n’y aura point d’autre ponte ; mais si par hasard on brise les œufs, on renverse le nid, il en construit bientôt un autre, et pond encore trois ou quatre œufs, et si on détruit ce second ouvrage comme le premier, l’oiseau travaillera de nouveau, et pondra encore deux ou trois œufs ; cette seconde et cette troisième pontes dépendent donc en quelque sorte de la volonté de l’oiseau : lorsque la première réussit, et tant qu’elle subsiste, il ne se livre pas aux émotions d’amour et aux autres affections intérieures qui peuvent donner à de nouveaux œufs la vie végétative nécessaire à leur accroissement et à leur exclusion au dehors ; mais si la mort a moissonné sa famille naissante ou prête à naître, il se livre bientôt à ces affections, et démontre par un nouveau produit que ses puissances pour la génération n’étaient que suspendues et point épuisées, et qu’il ne se privait des plaisirs qui la précèdent que pour satisfaire au devoir naturel du soin de sa famille. Le devoir l’emporte donc encore ici sur la passion, et l’attachement sur l’amour ; l’oiseau paraît commander à ce dernier sentiment bien plus qu’au premier, auquel du moins il obéit toujours de préférence ; ce n’est que par la force qu’il se départ de l’attachement pour ses petits, et c’est volontairement qu’il renonce aux plaisirs de l’amour, quoique très en état d’en jouir.

De la même manière que, dans les oiseaux, les mœurs sont plus pures en amour, de même aussi les moyens d’y satisfaire sont plus simples que dans les quadrupèdes ; ils n’ont qu’une seule façon de s’accoupler[24], au lieu que nous avons vu dans les quadrupèdes des exemples de toutes les situations[25] : seulement il y a des espèces, comme celle de la poule, où la femelle s’abaisse en pliant les jambes, et d’autres, comme celle du moineau, où elle ne change rien à sa position ordinaire, et demeure droite sur ses pieds[26]. Dans tous, le temps de l’accouplement est très court, et plus court encore dans ceux qui se tiennent debout que dans ceux qui s’abaissent. La forme extérieure[27] et la structure intérieure des parties de la génération sont fort différentes de celles des quadrupèdes ; et la grandeur, la position, le nombre, l’action et le mouvement de ces parties varient même beaucoup dans les diverses espèces d’oiseaux[28]. Aussi paraît-il qu’il y a intromission réelle dans les uns, et qu’il ne peut y avoir dans les autres qu’une forte compression, ou même un simple attouchement ; mais nous réservons ces détails, ainsi que plusieurs autres, pour l’histoire particulière de chaque genre d’oiseau.

En rassemblant sous un seul point de vue les idées et les faits que nous venons d’exposer, nous trouverons que le sens intérieur, le sensorium de l’oiseau, est principalement rempli d’images produites par le sens de la vue ; que ces images sont superficielles, mais très étendues, et la plupart relatives au mouvement, aux distances, aux espaces ; que, voyant une province entière aussi aisément que nous voyons notre horizon, il porte dans son cerveau une carte géographique des lieux qu’il a vus ; que la facilité qu’il a de les parcourir de nouveau est l’une des causes déterminantes de ses fréquentes promenades et de ses migrations. Nous reconnaîtrons qu’étant très susceptible d’être ébranlé par le sens de l’ouïe, les bruits soudains doivent le remuer violemment, lui donner de la crainte et le faire fuir tandis qu’on peut le faire approcher par des sons doux, et le leurrer par des appeaux ; que les organes de la voix étant très forts et très flexibles, l’oiseau ne peut manquer de s’en servir pour exprimer ses sensations, transmettre ses affections et se faire entendre de très loin ; qu’il peut aussi se mieux exprimer que le quadrupède, puisqu’il a plus de signes, c’est-à-dire plus d’inflexions dans la voix ; que, pouvant recevoir facilement et conserver longtemps les impressions des sons, l’organe de ce sens se monte comme un instrument qu’il se plaît à faire résonner ; mais que ces sons communiqués, et qu’il répète mécaniquement, n’ont aucun rapport avec ses affections intérieures ; que le sens du toucher ne lui donnant que des sensations imparfaites, il n’a que des notions peu distinctes de la forme des corps, quoiqu’il en voie très clairement la surface ; que c’est par le sens de la vue, et non par celui de l’odorat, qu’il est averti de loin de la présence des choses qui peuvent lui servir de nourriture ; qu’il a plus de besoin que d’appétit, plus de voracité que de sensualité ou de délicatesse de goût. Nous verrons que pouvant aisément se soustraire à la main de l’homme, et se mettre même hors de la portée de sa vue, les oiseaux ont dû conserver un naturel sauvage, et trop d’indépendance pour être réduits en vraie domesticité ; qu’étant plus libres, plus éloignés que les quadrupèdes, plus indépendants de l’empire de l’homme, ils sont moins troublés dans le cours de leurs habitudes naturelles ; que c’est par cette raison qu’ils se rassemblent plus volontiers, et que la plupart ont un instinct décidé pour la société ; qu’étant forcés de s’occuper en commun des soins de leur famille, et même de travailler d’avance à la construction de leur nid, ils prennent un fort attachement l’un pour l’autre, qui devient leur affection dominante, et se répand ensuite sur leurs petits ; que ce sentiment doux tempère les passions violentes, modère même celle de l’amour, et fait la chasteté, la pureté de leurs mœurs et la douceur de leur naturel ; que quoique plus riches en fonds d’amour qu’aucun des animaux, ils dépensent à proportion beaucoup moins, ne s’excèdent jamais, et savent subordonner leurs plaisirs à leurs devoirs ; qu’enfin cette classe d’êtres légers que la nature paraît avoir produits dans sa gaieté, peut néanmoins être regardée comme un peuple sérieux, honnête, dont on a eu raison de tirer des fables morales, et d’emprunter des exemples utiles[NdÉ 20].


