Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/De la pierre calcaire



DE LA PIERRE CALCAIRE

La formation des pierres calcaires[NdÉ 1] est l’un des plus grands ouvrages de la nature : quelque brute que nous en paraisse la matière, il est aisé d’y reconnaître une forme d’organisation actuelle et des traces d’une organisation antérieure bien plus complète dans les parties dont cette matière est originairement composée. Ces pierres ont en effet été primitivement formées du détriment des coquilles, des madrépores, des coraux et de toutes les autres substances qui ont servi d’enveloppe ou de domicile à ces animaux infiniment nombreux, qui sont pourvus des organes nécessaires pour cette production de matière pierreuse ; je dis que le nombre de ces animaux est immense, infini, car l’imagination même serait épouvantée de leur quantité si nos yeux ne nous en assuraient pas en nous démontrant leurs débris réunis en grandes masses, et formant des collines, des montagnes et des terrains de plusieurs lieues d’étendue. Quelle prodigieuse pullulation ne doit-on pas supposer dans tous les animaux de ce genre ! Quel nombre d’espèces ne faut-il pas compter, tant dans les coquillages et crustacés actuellement existants, que pour ceux dont les espèces ne subsistent plus et qui sont encore de beaucoup plus nombreux ! Enfin, combien de temps et quel nombre de siècles n’est-on pas forcé d’admettre pour l’existence successive des unes et des autres ! Rien ne peut satisfaire notre jugement à cet égard, si nous n’admettons pas une grande antériorité de temps pour la naissance des coquillages[NdÉ 2] avant tous les autres animaux, et une multiplication non interrompue de ces mêmes coquillages pendant plusieurs centaines de siècles, car toutes les pierres et craies disposées et déposées en couches horizontales par les eaux de la mer ne sont en effet formées que de ces coquilles ou de leurs débris réduits en poudre, et il n’existe aucun autre agent, aucune autre puissance particulière dans la nature qui puisse produire la matière calcaire, dont nous devons par conséquent rapporter la première origine à ces êtres organisés.

Mais dans les amas immenses de cette matière toute composée des débris des animaux à coquilles, nous devons d’abord distinguer les grandes couches, qui sont d’ancienne formation, et en séparer celles qui, ne s’étant formées que des détriments des premières, sont à la vérité d’une même nature, mais d’une date de formation postérieure ; et l’on reconnaîtra toujours leurs différences par des indices faciles à saisir. Dans toutes les pierres d’ancienne formation, il y a toujours des coquilles ou des impressions de coquilles et de crustacés très évidentes, au lieu que dans celles de formation moderne il n’y a nul vestige, nulle figure de coquilles : ces carrières de pierres parasites, formées du détriment des premières, gisent ordinairement au pied ou à quelque distance des montagnes et des collines, dont les anciens bancs ont été attaqués dans leur contour par l’action de la gelée et de l’humidité ; les eaux ont ensuite entraîné et déposé dans les lieux plus bas toutes les poudres et les graviers détachés des bancs supérieurs, et ces débris stratifiés les uns sur les autres par le transport et le sédiment des eaux ont formé ces lits de pierres nouvelles où l’on ne voit aucune impression de coquilles, quoique ces pierres de seconde formation soient comme la pierre ancienne entièrement composées de substance coquilleuse.

Et dans ces pierres de formation secondaire, on peut encore en distinguer de plusieurs dates différentes, et plus ou moins modernes ou récentes : toutes celles, par exemple, qui contiennent des coquilles fluviatiles, comme on en voit dans la pierre qui se tire derrière l’Hôpital général à Paris, ont été formées par des eaux vives et courantes, longtemps après que la mer a laissé notre continent à découvert ; et néanmoins la plupart des autres, dans lesquelles on ne trouve aucune de ces coquilles fluviatiles, sont encore plus récentes. Voilà donc trois dates de formation bien distinctes : la première et plus ancienne est celle de la formation des pierres, dans lesquelles on voit des coquilles ou des impressions de coquilles marines, et ces anciennes pierres ne présentent jamais des impressions de coquilles terrestres ou fluviatiles ; la seconde formation est celle de ces pierres mêlées de petites vis et limaçons fluviatiles ou terrestres ; et la troisième sera celle des pierres qui, ne contenant aucunes coquilles marines ou terrestres, n’ont été formées que des détriments et des débris réduits en poussière des unes ou des autres[1][NdÉ 3].

Les lits de ces pierres de seconde formation ne sont pas aussi étendus ni aussi épais que ceux des anciennes et premières couches dont ils tirent leur origine, et ordinairement les pierres elles-mêmes sont moins dures, quoique d’un grain plus fin ; souvent aussi elles sont moins pures, et se trouvent mélangées de différentes substances que l’eau a rencontrées et charriées avec la matière de la pierre[2]. Ces lits de pierres nouvelles ne sont dans la réalité que des dépôts semblables à ceux des incrustations, et chacune de ces carrières parasites doit être regardée comme une agrégation d’un grand nombre d’incrustations ou concrétions pierreuses, superposées et stratifiées les unes sur les autres. Elles prennent avec le temps plus ou moins de consistance et de dureté, suivant leur degré de pureté ou selon les mélanges qui sont entrés dans leur composition ; il y a de ces concrétions, telles que les albâtres, qui reçoivent le poli ; d’autres qu’on peut comparer à la craie par leur blancheur et leur légèreté ; d’autres qui ressemblent plus au tuf. Ces lits de pierre de seconde et troisième formation sont ordinairement séparés les uns des autres par des joints ou délits horizontaux assez larges, et qui sont remplis d’une matière pierreuse moins pure et moins liée que l’on nomme bousin[3], tandis que dans les pierres de première formation les délits horizontaux sont étroits et remplis de spath. On peut encore remarquer que dans les pierres de première formation il y a plus de solidité, plus d’adhérence entre les grains dans le sens horizontal que dans le sens vertical, en sorte qu’il est plus aisé de les fendre ou casser verticalement qu’horizontalement, au lieu que dans les pierres de seconde et troisième formation il est à peu près également aisé de les travailler dans tous les sens. Enfin, dans les pierres d’ancienne formation, les bancs ont d’autant plus d’épaisseur et de solidité qu’ils sont situés plus bas, au lieu que les lits de formation moderne ne suivent aucun ordre ni pour leur dureté, ni pour leur épaisseur. Ces différences très apparentes suffisent pour qu’on puisse reconnaître et distinguer au premier coup d’œil une carrière d’ancienne ou de nouvelle pierre.

Mais outre ces couches de première, de seconde et de troisième formation, dans lesquelles la pierre calcaire est en masses uniformes ou par bancs composés de grains plus ou moins fins, on trouve en quelques endroits des amas entassés et très étendus de pierres arrondies et liées ensemble par un ciment pierreux, ou séparées par des cavités remplies d’une terre presque aussi dure que les pierres avec lesquelles elle fait masse continue, et si solide qu’on ne peut en détacher des blocs qu’au moyen de la poudre[4]. Ces couches de pierres arrondies sont peut-être d’une date aussi nouvelle que celle des carrières parasites de dernière formation. La finesse du grain de ces pierres arrondies, leur résistance à l’action du feu, plus grande que celle des autres pierres à chaux, le peu de profondeur où se trouve la base de leurs amas, la forme même de ces pierres qui semble démontrer qu’elles ont été roulées, tout se réunit pour faire croire que ce sont des blocs en débris de pierres plus ou moins anciennes, lesquels ont été arrondis par le frottement, et ensuite liés ensemble par une terre mêlée d’une assez grande quantité de substance spathique pour se durcir et faire corps avec ces pierres.

Nous devons encore citer ici d’autres pierres en blocs, qui d’abord étaient liées ensemble par des terres durcies, et qui se sont ensuite séparées lorsque ce ciment terreux a été dissous ou délayé par les éléments humides : on trouve dans le lit de plusieurs rivières un très grand nombre de ces pierres calcaires arrondies en petit ou gros volume, et à des distances considérables des montagnes dont elles sont descendues[5].

Et c’est à cette même interposition de matière terreuse entre ces blocs en débris qu’on doit attribuer l’origine des pierres trouées qu’on rencontre si communément dans les petites gorges et vallons où les eaux ont autrefois coulé en ruisseaux, qui depuis ont tari ou ne coulent plus que pendant une partie de l’année : ces eaux ont peu à peu délayé la terre contenue dans tous les intervalles de la masse de ces pierres qui se présentent actuellement avec tous leurs vides, souvent trop grands pour qu’elles puissent être employées dans la maçonnerie. Ces pierres à grands trous ne peuvent aussi être taillées régulièrement ; elles se brisent sous le marteau, et tiennent ordinairement plus ou moins de la mauvaise qualité de la roche morte, qui se divise par écailles ou en morceaux irréguliers. Mais lorsque ces pierres ne sont percées que de petits trous de quelques lignes de diamètre, on les préfère pour bâtir, parce qu’elles sont plus légères et qu’elles reçoivent et saisissent mieux le mortier que les pierres pleines.

