Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Oiseaux étrangers qui paraissent avoir du rapport avec les perdrix et les cailles

OISEAUX ÉTRANGERS
QUI PARAISSENT AVOIR DU RAPPORT AVEC LES PERDRIX ET AVEC LES CAILLES

I.LES COLINS.

Les colins sont des oiseaux du Mexique qui ont été indiqués plutôt que décrits par Fernandez[1], et au sujet desquels il a échappé à ceux qui ont copié cet écrivain plus d’une méprise qu’il est à propos de rectifier avant tout.

Premièrement, Nieremberg, qui fait profession de ne parler que d’après les autres et qui ne parle ici des colins que d’après Fernandez[2], ne fait aucune mention du cacacolin du chapitre cxxxiv, quoique ce soit un oiseau de même espèce que les colins.

En second lieu, Fernandez parle de deux acolins, ou cailles d’eau, aux chapitres x et cxxxi ; Nieremberg fait mention du premier, et fort mal à propos, à la suite des colins, puisque c’est un oiseau aquatique, ainsi que celui du chapitre cxxxi, dont il ne dit rien.

Troisièmement, il ne parle point de l’ococolin du chapitre lxxxv de Fernandez, lequel est une perdrix du Mexique, et par conséquent fort approchant des colins, qui sont aussi des perdrix, suivant Fernandez, comme nous l’allons voir.

En quatrième lieu, M. Ray, copiant Nieremberg, copiste de Fernandez, au sujet du coyolcozque, change son expression, et altère à mon avis le sens de la phrase ; car Nieremberg dit que ce coyolcozque est semblable aux cailles, ainsi appelées par nos Espagnols[3] (lesquelles sont certainement les colins), et finit par dire qu’il est une espèce de perdrix d’Espagne[4] ; et M. Ray lui fait dire qu’il est semblable aux cailles d’Europe, et supprime ces mots, est enim species perdicis Hispanicæ[5] : cependant ces derniers mots sont essentiels et renferment la véritable opinion de Fernandez sur l’espèce à laquelle ces oiseaux doivent se rapporter, puisqu’au chapitre xxxix, qui roule tout entier sur les colins, il dit que les Espagnols les appellent des cailles, parce qu’ils ont de la ressemblance avec les cailles d’Europe, quoique cependant ils appartiennent très certainement au genre des perdrix : il est vrai qu’il répète encore dans ce même chapitre que tous les colins sont rapportés aux cailles, mais il est aisé de voir au milieu de toutes ces incertitudes que lorsque cet auteur donne aux colins le nom de cailles, c’est d’après le vulgaire[6], qui dans l’imposition des noms se détermine souvent par des rapports superficiels, et que son opinion réfléchie est que ce sont des espèces de perdrix. J’aurais donc pu, m’en rapportant à Fernandez, le seul observateur qui ait vu ces oiseaux, placer les colins à la suite des perdrix ; mais j’ai mieux aimé me prêter autant qu’il était possible à l’opinion vulgaire, qui n’est pas dénuée de tout fondement, et mettre ces oiseaux à la suite des cailles, comme ayant rapport aux cailles et aux perdrix.

Suivant Fernandez, les colins sont fort communs dans la Nouvelle-Espagne ; leur chant, plus ou moins agréable, approche beaucoup de celui de nos cailles ; leur chair est un manger très bon et très sain, même pour les malades, lorsqu’elle est gardée quelques jours ; ils se nourrissent de grain, et on les tient communément en cage[7], ce qui me ferait croire qu’ils sont d’un naturel différent de nos cailles et même de nos perdrix. Nous allons donner les indications particulières de ces oiseaux dans les articles suivants.

II.LE ZONÉCOLIN[8].

Ce nom, abrégé du mot mexicain quanhtzonecolin, désigne un oiseau[NdÉ 1] de grandeur médiocre, et dont le plumage est de couleur obscure ; mais ce qui le distingue c’est son cri, qui est assez flatteur, quoique un peu plaintif, et la huppe dont sa tête est ornée.

Fernandez reconnaît dans le même chapitre un autre colin de même plumage, mais moins gros et sans huppe : ce pourrait bien être la femelle du précédent, dont il ne se distingue que par des caractères accidentels, qui sont sujets à varier d’un sexe à l’autre.

III.LE GRAND COLIN[9].

C’est ici la plus grande espèce de tous ces colins[NdÉ 2] : Fernandez ne nous apprend point son nom ; il dit seulement que le fauve est sa couleur dominante, que la tête est variée de blanc et de noir, et qu’il y a aussi du blanc sur le dos et au bout des ailes, ce qui doit contraster agréablement avec la couleur noire des pieds et du bec.

