Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/De l’albâtre



DE L’ALBÂTRE

Cet albâtre, auquel les poètes ont si souvent comparé la blancheur de nos belles, est tout une autre matière que l’albâtre dont nous allons parler : ce n’est qu’une substance gypseuse, une espèce de plâtre très blanc, au lieu que le véritable albâtre est une matière purement calcaire[NdÉ 1], plus souvent colorée que blanche, et qui est plus dure que le plâtre, mais en même temps plus tendre que le marbre. Les couleurs les plus ordinaires des albâtres sont le blanchâtre, le jaune et le rougeâtre ; on en trouve aussi qui sont mêlés de gris, et de brun ou noirâtre. Souvent il sont teints de deux de ces couleurs, quelquefois de trois, rarement de quatre ou cinq ; l’on verra qu’ils peuvent recevoir toutes les nuances de couleur qui se trouvent dans les marbres sous la masse desquels ils se forment.

L’albâtre d’Italie est un des plus beaux ; il porte un grand nombre de taches d’un rouge foncé sur un fond jaunâtre, et il n’a de transparence que dans quelques petites parties. Celui de Malte est jaunâtre, mêlé de gris et de noirâtre, et l’on y voit aussi quelques parties transparentes. Les albâtres, que les Italiens appellent agatés, sont ceux qui ont le plus de transparence et qui ressemblent aux agates par la disposition des couleurs. Il y en a même que l’on appelle albâtre onyx, parce qu’il présente des cercles concentriques de différentes couleurs ; on connaît aussi des albâtres herborisées, et ces herborisations sont ordinairement brunes ou noires. Volterra est l’endroit de l’Italie le plus renommé par ses albâtres : on y en compte plus de vingt variétés différentes par les degrés de transparence et les nuances de couleurs. Il y en a de blancs à reflets diaphanes, avec quelques veines noires et opaques et d’autres qui sont absolument opaques et de couleur assez terne, avec des taches noires et des herborisations branchues.

Tous les albâtres sont susceptibles d’un poli plus ou moins brillant ; mais on ne peut polir les albâtres tendres qu’avec des matières encore plus tendres et surtout avec de la cire ; et quoiqu’il y en ait d’assez durs à Volterra et dans quelques autres endroits d’Italie, on assure cependant qu’ils le sont moins que l’albâtre de Perse[1] et de quelques autres contrées de l’Orient.

L’on ne doit donc pas se persuader avec le vulgaire que l’albâtre soit toujours blanc, quoique cela ait passé parmi nous en proverbe : ce qui a donné lieu à cette méprise, c’est que la plupart des artistes et même quelques chimistes ont confondu deux matières, et donné, comme les poètes, le nom d’albâtre à une sorte de plâtre très tendre et d’une grande blancheur, tandis que les naturalistes n’ont appliqué ce même nom d’albâtre qu’à une matière calcaire qui se dissout par les acides et se convertit en chaux au même degré de chaleur que la pierre : les acides ne font au contraire aucune impression sur cette autre matière blanche qui est du vrai plâtre ; et Pline avait bien indiqué notre albâtre calcaire, en disant qu’il est de couleur de miel.

Étant descendu en 1740 dans les grottes d’Arcy-sur-Cure, près de Vermanton, je pris dès lors une idée nette de la formation de l’albâtre, par l’inspection des grandes stalactites en tuyaux, en colonnes et en nappes, dont ces grottes, qui ne paraissent être que d’anciennes carrières, sont incrustées et en partie remplies. La colline dans laquelle se trouvent ces anciennes carrières a été attaquée par le flanc à une petite hauteur au-dessus de la rivière de Cure ; et l’on peut juger, par la grande étendue des excavations, de l’immense quantité de pierres à bâtir qui en ont été tirées ; on voit en quelques endroits les marques des coups de marteau qui en ont tranché les blocs ; ainsi l’on ne peut douter que ces grottes, quelque grandes qu’elles soient, ne doivent leur origine au travail de l’homme ; et ce travail est bien ancien, puisque dans ces mêmes carrières abandonnées depuis longtemps, il s’est formé des masses très considérables, dont le volume augmente encore chaque jour par l’addition de nouvelles concrétions formées, comme les premières, par la stillation des eaux : elles ont filtré dans les joints des bancs calcaires qui surmontent ces excavations et leur servent de voûtes ; ces bancs sont superposés horizontalement et forment toute l’épaisseur et la hauteur de la colline dont la surface est couverte de terre végétale : l’eau des pluies passe donc d’abord à travers cette couche de terre et en prend la couleur jaune ou rougeâtre ; ensuite elle pénètre dans les joints et les fentes de ces bancs, où elle se charge des molécules pierreuses qu’elle en détache ; et enfin elle arrive au-dessous du dernier banc, et suinte en s’attachant aux parois de la voûte, ou tombe goutte à goutte dans l’excavation.

