Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Le pigeon

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 504-521).

LE PIGEON


Il était aisé de rendre domestiques des oiseaux pesants, tels que les coqs, les dindons et les paons ; mais ceux qui sont légers et dont le vol est rapide demandaient plus d’art pour être subjugués. Une chaumière basse dans un terrain clos suffit pour contenir, élever et faire multiplier nos volailles ; il faut des tours, des bâtiments élevés, faits exprès, bien enduits en dehors et garnis en dedans de nombreuses cellules, pour attirer, retenir et loger les pigeons : ils ne sont réellement ni domestiques comme les chiens et les chevaux, ni prisonniers comme les poules ; ce sont plutôt des captifs volontaires, des hôtes fugitifs, qui ne se tiennent dans le logement qu’on leur offre qu’autant qu’ils s’y plaisent, autant qu’ils y trouvent la nourriture abondante, le gîte agréable et toutes les commodités, toutes les aisances nécessaires à la vie. Pour peu que quelque chose leur manque ou leur déplaise, ils quittent et se dispersent pour aller ailleurs : il y en a même qui préfèrent constamment les trous poudreux des vieilles murailles aux boulins les plus propres de nos colombiers ; d’autres qui se gîtent dans des fentes et des creux d’arbres ; d’autres qui semblent fuir nos habitations et que rien ne peut y attirer, tandis qu’on en voit, au contraire, qui n’osent les quitter et qu’il faut nourrir autour de leur volière qu’ils n’abandonnent jamais. Ces habitudes opposées, ces différences de mœurs sembleraient indiquer qu’on comprend sous le nom de pigeons[NdÉ 1] un grand nombre d’espèces diverses dont chacune aurait son naturel propre et différent de celui des autres ; et ce qui semblerait confirmer cette idée, c’est l’opinion de nos nomenclateurs modernes, qui comptent, indépendamment d’un grand nombre de variétés, cinq espèces de pigeons, sans y comprendre ni les ramiers, ni les tourterelles. Nous séparerons d’abord ces deux dernières espèces de celles des pigeons ; et comme ce sont, en effet, des oiseaux qui diffèrent spécifiquement les uns des autres, nous traiterons de chacun dans un article séparé.

Les cinq espèces de pigeons indiquées par nos nomenclateurs sont : 1o le pigeon domestique ; 2o le pigeon romain, sous l’espèce duquel ils comprennent seize variétés ; 3o le pigeon biset ; 4o le pigeon de roche avec une variété ; 5o le pigeon sauvage[1]. Or, ces cinq espèces, à mon avis, n’en font qu’une, et voici la preuve : le pigeon domestique et le pigeon romain avec toutes ses variétés, quoique différents par la grandeur et par les couleurs, sont certainement de la même espèce, puisqu’ils produisent ensemble des individus féconds et qui se reproduisent. On ne doit donc pas regarder les pigeons de volière et les pigeons de colombier, c’est-à-dire les grands et les petits pigeons domestiques, comme deux espèces différentes, et il faut se borner à dire que ce sont deux races dans une seule espèce, dont l’une est plus domestique et plus perfectionnée que l’autre ; de même, le pigeon biset, le pigeon de roche et le pigeon sauvage sont trois espèces nominales qu’on doit réduire à une seule, qui est celle du biset, dans laquelle le pigeon de roche et le pigeon sauvage ne sont que des variétés très légères, puisque, de l’aveu même de nos nomenclateurs, ces trois oiseaux sont à peu près de la même grandeur, que tous trois sont de passage, se perchent, ont en tout les mêmes habitudes naturelles et ne diffèrent entre eux que par quelques teintes de couleurs.

Voilà donc nos cinq espèces nominales déjà réduites à deux, savoir, le biset et le pigeon, entre lesquelles deux il n’y a de différence réelle, sinon que le premier est sauvage et le second est domestique : je regarde le biset comme la souche première de laquelle tous les autres pigeons tirent leur origine[NdÉ 2], et duquel ils diffèrent plus ou moins, selon qu’ils ont été plus ou moins maniés par les hommes. Quoique je n’aie pas été à portée d’en faire l’épreuve, je suis persuadé que le biset et le pigeon de nos colombiers produiraient ensemble s’ils étaient unis ; car il y a moins loin de notre petit pigeon domestique au biset qu’aux gros pigeons pattus ou romains, avec lesquels néanmoins il s’unit et produit ; d’ailleurs nous voyons dans cette espèce toutes les nuances du sauvage au domestique se présenter successivement et comme par ordre de généalogie, ou plutôt de dégénération. Le biset nous est représenté d’une manière à ne pouvoir s’y méprendre par ceux de nos pigeons fuyards qui désertent nos colombiers et prennent l’habitude de se percher sur les arbres : c’est la première et la plus forte nuance de leur retour à l’état de nature ; ces pigeons, quoique élevés dans l’état de domesticité, quoique en apparence accoutumés comme les autres à un domicile fixe, à des habitudes communes, quittent ce domicile, rompent toute société, et vont s’établir dans les bois ; ils retournent donc à leur état de nature poussés par leur seul instinct. D’autres, apparemment moins courageux, moins hardis, quoique également amoureux de leur liberté, fuient de nos colombiers pour aller habiter solitairement quelques trous de muraille, ou bien en petit nombre se réfugient dans une tour peu fréquentée ; et malgré les dangers, la disette et la solitude de ces lieux où ils manquent de tout, où ils sont exposés à la belette, aux rats, à la fouine, à la chouette, et où ils sont forcés de subvenir en tout temps à leurs besoins par leur seule industrie, ils restent néanmoins constamment dans ces habitations incommodes et les préfèrent pour toujours à leur premier domicile, où cependant ils sont nés, où ils ont été élevés, où tous les exemples de la société auraient dû les retenir : voilà la seconde nuance. Ces pigeons de murailles ne retournent pas en entier à l’état de nature, ils ne se perchent pas comme les premiers, et sont néanmoins beaucoup plus près de l’état libre que de la condition domestique. La troisième nuance est celle de nos pigeons de colombier, dont tout le monde connaît les mœurs, et qui, lorsque leur demeure convient, ne l’abandonnent pas ou ne la quittent que pour en prendre une qui convient encore mieux, et ils n’en sortent que pour aller s’égayer ou se pourvoir dans les champs voisins. Or, comme c’est parmi ces pigeons mêmes que se trouvent les fuyards et les déserteurs dont nous venons de parler, cela prouve que tous n’ont pas encore perdu leur instinct d’origine et que l’habitude de la libre domesticité dans laquelle ils vivent n’a pas entièrement effacé les traits de leur première nature, à laquelle ils pourraient encore remonter. Mais il n’en est pas de même de la quatrième et dernière nuance dans l’ordre de dégénération : ce sont les gros et les petits pigeons de volière dont les races, les variétés, les mélanges sont presque innumérables, parce que depuis un temps immémorial ils sont absolument domestiques ; et l’homme, en perfectionnant les formes extérieures, a en même temps altéré leurs qualités intérieures et détruit jusqu’au germe du sentiment de la liberté. Ces oiseaux, la plupart plus grands, plus beaux que les pigeons communs, ont encore l’avantage pour nous d’être plus féconds, plus gras, de meilleur goût, et c’est par toutes ces raisons qu’on les a soignés de plus près et qu’on a cherché à les multiplier malgré toutes les peines qu’il faut se donner pour leur éducation et pour le succès de leur nombreux produit et de leur pleine fécondité. Dans ceux-ci, aucun ne remonte à l’état de nature, aucun même ne s’élève à celui de liberté : ils ne quittent jamais les alentours de leur volière ; il faut les y nourrir en tout temps ; la faim la plus pressante ne les détermine pas à aller chercher ailleurs ; ils se laissent mourir d’inanition plutôt que de quêter leur subsistance, accoutumés à la recevoir de la main de l’homme ou à la trouver toute préparée toujours dans le même lieu ; ils ne savent vivre que pour manger, et n’ont aucunes des ressources, aucuns des petits talents que le besoin inspire à tous les animaux. On peut donc regarder cette dernière classe dans l’ordre des pigeons comme absolument domestique, captive sans retour, entièrement dépendante de l’homme ; et comme il a créé tout ce qui dépend de lui, on ne peut douter qu’il ne soit l’auteur de toutes ces races esclaves d’autant plus perfectionnées pour nous qu’elles sont plus dégénérées, plus viciées pour la nature.