Il y a dans le genre calcaire, comme dans le genre vitreux, des pierres vives et d’autres qu’on peut appeler mortes, parce qu’elles ont perdu les principes de leur solidité et qu’elles sont en partie décomposées : ces roches mortes se trouvent le plus souvent au pied des collines, et environnent leur base à quelques toises de hauteur et d’épaisseur, au delà desquelles on trouve la roche vive sur le même niveau ; ce qui suffit pour démontrer que cette roche aujourd’hui morte était jadis aussi vive que l’autre, mais qu’étant exposée aux impressions de l’air, de la gelée et des pluies, elle a subi les différentes altérations qui résultent de leur action longtemps continuée, et qui tendent toutes à la désunion de leurs parties constituantes, soit en interrompant leur continuité, soit en décomposant leur substance.

On voit déjà que quoiqu’en général toutes les pierres calcaires aient une première origine commune, et que toutes soient essentiellement de la même nature, il y a de grandes différences entre elles pour les temps de leur formation et une diversité encore plus grande dans leurs qualités particulières. Nous avons parlé des différents degrés de leur dureté, qui s’étendent de la craie jusqu’au marbre : la craie, dans ses couches supérieures, est souvent plus tendre que l’argile sèche, et le marbre le plus dur ne l’est jamais autant, à beaucoup près, que le quartz ou le jaspe : entre ces deux extrêmes, on trouve toutes les nuances du plus ou moins de dureté dans les pierres calcaires, soit de première, soit de seconde ou de troisième formation, car dans ces dernières carrières on rencontre quelquefois des lits de pierre aussi dure que dans les couches anciennes, comme la pierre de liais, qui se tire dans les environs de Paris, et dont la dureté vient de ce qu’elle est surmontée de plusieurs bancs d’autres pierres dont elle a reçu les sucs pétrifiants.

Le plus ou moins de dureté des pierres dépend de plusieurs circonstances, dont la première est celle de leur situation au-dessous d’une plus ou moins grande épaisseur d’autres pierres ; et la seconde, la finesse des grains et la pureté des matières dont elles sont formées, leur force d’affinité s’étant exercée avec d’autant plus de puissance que la matière était plus pure, et que les grains se sont trouvés plus fins ; c’est à cette cause qu’il faut attribuer la première solidité de ces pierres, et cette solidité se sera ensuite fort augmentée par les sucs pierreux continuellement infiltrés des bancs supérieurs dans les inférieurs : ainsi c’est à ces causes, toutes deux évidentes, qu’on doit rapporter les différences de la dureté de toutes les pierres calcaires pures ; car nous ne parlons pas encore ici de certains mélanges hétérogènes qui peuvent augmenter leur dureté ; le fer, les autres minéraux métalliques et l’argile même produisent cet effet lorsqu’ils se trouvent mêlés avec la matière calcaire en proportion convenable[6].

Une autre différence qui, sans être essentielle à la nature de la pierre, devient très importante pour l’emploi qu’on en fait, c’est de résister ou non à l’action de la gelée ; il y a des pierres qui, quoiqu’en apparence d’une consistance moins solide que d’autres, résistent néanmoins aux impressions du plus grand froid, et d’autres qui, malgré leur dureté et leur solidité apparente, se fendent et tombent en écailles plus ou moins promptement, lorsqu’elles sont exposées aux injures de l’air. Ces pierres gelisses doivent être soigneusement rejetées de toutes les constructions exposées à l’air et à la gelée ; néanmoins elles peuvent être employées dans celles qui en sont à l’abri. Ces pierres commencent par se fendre, s’éclater en écailles, et finissent par se réduire avec le temps en graviers et en sables[7].

On reconnaîtra donc les pierres gelisses aux caractères ou plutôt aux défauts que je vais indiquer : elles sont ordinairement moins pesantes[8] et plus poreuses que les autres ; elles s’imbibent d’eau beaucoup plus aisément ; on n’y voit pas ces points brillants qui dans les bonnes pierres sont les témoins du spath ou suc lapidifique dont elles sont pénétrées ; car la résistance qu’elles opposent à l’action de la gelée ne dépend pas seulement de leur tissu plus serré, puisqu’il se trouve aussi des pierres légères et très poreuses qui ne sont pas gelisses, et dont la cohérence des grains est si forte que l’expansion de l’eau gelée dans leurs interstices n’a pas assez de force pour les désunir, tandis que dans d’autres pierres plus pesantes et moins poreuses cet effet de la gelée est assez violent pour les diviser et même pour les réduire en écailles et en sables.

Pour expliquer ce fait, auquel peu de gens ont fait attention, il faut se rappeler que toutes les pierres calcaires sont composées ou des détriments des coquilles, ou des sables et graviers provenant des débris des pierres précédemment formées de ces mêmes détriments liés ensemble par un ciment, qui n’est lui-même qu’un extrait de ce qu’il y a de plus homogène et de plus pur dans la matière calcaire : lorsque ce suc lapidifique en a rempli tous les interstices, la pierre est alors aussi dense, aussi solide et aussi pleine qu’elle peut l’être ; mais quand ce suc lapidifique, en moindre quantité, n’a fait que réunir les grains sans remplir leurs intervalles, et que les grains eux-mêmes n’ont pas été pénétrés de cet élément pétrifiant, qu’enfin ils n’ont pas encore été pierre compacte, mais une simple craie ou poussière de coquilles dont la cohésion est faible, l’eau se glaçant dans tous les petits vides de ces pierres, qui s’en imbibent aisément, rompt tout aussi aisément les liens de leur cohésion, et les réduit en assez peu de temps en écailles et en sables, tandis qu’elle ne fait aucun effet avec les mêmes efforts contre la ferme cohérence des pierres, toutes aussi poreuses, mais dont les grains précédemment pétrifiés ne peuvent ni s’imbiber, ni se gonfler par l’humidité, et qui, se trouvant liés ensemble par le suc pierreux, résistent sans se désunir à la force expansive de l’eau qui se glace dans leurs interstices[9].

En observant la composition des pierres dans les couches d’ancienne formation, nous reconnaîtrons à n’en pouvoir douter que ces couches pour la plupart sont composées de graviers, c’est-à-dire de débris d’autres pierres encore plus anciennes, et qu’il n’y a guère que les couches de craie qu’on puisse regarder comme produites immédiatement par les détriments des coquilles. Cette observation semble reculer encore de beaucoup la date de la naissance des animaux à coquilles, puisque avant la formation de nos rochers calcaires il existait déjà d’autres rochers de même nature, dont les débris ont servi à leur construction ; ces débris ont quelquefois été transportés sans mélange par le mouvement des eaux, d’autres fois ils se sont trouvés mêlés de coquilles ; ou bien les graviers et les coquilles auront été déposés par lits alternatifs, car les coquilles sont rarement dispersées dans toute la hauteur des bancs calcaires ; souvent sur une douzaine de ces bancs tous posés les uns sur les autres, il ne s’en trouvera qu’un ou deux qui contiennent des coquilles, quoique l’argile, qui d’ordinaire leur sert de base, soit mêlée d’un très grand nombre de coquilles dispersées dans toute l’étendue de ses couches ; ce qui prouve que dans l’argile, où l’eau, n’ayant pas pénétré, n’a pu les décomposer, elles se sont mieux conservées que dans les couches de matière calcaire où elles ont été dissoutes, et ont formé ce suc pétrifiant qui a rempli les pores des bancs inférieurs, et a lié les grains de la pierre qui les compose.

Car c’est à la dissolution des coquilles et des poussières de craie et de pierre qu’on doit attribuer l’origine de ce suc pétrifiant, et il n’est pas nécessaire d’admettre dans ce liquide des qualités semblables à celles des sels, comme l’ont imaginé quelques physiciens[10] pour expliquer la dureté que ce suc donne aux corps qu’il pénètre : on pèche toujours en physique lorsqu’on multiplie les causes sans nécessité, car il suffit ici de considérer que ce liquide ou suc pétrifiant n’est que de l’eau chargée des molécules les plus fines de la matière pierreuse, et que ces molécules, toutes homogènes et réduites à la plus grande ténuité, venant à se réunir par leur force d’affinité, forment elles-mêmes une matière homogène, transparente et assez dure, connue sous le nom de spar ou spath calcaire, et que, par la même raison de leur extrême ténuité, ces molécules peuvent pénétrer tous les pores des matières calcaires qui se trouvent au-dessous des premiers lits dont elles découlent ; qu’enfin et par conséquent elles doivent augmenter la densité et la dureté de ces pierres, en raison de la quantité de ce suc qu’elles auront reçu dans leurs pores. Supposant donc que le banc supérieur imbibé par les eaux fournisse une certaine quantité de ces molécules pierreuses, elles descendront par stillation et se fixeront en partie dans toutes les cavités et les pores des bancs inférieurs, où l’eau pourra les conduire et les déposer, et cette même eau, en traversant successivement les bancs et détachant partout un grand nombre de ces molécules, diminue la densité des bancs supérieurs et augmente celle des bancs inférieurs.