Notes de Buffon
  1. Cette paupière interne se trouve dans plusieurs animaux quadrupèdes ; mais, dans la plupart, elle n’est pas mobile comme dans les oiseaux.
  2. Dans les yeux d’un coq indien, le nerf optique, qui était situé fort à côté, après avoir percé la sclérotique et la choroïde, s’élargissait et formait un rond, de la circonférence duquel il partait plusieurs filets noirs qui s’unissaient pour former une membrane, que nous avons trouvée dans tous les oiseaux. — Dans les yeux de l’autruche, le nerf optique ayant percé la sclérotique et la choroïde, se dilatait et formait une espèce d’entonnoir d’une substance semblable à la sienne ; cet entonnoir n’est pas ordinairement rond aux oiseaux, où nous avons presque toujours trouvé l’extrémité du nerf optique aplatie et comprimée au dedans de l’œil de cet entonnoir sortait une membrane plissée, faisant comme une bourse qui aboutissait en pointe. Cette bourse, qui était large de six lignes par le bas, à la sortie du nerf optique, et qui allait en pointe vers le haut, était noire, mais d’un autre noir que n’est celui de la choroïde, qui paraît comme enduite d’une couleur détrempée qui s’attache aux doigts ; car c’était une membrane pénétrée de sa couleur, et dont la surface était solide. Mém. pour servir à l’Hist. des animaux, p. 175 et 303.
  3. Le globe de l’œil, dans une aigle femelle, avait, dans la plus grande largeur, un pouce et demi de diamètre ; celui du mâle avait trois lignes de moins. Mém. pour servir à l’Hist. des animaux, partie ii, p. 257. — Le globe de l’œil de l’ibis avait six lignes de diamètre… L’œil de la cigogne était quatre fois plus gros. Idem, partie iii, p. 484. — Le globe de l’œil, dans le casoar, était fort gros à proportion de la cornée, ayant un pouce et demi de diamètre, et la cornée n’ayant que trois lignes. Idem, partie ii, p. 313.
  4. On peut démontrer que l’aigle et les autres oiseaux de haut vol s’élèvent à une hauteur supérieure à celle des nuages, en partant même du milieu d’une plaine, et sans supposer qu’ils gagnent les montagnes qui pourraient leur servir d’échelons ; car on les voit s’élever si haut qu’ils disparaissent à notre vue. Or, l’on sait qu’un objet éclairé par la lumière du jour ne disparaît à nos yeux qu’à la distance de trois mille quatre cent trente-six fois son diamètre, et que par conséquent si l’on suppose l’oiseau placé perpendiculairement au-dessus de l’homme qui le regarde, et que le diamètre du vol ou l’envergure de cet oiseau soit de cinq pieds, il ne peut disparaître qu’à la distance de dix-sept mille cent quatre-vingts pieds ou deux mille huit cent soixante-trois toises, ce qui fait une hauteur bien plus grande que celle des nuages, surtout de ceux qui produisent les orages.