Supposant une fois nos colombiers établis et peuplés, ce qui était le premier point et le plus difficile à remplir pour obtenir quelque empire sur une espèce aussi fugitive, aussi volage, on se sera bientôt aperçu que, dans le grand nombre de jeunes pigeons que ces établissements nous produisent à chaque saison, il s’en trouve quelques-uns qui varient pour la grandeur, la forme et les couleurs. On aura donc choisi les plus gros, les plus singuliers, les plus beaux ; on les aura séparés de la troupe commune pour les élever à part avec des soins plus assidus et dans une captivité plus étroite ; les descendants de ces esclaves choisis auront encore présenté de nouvelles variétés, qu’on aura distinguées, séparées des autres, unissant constamment et mettant ensemble ceux qui ont paru les plus beaux ou les plus utiles. Le produit en grand nombre est la première source des variétés dans les espèces ; mais le maintien de ces variétés et même leur multiplication dépend de la main de l’homme ; il faut recueillir de celle de la nature les individus qui se ressemblent le plus, les séparer des autres, les unir ensemble, prendre les mêmes soins pour les variétés qui se trouvent dans les nombreux produits de leurs descendants, et par ces attentions suivies on peut, avec le temps, créer à nos yeux, c’est-à-dire amener à la lumière une infinité d’êtres nouveaux que la nature seule n’aurait jamais produits[NdÉ 3] : les semences de toute matière vivante lui appartiennent, elle en compose tous les germes des êtres organisés ; mais la combinaison, la succession, l’assortiment, la réunion ou la séparation de chacun de ces êtres dépendent souvent de la volonté de l’homme : dès lors il est le maître de forcer la nature par ses combinaisons et de la fixer par son industrie ; de deux individus singuliers qu’elle aura produits comme par hasard, il en fera une race constante et perpétuelle, et de laquelle il tirera plusieurs autres races qui, sans ses soins, n’auraient jamais vu le jour.

Si quelqu’un voulait donc faire l’histoire complète et la description détaillée des pigeons de volière, ce serait moins l’histoire de la nature que celle de l’art de l’homme ; et c’est par cette raison que nous croyons devoir nous borner ici à une simple énumération, qui contiendra l’exposition des principales variétés de cette espèce, dont le type est moins fixe et la forme plus variable que dans aucun autre animal.

Le biset, ou pigeon sauvage, est la tige primitive de tous les autres pigeons : communément il est de la même grandeur et de la même forme, mais d’une couleur plus bise que le pigeon domestique, et c’est de cette couleur que lui vient son nom ; cependant il varie quelquefois pour les couleurs et la grosseur, car le pigeon dont Frisch a donné la figure sous le nom de columba agrestis[2] n’est qu’un biset blanc à tête et à queue rousses, et celui que le même auteur a donné sous la dénomination de vinago, sive columba montana[3], n’est encore qu’un biset noir bleu ; c’est le même qu’Albin a décrit sous le nom de pigeon ramier[4], qui ne lui convient pas ; et le même encore dont Belon parle sous le nom de pigeon fuyard, qui lui convient mieux[5] ; car on peut présumer que l’origine de cette variété dans les bisets vient de ces pigeons dont j’ai parlé, qui fuient et désertent nos colombiers pour se rendre sauvages, d’autant que ces bisets noirs bleus nichent non seulement dans les arbres creux, mais aussi dans les trous des bâtiments ruinés et les rochers qui sont dans les forêts, ce qui leur a fait donner par quelques naturalistes le nom de pigeons de roche ou rocheraies ; et comme ils aiment aussi les terres élevées et les montagnes, d’autres les ont appelés pigeons de montagne. Nous remarquerons même que les anciens ne connaissaient que cette espèce de pigeon sauvage, qu’ils appelaient οἰνὰς ou vinago, et qu’ils ne font nulle mention de notre biset, qui néanmoins est le seul pigeon vraiment sauvage et qui n’a pas passé par l’état de domesticité. Un fait qui vient à l’appui de mon opinion sur ce point, c’est que dans tous les pays où il y a des pigeons domestiques on trouve aussi des oenas, depuis la Suède[6] jusque dans les climats chauds[7]. au lieu que les bisets ne se trouvent pas dans les pays froids et ne restent que pendant l’été dans nos pays tempérés : ils arrivent par troupes en Bourgogne, en Champagne et dans les autres provinces septentrionales de la France, vers la fin de février et au commencement de mars ; ils s’établissent dans les bois, y nichent dans des creux d’arbres, pondent deux ou trois œufs au printemps, et vraisemblablement font une seconde ponte en été ; et à chaque ponte ils n’élèvent que deux petits, et s’en retournent dans le mois de novembre ; ils prennent leur route du côté du midi, et se rendent probablement en Afrique par l’Espagne pour y passer l’hiver[NdÉ 4].