IV.LE CACOLIN.

Cet oiseau, appelé cacacolin par Fernandez, est, selon lui, une espèce de caille[10], c’est-à-dire de colin, de même grandeur, de même forme, ayant le même chant, se nourrissant de même, et ayant le plumage peint presque des mêmes couleurs que ces cailles mexicaines[NdÉ 3]. Nieremberg, Ray, ni M. Brisson n’en parlent point.

V.LE COYOLCOS.

C’est ainsi que j’adoucis le nom mexicain coyolcozque. Cet oiseau[NdÉ 4] ressemble par son chant, sa grosseur, ses mœurs, sa manière de vivre et de voler, aux autres colins ; mais il en diffère par son plumage : le fauve mêlé de blanc est la couleur dominante du dessus du corps, et le fauve seul celle du dessous et des pieds ; le sommet de la tête est noir et blanc, et deux bandes de la même couleur descendent des yeux sur le cou : il se tient dans les terres cultivées. Voilà ce que dit Fernandez, et c’est faute de l’avoir lu avec assez d’attention, ou plutôt c’est pour avoir suivi M. Ray que M. Brisson dit que le coyolcos ressemble à notre caille par son chant, son vol, etc.[11] ; tandis que Fernandez assure positivement qu’il ressemble aux cailles, ainsi appelées par le vulgaire, c’est-à-dire aux colins, et que c’est en effet une espèce de perdrix[12].

VI.LE COLENICUI.

Frisch donne (pl. cxiii) la figure d’un oiseau qu’il appelle petite poule de bois d’Amérique et qui ressemble, selon lui, aux gelinottes par le bec et les pieds, et par sa forme totale, quoique cependant elle n’ait ni les pieds garnis de plumes, ni les doigts bordés de dentelures, ni les yeux ornés de sourcils rouges, ainsi qu’il paraît par sa figure. M. Brisson, qui regarde cet oiseau comme le même que le colenicuiltic de Fernandez[13], l’a rangé parmi les cailles sous le nom de caille de la Louisiane, et en a donné la figure[14] ; mais en comparant les figures ou les descriptions de M. Brisson, de Frisch et de Fernandez, j’y trouve de trop grandes différences pour convenir qu’elles puissent se rapporter toutes au même oiseau ; car sans m’arrêter aux couleurs du plumage, si difficiles à bien peindre dans une description, et encore moins à l’attitude, qui n’est que trop arbitraire, je remarque que le bec et les pieds sont gros et jaunâtres, selon M. Frisch, rouges et de médiocre grosseur, selon M. Brisson, et que les pieds sont bleus, selon Fernandez[15].

Que si je m’arrête à l’idée que l’aspect de cet oiseau[NdÉ 5] a fait naître chez ces trois naturalistes, l’embarras ne fait qu’augmenter, car M. Frisch n’y a vu qu’une poule de bois, M. Brisson qu’une caille, et Fernandez qu’une perdrix ; car, quoique celui-ci dise au commencement du chapitre xxv que c’est une espèce de caille, il est visible qu’il se conforme en cet endroit au langage vulgaire ; car il finit ce même chapitre en assurant que le colenicuiltic ressemble par sa grosseur, son chant, ses mœurs et par tout le reste (ceteris cunctis) à l’oiseau du chapitre xxiv : or, cet oiseau du chapitre xxiv est le coyolcozque, espèce de colin ; et Fernandez, comme nous l’avons vu, met les colins au nombre des perdrix[16].

Je n’insiste sur tout ceci que pour faire sentir et éviter, s’il est possible, un grand inconvénient de nomenclature. Un méthodiste ne veut pas qu’une seule espèce, quelque anomale qu’elle soit, échappe à sa méthode : il lui assigne donc parmi ses classes et ses genres la place qu’il croit lui convenir le mieux ; un autre, qui a imaginé un autre système, en fait autant avec le même droit ; et pour peu que l’on connaisse le procédé des méthodes et la marche de la nature, on comprendra facilement qu’un même oiseau pourra très bien être placé par trois méthodistes dans trois classes différentes, et n’être nulle part à sa place.

Lorsque nous aurons vu l’oiseau ou les oiseaux dont il s’agit ici, et surtout lorsque nous aurons l’occasion de les voir vivants, nous les rapprocherons des espèces avec lesquelles ils nous paraîtront avoir le plus de rapport soit par la forme extérieure, soit par les mœurs et les habitudes naturelles.