  5. Nous donnerons dans un autre discours les faits qui ont rapport à la migration des oiseaux.
  6. Il y a ordinairement, à la partie supérieure du bec, deux petites ouvertures qui sont les narines de l’oiseau ; quelquefois ces ouvertures extérieures de l’oiseau manquent tout à fait ; en sorte que dans ce cas les odeurs ne pénètrent jusqu’au sens de l’odorat que par la fente intérieure qui est dans la bouche comme dans quelques palettes, les cormorans, l’onocrotale. — Dans le grand vautour, les nerfs olfactifs sont très petits à proportion. Hist. de l’Acad. des Sc., t. I, p. 430[NdÉ 7].
  7. Dans la plupart des oiseaux de rivière, qui ont la voix très forte, la trachée résonne ; c’est que la glotte est placée au bas de la trachée, et non pas au haut comme dans l’homme. Coll. Acad. Part. Fr., t. I, p. 496. — Il en est de même dans le coq. Hist. de l’Acad., t. II, p. 7. — Dans les oiseaux, et spécialement dans les Canards et autres oiseaux de rivière, les organes de la voix consistent en un larynx interne, à l’endroit de la bifurcation de la trachée-artère ; en deux anches membraneuses, qui communiquent par le bas à l’origine des deux premières branches de la trachée ; en plusieurs membranes semi-lunaires, disposées les unes au-dessus des autres, dans les principales branches du poumon charnu, et qui ne remplissent que la moitié de leur cavité, laissant à l’air un libre passage par l’autre demi-cavité ; en d’autres membranes disposées en différents sens, soit dans la partie moyenne, soit dans la partie inférieure de la trachée ; enfin en une membrane plus ou moins solide située presque transversalement entre les deux branches de la lunette, laquelle termine une cavité qui se rencontre constamment à la partie supérieure et interne de la poitrine. Mém. de l’Acad. des Sciences, année 1753, p. 290.
  8. Voyage au Sénégal, par M. Adanson.
  9. Voyage de Pietro della Valle, t. I, p. 416.
  10. Observ. de Sir Edmund Scoty. Voyez Purchass, p. 785.
  11. A voyage to the Islands…, with the natural History, by Sir Hans Sloane. London, t. I, page 27.
  12. Voyez, sur la structure et l’arrangement des plumes, les remarques et observations de MM. de l’Académie des Sciences dans les Mémoires pour servir à l’Histoire des animaux, partie ii, à l’article de l’autruche.
  13. Mémoires pour servir à l’Histoire des animaux, partie iii, article du pélican.
  14. Un homme digne de foi m’a assuré qu’un perroquet âgé d’environ quarante ans avait pondu sans le concours d’aucun mâle, au moins de son espèce. — On a dit qu’un cygne avait vécu trois cents ans ; une oie, quatre-vingts ; un onocrotale autant. L’aigle et le corbeau passent pour vivre très longtemps. Encyclopédie, à l’article Oiseau. — Aldrovande rapporte qu’un pigeon avait vécu vingt-deux ans, et qu’il n’avait cessé d’engendrer que les six dernières années de sa vie. Willughby dit que les linottes vivent quatorze ans, et les chardonnerets vingt-trois, etc.
  15. En général, aux oiseaux qui se nourrissent de chair, les intestins sont courts, et ils n’ont que très peu de cæcum. Dans les oiseaux granivores, les intestins sont beaucoup plus étendus, et ils forment de longs replis ; il y a aussi souvent plusieurs cæcums. Voyez les Mémoires pour servir à l’Histoire des animaux, aux articles des oiseaux.
  16. Le persil, le café, les amandes amères, etc., sont un poison pour les poules, les perroquets et plusieurs autres oiseaux, qui néanmoins les mangent avec autant d’avidité que les autres nourritures qu’on leur offre.
  17. M. Frisch, dont l’ouvrage est d’ailleurs très recommandable à beaucoup d’égards (Hist. des ois., avec des planches coloriées. Berlin, 1736), divise tous les oiseaux en douze classes, dont la première comprend les petits oiseaux à bec court et épais, ouvrant les graines en deux parties égales ; la seconde contient les petits oiseaux à bec menu, mangeant des mouches et des vers ; la troisième, les merles et les grives ; la quatrième, les pics, coucous, huppes et perroquets ; la cinquième, les geais et les pies ; la sixième, les corbeaux et corneilles ; la septième, les oiseaux de proie diurnes ; la huitième, les oiseaux de proie nocturnes ; la neuvième, les poules domestiques et sauvages ; la dixième, les pigeons domestiques et sauvages ; la onzième, les oies, canards et autres animaux nageants ; la douzième, les oiseaux qui aiment les eaux et les terrains aquatiques. On voit bien que l’habitude d’ouvrir les graines en deux parties égales ne doit pas faire un caractère, puisque, dans cette même classe, il y a des oiseaux, comme les mésanges, qui ne les ouvrent pas en deux, mais qui les percent et les déchirent ; que d’ailleurs tous les oiseaux de cette première classe, qui sont supposés ne se nourrir que de graines, mangent aussi des insectes et des vers comme ceux de la seconde : il valait donc mieux réunir ces deux classes en une, comme l’a fait M. Linnæus (Syst. nat., édit. X, t. I, p. 85) ; ou bien, M. Frisch, qui prend pour caractère de la première classe cette manière de manger les graines, aurait dû faire en conséquence une classe particulière des mésanges et des autres oiseaux qui les percent ou les déchirent, et en même temps il n’aurait dû faire qu’une seule classe des poules et des pigeons qui les avalent également sans les percer ni les ouvrir en deux : et néanmoins il fait des poules et des pigeons deux classes séparées.