Le dépôt de ce liquide pétrifiant se fait par une cristallisation plus ou moins parfaite, et se manifeste par des points plus ou moins brillants, qui sont d’autant plus nombreux que la pierre est plus pétrifiée, c’est-à-dire plus intimement et plus pleinement pénétrée de cette matière spathique ; et c’est par la raison contraire qu’on ne voit guère de ces points brillants dans les premiers lits des carrières qui sont à découvert, et qu’il n’y en a qu’un petit nombre dans ces premiers lits lorsqu’ils sont recouverts de sables ou de terres, tandis que dans les lits inférieurs la quantité de cette substance spathique et brillante surpasse quelquefois la première matière pierreuse. Dans cet état, la pierre est vive et résiste aux injures des éléments et du temps, la gelée ne peut en altérer la solidité, au lieu que la pierre est morte dès qu’elle est privée de ce suc, qui seul entretient sa force de résistance à l’action des causes extérieures : aussi tombe-t-elle avec le temps en sables et en poussières qui ont besoin de nouveaux sucs pour se pétrifier.

On a prétendu que la cristallisation en rhombes était le caractère spécifique du spath calcaire, sans faire attention que certaines matières vitreuses ou métalliques et sans mélange de substance calcaire sont cristallisées de même en rhombes, et que d’ailleurs, quoique le spath calcaire semble affecter de préférence la figure rhomboïdale, il prend aussi des formes très différentes ; et nos cristallographes, en voulant emprunter des géomètres la manière dont un rhombe peut devenir un octaèdre, une pyramide et même une lentille (parce qu’il se trouve du spath lenticulaire), n’ont fait que substituer des combinaisons idéales aux faits réels de la nature. Il en est de cette cristallisation en rhombe comme de toutes les autres : aucune ne fera jamais un caractère spécifique, parce que toutes varient, pour ainsi dire, à l’infini, et que non seulement il n’y a guère de formes de cristallisation qui ne soient communes à plusieurs substances de nature différente, mais que réciproquement il y a peu de substances de même nature qui n’offrent différentes formes de cristallisation, témoin la prodigieuse variété de formes des spaths calcaires eux-mêmes. En sorte qu’il serait plus que précaire d’établir des différences ou des ressemblances réelles et essentielles par ce caractère variable et presque accidentel.

Ayant examiné les bancs de plusieurs collines de pierre calcaire, j’ai reconnu presque partout que le dernier banc qui sert de base aux autres et qui porte sur la glaise contient une infinité de particules spathiques brillantes, et beaucoup de cristallisations de spath en assez grands morceaux ; en sorte que le volume de ces dépôts du suc lapidifique est plus considérable que le volume de la première matière pierreuse déposée par les eaux de la mer. Si l’on sépare les parties spathiques, on voit que l’ancienne matière pierreuse n’est que du gravier calcaire, c’est-à-dire des détriments de pierre encore plus ancienne que celle de ce banc inférieur, qui néanmoins a été formé le premier dans ce lieu par les sédiments des eaux : il y a donc eu d’autres rochers calcaires qui ont existé dans le sein de la mer avant la formation des rochers de nos collines, puisque les bancs situés au-dessous de tous les autres bancs ne sont pas simplement composés de coquilles, mais plutôt de gravier et d’autres débris de pierres déjà formées. Il est même assez rare de trouver dans ce dernier banc quelques vestiges de coquilles, et il paraît que ce premier dépôt des sédiments ou du transport des eaux n’est qu’un banc de sable et de gravier calcaire sans mélange de coquilles, sur lequel les coquillages vivants se sont ensuite établis, et ont laissé leurs dépouilles, qui bientôt auront été mêlées et recouvertes par d’autres débris pierreux amenés et déposés comme ceux du premier banc ; car les coquilles, comme je viens de le dire, ne se trouvent pas dans tous les bancs, mais seulement dans quelques-uns, et ces bancs coquilleux sont, pour ainsi dire, interposés entre les autres bancs, dont la pierre est uniquement composée de graviers et de détriments pierreux.

Par ces considérations, tirées de l’inspection même des objets, ne doit-on pas présumer, comme je l’ai ci-devant insinué, qu’il a fallu plus de temps à la nature que je n’en ai compté pour la formation de nos collines calcaires, puisqu’elles ne sont que les décombres immenses de ses premières constructions dans ce genre ? Seulement on pourrait se persuader que les matériaux de ces anciens rochers qui ont précédé les nôtres n’avaient pas acquis dans l’eau de la mer la même dureté que celle de nos pierres, et que, par leur peu de consistance, ils auront été réduits en sable et transportés aisément par le mouvement des eaux. Mais cela ne diminue que de très peu l’énormité du temps, puisqu’il a fallu que ces coquillages se soient habitués et qu’ils aient vécu et se soient multipliés sans nombre, avant d’avoir péri sur les lits où leurs dépouilles gisent aujourd’hui en bancs d’une si grande étendue et en masses aussi prodigieuses. Ceci même peut encore se prouver par les faits[11], car on trouve des bancs entiers quelquefois épais de plusieurs pieds, composés en totalité d’une seule espèce de coquillages, dont les dépouilles sont toutes couchées sur la même face et au même niveau : cette régularité dans leur position, et la présence d’une seule espèce, à l’exclusion de toutes les autres, semblent démontrer que ces coquilles n’ont pas été amenées de loin par les eaux, mais que les bancs où elles se trouvent se sont formés sur le lieu même, puisqu’en supposant les coquilles transportées, elle se trouveraient mêlées d’autres coquilles, et placées irrégulièrement en tous sens avec les débris pierreux amenés en même temps, comme on le voit dans plusieurs autres couches de pierre. La plupart de nos collines ne se sont donc pas formées par des dépôts successifs amenés par un mouvement uniforme et constant ; il faut nécessairement admettre des repos dans ce grand travail, des intervalles considérables de temps entre les dates de la formation de chaque banc, pendant lesquels intervalles certaines espèces de coquillages auront habité, vécu, multiplié sur ce banc, et formé le lit coquilleux qui le surmonte : il faut accorder encore du temps pour que d’autres sédiments de graviers et de matières pierreuses aient été transportés et amenés par les eaux pour recevoir ce dépôt de coquilles.

En ne considérant la nature qu’en général, nous avons dit que soixante-seize mille ans d’ancienneté suffisaient pour placer la suite de ses plus grands travaux sur le globe terrestre, et nous avons donné la raison pour laquelle nous nous sommes restreints à cette limite de durée, en avertissant qu’on pourrait la doubler, et même la quadrupler, si l’on voulait se trouver parfaitement à l’aise pour l’explication de tous les phénomènes. En effet, lorsqu’on examine en détail la composition de ces mêmes ouvrages, chaque point de cette analyse augmente la durée et recule les limites de ce temps trop immense pour l’imagination, et néanmoins trop court pour notre jugement.

Au reste, la pétrification a pu se faire au fond de la mer tout aussi facilement qu’elle s’opère à la surface de la terre : les marbres qu’on a tirés sous l’eau vers les côtes de Provence, les albâtres de Malte, les pierres des Maldives[12], les rochers calcaires durs qui se trouvent sur la plupart des hauts-fonds dans toutes les mers, sont des témoins irrécusables de cette pétrification sous les eaux. Le doute de quelques physiciens à cet égard était fondé sur ce que le suc pétrifiant[NdÉ 4] se forme sous nos yeux par la stillation des eaux pluviales dans nos collines calcaires, dont les pierres ont acquis, par un long dessèchement, leur solidité et leur dureté, au lieu que, dans la mer, ils présumaient qu’étant toujours pénétrées d’humidité, ces mêmes pierres ne pouvaient acquérir le dernier degré de leur consistance ; mais, comme je viens de le dire, cette présomption est démentie par les faits : il y a des rochers au fond des eaux tout aussi durs que ceux de nos terres les plus sèches ; les amas de graviers ou de coquilles d’abord pénétrés d’humidité, et sans cesse baignés par les eaux, n’ont pas laissé de se durcir avec le temps par le seul rapprochement et la réunion de leurs parties solides : plus elles se seront rapprochées, plus elles auront exclu les parties humides. Le suc pétrifiant, distillant continuellement de haut en bas, aura, comme dans nos rochers terrestres, achevé de remplir les interstices et les pores des bancs inférieurs de ces rochers sous-marins. On ne doit donc pas être étonné de trouver au fond des mers, à de très grandes distances de toute terre, de trouver, dis-je, avec la sonde des graviers calcaires aussi durs, aussi pétrifiés que nos graviers de la surface de la terre. En général, on peut assurer qu’il s’est fait, se fait et se fera partout une conversion successive de coquilles en pierres, de pierres en graviers et de graviers en pierres, selon que ces matières se trouvent remplies ou dénuées de cet extrait tiré de leur propre substance, qui seul peut achever l’ouvrage commencé par la force des affinités, et compléter celui de la pleine pétrification.