Au reste, le colenicui est de la grosseur de notre caille, selon M. Brisson ; mais il paraît avoir les ailes un peu plus longues : il est brun sur le corps, gris sale et noir par-dessous ; il a la gorge blanche et des espèces de sourcils blancs.

VII.L’OCOCOLIN OU PERDRIX DE MONTAGNE DU MEXIQUE[17].

Cette espèce[NdÉ 6], que M. Seba a prise pour le rollier huppé du Mexique[18], s’éloigne encore plus de la caille, et même de la perdrix, que le précédent : elle est beaucoup plus grosse, et sa chair n’est pas moins bonne que celle de la caille, quoique fort au-dessous de celle de la perdrix. L’ococolin se rapproche un peu de la perdrix rouge, par la couleur de son plumage, de son bec et de ses pieds : celle du corps est un mélange de brun, de gris clair et de fauve ; celle de la partie inférieure des ailes est cendrée ; leur partie supérieure est semée de taches obscures, blanches et fauves, de même que la tête et le cou. Il se plaît dans les climats tempérés et même un peu froids, et ne saurait vivre ni se perpétuer dans les climats brûlants. Fernandez parle encore d’un autre ococolin, mais qui est un oiseau tout différent[19].


Notes de Buffon
  1. Voyez Fernandez, Historia avium novæ Hispaniæ, cap. xxiv, xxv, xxxix, lxxxix et cxxxiv.
  2. Voyez Joann. Euseh. Nierembergi Historia naturæ maximè peregrinæ, lib. x, cap. lxxii, p. 232.
  3. « Coturnicibus vocatis a nostris similis. » À l’endroit cité, p. 233.
  4. « Est enim ejus (perdicis Hispaniæ) species. » Ibidem.
  5. Synopsis methodica avium appendix, p. 158.
  6. Il dit toujours, en parlant de cette espèce, coturnicis Mexicanæ (cap. xxiv), coturnicis vocatæ (cap. xxxiv), quam vocant coturnicem (cap. xxxix) ; et quand il dit coturnicis nostræ (cap. xxv), il est évident qu’il veut parler de ce même oiseau appelé caille au Mexique, puisque ayant parlé dans le chapitre précédent de cette caille mexicaine, il dit ici (cap. xxv), coturnicis nostræ quoque est species.
  7. Fernandez, Historia Avium, cap. xxxix.
  8. Idem, ibidem.
  9. Voyez Fernandez, cap. xxxix ; et Brisson, Ornithologie, t. Ier, p. 257.
  10. « Coturnicis vocatæ species. » Voyez Fernandez, cap. cxxxiv.
  11. Voyez Brisson, Ornithologie, t. Ier, p. 256.
  12. « Perdicis Hispanicæ… species est… » Historia animalium Novæ Hispaniæ, p. 19, cap. xxiv.
  13. Fernandez, Hist. avium Novæ Hispaniæ, cap. xxv, p. 19.
  14. Brisson, Ornithologie, t. Ier, p. 258 ; et planche xxii.
  15. Fernandez, à l’endroit cité, p. 20.
  16. « Colin genera (quas coturnices vocant Hispani, quoniam nostralibus sunt similes, etsi ad perdicum species sint citra dubium referendæ). » Cap. xxxix.
  17. Voyez Fernandez, chap. lxxxv. Brisson, t. Ier, p. 226.
  18. Voyez l’Ornithologie de Brisson, t. II, p. 84. En général, les rolliers ont le bec plus droit et la queue plus longue que les perdrix.
  19. « Ococolin genus pici, rostro longo et acuto… vivit in Telzcocanarum sylvarum arboribus, ubi sobolem educat : non cantillat. » Fernandez, cap. ccxi.
Notes de l’éditeur
  1. Tetrao cristatus Gmel. [Note de Wikisource : actuellement Colinus cristatus Linnæus, vulgairement colin huppé ; tous les colins sont actuellement rangés dans une même famille, différente de celle qui regroupe les cailles, les perdrix, les francolins, les faisans, les paons, etc.].
  2. Espèce mal déterminée, à laquelle Gmelin a donné le nom de Tetrao Novæ Hispaniæ.
  3. Probablement la même espèce que le Zonécolin.
  4. Probablement la même que le Colenicui.
  5. Perdix borealis Temm. [Note de Wikisource : actuellement Colinus virginianus Linnæus, vulgairement colin de Virginie].
  6. Tetrao nævius de Gmelin, espèce mal déterminée [Note de Wikisource : actuellement Dendrortyx barbatus Gould, vulgairement colin barbu].