  18. Dans les perroquets et dans beaucoup d’autres oiseaux, la partie supérieure du bec est mobile comme l’inférieure ; au lieu que, dans les animaux quadrupèdes, il n’y a que la mâchoire inférieure qui soit mobile.
  19. De tous les animaux il n’y en a point dont la digestion soit plus favorable au système de la trituration que celle des oiseaux ; leur gésier a toute la force et la direction de fibres nécessaires, et les oiseaux voraces qui ne se donnent pas le loisir de séparer l’écorce dure des graines qu’ils prennent pour nourriture avalent en même temps de petites pierres par le moyen desquelles leur gésier, en se contractant fortement, casse ces écorces ; c’est là une vraie trituration, mais ce n’est que celle qui dans les autres animaux appartient aux dents ; seulement elle est transposée dans ceux-ci et remise à leur estomac, ce qui n’empêche pas ses liqueurs de dissoudre les graines dépouillées de leur écorce par le broiement ou frottement des petites pierres : avant cet estomac, il y a encore une espèce de poche qui doit y verser une grande quantité de suc blanchâtre, puisque, même après la mort de l’animal, on peut l’en exprimer en la pressant légèrement. M. Helvétius ajoute qu’on trouve quelquefois dans l’œsophage du cormoran des poissons à demi digérés. Histoire de l’Académie des Sciences, année 1719, p. 37.
  20. On trouva dans l’estomac d’une autruche jusqu’à soixante-dix doubles, la plupart consumés presque des trois quarts, et rayés par le frottement mutuel et par celui des cailloux, et non pas par aucune dissolution, parce que quelques-uns de ces doubles, qui étaient creux d’un côté et bossus de l’autre, étaient tellement usés et luisants du côté de la bosse, qu’il n’y paraissait plus rien de la figure de la monnaie qui était demi-usée, et entière de l’autre côté que la cavité avait défendu du frottement ; il est certain que cette cavité n’eût pas garanti le côté où elle était de l’action d’un esprit dissolvant. Mémoires pour servir à l’Histoire des animaux, t. I, p. 139 et 140. — Une pistole d’or d’Espagne, avalée par un canard, avait perdu seize grains de son poids lorsqu’il l’a rendue. Collec. Acad. partie étrangère, t. V, p. 105.
  21. Les oiseaux domestiques, comme les poules, muent ordinairement en automne ; et c’est avant la fin de l’été que les faisans et les perdrix entrent dans la mue : ceux qu’on garde en parquet dans les faisanderies muent immédiatement après leur ponte faite. Dans la campagne, c’est vers la fin de juillet que les perdrix et les faisans subissent ce changement ; seulement les femelles qui ont des petits entrent dans la mue quelques jours plus tard. Les canards sauvages muent aussi avant la fin de juillet. Ces remarques m’ont été données par M. Leroy, lieutenant des chasses à Versailles.
  22. Nous avons vu, dans l’Histoire des animaux quadrupèdes, qu’il n’y en a pas un tiers qui se servent de leurs pieds de devant pour porter à leur gueule, au lieu que la plupart des oiseaux se servent d’une de leurs pattes pour porter à leur bec ; quoique cet acte doive leur coûter plus qu’aux quadrupèdes, puisque n’ayant que deux pieds ils sont obligés de se soutenir avec effort sur un seul pendant que l’autre agit ; au lieu que le quadrupède est alors appuyé sur les trois autres pieds, ou assis sur les parties postérieures de son corps.
  23. Dès que la perdrix rouge femelle couve, le mâle l’abandonne et la laisse chargée seule de l’éducation des petits ; les mâles qui ont servi leurs femelles se rassemblent en compagnies et ne prennent plus aucun intérêt à leur progéniture. Cette remarque m’a été donnée par M. Leroy, lieutenant des chasses de Sa Majesté, à Versailles.