Le biset ou pigeon sauvage, et l’oenas ou le pigeon déserteur qui retourne à l’état de sauvage, se perchent, et par cette habitude se distinguent du pigeon de muraille, qui déserte aussi nos colombiers, mais qui semble craindre de retourner dans les bois, et ne se perche jamais sur les arbres. Après ces trois pigeons, dont les deux derniers sont plus ou moins près de l’état de nature, vient le pigeon de nos colombiers, qui, comme nous l’avons dit, n’est qu’à demi domestique, et retient encore de son premier instinct l’habitude de voler en troupe : s’il a perdu le courage intérieur, d’où dépend le sentiment de l’indépendance, il a acquis d’autres qualités qui, quoique moins nobles, paraissent plus agréables par leurs effets. Ils produisent souvent trois fois l’année, et les pigeons de volière produisent jusqu’à dix et douze fois, au lieu que le biset ne produit qu’une ou deux fois tout au plus : combien de plaisirs de plus suppose cette différence, surtout dans une espèce qui semble les goûter dans toutes leurs nuances et en jouir plus pleinement qu’aucune autre ! Ils pondent à deux jours de distance presque toujours deux œufs, rarement trois, et n’élèvent presque jamais que deux petits, dont ordinairement l’un se trouve mâle et l’autre femelle : il y en a même plusieurs, et ce sont les plus jeunes, qui ne pondent qu’une fois ; car le produit du printemps est toujours plus nombreux, c’est-à-dire la quantité de pigeonneaux, dans le même colombier, plus abondante qu’en automne, du moins dans ces climats. Les meilleurs colombiers, où les pigeons se plaisent et multiplient le plus, ne sont pas ceux qui sont trop voisins de nos habitations : placez-les à quatre ou cinq cents pas de distance de la ferme, sur la partie la plus élevée de votre terrain, et ne craignez pas que cet éloignement nuise à leur multiplication ; ils aiment les lieux paisibles, la belle vue, l’exposition au levant, la situation élevée, où ils puissent jouir des premiers rayons du soleil ; j’ai souvent vu les pigeons de plusieurs colombiers, situés dans le bas d’un vallon, en sortir avant le lever du soleil pour gagner un colombier situé au-dessus de la colline, et s’y rendre en si grand nombre que le toit était entièrement couvert de ces pigeons étrangers, auxquels les domiciliés étaient obligés de faire place, et quelquefois même forcés de la céder. C’est surtout au printemps et en automne qu’ils semblent rechercher les premières influences du soleil, la pureté de l’air et les lieux élevés. Je puis ajouter à cette remarque une autre observation, c’est que le peuplement de ces colombiers isolés, élevés et situés haut, est plus facile, et le produit bien plus nombreux que dans les autres colombiers. J’ai vu tirer quatre cents paires de pigeonneaux d’un de mes colombiers, qui, par sa situation et la hauteur de sa bâtisse, était élevé d’environ deux cents pieds au-dessus des autres colombiers, tandis que ceux-ci ne produisaient que le quart ou le tiers tout au plus, c’est-à-dire cent ou cent trente paires : il faut seulement avoir soin de veiller à l’oiseau de proie, qui fréquente de préférence ces colombiers élevés et isolés, et qui ne laisse pas d’inquiéter les pigeons, sans néanmoins en détruire beaucoup, car il ne peut saisir que ceux qui se séparent de la troupe.

Après le pigeon de nos colombiers, qui n’est qu’à demi domestique, se présentent les pigeons de volière qui le sont entièrement, et dont nous avons si fort favorisé la propagation des variétés, les mélanges et la multiplication des races, qu’elles demanderaient un volume d’écriture et un autre de planches, si nous voulions les décrire et les représenter toutes ; mais, comme je l’ai déjà fait sentir, ceci est plutôt un objet de curiosité et d’art qu’un sujet d’histoire naturelle ; et nous nous bornerons à indiquer les principales branches de cette famille immense, auxquelles on pourra rapporter les rameaux et les rejetons des variétés secondaires.

Les curieux en ce genre donnent le nom de bisets à tous les pigeons qui vont prendre leur vie à la campagne, et qu’on met dans de grands colombiers : ceux qu’ils appellent pigeons domestiques ne se tiennent que dans de petits colombiers ou volières, et ne se répandent pas à la campagne. Il y en a de plus grands et de plus petits : par exemple, les pigeons culbutants et les pigeons tournants, qui sont les plus petits de tous les pigeons de volière, le sont plus que le pigeon de colombier ; ils sont aussi plus légers de vol et plus dégagés de corps, et quand ils se mêlent avec les pigeons de colombier, ils perdent l’habitude de tourner et de culbuter ; il semble que ce soit l’état de captivité forcée qui leur fait tourner la tête, et qu’elle reprend son assiette dès qu’ils recouvrent leur liberté.

Les races pures, c’est-à-dire les variétés principales de pigeons domestiques avec lesquelles on peut faire toutes les variétés secondaires de chacune de ces races, sont : 1o les pigeons appelés grosses-gorges, parce qu’ils ont la faculté d’enfler prodigieusement leur jabot en aspirant et retenant l’air ; 2o les pigeons mondains, qui sont les plus recommandables par leur fécondité, ainsi que les pigeons romains, les pigeons pattus et les nonains ; 3o les pigeons-paons, qui élèvent et étalent leur large queue comme le dindon ou le paon ; 4o le pigeon-cravate ou à gorge frisée ; 5o le pigeon-coquille hollandais ; 6o le pigeon-hirondelle ; 7o le pigeon-carme ; 8o le pigeon heurté ; 9o les pigeons suisses ; 10° le pigeon culbutant ; 11o le pigeon tournant.

La race du pigeon grosse-gorge[NdÉ 5] est composée des variétés suivantes :

1o Le pigeon grosse-gorge soupe-en-vin, dont les mâles sont très beaux parce qu’ils sont panachés, et dont les femelles ne panachent point ;

2o Le pigeon grosse-gorge chamois panaché : la femelle ne panache point ; c’est à cette variété qu’on doit rapporter le pigeon de la planche cxlvi de Frisch, que les Allemands appellent kropf-taube ou kroüper, et que cet auteur a indiqué sous la dénomination de columba strumosa seu columba œsaphago inflato ;

3o Le pigeon grosse-gorge, blanc comme un cygne ;

4o Le pigeon grosse-gorge blanc, pattu et à longues ailes qui se croisent sur la queue, dans lequel la boule de la gorge paraît fort détachée ;

5o Le pigeon grosse-gorge gris panaché, et le gris doux, dont la couleur est douce et uniforme par tout le corps ;

6o Le pigeon grosse-gorge gris de fer, gris barré et à ruban ;

7o Le pigeon grosse-gorge gris piqué, comme argenté ;

8o Le pigeon grosse-gorge jacinthe d’une couleur bleue ouvragée en blanc ;

9o Le pigeon grosse-gorge couleur de feu : il y a sur toutes ses plumes une barre bleue et une barre rouge, et la plume est terminée par une barre noire ;

10o Le pigeon grosse-gorge couleur de bois de noyer ;

11o Le pigeon grosse-gorge couleur de marron, avec les pennes de l’aile toutes blanches ;

12o Le pigeon grosse-gorge maurin, d’un beau noir velouté avec les dix plumes de l’aile blanches comme dans le grosse-gorge marron ; ils ont tous deux la bavette ou le mouchoir blanc sous le cou, et dans ces dernières races de grosses-gorges d’origine pure, c’est-à-dire de couleur uniforme, les dix pennes sont toutes blanches jusqu’à la moitié de l’aile, et on peut regarder ce caractère comme général ;

13o Le pigeon grosse-gorge ardoisé, avec le vol blanc et la cravate blanche ; la femelle est semblable au mâle. Voilà les races principales de pigeons à grosse gorge : mais il y en a encore plusieurs autres moins belles, comme les rouges, les olives, les couleurs de nuit, etc.

Tous les pigeons, en général, ont plus ou moins la faculté d’enfler leur jabot en inspirant l’air : on peut de même le faire enfler en soufflant de l’air dans leur gosier ; mais cette race de pigeons grosse-gorge ont cette même faculté d’enfler leur jabot si supérieurement qu’elle doit dépendre d’une conformation particulière dans les organes ; ce jabot presque aussi gros que tout le reste de leur corps, et qu’ils tiennent continuellement enflé, les oblige à retirer leur tête, et les empêche de voir devant eux : aussi, pendant qu’ils se rengorgent, l’oiseau de proie les saisit sans qu’ils l’aperçoivent ; on les élève donc plutôt par curiosité que pour l’utilité.

Une autre race est celle des pigeons mondains : c’est la plus commune et en même temps la plus estimée à cause de sa grande fécondité.

