Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Du marbre



DU MARBRE

Le marbre est une pierre calcaire dure et d’un grain fin[NdÉ 1], souvent colorée et toujours susceptible de poli : il y a, comme dans les autres pierres calcaires, des marbres de première, de seconde et peut-être de troisième formation. Ce que nous avons dit au sujet des carrières parasites suffit pour donner une juste idée de la composition des pierres ou des marbres que ces carrières renferment ; mais les anciens marbres ne sont pas composés, comme les nouveaux, de simples particules pierreuses réduites par l’eau en molécules plus ou moins fines ; ils sont formés, comme les autres pierres anciennes, de débris de pierres encore plus anciennes, et la plupart sont mêlés de coquilles et d’autres productions de la mer ; tous sont posés par bancs horizontaux ou parallèlement inclinés, et ils ne diffèrent des autres pierres calcaires que par les couleurs, car il y a de ces pierres qui sont presque aussi dures, aussi denses et d’un grain aussi fin que les marbres, et auxquelles néanmoins on ne donne pas le nom de marbres, parce qu’elles sont sans couleur décidée, ou plutôt sans diversité de couleurs : au reste, les couleurs, quoique très fortes ou très foncées dans certains marbres, n’en changent point du tout la nature ; elles n’en augmentent sensiblement ni la dureté ni la densité, et n’empêchent pas qu’ils ne se calcinent et se convertissent en chaux, au même degré de feu que les autres pierres dures. Les pierres à grain fin et que l’on peut polir font la nuance entre les pierres communes et les marbres qui tous sont de la même nature que la pierre, puisque tous font effervescence avec les acides, que tous ont la cassure grenue, et que tous peuvent se réduire en chaux. Je dis tous, parce que je n’entends parler ici que des marbres purs, c’est-à-dire de ceux qui ne sont composés que de matière calcaire sans mélange d’argile, de schiste, délavé ou d’autre matière vitreuse ; car ceux qui sont mêlés d’une grande quantité de ces substances hétérogènes ne sont pas de vrais marbres, mais des pierres mi-parties, qu’on doit considérer à part.

Les bancs des marbres anciens ont été formés, comme les autres bancs calcaires, par le mouvement et le dépôt des eaux de la mer, qui a transporté les coquilles et les matières pierreuses, réduites en petit volume, en graviers, en galets, et les a stratifiées les unes sur les autres ; et il paraît que l’établissement local de la plupart de ces bancs de marbre d’ancienne formation a précédé celui des autres bancs de pierre calcaire, parce qu’on les trouve presque toujours au-dessous de ces mêmes bancs, et que dans une colline composée de vingt ou trente bancs de pierre, il n’y a d’ordinaire que deux ou trois bancs de marbre, souvent un seul, toujours situé au-dessous des autres, à peu de distance de la glaise qui sert de base à la colline ; de sorte que communément le banc de marbre porte immédiatement sur cette argile, ou n’en est séparé que par un dernier banc qui paraît être l’égout de tous les autres, et qui est mêlé de marbre, de pyrites et de cristallisations spathiques d’un assez grand volume.

Ainsi, par leur situation au-dessous des autres bancs de pierre calcaire, les bancs de ces anciens marbres ont reçu les couleurs et les sucs pétrifiants dont l’eau se charge toujours en pénétrant d’abord la terre végétale, et ensuite tous les bancs de pierre qui se trouvent entre cette terre et le banc de marbre ; et l’on peut distinguer par plusieurs caractères ces marbres d’ancienne formation : les uns portent des empreintes de coquilles dont on voit la forme et les stries ; d’autres, comme les lumachelles, paraissent composés de petites coquilles de la figure des limaçons ; d’autres contiennent des bélemnites, des orthocératites, des astroïtes, des fragments de madrépores, etc. : tous ces marbres qui présentent des impressions de coquilles, sont moins communs que ceux qu’on appelle brèches, qui n’offrent que peu ou point de ces productions marines, et qui sont composés de galets et de graviers arrondis, liés ensemble par un ciment pierreux, de sorte qu’ils s’ébrèchent en les cassant, et c’est de là qu’on les a nommés brèches.

On peut donc diviser en deux classes ces marbres d’ancienne formation : la première comprend tous ceux auxquels on a donné ce nom de brèches, et l’on pourrait appeler marbres coquilleux ceux de la seconde classe ; les uns et les autres ont des veines de spath, qui cependant sont plus fréquentes et plus apparentes dans les marbres coquilleux que dans les brèches, et ces veines se sont formées lorsque la matière de ces marbres, encore molle, s’est entr’ouverte par le dessèchement ; les fentes se sont dès lors peu à peu remplies du suc lapidifique qui découlait des bancs supérieurs, et ce suc spathique a formé les veines qui traversent le fond du marbre en différents sens ; elles se trouvent ordinairement dans la matière plus molle qui a servi de ciment pour réunir les galets, les graviers et les autres débris de pierre ou des marbres anciens dont ils sont composés ; et ce qui prouve évidemment que ces veines ne sont que des fentes remplies du suc lapidifique, c’est que dans les bancs qui ont souffert quelque effort et qui se sont rompus après le dessèchement par un tremblement de terre ou par quelque autre commotion accidentelle, on voit que la rupture, qui dans ce cas a séparé les galets et les autres morceaux durs en deux parties, s’est ensuite remplie de spath, et a formé une petite veine si semblable à la fracture, qu’on ne peut la méconnaître. Ce que les ouvriers appellent des fils ou des poils, dans les blocs de pierre calcaire, sont aussi de petites veines de spath, et souvent la pierre se rompt dans la direction de ces fils en la travaillant au marteau ; quelquefois aussi ce spath prend une telle solidité, surtout quand il est mêlé de parties ferrugineuses, qu’il semble avoir autant et plus de résistance que le reste de la matière.