  24. « Genus avium omne eodem illo ac simplici more conjungitur, nempe fœminam mare supergrediente. » Aristot. Hist. anim., lib. v, cap. viii.
  25. La femelle du chameau s’accroupit ; celle de l’éléphant se renverse sur le dos. Les hérissons s’accouplent face à face, debout ou couchés ; et les singes de toutes les façons.
  26. « Coitus avibus duobus modis, fœmina humi considente, ut in gallinâ, aut stante, ut in gruibus ; et quæ ita cœunt rem quam celerrime peragunt ut passeres. » Aristot. Hist. anim., lib. v, cap. ii.
  27. La plupart des oiseaux ont deux verges ou une verge fourchue, et c’est par l’anus que sort cette double verge pour s’étendre au dehors. Dans quelques espèces, cette partie est d’une grandeur très remarquable, et dans d’autres elle est à peine sensible. La femelle n’a pas, comme dans les quadrupèdes, l’orifice de la vulve au-dessous de l’anus, elle le porte au-dessus ; elle n’a point de matrice comme les quadrupèdes, mais de simples ovaires, etc.[NdÉ 19].
  28. Voyez, sur cela, l’Histoire de l’Académie des Sciences, année 1715, p. 11. — Les Mémoires pour servir à l’Histoire des animaux, partie i, p. 230 ; partie ii, p. 108, 134, 164 ; partie iii, p. 71. — La Collection Académique, partie étrangère, t. IV, p. 520, 522, 525 ; et t. V, p. 489.
Notes de l’éditeur
  1. Dans cette édition, nous plaçons l’histoire des oiseaux avant celle des quadrupèdes, de même que nous avons placé tout ce qui concerne les corps minéraux avant la partie relative aux animaux. Cet ordre, conforme à l’évolution de la matière et des êtres vivants, nous paraît plus convenable que celui qui a été suivi dans les éditions antérieures des œuvres de Buffon.
  2. Cette membrane est aujourd’hui connue sous le nom de peigne. Elle part de la papille du nerf optique et s’enfonce dans le corps vitré, en s’étalant en éventail, mais elle n’est point, comme le dit Buffon, produite par un épanouissement du nerf optique. En pénétrant dans la chambre postérieure de l’œil, le peigne repousse devant lui la membrane hyaloïde, de sorte qu’il n’est pas en contact direct avec l’humeur vitrée. Dans la majorité des cas, le peigne ne se prolonge pas jusqu’au cristallin ; dans d’autres, au contraire, il va s’insérer sur la face postérieure de la membrane qui enveloppe le cristallin (membrane cristalloïde). Le peigne est aujourd’hui considéré comme une dépendance de la choroïde. Quant à son rôle physiologique, il a été l’objet de très nombreuses discussions et n’est, en réalité, que peu connu. On s’accorde pourtant à le considérer comme jouant, à l’égard de la rétine, le rôle d’un écran destiné à arrêter les rayons venant de certaines directions.
  3. La faculté que possèdent les oiseaux d’accommoder leur œil de façon à voir à des distances alternativement très éloignées et très rapprochées est due particulièrement à l’énergie de l’action du muscle ciliaire de ces animaux, action qui détermine des changements considérables dans la forme du cristallin.
  4. Buffon montre dans cette phrase qu’il avait compris l’importance, au point de vue de la perpétuation des variations des animaux, du fait auquel Darwin devait, beaucoup plus tard, donner le nom de sélection. (Voyez l’article relatif au Pigeon.)
  5. On a beaucoup discuté, pendant ces dernières années, l’origine physiologique des notions que nous possédons sur la position des objets dans l’espace. M. Cyon a soutenu récemment que ces notions « dépendent surtout des sensations inconscientes d’innervation ou de contraction des muscles oculo-moteurs ; d’autre part, que chaque excitation, même minime, des canaux demi-circulaires produit des contractions et des innervations des mêmes muscles » ; d’où il conclut que « il est incontestable que les centres nerveux dans lesquels aboutissent les fibres nerveuses qui se distribuent dans les canaux sont en relation physiologique intime avec le centre oculo-moteur, et que, par conséquent, leur excitation peut intervenir, d’une manière déterminante, dans la formation de nos notions sur l’espace. » (Cyon, Recherches expérimentales sur les fonctions des canaux demi-circulaires et sur leur rôle dans la formation des notions de l’espace. Paris, 1878.)