Et cet extrait sera lui-même d’autant plus pur et plus propre à former une masse plus solide et plus dure qu’il aura passé par un plus grand nombre de filières : plus il aura subi de filtrations depuis le banc supérieur, plus ce liquide pétrifiant sera chargé de molécules denses, parce que la matière des bancs inférieurs étant déjà plus dense, il ne peut en détacher que des parties de même densité. Nous verrons dans la suite que c’est à de doubles et triples filtrations qu’on doit attribuer l’origine de plusieurs stalactites du genre vitreux ; et quoique cela ne soit pas aussi apparent dans le genre calcaire, on voit néanmoins qu’il y a des spaths plus ou moins purs, et même plus ou moins durs, qui nous représentent les différentes qualités du suc pétrifiant dont ils ne sont que le résidu, ou, pour mieux dire, la substance même cristallisée et séparée de son eau superflue.

Dans les collines, dont les flancs sont ouverts par des carrières coupées à pic, l’on peut suivre les progrès et reconnaître les formes différentes de ce suc pétrifiant et pétrifié : on verra qu’il produit communément des concrétions de même nature que la matière à travers laquelle il a filtré ; si la colline est de craie et de pierre tendre sous la couche de terre végétale, l’eau, en passant dans cette première couche et s’infiltrant ensuite dans la craie, en détachera et entraînera toutes les molécules dont elle pourra se charger, et elle les déposera aux environs de ces carrières en forme de concrétions branchues et quelquefois fistuleuses, dont la substance est composée de poudre calcaire mêlée avec de la terre végétale, et dont les masses réunies forment un tuf plus léger et moins dur que la pierre ordinaire. Ces tufs ne sont en effet que des amas de concrétions, où l’on ne voit ni fentes perpendiculaires ni délits horizontaux, où l’on ne trouve jamais de coquilles marines, mais souvent de petits coquillages terrestres et des impressions de plantes, particulièrement de celles qui croissent sur le terrain de la colline même ; mais lorsque l’eau s’infiltre dans les bancs d’une pierre plus dure, il lui faut plus de temps pour en détacher des particules, parce qu’elles sont plus adhérentes et plus denses que dans la pierre tendre ; et dès lors les concrétions formées par la réunion de ces particules denses deviennent des congélations à peu près aussi solides que les pierres dont elles tirent leur origine ; la plupart seront même à demi transparentes, parce qu’elles ne contiennent que peu de matières hétérogènes en comparaison des tufs et des concrétions impures dont nous venons de parler ; enfin, si l’eau filtre à travers les marbres et autres pierres les plus compactes et les plus pétrifiées, les congélations ou stalactites seront alors si pures qu’elles auront la transparence du cristal. Dans tous les cas, l’eau dépose ce suc pierreux partout où elle peut s’arrêter et demeurer en repos, soit dans les fentes perpendiculaires, soit entre les couches horizontales des rochers[13], et, par ce long séjour entre ces couches, le liquide pétrifiant pénètre les bancs inférieurs et en augmente la densité[14].

On voit, par ce qui vient d’être exposé, que les pierres calcaires ne peuvent acquérir un certain degré de dureté qu’autant qu’elles sont pénétrées d’un suc déjà pierreux ; qu’ordinairement les premières couches des montagnes calcaires sont de pierre tendre, parce qu’étant les plus élevées, elles n’ont pu recevoir ce suc pétrifiant, et qu’au contraire elles l’ont fourni aux couches inférieures. Et lorsqu’on trouve de la pierre dure au sommet des collines, on peut s’assurer, en considérant le local, que ces sommets de collines ont été dans le commencement surmontés d’autres bancs de pierre, lesquels ensuite ont été détruits. Cet effet est évident dans les collines isolées, elles sont toujours moins élevées que les montagnes voisines, et, en prenant le niveau du banc supérieur de la colline isolée, on trouvera, à la même hauteur, dans les collines voisines, le banc correspondant et d’égale dureté, surmonté de plusieurs autres bancs dont il a reçu les sucs pétrifiants, et par conséquent le degré de dureté qu’il a conservé jusqu’à ce jour. Nous avons expliqué[15] comment les courants de la mer ont dû rabaisser les sommets de toutes les collines isolées, et il n’y a eu nul changement, nulle altération dans les couches de ces pierres depuis la retraite des mers, sinon dans celles où le banc supérieur s’est trouvé exposé aux injures de l’air, ou recouvert d’une trop petite épaisseur de terre végétale. Ce premier lit s’est en effet délité horizontalement et fendu verticalement, et c’est là d’où l’on tire ces pierres calcaires dures et minces, appelées laves en plusieurs provinces, et dont on se sert au lieu de tuile pour couvrir les maisons rustiques[16] ; mais, immédiatement au-dessous de ce lit de pierres minces, on retrouve les bancs solides et épais qui n’ont subi aucune altération, et qui sont encore tels qu’ils ont été formés par le transport et le dépôt des eaux de la mer.

En remontant de nos collines isolées aux carrières des hautes montagnes calcaires, dont les bancs supérieurs n’ont point été détruits, on observera partout que ces bancs supérieurs sont les plus minces, et que les inférieurs deviennent d’autant plus épais qu’ils sont situés plus bas : la cause de cette différence me paraît encore simple. Il faut considérer chaque banc de pierre comme composé de plusieurs petits lits stratifiés les uns sur les autres : or, à mesure que l’eau pénètre et descend à travers les masses de gravier ou de craie, elle se charge de plus en plus des molécules qu’elle en détache, et, dès qu’elle est arrêtée par un lit de pierre plus compact, elle dépose sur ce lit une partie des molécules dont elle était chargée, et entraîne le reste dans les pores et jusqu’à la surface inférieure de ce lit, et même sur la surface supérieure du lit au-dessous. L’épaisseur des deux lits augmente donc en même temps, et leurs surfaces se rapprochent pour ainsi dire par l’addition de cette nouvelle matière ; enfin ces petits lits se joignent et ne forment plus qu’un seul et même lit, qui se réunit de même à un troisième lit, en sorte que plus il y a de matière lapidifique amenée par la stillation des eaux, plus il se fait de réunions de petits lits, dont la somme fait l’épaisseur totale de chaque banc, et par conséquent cette épaisseur doit être plus grande dans les bancs inférieurs que dans les supérieurs, puisque c’est aux dépens de ceux-ci que leurs joints se remplissent et que leurs surfaces se réunissent.

Pour reconnaître évidemment ce produit du travail de l’eau, il ne faut que fendre une pierre dans le sens de son lit de carrière : en la divisant horizontalement, on verra que les deux surfaces intérieures qu’on vient de séparer sont réciproquement hérissées d’un très grand nombre de petits mamelons qui se correspondent alternativement, et qui ont été formés par le dépôt des stillations de l’eau ; la pierre délitée dans ce sens présente une cassure spathique qui est partout convexe et concave, et comme ondée de petites éminences, au lieu que la cassure dans le sens vertical n’offre aucun de ces petits mamelons, mais le grain seul de la pierre.

Comme ce travail de l’eau, chargée du suc pétrifiant, a commencé de se faire sur les pierres calcaires dès les premiers temps de leur formation, et qu’il s’est fait sous les eaux par l’infiltration de l’eau de la mer et sur la terre par la stillation des eaux pluviales, on ne doit pas être étonné de la grande quantité de matière spathique qui en est le produit : non seulement cette matière a formé le ciment de tous les marbres et des autres pierres dures, mais elle a pénétré et pétrifié chaque particule de la craie et des autres détriments immédiats des coquilles pour les convertir en pierre ; elle a même formé de nouvelles pierres en grandes masses, telles que les albâtres, comme nous le prouverons dans l’article suivant ; souvent cette matière spathique s’est accumulée dans les fentes et les cavités des rochers où elle se présente en petits volumes cristallisés et quelquefois en blocs irréguliers, qui par la finesse de leurs grains et le grand nombre de points brillants qu’ils offrent à la cassure démontrent leur origine et leur composition toujours plus ou moins pure, à mesure que cette matière spathique y est plus ou moins abondante.

Ce spath, cet extrait le plus pur des substances calcaires, est donc le ciment de toutes les pierres de ce genre, comme le suc cristallin, qui n’est qu’un extrait des matières vitreuses, est aussi le ciment de toutes les pierres vitreuses de seconde et de troisième formation ; mais, indépendamment de ces deux ciments, chacun analogue aux substances qu’ils pénètrent, et dont ils réunissent et consolident les parties intégrantes, il y a une autre sorte de gluten ou ciment commun aux matières calcaires et aux substances formées des débris de matières vitreuses, dont l’effet est encore plus prompt que celui du suc pétrifiant, calcaire ou vitreux. Ce gluten est le bitume qui, dès le premier temps de la mort et de la décomposition des êtres organisés, s’est formé dans le sein de la terre, et a imprégné les eaux de la mer, où il se trouve quelquefois en grande quantité. Il y a de certaines plages voisines des côtes de la Sicile, près de Messine, et de celles de Cadix, en Espagne[17], où l’on a observé qu’en moins d’un siècle les graviers, les petits cailloux et les sables, de quelque nature qu’ils soient, se réunissent en grandes masses dures et solides, et dont la pétrification sous l’eau ne fait que s’augmenter et se consolider de plus en plus avec le temps ; nous en parlerons plus en détail lorsqu’il sera question des pierres mélangées de détriments calcaires et de débris vitreux ; mais il est bon de reconnaître d’avance l’existence de ces trois glutens ou ciments différents, dont le premier et le second, c’est-à-dire le suc cristallin et le suc spathique réunis au bitume, ont augmenté la dureté des pierres de ces deux genres lorsqu’elles se sont formées sous l’eau : ce dernier ciment paraît être celui de la plupart des pierres schisteuses, dans lesquelles il est souvent assez abondant pour les rendre inflammables ; et quoique la présence de ce ciment ne soit pas évidente dans les pierres calcaires, l’odeur qu’elles exhalent lorsqu’on les taille indique qu’il est entré de la matière inflammable dans leur composition.