Il en est des taches comme des veines, dans certains marbres d’ancienne formation : on y voit évidemment que les taches sont aussi d’une date postérieure à celle de la masse même de ces marbres, car les coquilles et les débris des madrépores répandus dans cette masse ayant été dissous par l’intermède de l’eau, ont laissé dans plusieurs endroits de ces marbres, des cavités qui n’ont conservé que le contour de leur figure, et l’on voit que ces petites cavités ont été ensuite remplies par une matière blanche ou colorée, qui forme des taches d’une figure semblable à celle de ces corps marins dont elle a pris la place ; et lorsque cette matière est blanche, elle est de la même nature que celle du marbre blanc, ce qui semble indiquer que le marbre blanc lui-même est de seconde formation, et a été, comme les albâtres, produit par la stillation des eaux. Cette présomption se confirme lorsque l’on considère qu’il ne se trouve jamais d’impression de coquilles ni d’autres corps marins dans le marbre blanc[NdÉ 2], et que dans ses carrières on ne remarque point les fentes perpendiculaires ni même les délits horizontaux, qui séparent et divisent par bancs et par blocs les autres carrières de pierres calcaires ou de marbres d’ancienne formation : on voit seulement sur ce marbre blanc de très petites gerçures qui ne sont ni régulières ni suivies ; l’on en tire des blocs d’un très grand volume et de telle épaisseur que l’on veut, tandis que, dans les marbres d’ancienne formation, les blocs ne peuvent avoir que l’épaisseur du banc dont on les tire, et la longueur qui se trouve entre chacune des fentes perpendiculaires qui traversent ce banc. L’inspection même de la substance du marbre blanc, et les grains spathiques que l’on aperçoit à sa cassure, semblent démontrer qu’il a été formé par la stillation des eaux ; et l’on observe de plus que lorsqu’on le taille il obéit au marteau dans tous les sens, soit qu’on l’entame horizontalement ou verticalement, au lieu que, dans les marbres d’ancienne formation, le sens horizontal est celui dans lequel on les travaille plus facilement que dans tout autre sens.

Les marbres anciens sont donc composés :

1o  Des débris de pierres dures ou de marbres encore plus anciens et réduits en plus ou moins petit volume. Dans les brèches, ce sont des morceaux très distincts, et qui ont depuis quelques lignes jusqu’à quelques pouces de diamètre. Ceux que les nomenclateurs ont appelés marbres oolithes, qui sont composés de petits graviers arrondis, semblables à des œufs de poissons, peuvent être mis au rang des brèches ainsi que les poudingues calcaires, composés de gros graviers arrondis.

2o  D’un ciment pierreux ordinairement coloré qui lie ces morceaux dans les brèches, et réunit les parties coquilleuses avec les graviers dans les autres marbres : ce ciment, qui fait le fond de tous les marbres, n’est qu’une matière pierreuse anciennement réduite en poudre et qui avait acquis son dernier degré de pétrification avant de se réunir, ou qui l’a pris depuis par la susception du liquide pétrifiant.

Mais les marbres de seconde formation ne contiennent ni galets ni graviers arrondis et ne présentent aucune impression de coquilles : ils sont, comme nous l’avons dit, uniquement composés de molécules pierreuses, charriées et déposées par la stillation des eaux, et dès lors ils sont plus uniformes dans leur texture et moins variés dans leur composition ; ils ont ordinairement le grain plus fin et des couleurs plus brillantes que les premiers marbres, desquels néanmoins ils tirent leur origine. On peut en donner des exemples dans tous les marbres antiques et modernes : ceux auxquels on donne le nom d’antiques ne nous sont plus connus que par les monuments où ils ont été employés, car les carrières dont ils ont été tirés sont perdues, tandis que ceux qu’on appelle marbres modernes se tirent encore actuellement des carrières qui nous sont connues. Le cipolin parmi ces marbres antiques, et le sérancolin parmi les marbres modernes, sont tous deux de seconde formation ; le jaune et le vert antiques et modernes, les marbres blancs et noirs, tous ceux, en un mot, qui sont nets et purs, qui ne contiennent point de galets ni de productions marines dont la figure soit apparente, et qui ne sont, comme l’albâtre, composés que de molécules pierreuses, très petites et disposées d’une manière uniforme, doivent être regardés comme des marbres de seconde formation, parmi lesquels il y en a, comme les marbres blancs de Carrare, de Paros, etc., auxquels on a donné mal à propos le nom de marbres salins, uniquement à cause qu’ils offrent à leur cassure et quelquefois à leur surface de petits cristaux spathiques en forme de grains de sel ; ce qui a fait dire à quelques observateurs superficiels[1] que ces marbres contenaient une grande quantité de sels.

En général, tout ce que nous avons dit des pierres calcaires anciennes et modernes doit s’appliquer aux marbres ; la nature a employé les mêmes moyens pour les former : elle a d’abord accumulé et superposé les débris des madrépores et des coquilles, elle en a brisé, réduit en poudre la plus grande quantité, elle a déposé le tout par lits horizontaux, et ces matières, réunies par leur force d’affinité, ont pris un premier degré de consistance, qui s’est bientôt augmenté dans les lits inférieurs par l’infiltration du suc pétrifiant qui n’a cessé de découler des lits supérieurs ; les pierres les plus dures et les marbres se sont, par cette cause, trouvés au-dessous des autres bancs de pierre ; plus il y a eu d’épaisseur de pierre au-dessus de ce banc inférieur, plus la matière en est devenue dense ; et lorsque le suc pétrifiant, qui en a rempli les pores, s’est trouvé fortement imprégné des couleurs du fer ou d’autres minéraux, il a donné les mêmes couleurs à la masse entière de ce dernier banc ; on peut aisément reconnaître et bien voir ces couleurs dans la carrière même ou sur des blocs bruts ; en les mouillant avec de l’eau, elle fait sortir ces couleurs et leur donne pour le moment autant de lustre que le poli le plus achevé.

Il n’y a que peu de marbres, du moins en grand volume, qui soient d’une seule couleur. Les plus beaux marbres blancs ou noirs sont les seuls que l’on puisse citer, et encore sont-ils souvent tachés de gris et de brun ; tous les autres sont de plusieurs couleurs, et l’on peut même dire que toutes les couleurs se trouvent dans les marbres, car on en connaît des rouges et rougeâtres ; des orangés, des jaunes et jaunâtres ; des verts et verdâtres ; des bleuâtres plus ou moins foncés et des violets ; ces deux dernières couleurs sont les plus rares, mais cependant elles se voient dans la brèche violette et dans le marbre appelé bleu turquin ; et du mélange de ces diverses couleurs, il résulte une infinité de nuances différentes dans les marbres gris, isabelles, blanchâtres, bruns ou noirâtres. Dans le grand nombre d’échantillons qui composent la collection des marbres du Cabinet du Roi, il s’en trouve plusieurs de deux, trois et quatre couleurs, et quelques-uns de cinq et six : ainsi les marbres sont plus variés que les albâtres dans lesquels je n’ai jamais vu du bleu ni du vert.

On peut augmenter par l’art la vivacité et l’intensité des couleurs que les marbres ont reçues de la nature. Il suffit pour cela de les chauffer : le rouge deviendra d’un rouge plus vif ou plus foncé, et le jaune se changera en orangé ou en petit rouge. Il faut un certain degré de feu pour opérer ce changement qui se fait en les polissant à chaud ; et ces nouvelles nuances de couleur, acquises par un moyen si simple, ne laissent pas d’être permanentes, et ne s’altèrent ni ne changent par le refroidissement ni par le temps : elles sont durables parce qu’elles sont profondes, et que la masse entière du marbre prend par cette grande chaleur ce surcroît de couleur qu’elle conserve toujours.