Le mondain est à peu près d’une moitié plus fort que le biset ; la femelle ressemble assez au mâle : ils produisent presque tous les mois de l’année, pourvu qu’ils soient en petit nombre dans la même volière, et il leur faut au moins à chacun trois ou quatre paniers ou plutôt des trous un peu profonds formés comme des cases, avec des planches, afin qu’ils ne se voient pas lorsqu’ils couvent ; car chacun de ces pigeons défend non seulement son panier et se bat contre les autres qui veulent en approcher, mais même il se bat aussi pour tous les paniers qui sont de son côté.

Par exemple, il ne faut que huit paires de ces pigeons mondains dans un espace carré de huit pieds de côté ; et les personnes qui en ont élevé assurent qu’avec six paires on pourrait avoir tout autant de produit : plus on augmente leur nombre dans un espace donné, plus il y a de combats, de tapage et d’œufs cassés. Il y a dans cette race assez souvent des mâles stériles et aussi des femelles infécondes qui ne pondent pas.

Ils sont en état de produire à huit ou neuf mois d’âge, mais ils ne sont en pleine ponte qu’à la troisième année : cette pleine ponte dure jusqu’à six ou sept ans, après quoi le nombre des pontes diminue, quoiqu’il y en ait qui pondent encore à l’âge de douze ans. La ponte des deux œufs se fait quelquefois en vingt-quatre heures, et dans l’hiver en deux jours, en sorte qu’il y a un intervalle de temps différent suivant la saison entre la ponte de chaque œuf. La femelle tient chaud son premier œuf sans néanmoins le couver assidûment ; elle ne commence à couver constamment qu’après la ponte du second œuf : l’incubation dure ordinairement dix-huit jours, quelquefois dix-sept, surtout en été, jusqu’à dix-neuf ou vingt jours en hiver. L’attachement de la femelle à ses œufs est si grand, si constant, qu’on en a vu souffrir les incommodités les plus grandes et les douleurs les plus cruelles plutôt que de les quitter : une femelle, entre autres, dont les pattes gelèrent et tombèrent, et qui malgré cette souffrance et cette perte de membres, continua sa couvée jusqu’à ce que ses petits fussent éclos ; ses pattes avaient gelé parce que son panier était tout près de la fenêtre de sa volière.

Le mâle, pendant que sa femelle couve, se tient sur le panier le plus voisin, et au moment que, pressée par le besoin de manger, elle quitte ses œufs pour aller à la trémie, le mâle, qu’elle a appelé auparavant par un petit roucoulement, prend sa place, couve ses œufs, et cette incubation du mâle dure deux ou trois heures chaque fois, et se renouvelle ordinairement deux fois en vingt-quatre heures.

On peut réduire les variétés de la race des pigeons mondains à trois pour la grandeur, qui toutes ont pour caractère commun un filet rouge autour des yeux :

1o Les premiers mondains[NdÉ 6] sont des oiseaux lourds et à peu près gros comme de petites poules : on ne les recherche qu’à cause de leur grandeur, car ils ne sont pas bons pour la multiplication ;

2o Les bagadais[NdÉ 7] sont de gros mondains avec un tubercule au-dessus du bec en forme d’une petite morille et un ruban rouge beaucoup plus large autour des yeux, c’est-à-dire une seconde paupière charnue rougeâtre qui leur tombe même sur les yeux lorsqu’ils sont vieux et les empêche alors de voir ; ces pigeons ne produisent que difficilement et en petit nombre.

Les bagadais ont le bec courbé et crochu, et ils présentent plusieurs variétés : il y en a de blancs, de noirs, de rouges, de minimes, etc.

3o Le pigeon espagnol, qui est encore un pigeon mondain, aussi gros qu’une poule et qui est très beau : il diffère du bagadais en ce qu’il n’a point de morille au-dessus du bec, que la seconde paupière charnue est moins saillante, et que le bec est droit au lieu d’être courbé ; on le mêle avec le bagadais, et le produit est un très gros et très grand pigeon ;

4o Le gigeon turc[NdÉ 8], qui a, comme le bagadais, une grosse excroissance au-dessus du bec avec un ruban rouge qui s’étend depuis le bec autour des yeux : ce pigeon turc est très gros, huppé, bas de cuisses, large de corps et de vol ; il y en a de minimes ou bruns presque noirs, tels que celui qui est représenté dans la planche cxlix de Frisch, d’autres dont la couleur est gris de fer, gris de lin, chamois et soupe-en-vin ; ces pigeons sont très lourds et ne s’écartent pas de leur volière ;

5o Les pigeons romains[NdÉ 9], qui ne sont pas tout à fait si grands que les turcs, mais qui ont le vol aussi étendu, n’ont point de huppe : il y en a de noirs, de minimes et de tachetés.

Ce sont là les plus gros pigeons domestiques ; il y en a d’autres de moyenne grandeur et d’autres plus petits. Dans les pigeons pattus, qui ont les pieds couverts de plumes jusque sur les ongles, on distingue le pattu sans huppe, dont Frisch a donné la figure planche cxlv sous la dénomination de trummel taube en allemand, et de columba tympanisans en latin, pigeon tambour en français ; et le pattu huppé, dont le même auteur a donné la figure planche cxliv sous le nom de mon taube en allemand, et sous la dénomination latine columba menstrua seu cristata pedibus plumosis ; ce pigeon pattu, que l’on appelle pigeon tambour, se nomme aussi pigeon glou glou, parce qu’il répète continuellement ce son et que sa voix imite le bruit du tambour entendu de loin ; le pigeon pattu huppé est aussi appelé pigeon de mois, parce qu’il produit tous les mois et qu’il n’attend pas que ses petits soient en état de manger seuls pour couver de nouveau ; c’est une race recommandable par son utilité, c’est-à-dire par sa grande fécondité, qui cependant ne doit pas se compter de douze fois par an, mais communément de huit à neuf pontes, ce qui est encore un très grand produit.

Dans les races moyennes et petites de pigeons domestiques, on distingue le pigeon nonain[NdÉ 10], dont il y a plusieurs variétés, savoir : le soupe-en-vin, le rouge panaché, le chamois panaché, mais dont les femelles de tous trois ne sont jamais panachées ; il y a aussi dans la race des nonains une variété qu’on appelle pigeon maurin, qui est tout noir avec la tête blanche et le bout des ailes aussi blanc, et c’est à cette variété qu’on doit rapporter le pigeon de la planche cl de Frisch, auquel il donne en allemand le nom de schleyer ou parruquen taube, et en latin columba galerita, et qu’il traduit en français par pigeon coiffé ; mais, en général, tous les nonains, soit maurins ou autres, sont coiffés, ou plutôt ils ont comme un demi-capuchon sur la tête qui descend le long du cou et s’étend sur la poitrine en forme de cravate composée de plumes redressées : cette variété est voisine de la race du pigeon grosse-gorge, car ce pigeon coiffé est de la même grandeur et fait aussi enfler un peu son jabot ; il ne produit pas autant que les autres nonains, dont les plus parfaits sont tout blancs et sont ceux qu’on regarde comme les meilleurs de la race ; tous ont le bec très court ; ceux-ci produisent beaucoup, mais les pigeonneaux sont très petits.

