Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Oiseaux étrangers qui ont rapport au pigeon

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 521-525).

OISEAUX ÉTRANGERS
QUI ONT RAPPORT AU PIGEON

Il y a peu d’espèces qui soient aussi généralement répandues que celle du pigeon : comme il a l’aile très forte et le vol soutenu, il peut faire aisément de longs voyages ; aussi la plupart des races sauvages ou domestiques se trouvent dans tous les climats. De l’Égypte jusqu’en Norvège on élève des pigeons de volière, et quoiqu’ils prospèrent mieux dans les climats chauds, ils ne laissent pas de réussir dans les pays froids, tout dépendant des soins qu’on leur donne, et ce qui prouve que l’espèce en général ne craint ni le chaud ni le froid, c’est que le pigeon sauvage ou biset se trouve également dans presque toutes les contrées des deux continents[1].

Le pigeon brun de la Nouvelle-Espagne[NdÉ 1], indiqué par Fernandez sous le nom mexicain cehoilotl[2], qui est brun partout, excepté la poitrine et les extrémités des ailes qui sont blanches, ne nous paraît être qu’une variété du biset : cet oiseau du Mexique a le tour des yeux d’un rouge vif, l’iris noir, et les pieds rouges ; celui que le même auteur[3] indique sous le nom de hoilotl, qui est brun, marqué de taches noires, n’est vraisemblablement qu’une variété d’âge ou de sexe du précédent ; et un autre du même pays, appelé kacahoilotl, qui est bleu sur toutes les parties supérieures, et rouge sur la poitrine et le ventre, n’est peut-être encore qu’une variété de notre pigeon sauvage[4], et tous trois me paraissent appartenir à l’espèce de notre pigeon d’Europe.

Le pigeon indiqué par M. Brisson[5] sous le nom de pigeon violet de la Martinique[NdÉ 2], et qui est représenté sous ce même nom de pigeon de la Martinique, ne nous paraît être qu’une très légère variété de notre pigeon commun. Celui que ce même auteur[6] appelle simplement pigeon de la Martinique, et qui est représenté sous la dénomination de pigeon roux de Cayenne[NdÉ 3], ne forment ni l’un ni l’autre des espèces différentes de celle de notre pigeon : il y a même toute apparence que le dernier n’est que la femelle du premier, et qu’ils tirent leur origine de nos pigeons fuyards. On les appelle improprement perdrix à la Martinique, où il n’y a point de vraies perdrix, mais ce sont des pigeons qui ne ressemblent à la perdrix que par la couleur du plumage, et qui ne diffèrent pas assez de nos pigeons pour qu’on doive leur donner un autre nom ; et comme l’un nous est venu de Cayenne et l’autre de la Martinique, on peut en inférer que l’espèce est répandue dans tous les climats chauds du nouveau continent.

Le pigeon décrit et dessiné par M. Edwards (pl. clxxvi), sous la dénomination de pigeon brun des Indes orientales, est de la même grosseur que notre pigeon biset ; et comme il n’en diffère que par les couleurs, on peut le regarder comme une variété produite par l’influence du climat. Il est remarquable en ce que ses yeux sont entourés d’une peau d’un beau bleu, dénuée de plumes, et qu’il relève souvent et subitement sa queue, sans cependant l’étaler comme le pigeon-paon.

Il en est de même du pigeon d’Amérique, donné par Catesby[7] sous le nom de pigeon de passage[NdÉ 4], et par Frisch sous celui de columba Americana[8], qui ne diffère de nos pigeons fuyards, et devenus sauvages, que par les couleurs et par les plumes de la queue qu’il a plus longues, ce qui semble le rapprocher de la tourterelle ; mais ces différences ne nous paraissent pas suffisantes pour en faire une espèce distincte et séparée de celle de nos pigeons.

Il en est encore de même du pigeon indiqué par Ray[9], appelé par les Anglais pigeon-perroquet, décrit ensuite par M. Brisson[10], et que nous avons fait représenter[NdÉ 5] sous la dénomination de pigeon vert des Philippines[NdÉ 6] : comme il est de la même grandeur que notre pigeon sauvage ou fuyard, et qu’il n’en diffère que par la force des couleurs, ce qu’on peut attribuer au climat chaud, nous ne le regarderons que comme un variété dans l’espèce de notre pigeon.