Dans tous les marbres on doit distinguer la partie du fond, qui d’ordinaire est de couleur uniforme, d’avec les autres parties qui sont par taches ou par veines, souvent de couleurs différentes ; les veines traversent le fond et sont rarement coupées par d’autres veines, parce qu’elles sont d’une formation plus nouvelle que le fond, et qu’elles n’ont fait que remplir les fentes occasionnées par le dessèchement de cette matière du fond : il en est de même des taches, mais elles ne sont guère traversées d’autres taches, sinon par quelques filets d’herborisations qui sont d’une formation encore plus récente que celle des veines et des taches ; et l’on doit remarquer que toutes les taches sont irrégulièrement terminées et comme frangées à leur circonférence, tandis que les veines sont au contraire sans dentelures ni franges, et nettement tranchées des deux côtés dans leur longueur.

Il arrive souvent que dans la même carrière, et quelquefois dans le même bloc, on trouve des morceaux de couleurs différentes, et des taches ou des veines situées différemment ; mais pour l’ordinaire les marbres d’une contrée se ressemblent plus entre eux qu’à ceux des contrées éloignées, et cela leur est commun avec les autres pierres calcaires qui sont d’une texture et d’un grain différents dans les différents pays.

Au reste, il y a des marbres dans presque tous les pays du monde, et dès qu’on y voit des pierres calcaires, on peut espérer de trouver des marbres au-dessous[2]. Dans la seule province de Bourgogne qui n’est pas renommée pour ses marbres, comme le Languedoc ou la Flandre, M. Guettard[3] en compte cinquante-quatre variétés. Mais nous devons observer que, quoiqu’il y ait de vrais marbres dans ces cinquante-quatre variétés, le plus grand nombre mérite à peine ce nom : leur couleur terne, leur grain grossier, leur poli sans éclat, doivent les faire rejeter de la liste des beaux marbres, et ranger parmi ces pierres dures qui font la nuance entre la pierre et le marbre[4].

Plusieurs de ces marbres sont d’ailleurs sujets à un très grand défaut ; ils sont terrasseux, c’est-à-dire parsemés de plus ou moins grandes cavités remplies d’une matière terreuse qui ne peut recevoir le poli ; les ouvriers ont coutume de pallier ce défaut, en remplissant d’un mastic dur ces cavités ou terrasses ; mais le remède est peut-être pire que le mal, car ce mastic s’use au frottement et se fond à la chaleur du feu : il n’est pas rare de le voir couler par gouttes contre les bandes et les consoles des cheminées.

Comme les marbres sont plus durs et plus denses que la plupart des autres pierres calcaires, il faut un plus grand degré de chaleur pour les convertir en chaux ; mais aussi cette chaux de marbre est bien meilleure, plus grasse et plus tenace que la chaux de pierre commune : on prétend que les Romains n’employaient pour les bâtiments publics que de la chaux de marbre, et que c’est ce qui donnait une si grande consistance à leur mortier, qui devenait avec le temps plus dur que la pierre.

Il y a des marbres revêches dont te travail est très difficile ; les ouvriers les appellent marbres fiers, parce qu’ils résistent trop aux outils et qu’ils ne leur cèdent qu’en éclatant ; il y en a d’autres qui, quoique beaucoup moins durs, s’égrènent au lieu de s’éclater. D’autres en grand nombre sont, comme nous l’avons dit, parsemés de cavités ou terrasses ; d’autres sont traversés par un très-grand nombre de fils d’un spath tendre, et les ouvriers les appellent marbres filandreux.

Au reste, toutes les fois que l’on voit des morceaux de vingt à trente pieds de longueur et au-dessus, soit en pierre calcaire, soit en marbre, on doit être assuré que ces pierres ou ces marbres sont de seconde formation, car dans les bancs de marbres anciens et qui ont été formés et déposés par le transport des eaux de la mer, on ne peut tirer que des blocs d’un bien moindre volume. Les pierres qui forment le fronton de la façade du Louvre, la colonne de marbre qui est auprès de Moret, et toutes les autres longues pièces de marbre ou de pierre, employées dans les grands édifices et dans les monuments, sont toutes de nouvelle formation.

On ne sera peut-être pas fâché de trouver ici l’indication des principaux lieux, soit en France, soit ailleurs, où l’on trouve des marbres distingués : on verra par leur énumération qu’il y en a dans toutes les parties du monde.

Dans le pays de Hainaut, le marbre de Barbançon est noir veiné de blanc, et celui de Rance est rouge sale, mêlé de taches et de veines grises et blanches.

Celui de Givet que l’on tire près de Charlemont, sur les frontières du Luxembourg, est noir veiné de blanc, comme celui de Barbançon, mais il est plus net et plus agréable à l’œil.

On tire de Picardie le marbre de Boulogne, qui est une espèce de brocatelle, dont les taches sont fort grandes et mêlées de quelques filets rouges.

Un autre marbre qui tient encore de la brocatelle, se tire de la province de Champagne ; il est taché de gris comme s’il était parsemé d’yeux de perdrix. Il y a encore, dans cette même province, des marbres nuancés de blanc et de jaunâtre.

Le marbre de Caen en Normandie est d’un rouge entremêlé de veines et de taches blanches : on en trouve de semblable près de Cannes, en Languedoc.

Depuis quelques années on a découvert dans le Poitou, auprès de La Bonardelière, une carrière de fort beaux marbres ; il y en a de deux sortes : l’un est d’un assez beau rouge foncé, agréablement coupé et varié par une infinité de taches de toutes sortes de formes qui sont d’un jaune pâle ; l’autre, au contraire, est uniforme dans sa couleur ; les blocs en sont gris ou jaunes, sans aucun mélange ni taches[5].

Dans le pays d’Aunis, M. Peluchon a trouvé, à deux lieues de Saint-Jean-d’Angely, un marbre coquillier qu’il compare pour la beauté aux beaux marbres coquilliers d’Italie ; il est en couches dans sa carrière, et il se présente en blocs et en plateaux de quatre à cinq pieds en carré. Il est composé, comme les lumachelles, d’une infinité de petits coquillages. Il y en a du jaunâtre et du gris, et tous deux reçoivent un très beau poli[6].