Mais revenons à notre objet principal, et après avoir considéré la formation et la composition des pierres calcaires, suivons en détail l’examen des variétés de la nature dans leur décomposition : après avoir vu les coupes perpendiculaires des rochers dans les carrières, il faut aussi jeter un coup d’œil sur les pierres errantes qui s’en sont détachées, et dont il y a trois espèces assez remarquables. Les pierres de la première sorte sont des blocs informes qui se trouvent communément sur la pente des collines et jusque dans les vallons ; le grain de ces pierres est fin et semé de points brillants sans aucun mélange ni vestige de coquilles ; l’une des surfaces de ces blocs est hérissée de mamelons assez longs, la plupart figurés en cannelures et comme travaillés de main d’homme, tandis que les autres surfaces sont unies : on reconnaît donc évidemment le travail de l’eau sur ces blocs, dont la surface cannelée portait horizontalement sur le banc duquel ils ont été détachés ; leur composition n’est qu’un amas de congélations grossières faites par les stillations de l’eau à travers une matière calcaire tout aussi grossière.

Les pierres de la seconde sorte ne sont pas des blocs informes ; ils affectent au contraire des figures presque régulières : ces blocs ne se trouvent pas communément sur la pente des collines ni dans leurs vallons, mais plutôt dans les plaines au-dessus des montagnes calcaires, et la substance dont ils sont composés est ordinairement blanche ; les uns sont irrégulièrement sphériques ou elliptiques, les autres hémisphériques, et quelquefois on en trouve qui sont étroits dans leur milieu, et qui ressemblent à deux moitiés de sphères réunies par un collet : ces sortes de blocs figurés présentent encore la forme de la substance des astroïtes, cerveaux de mer, etc., dont ils ne sont que les masses entières ou les fragments ; leurs rides et leurs pores ont été remplis d’une matière blanche toute semblable à celle de ces productions marines. Les stries et les étoiles que l’on voit à la surface de plusieurs de ces blocs ne laissent aucun doute sur la première nature de ces pierres, qui n’étaient d’abord que des masses coquilleuses produites par les polypes et autres animaux de même genre, et qui dans la suite, par l’addition et la pénétration du suc extrait de ces mêmes substances, sont devenues des pierres solides et même sonores.

La troisième espèce de ces pierres en blocs et en débris se trouve comme la première sur la pente des montagnes calcaires et même dans leurs vallons ; ces pierres sont plates comme le moellon commun, et presque toujours renflées dans leur milieu et plus minces sur les bords comme sont les galets ; toutes sont colorées de gris foncé ou de bleu dans cette partie du milieu qui est toujours environnée d’une substance pierreuse blanchâtre, qui sert d’enveloppe à tous ces noyaux colorés[18], et qui a été formée postérieurement à ces noyaux ; néanmoins ils ne paraissent pas être d’une formation aussi ancienne que ceux de la seconde sorte, car ils ne contiennent point de coquilles ; leur couleur et les points brillants dont leur substance est parsemée indiquent qu’ils ont d’abord été formés par une matière pierreuse imprégnée de fer ou de quelque autre minéral qui les a colorés, et qu’après avoir été séparés des rochers où ils se sont formés, ils ont été roulés et aplatis en forme de galets, et qu’enfin ce n’est qu’après tous ces mouvements et ces altérations qu’ils ont été saisis de nouveau par le liquide pétrifiant qui les a tous enveloppés séparément et quelquefois réunis ensemble ; car on trouve de ces pierres à noyau coloré non seulement en gros blocs, mais même en grands bancs de carrières, qui toutes sont situées sur la pente et au pied des montagnes ou collines calcaires, dont ces blocs ne sont que les plus anciens débris.

On trouve encore sur les pentes douces des collines calcaires dans les champs cultivés une grande quantité de pétrifications de coquilles et de crustacés entières et bien conservées, que le soc de la charrue a détachées et enlevées du premier banc qui gît immédiatement sous la couche de terre végétale ; cela s’observe dans tous les lieux où ce premier banc est d’une pierre tendre et gelisse ; les morceaux de moellon que le soc enlève se réduisent en graviers et en poussière au bout de quelques années d’exposition à l’air, et laissent à découvert les pétrifications qu’ils contenaient et qui étaient auparavant enveloppées dans la matière pierreuse : preuve évidente que ces pétrifications sont plus dures et plus solides que la matière qui les environnait, et que la décomposition de la coquille a augmenté la densité de la portion de cette matière qui en a rempli la capacité intérieure ; car ces pétrifications en forme de coquilles, quoique exposées à la gelée et à toutes les injures de l’air, y ont résisté sans se fendre ni s’égrener, tandis que les autres morceaux de pierre enlevés du même banc ne peuvent subir une seule fois l’action de la gelée sans s’égrener ou se diviser en écailles. On doit donc, dans ce cas, regarder la décomposition de la coquille comme la substance spathique qui a augmenté la densité de la matière pierreuse contenue et moulée dans son intérieur, laquelle, sans cette addition de substance tirée de la coquille même, n’aurait pas eu plus de solidité que la pierre environnante[19]. Cette remarque vient à l’appui de toutes les observations par lesquelles on peut démontrer que l’origine des pierres en général et de la matière spathique en particulier doit être rapportée à la décomposition des coquilles par l’intermède de l’eau. J’ai de plus observé que l’on trouve assez communément une espèce de pétrification dominante dans chaque endroit, et plus abondante qu’aucune autre : il y aura, par exemple, des milliers de cœurs de bœuf (bucardites) dans un canton, des milliers de cornes d’Ammon dans un autre, autant d’oursins dans un troisième, souvent seuls, ou tout au plus accompagnés d’autres espèces en très petit nombre ; ce qui prouve encore que la matière des bancs où se trouvent ces pétrifications n’a pas été amenée et transportée confusément par le mouvement des eaux, mais que certains coquillages se sont établis sur le lit inférieur, et qu’après y avoir vécu et s’être multipliés en grand nombre, ils y ont laissé leurs dépouilles.

L’on trouve encore sur la pente des collines calcaires de gros blocs de pierres calcaires grossières, enterrées à une petite profondeur, qu’on appelle vulgairement des pierres à four parce qu’elles résistent sans se fendre aux feux de nos fours et fourneaux, tandis que toutes les autres pierres qui résistent à la gelée et au plus grand froid ne peuvent supporter ce même degré de feu sans s’éclater avec bruit : communément, les pierres légères, poreuses, et gelisses peuvent être chauffées jusqu’au point de se convertir en chaux sans se casser, tandis que les plus pesantes et les plus dures sur lesquelles la gelée ne fait aucune impression ne peuvent supporter la première action de ce même feu. Or, notre pierre à four est composée de gros graviers calcaires détachés des rochers supérieurs, et qui, se trouvant recouverts par une couche de terre végétale, se sont fortement agglutinés par leurs angles sans se joindre de près, et ont laissé entre eux des intervalles que la matière spathique n’a pas remplis ; cette pierre, criblée de petits vides, n’est en effet qu’un amas de graviers durs, dont la plupart sont colorés de jaune ou de rougeâtre, et dont la réunion ne paraît pas s’être faite par le suc spathique ; car on n’y voit aucun de ces points brillants qui le décèlent dans les autres pierres auxquelles il sert de ciment : celui qui lie les grains de ce gros gravier de la pierre à four n’est pas apparent, et peut-être est-il d’une autre nature ou en moindre quantité que le ciment spathique ; on pourrait croire que c’est un extrait de la matière ferrugineuse qui a lié ces grains en même temps qu’elle leur a donné la couleur[20], ou bien ce ciment, qui n’a pu se former que par la filtration de l’eau pluviale à travers la couche de terre végétale, est un produit de ces mêmes parties ferrugineuses et pyriteuses, provenant de la dissolution des pyrites qui se sont effleuries par l’humidité dans cette terre végétale ; car cette pierre à four, lorsqu’on la travaille, répand une odeur de soufre encore plus forte que celle des autres pierres. Quoi qu’il en soit, cette pierre à four, dont les grains sont gros et pesants, et dont la masse est néanmoins assez légère par la grandeur de ses vides, résiste sans se fendre au feu où les autres s’éclatent subitement : aussi l’emploie-t-on de préférence pour les âtres des fourneaux, les gueules de four, les contre-cœurs de cheminée, etc.