Le pigeon-paon[NdÉ 11] est un peu plus gros que le pigeon nonain ; on l’appelle pigeon-paon, parce qu’il peut redresser sa queue et l’étaler comme le paon. Les plus beaux de cette race ont jusqu’à trente-deux plumes à la queue, tandis que les pigeons d’autres races n’en ont que douze : lorsqu’ils redressent leur queue, ils la poussent en avant, et comme ils retirent en même temps la tête en arrière, elle touche à la queue. Ils tremblent aussi pendant tout le temps de cette opération, soit par la forte contraction des muscles, soit par quelque autre cause, car il y a plus d’une race de pigeons trembleurs[8] : c’est ordinairement quand ils sont en amour qu’ils étalent ainsi leur queue, mais ils le font aussi dans d’autres temps. La femelle relève et étale sa queue comme le mâle et l’a tout aussi belle : il y en a de tout blancs, d’autres blancs avec la tête et la queue noires, et c’est à cette seconde variété qu’il faut rapporter le pigeon de la planche cli de Frisch, qu’il appelle en allemand pfau-taube ou hunerschwantz, et en latin columba caudata. Cet auteur remarque que, dans le même temps que le pigeon-paon étale sa queue, il agite fièrement et constamment sa tête et son cou, à peu près comme l’oiseau appelé torcol. Ces pigeons ne volent pas aussi bien que les autres : leur large queue est cause qu’ils sont souvent emportés par le vent et qu’ils tombent à terre ; ainsi on les élève plutôt par curiosité que pour l’utilité. Au reste, ces pigeons, qui par eux-mêmes ne peuvent faire de longs voyages, ont été transportés fort loin par les hommes : il y a aux Philippines, dit Gemelli Careri, des pigeons qui relèvent et étalent leur queue comme le paon.

Les pigeons polonais[NdÉ 12] sont plus gros que les pigeons-paons : ils ont pour caractère d’avoir le bec très gros et très court, les yeux bordés d’un large cercle rouge, les jambes très basses ; il y en a de différentes couleurs, beaucoup de noirs, des roux, des chamois, des gris piqués et de tout blancs.

Le pigeon-cravate[NdÉ 13] est l’un des plus petits pigeons : il n’est guère plus gros qu’une tourterelle, et en les appariant ensemble ils produisent des mulets ou métis. On distingue le pigeon-cravate du pigeon nonain en ce que le pigeon-cravate n’a point de demi-capuchon sur la tête et sur le cou, et qu’il n’a précisément qu’un bouquet de plumes qui semblent se rebrousser sur la poitrine et sous la gorge. Ce sont de très jolis pigeons, bien faits, qui ont l’air très propre, et dont il y en a de soupe-en-vin, de chamois, de panachés, de roux et de gris, de tout blancs et de tout noirs, et d’autres blancs avec des manteaux noirs : c’est à cette dernière variété qu’on peut rapporter le pigeon représenté dans la planche cxlvii de Frisch, sous le nom allemand mowchen, et la dénomination latine columba collo hirsuto. Ce pigeon ne s’apparie pas volontiers avec les autres pigeons et n’est pas d’un grand produit : d’ailleurs il est petit et se laisse aisément prendre par l’oiseau de proie ; c’est par toutes ces raisons qu’on n’en élève guère.

Les pigeons qu’on appelle coquille-hollandaise[NdÉ 14], parce qu’ils ont derrière la tête des plumes à rebours qui forment comme une espèce de coquille, sont aussi de petite taille ; ils ont la tête noire, le bout de la queue et le bout des ailes aussi noirs, tout le reste du corps blanc. Il y en a aussi à tête rouge, à tête bleue et à tête et queue jaunes, et ordinairement la queue est de la même couleur que la tête, mais le vol est toujours tout blanc. La première variété, qui a la tête noire, ressemble si fort à l’hirondelle de mer que quelques-uns lui ont donné ce nom avec d’autant plus d’analogie que ce pigeon n’a pas le corps rond comme la plupart des autres, mais allongé et fort dégagé.

Il y a, indépendamment des tête et queue bleues qui ont la coquille, dont nous venons de parler, d’autres pigeons qui ont simplement le nom de tête et queue bleues, d’autres de tête et queue noires, d’autres de tête et queue rouges, et d’autres encore, tête et queue jaunes, et qui tous quatre ont l’extrémité des ailes de la même couleur que la tête : ils sont à peu près gros comme les pigeons-paons ; leur plumage est très propre et bien arrangé.

Il y en a qu’on appelle aussi pigeons hirondelles[NdÉ 15], qui ne sont pas plus gros que des tourterelles, ayant le corps allongé de même, et le vol très léger : tout le dessous de leur corps est blanc, et ils ont toutes les parties supérieures du corps, ainsi que le cou, la tête et la queue noirs, ou rouges, ou bleus, ou jaunes, avec un petit casque de ces mêmes couleurs sur la tête, mais le dessous de la tête est toujours blanc comme le dessous du cou. C’est à cette variété qu’il faut rapporter le pigeon cuirassé de Jonston[9] et de Willughby[10], qui a pour caractère particulier d’avoir les plumes de la tête, celles de la queue et les pennes des ailes toujours de la même couleur, et le corps d’une couleur différente, par exemple le corps blanc, et la tête, la queue et les ailes noires, ou de quelque autre couleur que ce soit.

Le pigeon-carme, qui fait une autre race, est peut-être le plus bas et le plus petit de tous nos pigeons : il paraît accroupi comme l’oiseau que l’on appelle le crapaud volant ; il est aussi très pattu, ayant les pieds fort courts, et les plumes des jambes très longues. Les femelles et les mâles se ressemblent, ainsi que dans la plupart des autres races ; on y compte aussi quatre variétés qui sont les mêmes que dans les races précédentes, savoir : les gris-de-fer, les chamois, les soupes-en-vin et les gris-doux ; mais ils ont tous le dessous du corps et des ailes blanc, tout le dessus de leur corps étant des couleurs que nous venons d’indiquer : ils sont encore remarquables par leur bec, qui est plus petit que celui d’une tourterelle, et ils ont aussi une petite aigrette derrière la tête, qui pousse en pointe comme celle de l’alouette huppée.

Le pigeon-tambour[NdÉ 16] ou glou glou, dont nous avons parlé, que l’on appelle ainsi parce qu’il forme ce son, glou glou, qu’il répète fort souvent lorsqu’il est auprès de sa femelle, est aussi un pigeon fort bas et fort pattu, mais il est plus gros que le pigeon-carme, et à peu près de la taille du pigeon polonais.

Le pigeon heurté, c’est-à-dire masqué comme d’un coup de pinceau noir, bleu, jaune ou rouge, au-dessus du bec seulement, et jusqu’au milieu de la tête, avec la queue de la même couleur et tout le reste du corps blanc, est un pigeon fort recherché des curieux : il n’est point pattu, et est de la grosseur des pigeons mondains ordinaires.

Les pigeons suisses sont plus petits que les pigeons ordinaires, et pas plus gros que les pigeons bisets ; ils sont de même tout aussi légers de vol. Il y en a de plusieurs sortes, savoir : des panachés de rouge, de bleu, de jaune, sur un fond blanc satiné, avec un collier qui vient former un plastron sur la poitrine, et qui est d’un rouge rembruni : ils ont souvent deux rubans sur les ailes de la même couleur que celle du plastron.