Et cette eau, chargée de matière pierreuse, forme d’abord des stalactites qui pendent de la voûte, qui grossissent et s’allongent successivement par des couches additionnelles, et prennent en même temps plus de solidité à mesure qu’il arrive de nouveaux sucs pierreux[2][NdÉ 2] ; lorsque ces sucs sont très abondants, ou qu’ils sont trop liquides, la stalactite supérieure attachée à la voûte laisse tomber par gouttes cette matière superflue qui forme sur le sol des concrétions de même nature, lesquelles grossissent, s’élèvent et se joignent enfin à la stalactite supérieure, en sorte qu’elles forment par leur réunion une espèce de colonne d’autant plus solide et plus grosse, qu’elle s’est faite en plus de temps ; car le liquide pierreux augmente ici également le volume et la masse, en se déposant sur les surfaces et pénétrant l’intérieur de ces stalactites, lesquelles sont d’abord légères et friables, et acquièrent ensuite de la solidité par l’addition de cette même matière pierreuse qui en remplit les pores ; et ce n’est qu’alors que ces masses concrètes prennent la nature et le nom d’albâtre : elles se présentent en colonnes cylindriques, en cônes plus ou moins obtus, en culs-de-lampe, en tuyaux et aussi en incrustations figurées contre les parois verticales ou inclinées de ces excavations, et en nappes déliées ou en tables épaisses et assez étendues sur le sol ; il paraît même que cette concrétion spathique, qui est la première ébauche de l’albâtre, se forme aussi à la surface de l’eau stagnante dans ces grottes, d’abord comme une pellicule mince, qui peu à peu prend de l’épaisseur et de la consistance, et présente par la suite une espèce de voûte qui couvre la cavité ou encore pleine ou épuisée d’eau[3]. Toutes ces masses concrètes sont de même nature ; je m’en suis assuré en faisant tirer et enlever quelques blocs des unes et des autres, pour les faire travailler et polir par des ouvriers accoutumés à travailler le marbre ; ils reconnurent, avec moi, que c’était du véritable albâtre qui ne différait des plus beaux albâtres qu’en ce qu’il est d’un jaune un peu plus pâle et d’un poli moins vif ; mais la composition de la matière et sa disposition par ondes ou veines circulaires est absolument la même[4] : ainsi tous les albâtres doivent leur origine aux concrétions produites par l’infiltration des eaux à travers les matières calcaires. Plus les bancs de ces matières sont épais et durs, plus les albâtres qui en proviennent seront solides à l’intérieur et brillants au poli. L’albâtre, qu’on appelle oriental, ne porte ce nom que parce qu’il a le grain plus fin, les couleurs plus fortes et le poli plus vif que les autres albâtres, et l’on trouve en Italie, en Sicile, à Malte, et même en France[5] de ces albâtres qu’on peut nommer orientaux par la beauté de leurs couleurs et l’éclat de leur poli ; mais leur origine et leur formation sont les mêmes que celles des albâtres communs, et leurs différences ne doivent être attribuées qu’à la qualité différente des pierres calcaires qui en ont fourni la matière : si cette pierre s’est trouvée dure, compacte et d’un grain fin, l’eau ne pouvant la pénétrer qu’avec beaucoup de temps, elle ne se chargera que de molécules très fines et très denses qui formeront des concrétions plus pesantes, et d’un grain plus fin que celui des stalactites produites par des pierres plus grossières, en sorte qu’il doit se trouver dans ces concrétions, ainsi que dans les albâtres, de grandes variétés, tant pour la densité que pour la finesse du grain et l’éclat du poli.

La matière pierreuse que l’eau détache en s’infiltrant dans les bancs calcaires est quelquefois si pure et si homogène, que les stalactites qui en résultent sont sans couleurs et transparentes, avec une figure de cristallisation régulière ; ce sont ordinairement de petites colonnes à pans terminées par des pyramides triangulaires ; et ces colonnes se cassent toujours obliquement. Cette matière est le spath, et les concrétions qui en contiennent une grande quantité forment des albâtres plus transparents que les autres, mais qui sont en même temps plus difficiles à travailler.

Il ne faut pas bien des siècles ni même un très grand nombre d’années, comme on pourrait le croire, pour former les albâtres : on voit croître les stalactites en assez peu de temps ; on les voit se grouper, se joindre et s’étendre pour ne former que des masses communes, en sorte qu’en moins d’un siècle elles augmentent peut-être du double de leur volume. Étant descendu, en 1759, dans les mêmes grottes d’Arcy pour la seconde fois, c’est-à-dire dix-neuf ans après ma première visite, je trouvai cette augmentation de volume très sensible et plus considérable que je ne l’avais imaginé ; il n’était plus possible de passer dans les mêmes défilés par lesquels j’avais passé en 1740 ; les routes étaient devenues trop étroites ou trop basses ; les cônes et les cylindres s’étaient allongés ; les incrustations s’étaient épaissies ; et je jugeai qu’en supposant égale l’augmentation successive de ces concrétions, il ne faudrait peut-être pas deux siècles pour achever de remplir la plus grande partie de ces excavations.

L’albâtre est donc une matière qui, se produisant et croissant chaque jour, pourrait, comme le bois, se mettre, pour ainsi dire, en coupes réglées à deux ou trois siècles de distance ; car, en supposant qu’on fît aujourd’hui l’extraction de tout l’albâtre contenu dans quelques-unes des cavités qui en sont remplies, il est certain que ces mêmes cavités se rempliraient de nouveau d’une matière toute semblable, par les mêmes moyens de l’infiltration et du dépôt des eaux gouttières qui passent à travers les couches supérieures de la terre et les joints des bancs calcaires.

Au reste, cet accroissement des stalactites, qui est très sensible et même prompt dans certaines grottes, est quelquefois très lent dans d’autres. « Il y a près de vingt ans, dit M. l’abbé de Sauvages, que je cassai plusieurs stalactites dans une grotte où personne n’avait encore touché ; à peine se sont-elles allongées aujourd’hui de cinq ou six lignes : on en voit couler des gouttes d’eau chargées de suc pierreux, et le cours n’en est interrompu que dans les temps de sécheresse[6]. » Ainsi la formation de ces concrétions dépend non seulement de la continuité de la stillation des eaux, mais encore de la qualité des rochers, et de la quantité de particules pierreuses qu’elles en peuvent détacher : si les rochers ou bancs supérieurs sont d’une pierre très dure, les stalactites auront le grain très fin et seront longtemps à se former et à croître ; elles croîtront au contraire en d’autant moins de temps que les bancs supérieurs seront de matières plus tendres et plus poreuses, telles que sont la craie, la pierre tendre et la marne.