Enfin l’on trouve, au pied et sur la pente douce des collines calcaires, d’autres amas de gravier ou d’un sable plus fin, dans lesquels il s’est formé plusieurs lits de pierres inclinées suivant la pente du terrain, et qui se délitent très aisément selon cette même inclinaison : ces pierres ne contiennent point de coquilles et sont évidemment d’une formation nouvelle ; leurs bancs inclinés n’ont guère plus d’un pied d’épaisseur et se divisent aisément en moellons plats, dont les deux surfaces sont unies ; ces pierres parasites ont été nouvellement formées par l’agrégation de ces sables ou graviers, et elles ne sont ni dures ni pesantes, parce qu’elles n’ont pas été pénétrées du suc pétrifiant, comme les pierres anciennes qui sont posées sous des bancs d’autres pierres.

La dureté, la pesanteur et la résistance à l’action de la gelée dans les pierres, dépend donc principalement de la grande quantité de suc lapidifique dont elles sont pénétrées ; leur résistance au feu suppose au contraire des pores très ouverts et même d’assez grands vides entre leurs parties constituantes ; néanmoins plus les pierres sont denses, plus il faut de temps pour les convertir en chaux : ce n’est donc pas que la pierre à four se calcine plus difficilement que les autres, ce n’est pas qu’elle ne se réduise également en chaux, mais c’est parce qu’elle se calcine sans se fendre, sans s’écailler ni tomber en fragments, qu’elle a de l’avantage sur les autres pierres pour être employée aux fours et aux fourneaux, et il est aisé de voir pourquoi ces pierres en se calcinant ne se divisent ni ne s’égrènent ; cela vient de ce que les vides, disséminés en grand nombre dans toute leur masse, donnent à chaque grain, dilaté par la chaleur, la facilité de se gonfler, s’étendre et occuper plus d’espace sans forcer les autres grains à céder leur place, au lieu que dans les pierres pleines, la dilatation causée par la chaleur ne peut renfler les grains sans faire fendre la masse en d’autant plus d’endroits qu’elle sera plus solide.

Ordinairement les pierres tendres sont blanches, et celles qui sont plus dures ont des teintes de quelques couleurs ; les grises et les jaunâtres, celles qui ont une nuance de rouge, de bleu, de vert, doivent toutes ces couleurs au fer ou à quelque autre minéral qui est entré dans leur composition ; et c’est surtout dans les marbres que l’on voit toutes les variétés possibles des plus belles couleurs : les minéraux métalliques ont teint et imprégné la substance de toutes ces pierres colorées dès le premier temps de leur formation ; car la pierre rousse même, dont on attribue la couleur aux parties ferrugineuses de la couche végétale, se trouve souvent fort au-dessous de cette couche et surmontée de plusieurs bancs qui n’ont point de couleur ; il en est de même de la plupart des marbres colorés ; c’est dans le temps de leur formation et de leur première pétrification qu’ils ont reçu leurs couleurs, par le mélange du fer ou de quelque autre minéral ; et ce n’est que dans des cas particuliers, et par des circonstances locales que certaines pierres ont été colorées par la stillation des eaux à travers la terre végétale.

Les couleurs, surtout celles qui sont vives ou foncées, appartiennent donc aux marbres et aux autres pierres calcaires d’ancienne formation ; et lorsqu’elles se trouvent dans des pierres de seconde et de troisième formation, c’est qu’elles y ont été entraînées avec la matière même de ces pierres par la stillation des eaux. Nous avons déjà parlé de ces carrières en lieu bas qui se sont formées aux dépens des rochers plus élevés ; les pierres en sont communément blanches, et il n’y a que celles qui sont mêlées d’une petite quantité d’argile ou de terre végétale qui soient colorées de jaune ou de gris. Ces carrières de nouvelle formation sont très communes dans les vallées et dans le voisinage des grandes rivières, et il est aisé d’en reconnaître l’origine et de suivre les progrès de leur établissement depuis le sommet des montagnes calcaires jusqu’aux plaines les plus basses[21].

On trouve quelquefois dans ces carrières de nouvelle formation des lits d’une pierre aussi dure que celle des bancs anciens dont elle tire son origine ; cela dépend, dans ces nouvelles carrières, comme dans les anciennes, de l’épaisseur des lits superposés : les inférieurs recevant le suc pierreux des lits supérieurs, prendront tous les degrés de dureté et de densité à mesure qu’ils en seront pénétrés ; mais les pierres qui se trouvent dans les plaines ou dans les vallées voisines des grandes rivières disposées en lits horizontaux ou inclinés, n’ont été formées que des sédiments de craie ou de poussière de pierre, qui primitivement ont été détachés des rochers, et atténués par le mouvement et l’impression de l’eau ; ce sont les torrents, les ruisseaux et toutes les eaux courantes sur la terre découverte, qui ont amené ces poudres calcaires dans les vallées et les plaines, et qui souvent y ont mêlé des substances de toute nature ; on ne trouve jamais de coquilles marines dans ces pierres, mais souvent des coquilles fluviatiles et terrestres[22] ; on y a même trouvé des morceaux de fer[23] et de bois[24] travaillés de main d’homme ; nous avons vu du charbon de bois dans quelques-unes de ces pierres, ainsi l’on ne peut douter que toutes les carrières en lieu bas ne soient d’une formation moderne, qu’on doit dater depuis que nos continents, déjà découverts, ont été exposés aux dégradations de leurs parties même les plus solides, par la gelée et par les autres injures des éléments humides. Au reste, toutes les pierres de ces basses carrières ne présentent qu’un grain plus ou moins fin et très peu de ces points brillants qui indiquent la présence de la matière spathique : aussi sont-elles ordinairement plus légères et moins dures que la pierre des hautes carrières, dans lesquelles les bancs inférieurs sont de la plus grande densité.

Et cette matière spathique, qui remplit tous les vides et s’étend dans les délits et dans les couches horizontales des bancs de pierre, s’accumule aussi le long de leurs fentes perpendiculaires ; elle commence par en tapisser les parois, et peu à peu elle les recouvre d’une épaisseur considérable de couches additionnelles et successives ; elle y forme des mamelons, des stries, des cannelures creuses et saillantes, qui souvent descendent d’en haut jusqu’au point le plus bas, où elle se réunit en congélations, et finit par remplir quelquefois en entier la fente qui séparait auparavant les deux parties du rocher. Cette matière spathique, qui s’accumule dans les cavités et les fentes des rochers, n’est pas ordinairement du spath pur, mais mélangé de parties pierreuses plus grossières et opaques ; on y reconnaît seulement le spath par les points brillants qui se trouvent en plus ou moins grande quantité dans ces congélations.

Et lorsque ces points brillants se multiplient, lorsqu’ils deviennent plus gros et plus distincts, ils ressemblent par leur forme à des grains de sel marin : aussi les ouvriers donnent aux pierres revêtues de ces cristallisations spathiques le nom impropre de pierres de sel. Ce ne sont pas toujours les pierres les plus dures, ni celles qui sont composées de gravier, mais celles qui contiennent une très grande quantité de coquilles et de pointes d’oursins, qui offrent cette espèce de cristallisation en forme de grains de sel, et l’on peut observer qu’elle paraît être toujours en plus gros grains sur la surface qu’à l’intérieur de ces pierres, parce que les grains dans l’intérieur sont toujours liés ensemble.

Ce suc pétrifiant qui pénètre les pierres des bancs inférieurs, qui en remplit les cavités, les joints horizontaux et les fentes perpendiculaires, ne provenant que de la décomposition de la matière des bancs supérieurs, doit, en s’en séparant, y causer une altération sensible : aussi remarque-t-on dans la pierre des premiers bancs des carrières, qu’elle a éprouvé des dégradations ; on n’y voit qu’un très petit nombre de points brillants ; elle se divise en petits morceaux irréguliers, minces, assez légers, et qui se brisent aisément. L’eau, en passant par ces premiers bancs, a donc enlevé les éléments du ciment spathique qui liait les parties de la pierre, et en même temps elle en a détaché une grande quantité d’autre matière pierreuse plus grossière, et c’est de ce mélange qu’ont été composées toutes les congélations opaques qui remplissent les cavités des rochers ; mais lorsque l’eau chargée de cette même matière passe à travers un second filtre, en pénétrant la pierre des bancs inférieurs dont le tissu est plus serré, elle abandonne et dépose en chemin ces parties grossières, et alors les stalactites qu’elle forme sont du vrai spath pur, homogène et transparent. Nous verrons ci-après que, dans les pierres vitreuses comme dans les calcaires, la pureté des congélations dépend du nombre des filtrations qu’elles ont subies, et de la ténuité des pores dans les matières qui ont servi de filtre.


Notes de Buffon
  1. « N’y aurait-il pas des pierres de troisième et peut-être de quatrième formation ? Les carrières qui se trouvent dans les plaines à de grandes distances des montagnes, et dont la pierre est si différente de celle d’ancienne formation, semblent annoncer plusieurs décompositions, et conséquemment plusieurs formations.