  6. On voit par ces mots « dès que les vivres commencent à leur manquer » que Buffon n’a pas méconnu la cause véritable des migrations des oiseaux. Il apprécie très exactement le rôle joué par ce que l’on a appelé l’instinct dans le fait de la migration, quand il nous montre les parents réunissant leurs enfants pour leur « communiquer ce même désir de changer de climat, que ceux-ci ne peuvent avoir acquis par aucune notion, aucune connaissance, aucune expérience précédente. » On ne saurait aujourd’hui dire mieux ni plus nettement.
  7. L’organe de l’odorat des oiseaux est constitué, comme celui des mammifères, par deux fosses nasales situées au-dessus de la bouche avec laquelle elles communiquent par deux ouvertures allongées en forme de fentes. Chez quelques oiseaux, par exemple chez le fou et le cormoran, il n’existe qu’une seule fente. Les ouvertures extérieures des fosses nasales sont situées soit à la base même de la mandibule supérieure (narines basilaires), soit vers le milieu de sa longueur (narines médianes), soit sur les bords (narines marginales). Ces variations dans la position trouvent leur emploi dans la classification des oiseaux. Les orifices des narines sont fréquemment très étroits et parfois même plus ou moins fermés par des soies, des plaques dures ou des écailles cartilagineuses (Gallinacés). Les fosses nasales sont très spacieuses ; elles sont habituellement séparées par une cloison verticale complète, comme dans les mammifères. Cependant, dans quelques cas, la cloison est incomplète. Les parois externes sont formées par trois cornets inégalement développés. Dans les Rapaces, ce sont les cornets supérieurs qui sont les plus développés ; dans les Gallinacés, ce sont les cornets moyens, et dans les Passereaux ce sont les inférieurs. Le nerf olfactif entre dans les fosses nasales par un seul orifice de l’os ethmoïde. Dans l’Apterix seul, il existe une lame criblée donnant passage, par de nombreux orifices, aux branches du nerf olfactif comme dans les mammifères. Le nerf olfactif se distribue dans la muqueuse des cornets supérieur et moyen. Les cellules olfactives sont munies de cils vibratiles. Richard Owen fait remarquer que, sous le rapport de l’olfaction, les vertébrés ovipares à sang chaud témoignent de la plus grande parenté avec les vertébrés ovipares à sang froid.
  8. L’opinion de Buffon a été pleinement confirmée par toutes les observations ultérieures. L’expérience d’Audubon est restée célèbre. Il plaça, dans un endroit fréquenté par les vautours, un crâne de daim préparé depuis longtemps pour être conservé dans une collection, bourré de foin et dépourvu de toute odeur. Les vautours attaquèrent cette fausse proie comme s’il se fût agi d’une tête de daim garnie de ses chairs ; ce n’est qu’après avoir ouvert à coups de bec le crâne qu’ils connurent la mystification dont ils étaient l’objet. Avec un odorat tant soit peu délicat pareille erreur n’eût certainement pas été possible.

    M. A. Milne-Edwards raconte, dans ses cours, une expérience faite par lui-même qui démontre bien nettement le peu d’odorat des vautours : « On plaça dans la cage des vautours une caisse fermée supérieurement par une toile ; celle-ci fut tout d’abord lacérée à plusieurs reprises ; puis, s’habituant à l’objet dont la nouveauté leur avait inspiré de si vives alarmes, les oiseaux ne lui prêtèrent plus nulle attention. On introduisit alors dans la boîte, toujours couverte d’un simple prélart, des viandes dont l’odeur ne tarda pas à se répandre au loin, sans paraître être aucunement perçue par les Rapaces ; on les priva de leur nourriture habituelle ; inquiets, affamés, ils erraient sans cesse dans le parc sans jamais songer à déchirer le mince tissu qui les séparait de leur proie. » (Chatin, les Organes des sens dans la série animale.)

  9. Ajoutons que les os des oiseaux contiennent de l’air et sont en communication avec les poumons par l’intermédiaire des sacs aériens.
  10. Ces poches communiquent avec les poumons. Chaque poumon présente cinq grands orifices par lesquels les branches s’ouvrent dans les sacs aériens. Les sacs sont au nombre de neuf : quatre sont logés dans la cavité thoracique ; cinq sont situés en dehors de cette cavité. Chez certains oiseaux, l’air venu des poumons se répand en outre sous la peau, dans de vastes cavités communiquant toutes les unes avec les autres. Il en est ainsi, notamment, chez le Fou et le Pélican.