Il y a d’autres pigeons suisses qui ne sont point panachés, et qui sont ardoisés de couleur uniforme sur tout le corps, sans collier ni plastron ; d’autres qu’on appelle colliers jaunes jaspés, colliers jaunes maillés ; d’autres, colliers jaunes fort maillés, etc., parce qu’ils portent des colliers de cette couleur.

11 y a encore dans cette race de pigeons suisses une autre variété qu’on appelle pigeon azuré, parce qu’il est d’une couleur plus bleue que les ardoisés.

Le pigeon culbutant[NdÉ 17] est encore un des plus petits pigeons. Celui que M. Frisch a fait représenter, pl. cxlviii, sous les noms de tummel taube, tumler, columba gestuosa seu gesticularia, est d’un roux brun ; mais il y en a de gris et de variés de roux et de gris : il tourne sur lui-même en volant, comme un corps qu’on jetterait en l’air, et c’est par cette raison qu’on l’a nommé pigeon culbutant ; il semble que tous ses mouvements supposent des vertiges qui, comme je l’ai dit, peuvent être attribues à la captivité. Il vole très vite, s’élève le plus haut de tous, et ses mouvements sont très précipités et fort irréguliers. Frisch dit que, comme par ses mouvements il imite en quelque façon les gestes et les sauts des danseurs de corde et des voltigeurs, on lui a donné le nom de pigeon pantomime, columba gestuosa. Au reste, sa forme est assez semblable à celle du biset, et l’on s’en sert ordinairement pour attirer les pigeons des autres colombiers, parce qu’il vole plus haut, plus loin et plus longtemps que les autres, et échappe plus aisément à l’oiseau de proie.

Il en est de même du pigeon tournant[NdÉ 18], que M. Brisson[11], d’après Willughby, a appelé le pigeon batteur. Il tourne en rond lorsqu’il vole, et bat si fortement des ailes, qu’il fait autant de bruit qu’une claquette, et souvent il se rompt quelques plumes de l’aile par la violence de ce mouvement, qui semble tenir de la convulsion : ces pigeons tournants ou batteurs sont communément gris, avec des taches noires sur les ailes.

Je ne dirai qu’un mot de quelques autres variétés équivoques ou secondaires dont les nomenclateurs ont fait mention, et qui ressortissent sans doute aux races que nous venons d’indiquer, mais qu’on aurait quelque peine à y rapporter directement et sûrement, d’après les descriptions de ces auteurs ; tels sont, par exemple : 1o le pigeon de Norvège, indiqué par Schwenckfeld[12], qui est blanc comme neige, et qui pourrait bien être un pigeon pattu huppé plus gros que les autres ;

2o Le pigeon de Crète, suivant Aldrovande[13], ou de Barbarie, selon Willughby[14], qui a le bec très court et les yeux entourés d’une large bande de peau nue, le plumage bleuâtre et marqué de deux taches noirâtres sur chaque aile ;

3o Le pigeon frisé de Schwenckfeld[15] et d’Aldrovande[16], qui est tout blanc et frisé sur tout le corps ;

4o Le pigeon messager de Willughby[17], qui ressemble beaucoup au pigeon turc, tant par son plumage brun que par ses yeux, entourés d’une peau nue, et ses narines couvertes d’une membrane épaisse : on s’est, dit-on, servi de ces pigeons pour porter promptement des lettres au loin, ce qui leur a fait donner le nom de messagers ;

5o Le pigeon cavalier de Willughby[18] et d’Albin[19], qui provient, dit-on, du pigeon grosse-gorge et du pigeon messager, participant de l’un et de l’autre, car il a la faculté d’enfler beaucoup son jabot comme le pigeon grosse-gorge, et il porte sur ses narines des membranes épaisses comme le pigeon messager ; mais il y a apparence qu’on pourrait également se servir de tout autre pigeon pour porter de petites choses, ou plutôt les rapporter de loin[NdÉ 19] ; il suffit pour cela de les séparer de leur femelle et de les transporter dans le lieu d’où l’on veut recevoir des nouvelles, ils ne manqueront pas de revenir auprès de leur femelle dès qu’ils seront mis en liberté[20].

On voit que ces cinq races de pigeons ne sont que des variétés secondaires des premières que nous avons indiquées d’après les observations de quelques curieux qui ont passé leur vie à élever des pigeons, et particulièrement du sieur Fournier, qui en fait commerce, et qui a été chargé pendant quelques années du soin des volières et des basses-cours de S. A. S. monseigneur le comte de Clermont. Ce prince, qui de très bonne heure s’est déclaré proclamé protecteur des arts, toujours animé du goût des belles connaissances, a voulu savoir jusqu’où s’étendraient en ce genre les forces de la nature : on a rassemblé par ses ordres toutes les espèces, toutes les races connues des oiseaux domestiques, on les a multipliées et variées à l’infini ; l’intelligence, les soins et la culture ont ici, comme en tout, perfectionné ce qui était connu, et développé ce qui ne l’était pas ; on a fait éclore jusqu’aux arrières-germes de la nature, on a tiré de son sein toutes les productions ultérieures qu’elle seule, et sans aide, n’aurait pu amener à la lumière. En cherchant à épuiser les trésors de sa fécondité, on a reconnu qu’ils étaient inépuisables, et qu’avec un seul de ses modèles, c’est-à-dire avec une seule espèce, telle que celle du pigeon ou de la poule, on pouvait faire un peuple composé de mille familles différentes, toutes reconnaissables, toutes nouvelles, toutes plus belles que l’espèce dont elles tirent leur première origine.

Dès le temps des Grecs on connaissait les pigeons de volière, puisque Aristote dit qu’ils produisent dix et onze fois l’année, et que ceux d’Égypte produisent jusqu’à douze fois[21]. L’on pourrait croire néanmoins que les grands colombiers, où les pigeons ne produisent que deux ou trois fois par an, n’étaient pas fort en usage du temps de ce philosophe : il compose le genre columbacé de quatre espèces[22], savoir : le ramier (palumbes), la tourterelle (turtur), le biset (vinago) et le pigeon (columbus) ; et c’est de ce dernier dont il dit que le produit est de dix pontes par an. Or, ce produit si fréquent ne se trouve que dans quelques races de nos pigeons de volière. Aristote n’en distingue pas les différences, et ne fait aucune mention des variétés de ces pigeons domestiques : peut-être ces variétés n’existaient qu’en petit nombre ; mais il paraît qu’elles s’étaient bien multipliées du temps de Pline[23] qui parle des grands pigeons de Campanie et des curieux en ce genre, qui achetaient à un prix excessif une paire de beaux pigeons dont ils racontaient l’origine et la noblesse, et qu’ils élevaient dans des tours placées au-dessus du toit de leurs maisons. Tout ce que nous ont dit les anciens au sujet des mœurs et des habitudes des pigeons doit donc se rapporter aux pigeons de volière plutôt qu’à ceux de nos colombiers, qu’on doit regarder comme une espèce moyenne entre les pigeons domestiques et les pigeons sauvages, et qui participent en effet des mœurs des uns et des autres.