Il s’est trouvé dans le Cabinet du Roi un oiseau sous le nom de pigeon vert d’Amboine[NdÉ 7], qui n’est pas celui que M. Brisson a donné sous ce nom[11], et que nous avons fait représenter : cet oiseau est d’une race très voisine de la précédente, et pourrait bien même n’en être qu’une variété de sexe ou d’âge[NdÉ 8].

Le pigeon vert d’Amboine, décrit par M. Brisson[12], est de la grosseur d’une tourterelle ; et quoique différent par la distribution des couleurs de celui auquel nous avons donné le même nom, il ne peut cependant être regardé que comme une autre variété de l’espèce de notre pigeon d’Europe, et il y a toute apparence que le pigeon vert de l’île Saint-Thomas[NdÉ 9], indiqué par Marcgrave[13], qui est de la même grandeur et figure que notre pigeon d’Europe, mais qui en diffère, ainsi que de tous les autres pigeons, par ses pieds couleur de safran, est cependant encore une variété du pigeon sauvage. En général, les pigeons ont tous les pieds rouges ; il n’y a de différence que dans l’intensité ou la vivacité de cette couleur, et c’est peut-être par maladie ou par quelque autre cause accidentelle, que ce pigeon de Marcgrave les avait jaunes : du reste, il ressemble beaucoup aux pigeons verts des Philippines et d’Amboine, de nos planches enluminées. Thévenot fait mention de ces pigeons verts dans les termes suivants : « Il se trouve aux Indes, à Agra, des pigeons tout verts, et qui ne diffèrent des nôtres que par cette couleur. Les chasseurs les prennent aisément avec de la glu[14]. »

Le pigeon de la Jamaïque[NdÉ 10], indiqué par Hans Sloane[15], qui est d’un brun pourpré sur le corps, et blanc sous le ventre, et dont la grandeur est à peu près la même que celle de notre pigeon sauvage, doit être regardé comme une simple variété de cette espèce, d’autant plus qu’on ne le trouve pas à la Jamaïque en toutes saisons, et qu’il n’y est que comme oiseau de passage.

Un autre[NdÉ 11] qui se trouve dans le même pays de la Jamaïque, et qui n’est encore qu’une variété de notre pigeon sauvage, c’est celui qui a été indiqué par Hans Sloane[16], et ensuite par Catesby[17], sous la dénomination de pigeon à la couronne blanche : comme il est de la même grosseur que notre pigeon sauvage, et qu’il niche et multiplie de même dans les trous des rochers, on ne peut guère douter qu’il ne soit de la même espèce.

On voit, par cette énumération, que notre pigeon sauvage d’Europe se trouve au Mexique, à la Nouvelle-Espagne, à la Martinique, à Cayenne, à la Caroline, à la Jamaïque, c’est-à-dire dans toutes les contrées chaudes et tempérées des Indes occidentales ; et qu’on le retrouve aux Indes orientales, à Amboine et jusqu’aux Philippines.