Dans le Languedoc, on trouve aussi diverses sortes de marbres, qui méritent d’être employés à l’ornement des édifices par la beauté et la variété de leurs couleurs : on en tire une fort grande quantité auprès de la ville de Cannes, diocèse de Narbonne ; il y en a d’incarnat ou d’un rouge pâle, marqués de veines et de taches blanches ; d’autres qui sont d’un bleu turquin, et dans ces marbres turquins, il y en a qui sont mouchetés d’un gris clair.

Il y a aussi, dans les environs de Cannes, une autre sorte de marbre que l’on appelle griotte, parce que sa couleur approche beaucoup de celle des cerises de ce nom ; il est d’un rouge foncé mêlé de blanc sale : un autre marbre du même pays est appelé cervelas, parce qu’il a des taches blanches sur un fond rougeâtre[7].

En Provence, le marbre de la Sainte-Baume est renommé ; il est taché de rouge, de blanc et de jaune ; il approche de celui que l’on appelle brocatelle d’Italie : ce marbre est un des plus beaux qu’il y ait en France.

En Auvergne, il se trouve du marbre rougeâtre mêlé de gris, de jaune et de vert.

En Gascogne, le marbre sérancolin, dans le val d’Aure ou vallée d’Aure, est d’un rouge de sang ordinairement mêlé de gris et de jaune ; mais il s’y trouve aussi des parties spathiques et transparentes. Ses carrières, qui étaient de seconde formation, et dont on a tiré des blocs d’un très grand volume, sont actuellement épuisées.

Près de Comminges, dans la même province de Gascogne, on trouve à Saint-Bertrand un marbre verdâtre mêlé de taches rouges et de quelques taches blanches.

Le marbre campan vient aussi de Gascogne : on le lire près de Tarbes ; il est mêlé plus ou moins de blanc, de rouge, de vert et d’isabelle ; le plus commun de tous est celui qu’on appelle vert-campan, qui, sur un beau vert, n’est mêlé que de blanc. Tous ces marbres sont de seconde formation, et on en a tiré d’assez grands blocs pour en faire des colonnes.

Maintenant, si nous passons aux pays étrangers, nous trouverons qu’il y a dans le Groenland, sur les bords de la mer, beaucoup de marbres de toutes sortes de couleurs ; mais la plupart sont noirs et blancs, parsemés de veines spathiques ; le rivage est aussi couvert de quartiers informes de marbre rouge avec des veines blanches, vertes et d’autres couleurs[8].

En Suède et en Angleterre, il y a de même des marbres dont la plupart varient par leurs couleurs.

En Allemagne, on en trouve aux environs de Salzbourg et de Linz différentes variétés : les uns sont d’un rouge lie de vin, d’autres sont olivâtres veinés de blanc, d’autres rouges et rougeâtres, avec des veines blanches, et d’autres sont d’un blanc pâle veinés de noirâtre[9]. Il y en a quelques-uns à Bareith, ainsi qu’en Saxe et en Silésie, dont on peut faire des statues, et on tire des environs de Brême du marbre jaune taché de blanc.

À Altorf, près de Nuremberg, on a découvert depuis peu une sorte de marbre remarquable par la quantité de bélemnites et de cornes d’Ammon qu’il contient. Sa carrière est située dans un endroit bas et aquatique ; la couche en est horizontale, et n’a que dix-huit à dix-neuf pouces d’épaisseur ; elle est recouverte par dix-huit pieds de terre, et se prolonge sous les collines sans changer de direction ; elle est divisée par une infinité de fentes perpendiculaires qui ne sont éloignées l’une de l’autre que de trois, quatre et cinq pieds, et ces fentes se multiplient d’autant plus que la couche de marbre s’éloigne davantage des terrains humides, ce qui fait qu’on ne peut pas obtenir de grands blocs de ce marbre ; sa couleur, lorsqu’il est brut, paraît être d’un gris d’ardoise, mais le poli lui donne une couleur verte mêlée de gris brun, qui est agréablement relevée par les différentes figures que le mélange des coquilles y a dessinées[10].

Le pays de Liège et la Flandre fournissent des marbres plus ou moins beaux et plus ou moins variés dans leurs couleurs. On en tire de plusieurs sortes aux environs de Dinant : l’une est d’un noir très pur et très beau ; une autre est aussi d’un très beau noir, mais rayée de quelques veines blanches ; une troisième est d’un rouge pâle avec de grandes plaques et quelques veines blanches ; une quatrième est de couleur grisâtre et blanche, mêlée d’un rouge couleur de sang ; et une cinquième, qui vient aussi de Liège, est d’un noir pur et reçoit un beau poli.

On tire, aux environs de Namur, un marbre qui est aussi noir que ce dernier marbre de Liège ; mais il est traversé par quelques filets gris.

Dans le pays des Grisons, il se trouve à Puschiavio plusieurs sortes de marbres : l’un est de couleur incarnate ; un autre, qui se tire sur le mont Jule, est très rouge ; un autre, qui est de couleur blanche, forme un grand rocher auprès de Sanada ; il y a un autre marbre à Tirano, qui est entièrement noir.

À Valmara, dans la Valteline, il y a du marbre rouge, mais en petites masses et seulement propre à faire des mortiers à piler.

Dans le Valais, on trouve, près des sources du Rhin, du marbre noir veiné de blanc.

Le canton de Glaris a aussi des marbres noirs veinés de blanc : on en tire de semblables auprès de Guppenberg, de Schwanden et de Psefers, où il se trouve un autre marbre qui est de couleur grise brune, parsemée de lentilles striées et convexes des deux côtés.

Le canton de Zurich fournit du marbre noir veiné de blanc, qui se tire à Vendenchwil ; un autre qui est aussi de couleur noire, mais rayé ou veiné de jaune, se trouve à Albisrieden.

Le canton de Berne renferme aussi différentes sortes de marbres : il y en a dont le fond est couleur de chair à Scheuznach, et tout auprès de ce marbre couleur de chair on en voit du noir. Entre Aigle et Olon, on tire encore du marbre noir ; à Spiez, le marbre noir est veiné de blanc, et à Grindelwald il est entièrement noir[11].

Les marbres d’Italie sont en fort grand nombre, et ont plus de réputation que tous les autres marbres de l’Europe ; celui de Carrare, qui est blanc, se tire vers les côtes de Gênes, et en blocs de telle grandeur que l’on veut ; son grain est cristallin, et il peut être comparé, pour sa blancheur, à l’ancien marbre de Paros.