Tous ont de certaines qualités qui leur sont communes : l’amour de la société, l’attachement à leurs semblables, la douceur de mœurs, la chasteté, c’est-à-dire la fidélité réciproque et l’amour sans partage du mâle et de la femelle ; la propreté, le soin de soi-même, qui supposent l’envie de plaire ; l’art de se donner des grâces qui le suppose encore plus ; les caresses tendres, les mouvements doux, les baisers timides qui ne deviennent intimes et pressants qu’au moment de jouir ; ce moment même ramené quelques instants après par de nouveaux désirs, de nouvelles approches également nuancées, également senties ; un feu toujours durable, un goût toujours constant, et pour plus grand bien encore la puissance d’y satisfaire sans cesse ; nulle humeur, nul dégoût, nulle querelle ; tout le temps de la vie employé au service de l’amour et au soin de ses fruits ; toutes les fonctions pénibles également réparties ; le mâle aimant assez pour les partager et même se charger des soins maternels, couvant régulièrement à son tour et les œufs et les petits pour en épargner la peine à sa compagne, pour mettre entre elle et lui cette égalité dont dépend le bonheur de toute union durable : quels modèles pour l’homme, s’il pouvait ou savait les imiter !


Notes de Buffon
  1. Brisson, Ornithologie, t. Ier, p. 68 jusqu’à 89.
  2. Frisch, planche cxliii, avec une bonne figure coloriée.
  3. Frisch, planche cxxxix, avec une bonne figure coloriée.
  4. Albin, t. II, p. 31, avec une figure, planche xlvi.
  5. Belon, Hist. nat. des oiseaux, p. 312.
  6. « Columba cærulescens, collo nitido, maculâ duplici alarum nigricante. » Linn., Faun. suecica, no 174.
  7. On trouve partout dans la Perse des pigeons sauvages et domestiques, mais les sauvages sont en bien plus grande quantité ; et comme la fiente de pigeon est le meilleur fumier pour les melons, on élève grand nombre de pigeons, et avec soin, dans tout le royaume : c’est, je crois, le pays de tout le monde où l’on fait les plus beaux colombiers… on compte plus de trois mille colombiers autour d’Hispaham. C’est un plaisir du peuple de prendre des pigeons à la campagne… par le moyen des pigeons apprivoisés et élevés à cet usage, qu’ils font voler en troupes tout le long du jour après les pigeons sauvages ; ils les mettent parmi eux dans leur troupe et les amènent ainsi au colombier. Voyage de Chardin, t. II, p. 29 et 30 ; voyez aussi Tavernier, t. II, p. 22 et 23. — Les pigeons de l’île Rodrigue sont un peu plus petits que les nôtres, tous de couleur d’ardoise, et toujours fort gras et fort bons ; ils perchent et nichent sur les arbres, et on les prend très aisément. Voyage de Leguat, t. Ier, p. 106.
  8. On connaît en effet un pigeon trembleur différent du pigeon-paon, en ce qu’il n’a pas la queue si large à beaucoup près. Le pigeon-paon a été indiqué par Willughby et Ray sous la dénomination columba tremula laticauda ; et le pigeon trembleur sous celle de columba tremula angusticauda seu acuticauda ; celui-ci, sans relever ou étaler sa queue, tremble (dit-on) presque continuellement.
  9. « Columba galeata. » Jonston, Avi., p. 63.
  10. « Columba galeata. » Willughby, Ornithol., p. 132, no 11.
  11. « Columba percussor. » Willughby, Ornithol., p. 132, no 9. — Le pigeon batteur. Brisson, Ornithol., t. Ier, p. 79.
  12. Schwenckfeld, Theriot. Sil., p. 239.
  13. Aldrovande, Avi., t. II, p. 478.
  14. « Columba barbarica seu numidica. » Willughhy, Ornithol., p. 132, no 8, pl. xxxiv, sous la dénomination de columba numidica seu cypria.
  15. « Columba crispa. » Schwenckfeld, Theriot. Sil., p. 239.
  16. « Columba crispis pennis. » Aldrovande, Avi., t. II, p. 470, avec une figure.
  17. « Columba tabellaria. » Willughby, Ornithol., p. 132, no 5, avec une figure, pl. xxxiv.
  18. « Columba eques. » Willughby, Ornithol., p. 132, no 12.
  19. Pigeon-cavalier. Albin, t. III, p. 30, avec une figure, planche xlv.
  20. Dans les colombiers du Caire on sépare quelques mâles dont on relient les femelles, et on envoie ces mâles dans les villes dont on veut avoir des nouvelles ; on écrit sur un petit morceau de papier qu’on recouvre de cire après l’avoir plié ; on l’ajuste et l’attaché sous l’aile du pigeon mâle, et on le lâche de grand matin après lui avoir bien donné à manger, de peur qu’il ne s’arrête ; il s’en va droit au colombier où est sa femelle… il fait en un jour le trajet qu’un homme de pied ne saurait faire qu’en six. Voyage de Pietro della Valle, t. Ier, p. 416 et 417. — On se sert à Alep de pigeons qui portent en moins de six heures des lettres d’Alexandrette à Alep, quoiqu’il y ait vingt-deux bonnes lieues. Voyage de Thévenot, t. II, p. 73.
  21. Aristote, Historia animalium, lib. vi, cap. iv.
  22. Idem, lib. viii, cap. iii.
  23. « Columbarum amore insaniunt multi ; super tecta exædificant turres iis ; nobilitatemque singularum et origines narrant veteres. Jam exemplo L. Axius, eques romanus, ante bellum civile pompeianum, denariis quadringentis singula paria venditavit, ut M. Varro tradit ; quin et patriam nobilitavêre, in Campaniâ grandissimæ provenire existimatæ. » Pline, Hist. nat., lib. x, cap. xxxvii. — Les quatre cents deniers romains font soixante-dix livres de notre monnaie ; la manie pour les beaux pigeons est donc encore plus grande aujourd’hui que du temps de Pline, car nos curieux les payent beaucoup plus cher.
Notes de l’éditeur
  1. Les Pigeons forment le type d’un ordre d’oiseaux ne comprenant que deux familles, les Colombidés et les Didunculidés. L’ordre des Pigeons est caractérisé par un bec faible, membraneux, renflé autour des narines ; des ailes pointues, de taille moyenne ; des pieds formés de quatre doigts libres, articulés au même niveau et dirigés trois en avant, un en arrière. Dans la famille des Colombidés, les bords du bec ne sont jamais dentés ; le dos et l’extrémité du bec sont seuls cornés ; les tarses sont assez courts et les talons sont ordinairement emplumés.
  2. « Le Biset (Columba livia L. [Note de Wikisource : actuellement Columba livia Gmelin, vulgairement pigeon biset]) ou Pigeon de roche a le dos bleu cendré clair, le ventre bleuâtre ; la tête d’un bleu d’ardoise clair ; le cou d’un bleu d’ardoise foncé, à reflets vert bleu clair dans sa partie supérieure, pourpre dans sa partie inférieure ; le bas du dos blanc ; l’aile traversée par deux bandes noires ; les rémiges d’un gris cendré ; les rectrices d’un bleu foncé, avec la pointe noire, et les barbes extrêmes des latérales blanches ; l’œil jaune soufre, le bec noir à la pointe et bleu clair à la base ; les pattes d’un rouge violet foncé. Les couleurs varient peu suivant les sexes. Les jeunes sont plus foncés que les vieux. Cet oiseau a 36 centimètres de long et 63 centimètres d’envergure ; la longueur de l’aile est de 22 centimètres ; celle de la queue de 12. » (Brehm.) L’opinion émise par Buffon, d’après laquelle le Biset serait la souche de tous nos pigeons domestiques, est aujourd’hui admise par la très grande majorité des naturalistes.