Notes de Buffon
  1. Les oiseaux que les habitants de nos îles de l’Amérique appellent ramiers sont les vrais bisets de l’Europe : ils sont passagers et ne s’arrêtent jamais longtemps en un lieu ; ils suivent les graines qui ne mûrissent pas en même temps dans tous les endroits des îles ; ils branchent et nichent sur les plus hauts arbres deux ou trois fois l’année… il n’est pas croyable combien les chasseurs en tuent. Lorsqu’ils mangent de bonnes graines, ils sont gras et d’aussi bon goût que les pigeons d’Europe ; mais ceux qui se nourrissent de graines amères, comme de celles de l’acomat, sont amers comme de la suie. Du Tertre, Hist. des Antilles, t. II, p. 256. — Il y a des pigeons, sur la côte de Guinée, qui sont des plus communs, tels que nos pigeons des champs, et qui ne laissent pas d’être un fort bon manger. Bosman, Voyage de Guinée, p. 242. Il y a aux îles Maldives quantité de pigeons… Il y a à Calicut des pigeons fort gros et des paons sauvages. Voyage de Pyrard, p. 131 et 426.
  2. Fernandez, Hist. nov. Hisp., cap. cxxvii, p. 42.
  3. Ibidem, cap. lvi, p. 26 ; et cap. lx, p. 57.
  4. Ibidem, cap. clix, p. 46.
  5. « Columba castaneo violacea ; ventre rufescente ; remigibus interius rufis… Columba violacea Martinicana. » Le pigeon violet de la Martinique. Brisson, Ornithologie, t. Ier, p. 129, planche xii, fig. 1. — Perdrix rousse. Du Tertre, Hist. des Antilles, t. II, p. 254.
  6. « Columba superne fusco-rufescens, inferne dilute fulvo-vinacea ; torque violaceo aureo ; maculis in utrâque alâ nigris ; rectricibus lateralibus tæniâ transversâ nigrâ donatis, apice albis… Columba Martinicana. » Le pigeon de la Martinique. On l’appelle à la Martinique perdrix. Brisson, Ornithologie, t. Ier, p. 103 et 104.
  7. Catesby, Hist. nat. de la Caroline, t. Ier, planche xxiii, avec une figure coloriée.
  8. Frisch, planche cxlii, avec une figure coloriée.
  9. « Columba Maderas-patana variis coloribus eleganter depicta. » Ray, Syn. Avi., p. 196, no 15.
  10. Le pigeon vert des Philippines. Brisson, Ornitholog., t. Ier, p. 143, avec une figure, planche xi, fig. 2.
  11. Brisson, Ornithologie, t. Ier, p. 145.
  12. « Columba viridi-olivacea ; dorso castaneo ; remigibus supra nigris infra cinereis, oris exterioribus flavis ; pedibus nudis… Columba viridis Amboinensis. » Le pigeon vert d’Amboine. Idem, ibidem, avec une figure, planche x, fig. 2.
  13. « Columbæ sylvestris species ex insulâ Sancti Thomæ. » Marcgrave, Hist. nat. Brasil., p. 213.
  14. Voyages de Thévenot, t. III, p. 73.
  15. « Columba minor ventre candido. » Sloane, Jamaïc., p. 303, planche cclxii, fig. 1. — « Columba media ventre candido. » Browne, Nat. Hist. of Jamaïc., p. 469.
  16. « Columba minor, capite albo. » Goritas, de Oviedo. Sloane, Jamaïc., p. 303, planche cclxi, fig. 2.
  17. Pigeon à la couronne blanche. Catesby, Hist. de la Caroline, t. Ier, p. 25, planche xxv, avec une bonne figure coloriée.
Notes de l’éditeur
  1. Columba mexicana L. [Note de Wikisource : identification incertaine].
  2. Columba martinica L. [Note de Wikisource : actuellement Geotrygon montana Linnæus, vulgairement colombe rouviolette].
  3. Columba martinica L. [Note de Wikisource : actuellement Geotrygon montana Linnæus, vulgairement colombe rouviolette].
  4. Columba migratoria L. [Note de Wikisource : actuellement Ectopistes migratorius Linnæus, vulgairement tourte voyageuse].
  5. No 138 des Planches enluminées de Buffon.
  6. Columba vernans L. [Note de Wikisource : actuellement Trenon vernans Linnæus, vulgairement colombar giouanne].
  7. Columba aromatica L. [Note de Wikisource : actuellement Treron aromaticus Gmelin, vulgairement columbar de Buru].
  8. No 163 des Planches enluminées de Buffon.
  9. Columba Sancti Thomæ L. [Note de Wikisource : actuellement Treron sanctithomae Gmelin, vulgairement colombar de Sao Tomé].
  10. Columba jamaïcensis L. [Note de Wikisource : actuellement Leptotila jamaicensis Linnæus, vulgairement colombe de la Jamaïque].
  11. Columba leucocephala L. [Note de Wikisource : actuellement Patagioenas leucocephala Linnæus, vulgairement pigeon à couronne blanche].