La plupart des albâtres se décomposent à l’air, peut-être en moins de temps qu’il n’en faut pour les former : « La pierre dont on se sert à Venise pour la construction des palais et des églises, est une pierre calcaire blanche, qu’on tire d’Istria, parmi laquelle il y a beaucoup de stalactites d’un tissu compact et souvent d’un diamètre deux fois plus grand que celui du corps d’un homme très gros ; ces stalactites se forment en grande abondance dans les voûtes souterraines des montagnes calcaires du pays. Ces pierres se décomposent si facilement, que l’on vit, il y a quelques années, à l’entablement supérieur de la façade d’une belle église neuve, bâtie de cette pierre, plusieurs grandes stalactites qui s’étaient formées successivement par l’égouttement lent des eaux qui avaient séjourné sur cet entablement : c’est de la même manière qu’elles se forment dans les souterrains des montagnes, puisque leur grain ou leur composition y ressemble[7]. » Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de faire observer ici que cette pierre d’Istria est une espèce d’albâtre : on le voit assez par la description de sa substance et de sa décomposition.

Et lorsqu’une cavité naturelle ou artificielle se trouve surmontée par des bancs de marbre qui, de toutes les pierres calcaires, est la plus dense et la plus dure, les concrétions formées dans cette cavité par l’infiltration des eaux ne sont plus des albâtres, mais de beaux marbres fins et d’une dureté presque égale à celle du marbre dont ils tirent leur origine, et qui est d’une formation bien plus ancienne : ces premiers marbres contiennent souvent des coquilles et d’autres productions de la mer, tandis que les nouveaux marbres, ainsi que les albâtres, n’étant composés que de particules pierreuses détachées par les eaux, ne présentent aucun vestige de coquilles, et annoncent par leur texture que leur formation est nouvelle.

Ces carrières parasites de marbre et d’albâtre, toutes formées aux dépens des anciens bancs calcaires, ne peuvent avoir plus d’étendue que les cavités dans lesquelles on les trouve ; on peut les épuiser en assez peu de temps, et c’est par cette raison que la plupart des beaux marbres antiques ou modernes ne se retrouvent plus ; chaque cavité contient un marbre différent de celui d’une autre cavité, surtout pour les couleurs, parce que les bancs des anciens marbres qui surmontent ces cavernes sont eux-mêmes différemment colorés, et que l’eau, par son infiltration, détache et emporte les molécules de ces marbres avec leurs couleurs : souvent elle mêle ces couleurs ou les dispose dans un ordre différent ; elle les affaiblit ou les charge, selon les circonstances ; cependant on peut dire que les marbres de seconde formation sont en général plus fortement colorés que les premiers dont ils tirent leur origine.

Et ces marbres de seconde formation peuvent, comme les albâtres, se régénérer dans les endroits d’où on les a tirés, parce qu’ils sont formés de même par la stillation des eaux. Baglivi[8] rapporte un grand nombre d’exemples qui prouvent évidemment que le marbre se reproduit de nouveau dans les mêmes carrières : il dit que l’on voyait de son temps des chemins très unis, dans des endroits où cent ans auparavant il y avait eu des carrières très profondes ; il ajoute qu’en ouvrant des carrières de marbre on avait rencontré des haches, des pics, des marteaux et d’autres outils renfermés dans le marbre, qui avaient vraisemblablement servi autrefois à exploiter ces mêmes carrières, lesquelles se sont remplies par la suite des temps, et sont devenues propres à être exploitées de nouveau.

On trouve aussi plusieurs de ces marbres de seconde formation qui sont mêlés d’albâtre ; et dans le genre calcaire, comme en tout autre, la nature passe, par degrés et nuances, du marbre le plus fin et le plus dur à l’albâtre et aux concrétions les plus grossières et les plus tendres.

La plupart des albâtres, et surtout les plus beaux, ont quelque transparence, parce qu’ils contiennent une certaine quantité de spath qui s’est cristallisé dans le temps de la formation des stalactites dont ils sont composés ; mais, pour l’ordinaire, la quantité du spath n’est pas aussi grande que celle de la matière pierreuse, opaque et grossière, en sorte que l’albâtre qui résulte de cette composition est assez opaque quoiqu’il le soit toujours moins que les marbres.

Et lorsque les albâtres sont mêlés de beaucoup de spath, ils sont plus cassants et plus difficiles à travailler, par la raison que cette matière spathique cristallisée se fend, s’égrène très facilement et se casse presque toujours en sens oblique ; mais aussi ces albâtres sont souvent les plus beaux, parce qu’ils ont plus de transparence et prennent un poli plus vif que ceux où la matière pierreuse domine sur celle du spath. On a cité, dans l’Histoire de l’Académie des sciences[9], un albâtre trouvé par M. Puget aux environs de Marseille, qui est si transparent, que, par le poli très parfait dont il est susceptible, on voit, à plus de deux doigts de son épaisseur, l’agréable variété de couleurs dont il est embelli : le marbre à demi transparent, que M. Pallas a vu dans la province d’Ischski, en Tartarie, est vraisemblablement un albâtre semblable à celui de Marseille. Il en est de même du bel albâtre de Grenade en Espagne, qui, selon M. Bowles, est aussi brillant et transparent que la plus belle cornaline blanche, mais qui néanmoins est fort tendre, à moitié blanc et à moitié couleur de cire[10] : en général la transparence dans les pierres calcaires, les marbres et les albâtres, ne provient que de la matière spathique qui s’y trouve incorporée et mêlée en grande quantité, car les autres matières pierreuses sont opaques.