    » Les carrières de seconde formation, non seulement ne sont pas aussi étendues que les anciennes carrières, mais elles sont toujours placées au-dessous des montagnes dominantes ; elles sont plus proches de la surface de la terre ; leurs bancs réunis ont moins d’épaisseur que les carrières de première formation. Ces carrières plus nouvelles contiennent rarement plus d’un ou deux bancs : on en voit, comme celles d’Asnières, à deux lieues de Dijon, sur la route d’Is-sur-Tille, où il n’y a qu’un seul banc de cinq à six toises d’épaisseur, sans aucuns lits, et presque sans joints perpendiculaires.

    » La petite montagne où se trouve cette carrière est plus basse que la chaîne qui traverse la Bourgogne du nord au sud ; elle est isolée et séparée de cette chaîne par le vallon de Vanton.

    » La carrière d’Is-sur-Tille ressemble beaucoup à celle d’Asnières, excepté qu’elle a le grain moins fin ; elle est de même dans un monticule, isolée et séparée de la grande chaîne par un vallon assez profond : il se trouve dans cette pierre quelques cavités remplies d’un spath fort dur et transparent. La pierre d’Asnières, qui est éloignée de trois lieues de celles-ci, n’offre pas les mêmes accidents ; elle est d’une pâte plus douce, plus blanche, et d’un grain plus fin ; il n’y a aucun lit marqué dans la carrière d’Is-sur-Tille, où l’on coupe la pierre à volonté, de toute longueur et épaisseur.

    » La carrière de Tonnerre est située comme les deux précédentes : cette pierre a le grain encore plus fin, mais plus compact que celle des deux premières.

    » La carrière des Montots, située à Puligny, près Clugny, est encore de même nature que les précédentes ; elle est située au pied de la chaîne de montagnes qui traverse la Bourgogne, mais elle n’est pas isolée : la pierre est rousse, parfaitement pleine, plus dure, mais d’un grain aussi fin que celle des carrières précédentes ; les bancs ont une très grande épaisseur, et elle est très propre pour la sculpture. » Note communiquée par M. Dumorey, ingénieur du Roi et en chef de la province de Bourgogne.

  2. Dans une carrière de cette espèce, dont la pierre est blanche et d’un grain assez fin, située à Condat, près d’Agen, on trouve non seulement des pyrites, mais du charbon de bois brûlé qui a conservé sa nature de charbon ; voici ce que m’en a écrit M. de la Ville de Lacépède, par sa lettre du 7 novembre 1776 : « La carrière de Condat, autant qu’on en peut juger, occupe un arpent de terre et paraît s’étendre à une assez grande profondeur, quoiqu’elle n’ait été encore exploitée qu’à celle de deux ou trois toises : les couches supérieures sont fort minces et divisées par un grand nombre de fentes perpendiculaires ; elles sont moins dures que celles qui sont situées plus bas ; cette pierre ne contient aucune impression de coquilles, mais elle renferme plusieurs matières hétérogènes, comme du silex, entre les couches et même dans les fentes perpendiculaires, des pyrites qui sont comme incorporées avec la substance de la pierre, et enfin des morceaux de charbon. Vous pourrez, Monsieur, voir par vous-même la manière dont ces matières étrangères y sont renfermées, en jetant les yeux sur les morceaux demandés… J’ai trouvé aussi des pyrites enchâssées dans des pierres d’une carrière voisine de celle de Condat, ayant la même composition intérieure et ne contenant point de coquilles ; ces deux carrières occupent les deux côtés d’un très petit vallon qui les sépare, et sont à peu près à la même hauteur… et toutes deux sont situées au bas de plusieurs montagnes, dont les sommets sont composés de pierres calcinables d’ancienne formation, et d’un grain bien moins fin que celui des pierres de Condat, qui seules ont cette blancheur éclatante, et cette facilité à recevoir un beau poli qui les fait employer à la place du marbre. »
  3. M. de la Hire fils a reconnu dans une carrière peu fréquentée proche la fausse porte Saint-Jacques, dont toute la hauteur avait peut-être vingt pieds, que toute cette hauteur n’était pas de pierre, mais était interrompue par des lits moins hauts que ceux de la pierre et à peu près également horizontaux, et de la même couleur, mais d’une matière beaucoup plus tendre, grasse, et qui ne se durcit point à l’air comme fait la pierre tendre : on l’appelle bousin. Il s’en trouve dans toutes les carrières des environs de Paris : il faut, selon M. de la Hire, que des ravines d’eau aient charrié en certains temps, pendant un hiver par exemple, différentes matières qui se sont arrêtées dans un fond ; là, étant en repos, les plus pesantes se sont précipitées et auront formé un lit de pierre, et les plus légères seront demeurées au-dessus et auront fait le bousin ; une seconde ravine, survenue pendant un autre hiver sur ces deux lits formés et desséchés, en aura fait deux autres pareils, et ainsi de suite jusqu’à ce que le fond où tout s’assemblait ait été comblé. Histoire de l’Académie des sciences.
  4. « J’ai suivi, dit M. l’abbé de Sauvages, une chaîne depuis Montmoirac jusqu’à Rousson, ce qui fait une étendue d’environ deux lieues ; elle se distingue des autres par la forme de ses pierres et par leur arrangement ; les rochers de ces montagnes et de ces coteaux ne sont point par lits, ils sont entièrement formés de tas immenses de pierres à chaux de différentes grosseurs, toutes arrondies, d’un grain extrêmement fin, serré, et si bien lié qu’en choquant ces pierres elles tintent pour l’ordinaire ; celles qui se trouvent vers la surface du rocher sont peu liées entre elles ; mais, pour peu qu’on creuse, on trouve que tous les vides qui les séparent sont exactement remplis d’une terre dont le grain est plus grossier que celui des pierres : cette terre a été si bien durcie qu’elle ne fait avec les pierres arrondies qu’une même masse, dont on ne détache des blocs qu’au moyen de la mine.

    » On voit à la cassure de ces rochers que la terre qui lie les différents morceaux est partout roussâtre ; mais les morceaux eux-mêmes sont de différentes couleurs, ce qui donnerait, si cette pierre était taillée et polie, une assez belle espèce de brèche.

    » Ce rocher de cailloutages, connu à Alais sous le nom d’amenla, est de la nature des pierres calcaires ou des marbres, et fait la plus excellente de toutes les chaux, d’une tenue prompte et très forte, et qu’on recherche pour bâtir dans l’eau ; cette chaux demande une plus longue cuite que les autres, surtout si on emploie les pierres détachées qui ont été longtemps exposées à l’air, ne fussent-elles que de la grosseur d’un œuf de poule ; si on ne les casse en deux, on a beau les faire rougir dans le four à chaux pendant vingt-quatre heures, comme à l’ordinaire, elles sont trop réfractaires pour se calciner ; elles ne fusent point à l’eau, ou ne se détrempent jamais bien.

    » Le rocher d’amenla ne va pas à une grande profondeur, comme ceux des autres chaînes ; on en voit dans quelques ravins les fondements ou la base, qui se trouve souvent mêlée de couches d’un rocher jaunâtre de pierre morte : ce rocher sur lequel porte l’amenla est fort commun dans tous les endroits par où passe notre chaîne ; il est assez dur dans la carrière, mais il s’éclate et se calcine pour peu qu’il ait été à l’air, et cela parce qu’il est fort poreux et qu’il n’est point pénétré de sucs pierreux. En conséquence, sa cassure est mate, et n’a point de ces grains luisants qui sont communs à toutes les pierres à chaux ; aussi, lorsqu’on les met cuire ensemble, ces pierres mortes ne donnent que de la terre…

    » Ce rocher porte toutes les marques d’un bouleversement et d’un désordre qui a confondu les pierres avec les coquillages qu’on trouve indifféremment répandus dans toute l’épaisseur du rocher, et dans les endroits les plus profonds où sa base aboutit.

    » C’est principalement de ce désordre et de la forme arrondie des pierres que j’ai conjecturé : 1o  que la pétrification des morceaux arrondis du rocher d’amenla et des coquillages qui s’y trouvent mêlés est de beaucoup antérieure à celle de la terre qui les lie les uns avec les autres ; 2o  que tout le rocher est étranger, pour ainsi dire, dans la place qu’il occupe ; 3o  que les pierres d’amenla paraissent s’être arrondies en roulant confusément les unes sur les autres, de même façon que les galets de la mer ou des rivières. Qu’on examine les raisons que j’en rapporte, pour juger si je fais des suppositions trop violentes.

    » 1o  La terre qui lie les pierres d’amenla de différentes couleurs est elle-même d’une couleur toujours uniforme et d’un grain plus grossier ; cette terre n’est jamais si bien pétrifiée qu’à la fin elle ne se gerce et ne se calcine à l’air lorsqu’elle y est restée longtemps exposée : aussi la surface des rochers d’amenla où l’on n’a pas touché est toute soulevée en morceaux détachés, tandis que les pierres arrondies, ou l’amenla proprement dit, reste entier et n’en devient que plus dur…

    » C’est à cette cause qu’il faut attribuer la facilité que les couches d’un rocher ont de se séparer les unes des autres, et c’est ce qui me fait conclure que notre rocher est le produit de deux pétrifications faites en des temps différents, d’abord celle des pierres arrondies ou des amenlas, et ensuite celle de la terre qui les lie.