  11. Il est bien démontré, en effet, que les sacs aériens ont pour effet de diminuer la densité des oiseaux et d’agir, chez les oiseaux aériens, à la façon d’un aérostat auquel l’animal serait fixé ; mais la diminution de densité paraît être encore plus sensible chez les oiseaux aquatiques. M. Bert pense même que chez les plongeurs le mouvement de culbute est favorisé par un déplacement de l’air alternativement d’avant en arrière et d’arrière en avant. « Veuillez remarquer, dit-il (Lec. sur la physiol. comparée de la respiration., p. 328), ce qui vient à l’appui de cette hypothèse, que, chez ces oiseaux plongeurs (Canard Milouin, Foulque), le sac interclaviculaire, fort bombé en avant, est revêtu d’une couche musculaire épaisse, parfaitement capable de le comprimer et de le vider en partie en rejetant en arrière l’air qu’il contient. Cette projection s’exécutant au moment même où l’animal lance sa tête en bas et en avant, peut très bien, en amenant plus en avant le centre de gravité, favoriser la culbute ; l’inverse aura lieu lorsque l’oiseau, plongé sous l’eau, contractera ses muscles abdominaux et projettera en avant l’air contenu dans ses grands réservoirs postérieurs. »

    Les poches pulmonaires sont disposées de telle sorte qu’à chaque aspiration il entre dans les poumons à la fois de l’air venant du dehors et de l’air provenant des réservoirs situés en dehors de la cage thoracique.

  12. La voix des oiseaux se perfectionne, comme toutes les autres qualités des animaux, par sélection sexuelle. Chez les oiseaux, le mâle est habituellement beaucoup mieux doué que la femelle au point de vue de la couleur, de la voix, de la force, etc. Cela résulte de ce que les femelles choisissent toujours, à l’époque des amours, les mâles les plus beaux, les plus forts ou ceux qui chantent le mieux. Il en résulte que les individus les mieux doués ont plus de chance que les autres de laisser une descendance, et que les qualités désirées par les femelles vont toujours en augmentant d’intensité de génération en génération. En ce qui concerne la voix, les efforts faits par les mâles au moment où ils courtisent leurs femelles prennent une part manifeste à l’évolution ascendante des qualités du chant.
  13. Il est, en effet, exact que chez les oiseaux la voix et la coloration ne sont jamais également développées dans une même espèce. Cela résulte, sans nul doute, de ce que les femelles recherchent toujours de préférence les individus les mieux doués au point de vue non de l’ensemble des qualités, mais de l’une de ces dernières, et notamment de celle qui est déjà prépondérante. Supposons, par exemple, que dans une espèce quelconque, par suite de circonstances que nous n’avons pas à envisager ici, la voix soit plus développée que la couleur, on peut affirmer, sans crainte de se tromper, que c’est toujours au chant et non à la coloration que les femelles prêteront attention. Par conséquent, dans cette espèce, c’est la voix qui se perfectionnera par sélection, et non la couleur.
  14. Chez les animaux domestiques ou retenus en captivité, les couleurs ne se développent pas parce que la lutte sexuelle est beaucoup moindre que chez les animaux sauvages. La femelle est presque toujours obligée d’accepter le mâle qu’on lui offre ; son choix n’est pas libre. Mais dès que plusieurs mâles d’une même espèce d’oiseaux, des serins, par exemple, sont renfermés dans une même cage avec une seule femelle, il est facile de constater que celle-ci a des préférences manifestes pour certains d’entre eux, et que ces derniers sont toujours les meilleurs chanteurs.
  15. Il est à peine besoin de faire ressortir combien est peu fondée cette assertion de Buffon.
  16. Buffon, qui plus haut raille avec beaucoup de raison « les gens amoureux des causes finales », paraît bien avoir compris que le gésier des oiseaux est la conséquence de leur mode d’alimentation, que c’est la fonction qui a créé l’organe, mais il ne l’indique pas assez nettement. Nous savons aujourd’hui, d’une façon absolument certaine, que les premières formes ancestrales des oiseaux étaient des animaux voisins des reptiles. Il est également permis de supposer que les oiseaux furent d’abord aquatiques, et, par suite, se nourrissaient de viande. Ce n’est qu’ultérieurement et à mesure qu’ils devinrent terrestres, que leur mode d’alimentation changea et qu’ils commencèrent à se nourrir d’herbes molles d’abord, puis de plantes plus dures et enfin de graines. Ce changement d’alimentation dut entraîner la production d’un organe de mastication adapté aux aliments nouveaux. Pour des motifs qu’il est bien difficile de préciser, les mâchoires ne s’étant pas développées en organes externes de mastication, ce fut une portion interne du tube digestif qui s’adapta à cette fonction. De là, sans nul doute, la production du gésier des granivores.