Au reste, on peut regarder comme une espèce d’albâtre toutes les incrustations et même les ostéocolles et les autres concrétions pierreuses moulées sur des végétaux ou sur des ossements d’animaux : il s’en trouve de cette dernière espèce en grande quantité dans les cavernes du margraviat de Bareith, dont S. A. S. monseigneur le margrave d’Anspach a eu la bonté de m’envoyer la description suivante : « On connaît assez les marbres qui renferment des coquilles ou des pétrifications qui leur ressemblent… Mais ici on trouve des masses pierreuses pétries d’ossements d’une manière semblable : elles sont nées, pour ainsi dire, de la conglutination des fragments des stalactites de la pierre calcaire grise qui fait la base de toute la chaîne de ces montagnes, d’un peu de sable, d’une substance marneuse et d’une quantité infinie de fragments d’os. Il y a dans une seule pierre, dont on a trouvé des masses de quelques centaines de livres, un mélange de dents de différentes espèces, de côtes, de cartilages, de vertèbres, de phalanges, d’os cylindriques, en un mot de fragments d’os de tous les membres qui y sont par milliers. On trouve souvent dans ces mêmes pierres un grand os qui en fait la pièce principale, et qui est entouré d’un nombre infini d’autres ; il n’y a pas la moindre régularité dans la disposition des couches. Si l’on versait de la chaux détrempée sur un mélange d’esquilles, il en naîtrait quelque chose de semblable. Ces masses sont déjà assez dures dans les cavernes… mais lorsqu’elles sont exposées à l’air, elles durcissent au point que, quand on s’y prend comme il faut, elles sont susceptibles d’un médiocre poli. On trouve rarement des cavités dans l’intérieur ; les interstices sont remplis d’une matière compacte que la pétrification a encore décomposée davantage. Je m’en suis à la fin procuré, avec beaucoup de peines, une collection si complète, que je puis présenter presque chaque os remarquable du squelette de ces animaux, enchâssé dans une propre pièce, dont il fait l’os principal. En entrant dans ces cavernes, pour la première fois, nous en avons trouvé une si grande quantité, qu’il eût été facile d’en amasser quelques charretées.

» Un heureux destin m’avait réservé à moi et à mes amis, entre autres, un morceau de cette pierre osseuse à peu près de trois pieds de long sur deux de large et autant d’épaisseur… La curiosité nous le fit mettre en pièces, car il était impossible de le faire passer par ces détroits pour le sortir en entier ; chaque morceau, à peu près de deux livres, nous présenta plus de cent fragments d’os… j’eus le plaisir de trouver dans le milieu une dent canine, longue de quatre pouces, bien conservée ; nous avons aussi trouvé des dents molaires de différentes espèces dans d’autres morceaux de cette même masse[11]. »

Par cet exemple des cavernes de Bareith, où les ossements d’animaux dont elle est remplie se trouvent incrustés et même pénétrés de la matière pierreuse amenée par la stillation des eaux, on peut prendre une idée générale de la formation des ostéocolles animales qui se forment par le même mécanisme que les ostéocolles végétales[12], telles que les mousses pétrifiées et toutes les autres concrétions dans lesquelles on trouve des figures de végétaux ; car supposons qu’au lieu d’ossements d’animaux accumulés dans ces cavernes, la nature ou la main de l’homme y eussent entassé une grande quantité de roseaux ou de mousses, n’est-il pas évident que ce même suc pierreux aurait saisi les mousses et les roseaux, les aurait incrustés en dehors, et remplis en dedans et même dans tous leurs pores ; que dès lors ces concrétions pierreuses en auront pris la forme, et qu’après la destruction et la pourriture de ces matières végétales, la concrétion pierreuse subsistera et se présentera sous cette même forme ? nous en avons la preuve démonstrative dans certains morceaux qui sont encore roseaux en partie, et du reste ostéocolles : je connais aussi des mousses dont le bas est pleinement incrusté, et dont le dessus est encore vert et en état de végétation. Et, comme nous l’avons dit, tout ce qu’on appelle pétrifications ne sont que des incrustations qui non seulement se sont appliquées sur la surface des corps, mais en ont même pénétré et rempli les vides et les pores en se substituant peu à peu à la matière animale ou végétale, à mesure qu’elle se décomposait.

On vient de voir, par la note précédente, que les ostéocolles ne sont que des incrustations d’une matière crétacée ou marneuse ; et ces incrustations se forment quelquefois en très peu de temps, aussi bien au fond des eaux que dans le sein de la terre. M. Dutour, correspondant de l’Académie des sciences, cite une ostéocolle qu’il a vu se former en moins de deux ans. « En faisant nettoyer un canal, je remarquai, dit-il, que tout le fond était comme tapissé d’un tissu fort serré de filets pierreux, dont les plus gros n’avaient que deux lignes de diamètre et qui se croisaient en tout sens. Les filets étaient de véritables tuyaux moulés sur des racines d’ormes fort menues qui s’y étaient desséchées et qu’on pouvait aisément en tirer. La couleur de ces tuyaux était grise, et leurs parois, qui avaient un peu plus d’un tiers de ligne d’épaisseur, étaient assez fortes pour résister sans se briser à la pression des doigts. À ces marques, je ne pus méconnaître l’ostéocolle, mais je ne pus aussi m’empêcher d’être étonné du peu de temps qu’elle avait mis à se former ; car ce canal n’était construit que depuis environ deux ans et demi, et certainement les racines qui avaient servi de noyau à l’ostéocolle étaient de plus nouvelle date[13]. » Nous avons d’autres exemples d’incrustations qui se font encore en moins de temps dans de certaines circonstances. Il est dit, dans l’Histoire de l’Académie des sciences[14], que M. de La Chapelle avait apporté une pétrification fort épaisse, tirée de l’aqueduc d’Arcueil, et qu’il avait appris des ouvriers, que ces pétrifications ou incrustations se font par lits chaque année ; que pendant l’hiver il ne s’en fait point, mais seulement pendant l’été ; et que, quand l’hiver a été très pluvieux et abondant en neigés, les pétrifications qui se forment pendant l’été suivant sont quelquefois d’un pied d’épaisseur ; ce fait est peut-être exagéré, mais au moins on est sûr que souvent en une seule année ces dépôts pierreux sont de plus d’un pouce ou deux : on en trouve un exemple dans la même Histoire de l’Académie[15]. Le ruisseau de craie, près de Besançon, enduit d’une incrustation pierreuse les tuyaux de bois de sapin où l’on fait passer son eau pour l’usage de quelques forges ; il forme dans leur intérieur en deux ans d’autres tuyaux d’une pierre compacte d’environ un pouce et demi d’épaisseur. M. de Luc dit qu’on voit dans le Valais des eaux claires qu’il soit possible, et qui ne laissent pas de former de tels amas de tuf, qu’il en résulte des saillies considérables sur les faces des montagnes[16], etc.