Le marbre de Saravezza, qui se trouve dans les mêmes montagnes que celui de Carrare, est d’un grain encore plus fin que ce dernier : on y voit aussi un marbre rouge et blanc, dont les taches blanches et rouges sont quelquefois tellement distinctes les unes des autres, que ce marbre ressemble à une brèche et qu’on peut lui donner le nom de brocatelle ; mais il se trouve de temps en temps une teinte de noirâtre mélangée dans ce marbre. Sa carrière est en masse presque continue comme celui de Carrare, et comme celles de tous les autres marbres cristallins blancs ou d’autres couleurs qui se trouvent dans le Siennois et dans le territoire de Gênes : tous sont disposés en très grandes masses, dans lesquelles on ne voit aucun indice de coquilles, mais seulement quelques crevasses qui sont remplies par une cristallisation de spath calcaire[12]. Ainsi il ne paraît pas douteux que tous ces marbres ne soient de seconde formation.

Les environs de Carrare fournissent aussi deux sortes de marbres verts : l’une, que l’on nomme improprement vert d’Égypte, est d’un vert foncé avec quelques taches de blanc et de gris de lin ; l’autre, que l’on nomme vert de mer, est d’une couleur plus claire mêlée de veines blanches.

On trouve encore un marbre sur les côtes de Gênes, dont la couleur est d’un gris d’ardoise mêlé de blanc sale ; mais ce marbre est sujet à se tacher et à jaunir après avoir reçu le poli.

On tire encore sur le territoire de Gênes le marbre porto-venere ou porte-cuivre, dont la couleur est noire, veinée de jaune, et qui est moins estimé lorsqu’il est veiné de blanchâtre.

Le marbre de Margore, qui se tire du Milanez, est fort dur et assez commun : sa couleur est un gris d’ardoise mêlé de quelques veines brunes ou couleur de fer.

Dans l’île d’Elbe, on trouve à Sainte-Catherine une carrière abondante de marbre blanc veiné de vert noirâtre[13].

Le beau marbre de Sicile est d’un rouge brun mêlé de blanc et isabelle : ces couleurs sont très vives et disposées par taches carrées et longues.

Tous les marbres précédents sont modernes ou nouvellement connus : les carrières de ceux que l’on appelle antiques sont aujourd’hui perdues, comme nous l’avons dit, et réellement perdues à jamais, parce qu’elles ont été épuisées ainsi que la matière qui les formait : on ne compte que treize ou quatorze variétés de ces marbres antiques[14], dont nous ne ferons pas l’énumération, parce qu’on peut se passer de décrire, dans une histoire naturelle générale, les détails des objets particuliers qui ne se trouvent plus dans la nature.

Le marbre blanc de Paros est le plus fameux de tous ces marbres antiques : c’est celui que les grands artistes de la Grèce ont employé pour faire ces belles statues que nous admirons encore aujourd’hui, non seulement par la perfection de l’ouvrage, mais encore par sa conservation depuis plus de vingt siècles. Ce marbre s’est trouvé dans les îles de Paros, de Naxos et de Tinos ; il a le grain plus gros que celui de Carrare, et il est mêlé d’une grande quantité de petits cristaux de spath, ce qui fait qu’il s’égrène aisément en le travaillant ; et c’est ce même spath qui lui donne un degré de transparence presque aussi grande que celle de l’albâtre, auquel il ressemble encore par son peu de dureté : ce marbre est donc évidemment de seconde formation ; on le tire encore aujourd’hui des grandes grottes ou cavernes qui se trouvent sous la montagne que les anciens ont nommée Marpesia. Pline dit qu’ils donnaient à ce marbre l’épithète de lychnites, parce que les ouvriers le travaillaient sous terre à la lumière des flambeaux. Dapper, dans sa description des îles de l’Archipel[15], rapporte que dans cette montagne Marpesia, il y a des cavernes extraordinairement profondes, où la lumière du jour ne peut pénétrer, et que le grand seigneur, ainsi que les grands de la Porte, n’emploient pas d’autre marbre que celui qu’on en tire pour décorer leurs plus somptueux bâtiments.

Il y a dans l’île de Thasos, aujourd’hui Tasso, quelques montagnes dont les rochers sont d’un marbre fort blanc, et d’autres rochers d’un marbre tacheté et parsemé de veines d’un beau jaune : ce marbre était en grande estime chez les Romains, comme il l’est encore dans tous les pays voisins de cette île[16].

En Espagne, comme en Italie et en Grèce, il y a des collines et même des montagnes entières de marbre blanc : on en tire aussi dans les Pyrénées du côté de Bayonne, qui est semblable au marbre de Carrare, à l’exception de son grain qui est plus gros, et qui lui donne beaucoup de rapport au marbre blanc de Paros ; mais il est encore plus tendre que ce dernier, et sa couleur blanche est sujette à prendre une teinte jaunâtre. Il se trouve aussi dans les mêmes montagnes un autre marbre d’un vert brun taché de rouge.

M. Bowles donne, dans les termes suivants, la description de la montagne de Filabres près d’Almeria, qui est tout entière de marbre blanc. « Pour se former, dit-il, une juste idée de cette montagne, il faut se figurer un bloc ou une pièce de marbre blanc d’une lieue de circuit, et de deux mille pieds de hauteur, sans aucun mélange d’autres pierres ni terre ; le sommet est presque plat, et on découvre en différents endroits le marbre, sans que les vents, les eaux, ni les autres agents qui décomposent les rochers les plus durs, y fassent la moindre impression… Il y a un côté de cette montagne coupé presque à plomb, et qui depuis le vallon paraît comme une énorme muraille de plus de mille pieds de hauteur, toute d’une seule pièce solide de marbre, avec si peu de fentes et si petites, que la plus grande n’a pas six pieds de long ni plus d’une ligne de large[17]. »

On trouve, aux environs de Molina, du marbre couleur de chair et blanc ; et à un quart de lieue du même endroit, il y a une colline de marbre rougeâtre, jaune et blanc, qui a le grain comme le marbre de Carrare.

La carrière de marbre de Naquera, à trois lieues de Valence, n’est pas en masses épaisses : ce marbre est d’un rouge obscur, orné de veines capillaires noires qui lui donnent une grande beauté. Quoiqu’on le tire à fleur de terre, et que ses couches ne soient pas profondes, il est assez dur pour en faire des tables épaisses et solides, qui reçoivent un beau poli.

On trouve à Guipuzcoa en Navarre, et dans la province de Barcelone, un marbre semblable au sérancolin[18].

En Asie, il y a certainement encore beaucoup plus de marbres qu’en Europe, mais ils sont peu connus, et peut-être la plupart ne sont pas découverts ; le docteur Shaw parle du marbre herborisé du mont Sinaï, et du marbre rougeâtre qui se tire aux environs de la mer Rouge. Chardin assure qu’il y a de plusieurs sortes de marbres en Perse, du blanc, du noir, du rouge, et du marbré de blanc et de rouge[19].