  17. Ce chiffre est probablement beaucoup exagéré. On admet aujourd’hui que le mâle ne peut pas féconder en une fois plus de sept ou huit œufs. Cela tient non à ce que la quantité des spermatozoïdes est insuffisante, mais à ce que les œufs n’arrivent que les uns après les autres à l’état de maturité nécessaire pour que la fécondation puisse se produire.
  18. En règle générale, le nombre des œufs ou des petits d’un animal est proportionné à l’énergie des causes de destruction dont les œufs ou les jeunes sont menacés. Cela résulte de ce que les femelles qui, dans une espèce déterminée, sont les plus prolifiques, ont plus de chances que les autres de voir une partie de leur progéniture résister aux agents de destruction. Les qualités génésiques étant, comme toutes les autres, héréditaires, les enfants d’un couple très prolifique le seront eux-mêmes beaucoup, et cette qualité se perpétuera, se perfectionnera même à mesure que la race s’étendra, tandis que les couples moins prolifiques n’auront pas laissé de descendants.
  19. Les organes de la reproduction des oiseaux sont relativement peu compliqués dans leur structure. Chez le mâle, il existe une paire de testicules logés dans l’abdomen et destinés à produire les spermatozoïdes. De chaque testicule part un canal déférent qui vient déboucher dans un cloaque qui reçoit aussi les canaux évacuateurs de l’urine (urèthres) et le rectum. Dans quelques oiseaux, les canaux déférents se dilatent, au-dessus du cloaque, en vésicules séminales dans lesquelles s’accumule le sperme pendant l’intervalle de deux coïts. Il n’existe pas habituellement d’organe de copulation. Le mâle se borne à appliquer l’orifice de son cloaque ou anus contre l’orifice du cloaque de la femelle, dans lequel passent alors les spermatozoïdes. Chez la cigogne, il existe, sur la paroi antérieure du cloaque, un petit mamelon qui représente un pénis rudimentaire. Chez le canard, l’oie, le cygne, il existe un véritable pénis constitué par un tube recourbé. Chez ces oiseaux, il se produit une véritable copulation.
  20. La grande classe des oiseaux est si naturelle, il existe si peu de différences capitales entre les nombreuses formes qui la composent, que les classes sont fondées sur des caractères souvent peu importants et que les classifications adoptées sont extrêmement nombreuses. Il existe cependant quelques caractères qui permettent de subdiviser rationnellement la classe des oiseaux en ordres assez faciles à reconnaître. Nous adopterons ici la classification suivie par M. Claus dans son Traité de zoologie. Ce savant divise les oiseaux en huit ordres :
    1o Palmipèdes. — Oiseaux aquatiques, à doigts palmés, à pattes souvent rejetées très en arrière ;
    2o Échassiers. — Cou long et grêle ; bec allongé ; pattes très longues, garnies de plumes jusqu’à la moitié du tarse seulement ;
    3o Gallinacés. — Corps ramassé ; ailes courtes, arrondies ; bec fort, court, plus ou moins recourbé au niveau de la pointe ; jambes couvertes de plumes ; doigts antérieurs réunis par une courte membrane ;
    4o Pigeons. — Bec faible, membraneux, renflé autour des narines ; ailes de taille moyenne, pointues ; pieds formés de quatre doigts libres, trois antérieurs et un postérieur, articulés au même niveau ;
    5o Grimpeurs. — Bec robuste ; plumage rigide ; pied formé de quatre doigts, deux antérieurs et deux postérieurs ;
    6o Passereaux. — Bec corné, dépourvu de cire ; tarses recouverts de petites écailles ; pied formé de quatre doigts dirigés en avant ou de trois doigts antérieurs et d’un postérieur, doigts externe et médian, ordinairement soudés jusqu’au milieu de leur largeur ;
    7o Rapaces. — Bec fort et crochu ; tarses couverts de grandes écailles ; pied formé de quatre doigts, trois antérieurs et un postérieur, armés d’ongles puissants ; carnivores.
    8o Coureurs. — Oiseaux de très grande taille ; pied formé de trois ou rarement deux doigts ; sternum aplati, sans bréchet ; ailes rudimentaires, impropres au vol.

    [Note de Wikisource : Tant la classification de Buffon que celle de Lanessan sont dépassées. Dans la suite, pour faciliter au lecteur moderne la recherche de données actualisées, nous nous bornons à donner le nom binominal actuel de chaque espèce décrite ainsi que, s’il est différent du nom utilisé par Buffon, son nom vulgaire. Tous les autres niveaux de la classification, et en particulier les divisions en genres et en ordres, sont totalement obsolètes et impossibles à faire correspondre à des taxons actuels.]