Les stalactites, quoique de même nature que les incrustations et les tufs, sont seulement moins impures et se forment plus lentement. On leur a donné différents noms suivant leurs différentes formes, mais M. Guettard dit avec raison que les stalactites, soit en forme pyramidale ou cylindrique ou en tubes, peuvent être regardées comme une même sorte de concrétions[17]. Il parle d’une concrétion en très grande masse qu’il a observée aux environs de Crégi, village peu éloigné de Meaux, qui s’est formée par le dépôt de l’eau d’une fontaine voisine, et dans laquelle on trouve renfermés des mousses, des chiendents et d’autres plantes qui forment des milliers de petites ramifications, dont les branches sont ordinairement creuses, parce que ces plantes se sont à la longue pourries et entièrement détruites[18]. Il cite aussi les incrustations en forme de planches de sapin qui se trouvent aux environs de Besançon. « Lorsqu’on voit pour la première fois, dit cet académicien, un morceau de ce dépôt pierreux, il n’y a personne qui ne le prenne d’abord pour une planche de sapin pétrifiée… Rien en effet n’est plus propre à faire prendre cette idée que ces espèces de planches : une de leurs surfaces est striée de longues fibres longitudinales et parallèles, comme peuvent être celles des planches de sapin ; la continuité de ces fibres est quelquefois interrompue par des espèces de nœuds semblables à ceux qui se voient dans ce bois ; ces nœuds sont de différentes grosseurs et figures. L’autre surface de ces planches est en quelque sorte ondée à peu près comme serait une planche de sapin mal polie. Cette grande ressemblance s’évanouit cependant lorsqu’on vient à examiner ces sortes de planches. On s’aperçoit aisément alors qu’elles ne font voir que ce qu’on remarquerait sur des morceaux de plâtre ou de quelque pâte qu’on aurait étendue sur une planche de sapin… On s’assure facilement dès lors que ces planches pierreuses ne sont qu’un dépôt fait sur des planches de ce bois ; et, si on les casse, on le reconnaît encore mieux, parce que les stries de la surface ne se continuent pas dans l’intérieur[19]. »

M. Guettard cite encore un autre dépôt pierreux qui se fait dans les bassins du château d’Issy, près Paris : ce dépôt contient des groupes de plantes verticillées, toutes incrustées. Ces plantes, telles que la girandole d’eau, sont très communes dans toutes les eaux dormantes ; la quantité de ces plantes fait que les branches des différents pieds s’entrelacent les unes avec les autres, et lorsqu’elles sont chargées du dépôt pierreux, elles forment des groupes que l’on pourrait prendre pour des plantes pierreuses ou des plantes marines semblables à celles qu’on appelle corallines.

Par ce grand nombre d’exemples, on voit que l’incrustation est le moyen aussi simple que général par lequel la nature conserve pour ainsi dire à perpétuité les empreintes de tous les corps sujets à la destruction ; ces empreintes sont d’autant plus exactes et fidèles, que la pâte qui les reçoit est plus fine ; l’eau la plus claire et la plus limpide ne laisse pas d’être souvent chargée d’une très grande quantité de molécules pierreuses qu’elle tient en dissolution, et ces molécules, qui sont d’une extrême ténuité, se moulent si parfaitement sur les corps les plus délicats qu’elles en représentent les traits les plus déliés : l’art a même trouvé le moyen d’imiter en ceci la nature ; on fait des cachets, des reliefs, des figures parfaitement achevées, en exposant des moules au jaillissement d’une eau chargée de cette matière pierreuse[20] ; et l’on peut aussi faire des pétrifications artificielles, en tenant longtemps dans cette eau des corps de toute espèce : ceux qui seront spongieux ou poreux recevront l’incrustation tant au dehors qu’en dedans, et si la substance animale ou végétale qui sert de moule vient à pourrir, la concrétion qui reste paraît être une vraie pétrification, c’est-à-dire le corps même qui s’est pétrifié, tandis qu’il n’a été qu’incrusté à l’intérieur comme à l’extérieur.