À la Chine, disent les voyageurs, le marbre est si commun, que plusieurs ponts en sont bâtis : on y voit aussi nombre d’édifices où le marbre blanc est employé, et c’est surtout dans la province de Schang-Tong qu’on en trouve en quantité[20] ; mais on prétend que les Chinois n’ont pas les arts nécessaires pour travailler le marbre aussi parfaitement qu’on le fait en Europe. Il se trouve, à douze ou quinze lieues de Pékin, des carrières de marbre blanc, dont on tire des masses d’une grandeur énorme, et dont on voit de très hautes et de très grosses colonnes dans quelques cours du palais de l’empereur[21].

Il y a aussi à Siam, selon la Loubère, une carrière de beau marbre blanc[22] ; et comme ce marbre blanc est plus remarquable que les marbres de couleur, les voyageurs n’ont guère parlé de ces derniers, qui doivent être encore plus communs dans les pays qu’ils ont parcourus[23]. Ils en ont reconnu quelques-uns en Afrique, et le marbre africain était très estimé des Romains ; mais le docteur Shaw, qui a visité les côtes d’Alger, de Tunis et de l’ancienne Carthage en observateur exact, et qui a recherché les carrières de ces anciens marbres, assure qu’elles sont absolument perdues, et que le plus beau marbre qu’il ait pu trouver dans tout le pays, n’était qu’une pierre assez semblable à la pierre de Lewington en Angleterre[24]. Cependant Marmol[25] parle d’un marbre blanc qui se trouve dans la montagne d’Hentèle, l’une des plus hautes de l’Atlas ; et l’on voit dans la ville de Maroc de grands piliers et des bassins d’un marbre blanc fort fin, dont les carrières sont voisines de cette ville.

Dans le Nouveau-Monde, on trouve aussi du marbre en plusieurs endroits. M. Guettard parle d’un marbre blanc et rouge qui se tire près du portage talon de la petite rivière au Canada, et qui prend un très beau poli, quoiqu’il soit parsemé d’un grand nombre de points de plomb qui pourraient faire prendre ce marbre pour une mine de plomb.

Plusieurs voyageurs ont parlé des marbres du diocèse de la Paz au Pérou, dont il y a des carrières de diverses couleurs[26]. Alphonse Barba cite le pays d’Atacama, et dit qu’on y trouve des marbres de diverses couleurs et d’un grand éclat. « Dans la ville impériale de Potosi, il y avait, dit-il, un grand morceau de ce marbre, taillé en forme de table de six palmes et six doigts de longueur, cinq palmes et six doigts de large, et deux doigts d’épaisseur ; ce grand morceau représentait une espèce de treillage ou jalousie, formé d’un beau mélange de couleurs très vives en rouge clair, brun, noir, jaune, vert et blanc… À une lieue des mines de Verenguela, il y a d’autres marbres qui ne sont pas inférieurs à ceux d’Atacama pour le lustre, sans avoir néanmoins les mêmes variétés de couleurs, car ils sont blancs et transparents en quelques endroits comme l’albâtre[27]. »

À la vue de cette énumération que nous venons de faire de tous les marbres des différents pays, on pourrait croire que, dans la nature, les marbres de seconde formation sont bien plus communs que les autres, parce qu’à peine s’en trouve-t-il deux ou trois dans lesquels il soit dit qu’on ait vu des impressions de coquilles ; mais ce silence sur les marbres de première formation ne vient que de ce qu’ils ont été moins recherchés que les seconds, parce que ceux-ci sont en effet plus beaux, d’un grain plus fin, de couleurs plus décidées, et qu’ils peuvent se tirer en volume bien plus grand et se travailler plus aisément : ces avantages ont fait que dans tous les temps on s’est attaché à exploiter ces carrières de seconde formation de préférence à celles des premiers marbres, dont les bancs horizontaux sont toujours surmontés de plusieurs autres bancs de pierre qu’il faut fouiller et débiter auparavant, tandis que la plupart des marbres de seconde formation se trouvent, comme les albâtres, ou dans des cavernes souterraines, ou dans des lieux découverts et plus bas que ceux où sont situés les anciens marbres. Car quand il se trouve des marbres de seconde formation jusqu’au-dessus des collines, comme dans l’exemple de la montagne de marbre blanc cité par M. Bowles, il faut seulement en conclure que jadis ce sommet de colline n’était que le fond d’une caverne dans laquelle ce marbre s’est formé, et que l’ancien sommet était plus élevé et recouvert de plusieurs bancs de pierre ou de marbre qui ont été détruits après la formation du nouveau marbre ; nous avons cité un exemple à peu près pareil au sujet des bancs de pierres calcaires dures qui se trouvent quelquefois au sommet des collines[28].

Dans les marbres anciens, il n’y a que de la matière pierreuse en masse continue ou en morceaux séparés, avec du spath en veines ou en cristaux et des impressions de coquilles ; ils ne contiennent d’autres substances hétérogènes que celles qui leur ont donné des couleurs, ce qui ne fait qu’une quantité infiniment petite, relativement à celle de leur masse, en sorte qu’on peut regarder ces premiers marbres, quoique colorés, comme entièrement composés de matières calcaires : aussi donnent-ils de la chaux qui est ordinairement grise, et qui, quoique colorée, est aussi bonne et même meilleure que celle de la pierre commune. Mais dans les marbres de seconde formation, il y a souvent plus ou moins de mélange d’argile ou de terre limoneuse avec la matière calcaire[29]. On reconnaîtra, par l’épreuve de la calcination, la quantité plus ou moins grande de ces deux substances hétérogènes ; car si les marbres contiennent seulement autant d’argile qu’en contient la marne, ils ne feront que de la mauvaise chaux ; et, s’ils sont composés de plus d’argile, de limon, de lave ou d’autres substances vitreuses que de matière calcaire, ils ne se convertiront point en chaux, ils résisteront à l’action des acides, et, n’étant marbres qu’en partie, on doit, comme je l’ai dit, les rejeter de la liste des vrais marbres et les placer dans celle des pierres mi-parties et composées de substances différentes.

Or, l’on ne doit pas être étonné qu’il se trouve de ces mélanges dans les marbres de seconde formation : à la vérité, ceux qui auront été produit, précisément de la même manière que les albâtres, dans des cavernes uniquement surmontées de pierres calcaires ou de marbres, ne contiendront de même que des substances pierreuses et spathiques, et ne différeront des albâtres qu’en ce qu’ils seront plus denses et plus uniformément remplis de ces mêmes sucs pierreux ; mais ceux qui se seront formés, soit au-dessous des collines d’argile surmontées de rochers calcaires, soit dans des cavités au-dessus desquelles il se trouve des matières mélangées, des marnes, des tuffeaux, des pierres argileuses, des grès ou bien des laves et d’autres matières volcaniques, seront tous également mêlés de ces différentes matières ; car ici la nature passe, non pas par degrés et nuances d’une même matière, mais par doses différentes de mélange, du marbre et de la pierre calcaire la plus pure à la pierre argileuse et au schiste.