  3. Le lecteur remarquera sans doute avec quelle netteté Buffon expose, dans ce passage, le principe de la « sélection artificielle, » dont la découverte est attribuée à Darwin. (Voy. De Lanessan, Le Transformisme.)
  4. « On admettait autrefois, dit Brehm, que le Pigeon de roche habitait toute l’Europe, la plus grande partie de l’Asie et le nord de l’Afrique. Aujourd’hui, l’on distingue, et avec raison, deux espèces au moins : le Biset ou Pigeon de roche, qui habite le Nord, et la Colombe, ou Pigeon de montagne (Columba glauconotos, comme l’a appelé mon père, Columba intermedia de Strickland), qui vit dans le Sud. Dans le midi de l’Europe, les aires de dispersion de ces deux espèces semblent se confondre ; dans la Sierra-Nevada, j’ai rencontré l’une et l’autre. En Égypte, le Columba glauconotos prédomine ; c’est la seule espèce que l’on trouve aux Indes, au dire de Jerdon. » Brehm ajoute, du reste, qu’au point de vue des mœurs, de l’habitat et de la manière de vivre, le Pigeon de montagne et le Pigeon de roche se ressemblent entièrement. Ils habitent l’un et l’autre les rochers et les vieux murs, jamais les arbres. On ne les trouve également d’habitude que sur les côtes ; ils sont très rares dans l’intérieur des terres. Ils sont communs aux îles Feroë, aux îles Canaries, où ils habitent non seulement les côtes, mais encore les cavernes des montagnes. En Égypte, Brehm en a vu près des cataractes du Nil. Dans l’Inde, ils sont très répandus. Le Pigeon de montagne est sédentaire dans le Sud, mais dans le Nord il émigre ; à l’approche de l’hiver, par bandes composées d’un très grand nombre d’individus. [Note de Wikisource : Aujourd’hui on considère que ce sont là deux sous-espèces : Columba livia livia Gmelin et Columba livia intermedia Strickland.]
  5. Columba gutturosa [Note de Wikisource : les races actuellement ne portent plus de nom latin].
  6. Columba admista de certains ornithologistes [Note de Wikisource : les races actuellement ne portent plus de nom latin]. Le pigeon mondain est la race la plus domestiquée de toutes celles que l’homme a créées ; sa familiarité n’a pas de limites et il s’accouple avec toutes les autres races et variétés. Les pigeons mondains sont gros, robustes, très féconds et très faciles à nourrir.
  7. Columba tuberculosa [Note de Wikisource : les races actuellement ne portent plus de nom latin]. Le Bagadais est une race d’amateur qui coûte fort cher et n’est que peu utile.
  8. Columba turcica [Note de Wikisource : les races actuellement ne portent plus de nom latin]. Brehm pense que le Pigeon turc dérive du romain et du bagadais.
  9. Columba romania [Note de Wikisource : les races actuellement ne portent plus de nom latin].
  10. Columba cucullata [Note de Wikisource : les races actuellement ne portent plus de nom latin]. Le Pigeon nonain ou capucin est l’une des plus jolies races de volière ; il est très fécond et ne vagabonde pas. Sa taille est petite ; son œil est bordé avec un ruban rouge.
  11. Columba crassicauda [Note de Wikisource : les races actuellement ne portent plus de nom latin].
  12. Columba polonica [Note de Wikisource : les races actuellement ne portent plus de nom latin].
  13. Columba turbita [Note de Wikisource : les races actuellement ne portent plus de nom latin].
  14. Columba galeata [Note de Wikisource : les races actuellement ne portent plus de nom latin].
  15. Columba hirundinina [Note de Wikisource : les races actuellement ne portent plus de nom latin].
  16. Columba tympanizans [Note de Wikisource : les races actuellement ne portent plus de nom latin].
  17. Columba gyratrix [Note de Wikisource : les races actuellement ne portent plus de nom latin].
  18. Columba percussor [Note de Wikisource : les races actuellement ne portent plus de nom latin].
  19. Tout le monde sait quelle importance ont acquis depuis un certain nombre d’années les pigeons au point de vue de la transmission des dépêches, et personne n’a oublié les services que les pigeons voyageurs ont rendus pendant le siège de Paris. Un pigeon enlevé à son pigeonnier et transporté à une distance souvent très considérable y revient presque toujours. Mais pour cela il faut, d’ordinaire, qu’il ait subi une certaine éducation, du moins si l’on veut lui faire accomplir un long voyage ; car c’est surtout par la vue, qui est très puissante chez les oiseaux, que le pigeon est guidé dans son voyage. Si donc on veut qu’un pigeon voyageur accomplisse très rapidement et sans erreur un voyage un peu long, de Paris à Bruxelles, par exemple, on l’emporte de Paris et on le lâche à une station voisine de cette ville ; puis on le transporte à une station un peu plus éloignée de Paris que la première, d’où on le lâche. En répétant cette opération un certain nombre de fois tout le long de la route de Paris à Bruxelles, on fait acquérir au pigeon la connaissance exacte de cette route. Dans ce cas, c’est uniquement la vue qui guide le pigeon voyageur. Il est parfois beaucoup plus difficile de se rendre compte des moyens employés par le pigeon pour reconnaître la route qu’il doit suivre afin de retourner à son pigeonnier. Tel est le cas dans lequel on emporte un pigeon dans un panier à une très grande distance ; tel est le cas encore des pigeons qui, pendant le siège de Paris, étaient transportés en ballon jusqu’à Tours et qui cependant revenaient à Paris. D’après Toussenel, les pigeons seraient, dans ce cas, guidés par des impressions atmosphériques. Cet habile observateur admet qu’un pigeon habitant un pays déterminé, la France, par exemple, sait très bien distinguer les quatre points cardinaux, d’après la température et l’état hygrométrique des vents qui en viennent. « Le pigeon domestique, ajoute-t-il, transporté de Bruxelles à Toulouse dans un panier couvert, n’a pas eu le loisir de relever de l’œil la carte géographique du parcours ; mais il n’était au pouvoir de personne de l’empêcher de sentir, aux chaudes impressions de l’atmosphère, qu’il suivait la route du Midi. Rendu à la liberté à Toulouse, il sait déjà que la ligne à suivre pour regagner ses pénates est la ligne du Nord. Donc, il pique droit dans cette direction et ne s’arrête que vers les parages du ciel dont la température moyenne est celle de la zone qu’il habite. S’il ne retrouve pas d’emblée son domicile, c’est qu’il a remonté perpendiculairement à l’équateur et qu’il a trop appuyé sur la gauche ou la droite, Bruxelles et Toulouse ou une autre ville ne se trouvant pas exactement sur le même méridien. En tout cas, il n’a plus besoin que de quelques heures de recherches dans la direction de l’est à l’ouest pour relever ses erreurs ; et c’est ce travail de rectification qui explique la différence que l’on observe entre les heures d’arrivée des différents courriers expédiés. »

    Il est fort probable que cette explication contient une part plus ou moins considérable de vérité ; mais il me semble qu’on pourrait ajouter à la connaissance des vents et de la température une notion plus ou moins exacte de la direction de la marche du soleil ou de la lune, notion qui, ajoutée à celle de la température et de l’humidité, permettrait à l’oiseau de guider sa marche.