Notes de Buffon
  1. « À Tauris, dans la mosquée d’Osmanla, il y a deux grandes pierres blanches transparentes qui paraissent rouges quand le soleil les éclaire : ils disent que c’est une espèce d’albâtre qui se forme d’une eau qu’on trouve à une journée de Tauris, laquelle, étant mise dans une fosse, se congèle en peu de temps. Cette pierre est fort estimée des Persans, qui en font des tombeaux, des vases, et d’autres ouvrages qui passent pour une rareté à Ispahan ; ils m’ont tous assuré que c’était une congélation d’eau. » Voyage autour du monde, par Gemelli Carreri, t. II, p. 37.
  2. L’auteur du Traité des pétrifications, qui a vu une grotte près de Neufchâtel, nommée Trois-ros, a remarqué que l’eau, qui coule lentement par diverses fentes du roc, s’arrête pendant quelque temps, en forme de gouttes, au haut d’une espèce de voûte formée par les bancs du rocher ; là, de petites molécules cristallines, que l’eau entraîne en passant à travers les bancs, se lient par leurs côtés pendant que la goutte demeure suspendue, et y forme de petits tuyaux, à mesure que l’air s’échappe par la partie inférieure de la petite bulle qu’il formait dans la goutte d’eau : ces tuyaux s’allongent peu à peu en grossissant, par une accession continuelle de nouvelle matière, puis ils se remplissent ; de sorte que les cylindres qui en résultent sont ordinairement arrondis vers le bout d’en bas, tandis qu’ils sont encore suspendus au rocher ; mais dès qu’ils s’unissent avec les particules cristallines qui, tombant plus vite, forment un sédiment à plusieurs couches au bas de la grotte, ils ressemblent alors à des arbres, qui du bas s’élèvent jusqu’au comble de la voûte.

    Ces cylindres acquièrent un plus grand diamètre en bas par le moyen de la nouvelle matière qui coule le long de leur superficie, et ils deviennent souvent raboteux, à cause des particules cristallines qui s’y arrêtent en tombant dessus, comme une pluie menue, lorsque l’eau abonde plus qu’à l’ordinaire dans l’entre-deux des rochers : la configuration intérieure de leur masse, faite à rayons et à couches concentriques, quelquefois différemment colorées par une petite quantité de terre fine qui s’y mêle et les rend semblables aux aubiers des arbres, jointe aux circonstances dont on vient de parler, peuvent tromper les plus éclairés.

    Il se forme aussi plusieurs autres masses, plus ou moins régulières, de stalactite dans des cavernes de pierre à chaux et de marbre ; ces masses ne diffèrent entre elles, par rapport à leur matière, que par le plus grand ou le moindre mélange de terre fine de différentes couleurs, que l’eau enlève souvent du roc même avec les particules cristallines, ou qu’elle amène des couches de terre supérieures aux roches dans les couches de stalactite. Traité des Pétrifications, in-4o, Paris, 1742, p. 4 et suiv.

  3. Dans la caverne de la Balme (au mont Vergi), j’étais étonné d’entendre quelquefois le fond résonner sous nos pieds, comme si nous eussions marché sur une voûte retentissante ; mais, en examinant le sol, je vis qu’il était d’une matière cristallisée, et que je marchais sur un faux fond, soutenu à une distance assez grande du vrai fond de la galerie ; je ne pouvais comprendre comment s’était formée cette croûte ainsi suspendue, lorsque, en observant des eaux stagnantes au fond de la caverne, je vis qu’il se formait à leur surface une croûte cristalline, d’abord semblable à une poussière incohérente, mais qui peu à peu prenait de l’épaisseur et de la consistance, au point que j’avais peine à la rompre à grands coups de marteau partout où elle avait deux pouces d’épaisseur. Je compris alors que si ces eaux venaient à s’écouler, cette croûte, contenue par les bords, formerait un faux fond semblable à celui qui avait résonné sous nos pieds. Saussure, Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 388.
  4. Lorsque l’on scie transversalement une grosse stalactite ou colonne d’albâtre, on voit sur la tranche les couches circulaires dont la stalactite est formée ; mais, si on la scie sur sa longueur, l’albâtre ne présente que des veines longitudinales, en sorte que le même albâtre paraît être différent, selon le sens dans lequel on le travaille.
  5. On trouve à deux lieues de Mâcon, du côté du midi, une grande carrière d’albâtre très beau et très bien coloré, qui a beaucoup de transparence en plusieurs endroits ; cette carrière est située dans la montagne que l’on appelle Solutrie, dans laquelle il s’est fait un éboulement considérable par son propre poids. (Note communiquée par M. Dumorey.) — « Les eaux d’Aix en Provence, dit M. Guettard, produisent un albâtre brun foncé, mêlé de taches blanchâtres qui le varient agréablement, et le font prendre pour un albâtre oriental… Cet albâtre s’est formé dans une ancienne conduite faite par les Romains, et qui porte à Aix l’eau d’une source qui est à une petite demi-lieue de cette ville… Cette espèce d’aqueduc était bouché en entier par la substance dont il s’agit… Un morceau de cet albâtre, qui est dans le cabinet de M. le duc d’Orléans, a pris un très beau poli, qui fait voir que cet albâtre est composé de plusieurs couches d’une ligne ou à peu près d’épaisseur, et qui paraissent elles-mêmes, à la loupe, n’être qu’un amas de quelques autres petites couches très minces ; ces couches sont ondées, et, rentrant ainsi les unes dans les autres, elles font un tout serré et compact

    » Quant à sa formation, on ne peut pas s’empêcher de reconnaître qu’elle est la suite des dépôts successifs d’une matière qui a été charriée par un fluide : les ondes de deux larges bandes qu’on voit sur le côté du morceau en question le démontrent invinciblement ; elles semblent même prouver que la pierre a dû se former dans un endroit où l’eau était resserrée et contrainte : en effet, cette eau devait souffrir quelque retardement sur les côtés du canal, et accélérer son mouvement dans le milieu ; ainsi l’eau de ce milieu devait agir et presser l’eau des côtés, qui en résistant ne pouvait, par conséquent, que souffrir différentes courbures et occasionner, par une suite nécessaire, des sinuosités que le dépôt a conservées. La rapidité, ou le plus grand mouvement du milieu de l’eau, a encore dû être cause de la matière la plus fine et la plus pure : les parties les plus grossières et les plus lourdes ont dû être rejetées sur les bords et s’y déposer aisément, vu la tranquillité du mouvement de l’eau dans ces endroits. » Mémoires de l’Académie des sciences, année 1754, p. 131 et suiv.