Mais, en renvoyant à un article particulier les pierres mi-parties et composées de matière vitreuse et de substance calcaire, nous pouvons joindre aux marbres brèches une grande partie des pierres appelées poudingues, qui sont formées de morceaux arrondis et liés ensemble par un ciment qui, comme dans les marbres brèches, fait le fond de ces sortes de pierres. Lorsque les morceaux arrondis sont de marbre ou de pierre calcaire, et que le ciment est de cette même nature, il n’est pas douteux que ces poudingues entièrement calcaires ne soient des espèces de marbres brèches, car ils n’en diffèrent que par quelques caractères accidentels, comme de ne se trouver qu’en plus petits volumes et en masses assez irrégulières, d’être plus ou moins durs ou susceptibles de poli, d’être moins homogènes dans leur composition, etc., mais, étant au reste formés de même et entièrement composés de matière calcaire, on ne doit pas les séparer des marbres brèches, pourvu toutefois qu’ils aient à un certain degré la qualité qu’on exige de tous les marbres, c’est-à-dire qu’ils soient susceptibles de poli.

Il n’en est pas de même des poudingues, dont les morceaux arrondis sont de la nature du silex ou du caillou, et dont le ciment est en même temps de matière vitreuse, tels que les cailloux de Rennes et d’Angleterre : ces poudingues sont, comme l’on voit, d’un autre genre, et doivent être réunis aux cailloux en petites masses, et souvent ils ne sont que des débris du quartz, du jaspe et du porphyre.

Nous avons dit que toutes les pierres arrondies et roulées par les eaux du Rhône, que M. de Réaumur prenait pour de vrais cailloux, ne sont que des morceaux de pierre calcaire : je m’en suis assuré, non seulement par mes propres observations, mais encore par celles de plusieurs de mes correspondants. M. de Morveau, savant physicien et mon très digne ami, m’écrit, au sujet de ces prétendus cailloux, dans les termes suivants. « J’ai observé, dit-il, que ces cailloux gris noirs, veinés d’un beau blanc, si communs aux bords du Rhône, qu’on a regardés comme de vrais cailloux, ne sont que des pierres calcaires roulées et arrondies par le frottement, qui toutes me paraissent venir de Millery en Suisse, seul endroit que je connaisse où il y ait une carrière analogue ; de sorte que les masses de ces pierres, qui couvrent plus de quarante lieues de pays, sont des preuves non équivoques d’un immense transport par les eaux[30]. » Il est certain que des eaux aussi rapides que celles du Rhône peuvent transporter d’assez grosses masses de pierres à de très grandes distances ; mais l’origine de ces pierres arrondies me paraît bien plus ancienne que l’action du courant des fleuves et des rivières, puisqu’il y a des montagnes presque entièrement composées de ces pierres arrondies qui n’ont pu y être accumulées que par les eaux de la mer : nous en avons déjà donné quelques exemples. M. Guettard rapporte, « qu’entre Saint-Chaumont en Lyonnais et Rives-de-Gier, les rochers sont entièrement composés de cailloux roulés… que les lits des montagnes ne sont faits eux-mêmes que de ces amas de cailloux entassés… que le chemin qui est au bas des montagnes est également rempli de ces cailloux… qu’on en retrouve après Bourgnais ; qu’on n’y voit que de ces pierres dans les chemins, de même que dans les campagnes voisines et dans les coupes des fossés… qu’ils ressemblent à ceux qui sont roulés par le Rhône… que des coupes de montagnes assez hautes, telles que celles qui sont à la porte de Lyon, en font voir abondamment ; qu’ils sont au-dessous d’un lit qu’on prendrait pour un sable marneux… que le chemin qui conduit de Lyon à Saint-Germain est également rempli de ces cailloux ; qu’avant d’arriver à Fontaine, on passe une montagne qui en est composée ; que ces cailloux sont de la grosseur d’une noix, d’un melon et de plusieurs autres dimensions entre ces deux-ci ; qu’on en voit des masses qui forment de mauvais poudingues… que ces cailloux roulés se voient aussi le long du chemin qui est sur le bord de la Saône ; que les montagnes en sont presque entièrement formées, et qu’elles renferment des poudingues semblables à ceux qui sont de l’autre côté de la rivière[31]. »

M. de la Galissonière, cité par M. Guettard, dit « qu’en sortant de Lyon, à la droite du Rhône, on rencontre des poudingues ; qu’on trouve dans quelques endroits du Languedoc de ces mêmes pierres ; que tous les bords du Rhône en Dauphiné en sont garnis, et même à une très grande élévation au-dessus de son lit, et que tout le terrain est rempli de ces cailloux roulés, mais qui me paraissent, ajoute M. de la Galissonière, plutôt des pierres noires calcaires que de vrais cailloux ou silex : ils forment dans plusieurs endroits des poudingues ; le plus grand nombre sont noirs, mais il y en a aussi de jaunes, de rougeâtres et très peu de blancs[32]. »

M. Guettard fait encore mention de plusieurs autres endroits où il a vu de ces cailloux roulés et des poudingues formés par leur assemblage en assez grosses masses. « Après avoir passé Luzarches et la Morlaix, on monte, dit-il, une montagne dont les pierres sont blanches, calcaires, remplies de pierres numismales, de peignes et de différentes autres coquilles mal conservées, et d’un si grand nombre de cailloux roulés, petits et de moyenne grosseur, qu’on pourrait regarder ces rochers comme des poudingues coquilliers : en suivant cette grande route, on retrouve les cailloux roulés à Creil, à Fitz-James et dans un endroit appelé la Folie : ils ne diffèrent pas essentiellement de ceux qui se présentent dans les cantons précédents, ni par leur grosseur, ni par leur couleur qui est communément noirâtre. Cette couche noire est celle que j’ai principalement remarquée dans les cailloux roulés que j’ai observés parmi les sables de deux endroits bien éloignés de ces derniers. Ces sables sont entre Andreville et Épernon[33]. » Les cailloux roulés qui se trouvent dans les plaines de la Crau d’Arles sont aussi des pierres calcaires de couleur bleuâtre : on voit de même sur les bords et dans le lit de la rivière Necker, près de Cronstadt en Allemagne, des masses considérables de poudingues formés de morceaux calcaires, arrondis, blancs, gris roussâtres, etc. ; il se trouve des masses semblables de ces galets réunis sur les montagnes voisines et jusqu’à leur sommet, d’où ils ont sans doute roulé dans les plaines et dans le lit des rivières.