  6. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1746, p. 747.
  7. Lettres de M. Ferber, p. 41 et 42.
  8. De lapidum vegetatione.
  9. Année 1703, p. 17. — « Dans certaines grottes, comme dans celle de la montagne de Luminiani près de Vicence en Italie, les cristallisations spathiques sont jaunâtres et ressemblent au plus beau sucre candi ; les cristaux sont en forme de pyramides triangulaires, dont le sommet est très aigu : communément elles sont verticales ; de nouvelles pyramides sortent des côtés de ces premières et deviennent horizontales : on peut en détacher de très grands blocs. » Note de M. le baron de Dietrich, dans les Lettres de M. Ferber, p. 25.
  10. Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles, p. 424 et 425.
  11. Description des cavernes du margraviat de Bareith, par Jean-Frédéric Esper, in-folio, p. 27.
  12. M. Gleditsch donne une bonne description des ostéocolles qui se trouvent en grande quantité dans les terrains maigres du Brandebourg : « Ce fossile, dit-il, est connu de tout le monde dans les deux Marches, où on l’emploie depuis plusieurs siècles à des usages tant internes qu’externes… On le trouve dans un sable plus ou moins léger, blanc, gris, rouge ou jaunâtre, fort ressemblant à l’espèce de sable qu’on trouve ordinairement au fond des rivières : celui qui touche immédiatement l’ostéocolle est plus blanc et plus mou que le reste… Quand, dans les temps pluvieux, cette terre, qui s’attache fortement aux mains, vient à se dissoudre dans les lieux élevés, les eaux l’entraînent en forme d’émulsion dans les creux qui se trouvent au-dessous… Elle ne diffère guère de la marne, et se trouve attachée au sable dans des proportions différentes… Mais plus le sable est voisin des branches du fossile, plus la quantité de cette terre augmente ; il n’y a pas grande différence entre elle et la matière même du fossile : on trouve aussi cette terre dans les fonds et même sous quelques étangs, etc…

    » Les vents, les pluies, etc., en enlevant le sable, laissent quelquefois à découvert l’ostéocolle… Quelquefois on en trouve çà et là des pièces rompues… Quand on aperçoit des branches, on les dégage du sable avec précaution, et on les suit jusqu’au tronc qui jette des racines sous terre de plusieurs côtés…

    » Tant que le tronc entier est encore renfermé dans le sable, la forme du fossile ne l’offre aux yeux que d’un côté, et alors elle représente assez parfaitement le bas du tronc d’un vieil arbre… Les racines descendent en partie jusqu’à la profondeur de quatre à six pieds, et s’étendent en partie obliquement de tous côtés… Le tronc du fossile, dont la grandeur et l’épaisseur varient, doit sans doute son origine au tronc de quelque arbre mort, et en partie carié, ce qui se prouve suffisamment par la lésion et la destruction de sa structure intérieure…

    » Les racines les plus fortes sont plus ou moins grosses que le bras ; elles s’amincissent peu à peu en se divisant, de sorte que les dernières ramifications ont à peine une circonférence qui égale une plume d’oie. Pour les productions papillaires des racines, elles ne se trouvent en aucun endroit du fossile, sans doute parce que leur ténuité et la délicatesse de leur texture ne leur permet pas de résister à la putréfaction… On trouve rarement les grosses racines pétrifiées et durcies dans le sable, elles y sont plutôt un peu humides et molles ; et exposées à l’air, elles deviennent sèches et friables…

    » La masse terrestre, qui, à proprement parler, constitue notre fossile, est une vraie terre de chaux, et, quand on l’a nettoyée du sable et de la pourriture qui peuvent y rester, l’acide vitriolique, avec lequel elle fait une forte effervescence, la dissout en partie. La matière de notre fossile, lorsqu’elle est encore renfermée dans le sable, est molle ; elle a de l’humidité ; sa cohérence est lâche, et il s’en exhale une odeur âcre, assez faible cependant ; ou bien elle forme un corps graveleux, pierreux, insipide et sans odeur ; tout cela met en évidence que la terre de chaux de ce fossile n’est point du gravier fin, lié par le moyen d’une glu, comme le prétendent quelques auteurs.

    » Mais lorsqu’on peut remarquer dans la composition de la matière de notre fossile quelque proportion, elle consiste, pour l’ordinaire, en parties égales de sable et de terre de chaux.

    » Ce fossile est dû à des troncs d’arbres dont les fibres ont été atténuées et pourries par l’humidité… Il se forme dans ces troncs et dans ces racines des cavités où s’insinuent facilement, par le moyen de l’eau, le sable et la terre de chaux qu’elle a dissous : cette terre, entrant par tous les trous et les endroits cariés, descend jusqu’aux extrémités de toute la tige et des racines, jusqu’à ce qu’avec le temps toutes ces cavités se trouvent exactement remplies ; l’eau superflue trouve aisément une issue, dont les traces se manifestent dans le centre poreux des branches ; voilà comment ce fossile se forme… L’humidité croupissante qui est perpétuellement autour du fossile est le véritable obstacle à son endurcissement.

    » Quelques auteurs ont regardé comme de l’ostéocolle une certaine espèce de tuf en partie informe, en partie composé de l’assemblage de plusieurs petits tuyaux de différente nature : ce tuf se trouve en abondance dans plusieurs contrées de la Thuringe et en d’autres endroits…

    » L’expérience, jointe au consentement de plusieurs auteurs, dépose que le terrain naturel et le plus convenable à l’ostéocolle est un terroir stérile, sablonneux et léger ; au contraire, un terrain gras, consistant, argileux, onctueux et limoneux, etc., lorsqu’il vient à être délayé par l’eau, laisse passer lentement et difficilement l’eau elle-même, et à plus forte raison quelque autre terre, comme celle dont l’ostéocolle est formée ; l’ostéocolle se mêlerait intimement à la terre grasse, dans l’intérieur de laquelle elle formerait des lits plats, plutôt que de pénétrer une substance aussi consistante. » (Extrait des Mémoires de l’Académie de Prusse, par M. Paul ; Avignon, 1768, t. V, in-12, p. 1 et suiv. du Supplément à ce volume.)

    M. Bruckmann dit, comme M. Gleditsch, que les ostéocolles ne se trouvent point dans les terres grasses et argileuses, mais dans les terrains sablonneux ; il y en a près de Francfort-sur-l’Oder, dans un sable blanchâtre, mêlé d’une matière noire, qui n’est que du bois pourri : l’ostéocolle est molle dans la terre, mais plutôt friable que ductile ; elle se dessèche et durcit en très peu de temps à l’air : c’est une espèce de marne, ou du moins une terre qui lui est fort analogue. Les différentes figures des ostéocolles ne viennent que des racines auxquelles cette matière s’attache ; de là provient aussi la ligne noire qu’on trouve presque toujours dans leur milieu : elles sont toutes creuses, à l’exception de celles qui sont formées de plusieurs petites fibres de racines accumulées et réunies par la matière marneuse ou crétacée. Voyez la Collection académique, partie étrangère, t. II, p. 155 et 156.

    M. Beurer, de Nuremberg, ayant fait déterrer grand nombre d’ostéocolles, en a trouvé une dans le temps de sa formation : c’était une souche de peuplier noir qui, par son extrémité supérieure, était encore ligneuse, et dont la racine était devenue une véritable ostéocolle. Voyez les Transact. philosophiques, année 1745, no 476.

    M. Guettard a aussi trouvé des ostéocolles en France, aux environs d’Étampes, et particulièrement sur les bords de la rivière de Louette. « L’ostéocolle d’Étampes, dit cet académicien, forme des tuyaux longs depuis trois ou quatre pouces jusqu’à un pied, un pied et demi et plus : le diamètre de ces tuyaux est de deux, trois, quatre lignes et même d’un pouce ; les uns, et c’est le plus grand nombre, sont cylindriques, les autres sont formés de plusieurs portions de cercles, qui réunies forment une colonne à plusieurs pans. Il y en a d’aplatis ; les bords de quelques autres sont roulés en dedans suivant leur longueur, et ne sont par conséquent que demi-cylindriques ; plusieurs n’ont qu’une seule couche, mais beaucoup plus en ont deux ou trois. On dirait que ce sont autant de cylindres renfermés les uns dans les autres : le milieu d’un tuyau cylindrique, fait d’une ou de deux couches, en contient quelquefois une troisième qui est prismatique triangulaire. Quelques-uns de ces tuyaux sont coniques ; d’autres, ceux-ci sont cependant rares, sont courbés et forment presque un cercle. De quelque figure qu’ils soient, leur surface interne est lisse, polie et ordinairement striée ; l’extérieure est raboteuse et bosselée ; la couleur est d’un assez beau blanc de marne ou de craie à l’extérieur ; celle de la surface interne est quelquefois d’un jaune tirant sur le rougeâtre, et, si elle est blanche, ce blanc est toujours un peu sale… Il y a aussi de l’ostéocolle sur l’autre bord de la rivière, mais en moindre quantité… On en trouve encore de l’autre côté de la ville, dans un endroit qui regarde les moulins à papier qui sont établis sur une branche de la Chalouette, et sur les bords des fossés de cette ville qui sont de ce côté…

    » M. Guettard rapporte encore plusieurs observations pour prouver que la formation de l’ostéocolle des environs d’Étampes n’est due qu’à des plantes qui se sont chargées de particules de marne et de sable des montagnes voisines, qui auront été entraînées par des averses d’eau et arrêtées dans les mares par les plantes qui y croissent, et sur lesquelles ces particules de marne et de sable se seront déposées successivement. » Voyez les Mémoires de l’Académie des sciences, année 1754, p. 269 jusqu’à 288.

  13. Histoire de l’Académie des sciences, année 1761, p. 24.
  14. Idem, année 1713, p. 23.
  15. Année 1720, p. 23.
  16. Lettres à la reine d’Angleterre, p. 17.
  17. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1754, p. 17.
  18. Idem, ibidem, p. 58 et suiv.
  19. Idem, ibidem, p. 131 et suiv.
  20. C’est aux bains de San-Filippo, sur le penchant de la montagne de Santa-Fiora, près de Sienne, que M. le docteur Leonardo Vegni a établi sa singulière manufacture d’impressions de médailles et de bas-reliefs, formés par la poudre calcaire que déposent ces eaux : pour cela, il les fait tomber d’assez haut sur des lattes de bois placées en travers sur un grand cuveau ; l’eau par cette chute rejaillit en gouttes contre les parois de la cuve, auxquelles sont attachés les modèles et les médailles ; et en peu de temps on les voit couvertes d’une incrustation très fine et très compacte… On peut même colorer ce sédiment pierreux en rouge, en faisant filtrer l’eau qui doit le déposer à travers du bois de Fernambouc ; il faut que cette matière soit bien abondante dans les eaux, puisqu’on assure qu’on a déjà fait par ce moyen des bustes entiers, et que M. le docteur Vegni espère réussir à en faire des statues massives de grandeur humaine. Voyez la note de M. le baron de Dietrich, p. 174 des Lettres de M. Ferber.
Notes de l’éditeur
  1. Il existe en effet deux sortes d’albâtres : l’une est un carbonate de chaux, dit fibreux (albâtre antique) ; l’autre est un sulfate de chaux saccharoïde.
  2. C’est-à-dire du carbonate de chaux rendu soluble dans l’eau par sa transformation en bicarbonate et se précipitant quand il perd son excédent d’acide carbonique.