On peut regarder le marbre appelé brèche antique comme un poudingue calcaire, composé de gros morceaux arrondis bien distincts, les uns blancs, bleus, rouges, et les autres noirs, ce qui rend cette brèche très belle par ses variétés de couleurs. La brèche d’Alep est de même composée, comme la brèche antique, de morceaux arrondis, dont la couleur est isabelle. La brèche de Saravèze ou Saravèche présente des morceaux arrondis d’un bien plus grand diamètre, dont la plupart tirent sur la couleur violette, et dont les autres sont blancs ou jaunâtres. Dans la brèche violette commune, il y a des morceaux arrondis assez gros et d’autres bien plus petits ; la plupart sont blancs et les autres d’un violet faible.

Tous les poudingues calcaires sont donc des espèces de brèches, et on ne les en aurait pas séparés si d’ordinaire ils ne se fussent pas trouvés différents des brèches par leur ciment, qui est moins dur et qui ne peut recevoir le poli. Il ne manque donc à ces poudingues calcaires qu’un degré de pétrification de plus pour être entièrement semblables aux plus beaux marbres brèches, de la même manière que dans les poudingues composés de vrais cailloux vitreux arrondis, il ne manque qu’un degré de pétrification dans leur ciment pour en faire des matières aussi dures que les porphyres ou les jaspes.


Notes de Buffon
  1. Le docteur Targioni Tozzetti rapporte très sérieusement une observation de Leeuwenhoek qui prétend avoir découvert dans l’albâtre une très grande quantité de sel, d’où ce docteur italien conjecture que la plus grande partie de la pâte blanche qui compose l’albâtre est une espèce de sel fossile qui, venant à être rongé par les injures de l’air ou par l’eau, laisse à découvert les cristallisations en forme d’aiguilles : « Il y a toujours, dit-il, dans les albâtres une grande quantité de sel ; on le voit tout à fait ressemblant à celui de la mer, dans certains morceaux que je garde dans mon cabinet. » Voyez le Journal étranger, mois d’août 1753, p. 104 et suiv.
  2. « Quoto enim loco non suum marmor invenitur ? » dit Pline.
  3. Mém. de l’Académie des sciences, année 1763, p. 145 jusqu’à la page 150.
  4. J’ai fait exploiter pendant vingt ans la carrière de marbre de Montbard, et ce que je dis des autres marbres de Bourgogne est d’après mes propres observations.
  5. Gazette d’Agriculture du mardi 4 juin 1776.
  6. Idem, du mardi 8 août 1775.
  7. Hist. naturelle du Languedoc, par M. de Gensane, t. II, p. 199.
  8. Hist. générale des voyages, t. XIX, p. 28.
  9. Mém. de l’Académie des sciences, année 1763, p. 213.
  10. Description manuscrite du marbre d’Altorf, découvert par le sieur J. Frédéric Baudet, bourgmestre, envoyée à M. le comte de Buffon.
  11. M. Guettard, Mém. de l’Académie des sciences, année 1752, p. 325 et suiv.
  12. Lettres sur la minéralogie, par M. Ferber, traduites par M. le baron de Dietrich, p. 449 et suiv.
  13. Observations sur les mines de fer de l’île d’Elbe, par M. Ermenegildo Fini ; Journal de physique, mois de décembre 1778.
  14. Voyez l’Encyclopédie, article Maçonnerie.
  15. Pages 261 et 262.
  16. Dapper, Description de l’Archipel, p. 254.
  17. Hist. naturelle d’Espagne, p. 127 et suiv.
  18. Idem, p. 26, 138 et 717.
  19. Voyage en Perse, t. II, p. 23.
  20. Hist. générale des voyages, t. V, p. 439.
  21. Idem, t. VII, p. 515.
  22. Histoire générale des voyages, t. IX, p. 307.
  23. Il y a des carrières de très beau marbre blanc (aux Philippines), qui ont été inconnues pendant plus de deux cents ans ; on en doit la découverte à don Estevan Roxas y Melo… Ces carrières sont à l’est de Manille… La montagne qui renferme ce précieux dépôt s’étend à plusieurs lieues du nord au sud… Mais cette carrière est restée là, on n’en parle presque plus, et on fait déjà venir de Chine (comme on le faisait auparavant) les marbres dont on a besoin à Manille. Voyage dans les mers de l’Inde, par M. le Gentil ; Paris, 1781, t. II, in-4o, p. 35 et 36.
  24. Voyage en Afrique, traduit de l’anglais, t. Ier, p. 303.
  25. L’Afrique de Marmol, t. II, p. 74.
  26. Voyez Hist. générale des voyages, t. XIII, p. 318.
  27. Métallurgie d’Alphonse Barba, t. Ier, p. 56 et suiv.
  28. Voyez ci-devant l’article de la Pierre calcaire.
  29. Les veines vertes qui se rencontrent dans le marbre Campan sont dues, selon M. Bayen, à une matière schisteuse. Il en est de même de celles qui se trouvent dans le marbre cipolin ; et, par les expériences qu’il a faites sur ce dernier marbre, il a reconnu que les veines blanches contenaient aussi une petite portion de quartz.

    La matière verte d’un autre morceau de cipolin, soumis à l’expérience, était une sorte de mica qui, selon M. Daubenton, était le vrai talcite.

    Un morceau de vert antique, soumis de même à l’expérience, a fourni aussi une matière talqueuse.

    Un échantillon de marbre rouge appelé griotte a fourni à M. Bayen du schiste couleur de lie de vin.

    Un échantillon envoyé d’Autun, sous le nom de marbre noir antique, avait de la disposition à se séparer par couches, et son grain n’avait aucun rapport avec celui des marbres proprement dits ; M. Bayen a reconnu que ce marbre répandait une forte odeur bitumineuse, et qu’il serait bien placé avec les bitumes, ou du moins avec les schistes bitumineux. Examen chimique de différentes pierres, par M. Bayen ; Journal de physique de juillet 1778.

  30. Lettre de M. de Morveau à M. de Buffon, datée de Bourg-en-Bresse, le 22 sept. 1778.
  31. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1753, p. 158.
  32. Idem, ibidem, page 159.
  33. Idem, année 1753, p. 186.
Notes de l’éditeur
  1. C’est du carbonate de chaux hydraté.
  2. Le marbre blanc dépourvu de fossiles est un calcaire métamorphosé par la chaleur ou l’eau, ou par les deux à la fois.