    » 2o  Dans la cassure d’un bloc, composé de plusieurs amenlas liés par une terre durcie, j’ai vu souvent des veines blanches de suc pierreux qui traversent un morceau arrondi d’amenla ; mais ces veines ne s’étendent point au delà dans la terre pétrifiée, qui n’est veinée dans aucun endroit : la veine du caillou n’a point de suite, elle se termine nettement à ses bords ; c’est ce que j’ai remarqué depuis dans un grand nombre de ces espèces de marbres appelés brèches, qui sont dans le cas de nos amenlas.

    » Cette observation prouve non seulement que la pétrification de nos pierres arrondies et de la terre qui les lie n’a pas été faite ni dans un même lieu ni dans un même temps, car autrement la veine blanche traverserait indifféremment tout le bloc, et passerait de la pierre arrondie dans la terre qui est durcie autour ; mais elle indique encore que les pierres d’amenla, aujourd’hui arrondies, et probablement anguleuses autrefois, sont des morceaux détachés d’une plus grosse masse, parce que dans tous les rochers à chaux traversés par des veines de suc pierreux, ces veines parcourent une assez grande étendue avant de se terminer, et elles ne se terminent communément qu’en s’amortissant en une pointe insensible qui se perd dans le rocher. Les veines ne sont coupées nettement et avec toute leur largeur que dans les morceaux détachés ; c’est ce qu’on voit au moins tous les jours dans nos rochers à chaux et dans tous les marbres veinés : nos amenlas seraient-ils les seuls exceptés de la loi commune ? Les veines, tant celles des morceaux qui sont détachés que celles des morceaux qui sont liés en un bloc, montrent qu’ils ont fait partie d’un autre rocher, et que ces morceaux n’ont point toujours été isolés : ceux qui sont accoutumés à voir les pierres en philosophes, et qui en ont beaucoup manié le marteau à la main, sentiront mieux que les autres la force de cette preuve.

    » 3o  Les coquillages fossiles de cette chaîne sont partout confondus avec la pierre d’amenla jusqu’à la pierre morte qui leur sert de base ; mais ils ne vont point au delà, ce qui est une assez forte présomption pour croire que les coquillages et les amenlas ont été portés ou plutôt roulés d’ailleurs sur ce terrain, et qu’ils y sont pour ainsi dire dépaysés.

    » 4o  Nos amenlas sont arrondis comme des galets de rivières ; ils ne sont que de la grosseur des pierres qu’elles entraînent ; ils sont enfin de grains et de couleurs différentes : peut-on méconnaître à ces caractères un ramassis de pierres qui ont appartenu originairement à différents rochers de montagnes éloignées les unes des autres ? Ces pierres ont été entraînées dans un même endroit, loin de leur première place, comme celles qu’on trouve dans les lits des torrents, des rivières, ou sur le rivage de la mer.

    » Ce que je viens de dire indique déjà que l’état primitif de nos amenlas était d’être anguleux, et que leur forme arrondie est l’effet du frottement qu’ils ont éprouvé en roulant.

    » On peut cependant objecter contre ce fait que je prétends établir que la rondeur de ces pierres peut tenir à d’autres causes ; que les géodes, par exemple, et presque tous les cailloux de pierre à fusil, sont naturellement arrondis, sans qu’on puisse raisonnablement attribuer cette forme à aucun frottement, parce que ces dernières pierres en particulier ont une croûte blanchâtre et opaque, qui semble avoir toujours terminé leur surface, sans avoir souffert aucune altération.

    » Mais je demanderai sur cela, si cette croûte se trouvait enclavée dans quelques-uns de ces cailloux, si elle paraissait visiblement plus usée dans certains côtés plus exposés que dans d’autres qui le sont moins, la preuve ou la présomption du frottement ou du roulement ne serait-elle pas bien forte ? Heureusement nous l’avons tout entière pour nos amenlas, et nous la trouvons d’une manière incontestable dans les coquilles fossiles de cette chaîne, qui ont sans doute éprouvé une agitation commune avec les autres pierres qui la composent.

    » En effet, la plupart des huîtres de cette chaîne se sont arrondies, leurs angles les plus saillants ont été emportés, etc., etc. » Mémoire de M. de Sauvages, dans ceux de l’Académie royale des sciences de Paris, année 1746, p. 723 jusqu’à 728.

  5. Dans le Rhône et dans les rivières et ruisseaux qui descendent du mont Jura, dont tous les contours sont de pierres calcaires jusqu’à une grande hauteur, on trouve une très grande quantité de ces pierres calcaires arrondies à plusieurs lieues de distance de ces montagnes.
  6. Il est à propos de remarquer qu’il y a certains fossiles qui procurent aux pierres une plus grande dureté que celle qui leur est propre, lorsqu’ils se trouvent mêlés dans une certaine proportion avec les matières lapidifiques : telles sont les terres minérales ferrugineuses, limoneuses, argileuses, etc., qui, quoique d’un autre genre, s’unissent entre elles ; c’est ainsi que le mortier, fait avec de gros sable vitrifiable et de la chaux, a plus de force, plus de cohésion que celui dans lequel il n’est entré que de la chaux et du gravier calcaire, et j’ai éprouvé plusieurs fois que de la chaux vive, fondue dans des vaisseaux de verre, s’attachait si fortement à leurs parois qu’il était impossible de les nettoyer et de l’en séparer qu’avec l’eau-forte ; c’est pour cela que les pierres rousses, jaunes, grises, noires, rouges, bleuâtres, etc., et tous les marbres sont ordinairement toujours plus durs que les pierres blanches. (Note communiquée par M. Nadault.)
  7. M. Dumorey, habile ingénieur et constructeur très expérimenté, m’a donné quelques remarques sur ce sujet. « J’ai, m’a-t-il dit, constamment observé que les pierres gelisses se fendent parallèlement à leur lit de carrière, et très rarement dans le sens vertical ; celle dont le grain est lisse et luisant est plus sujette à geler que la pierre dont le grain paraît rond, ou plutôt grenu.

    » On peut tenir pour certain que, plus le grain de la pierre est aplati et luisant dans ses fractures, et plus cette pierre est gelisse : toutes les carrières de Bourgogne que j’ai observées portent ce caractère ; il est surtout très sensible dans celles où il se trouve entre plusieurs bancs gelisses un seul qui soit exempt de ce défaut, comme on peut l’observer à la carrière de Saint-Siméon, à la porte d’Auxerre, et dans les carrières de Givry, près Chalon-sur-Saône, où la pierre qui reçoit le poli gèle, et celle dont le grain est rond et ne peut se polir ne gèle point. Je présume que cette différence vient de ce que l’expansion de l’eau gelée se fait plus aisément entre les interstices des grains de la pierre, qu’elle ne peut se faire entre les lames de celles qui sont formées par des couches horizontales très minces, ce qui les rend luisantes et naturellement polies dans leurs fractures. »

  8. Le poids des pierres calcaires les plus denses n’excède guère deux cents livres le pied cube, et celui des moins denses cent soixante-quinze livres ; toutes les pierres gelisses approchent plus de cette dernière limite que de la première.
  9. Les différents degrés de dureté des pierres et la résistance plus ou moins grande qu’elles opposent à l’effet de la gelée ne dépendent pas toujours de leur densité ; il y a des pierres très pesantes et très dures dont le grain est très fin, telles que l’albâtre, les marbres blancs, qui sont cependant très tendres ; il y en a d’autres à gros grains aussi très compactes, dans lesquelles on aperçoit même quantité de facettes brillantes, mais qui cependant n’ont qu’une médiocre dureté, et que la gelée fait éclater lorsqu’elles s’y trouvent exposées avant que d’avoir été suffisamment desséchées… Les pierres que la gelée fait éclater s’imbibent d’eau et sont poreuses ; mais ce n’est pas seulement parce qu’elles sont poreuses que la gelée les décompose avec le temps, il s’en trouve qui le sont autant que les pierres ponces, et qui résistent cependant comme celles-ci aux plus fortes gelées, parce que la qualité du gravier dont elles sont formées et du ciment qui les lie est telle que la force d’expansion de l’eau gelée dans leurs interstices n’en peut forcer la résistance ; les pierres que la gelée fait fendre et éclater, ou sont produites par une terre crétacée qui n’a d’autre adhérence que celle que lui procure le dessèchement et la juxtaposition de ses parties constituantes, et dont le grain n’est presque point apparent, ou elles sont formées de graviers extrêmement fins roulés et arrondis, qui, vus de près, ressemblent à des œufs de poisson unis par une poussière pierreuse, ce qui a fait donner à ces sortes de pierres le nom d’ammites ; elles sont ordinairement blanches, toujours tendres, leur cassure est mate et sans points brillants, et à ces caractères on distinguera d’une manière sûre les pierres que la gelée fait éclater de celles qui y résistent… Ces pierres sont formées ou de matières lapidifiques décomposées, mais qui ne sont pas liées par le suc pierreux, ou de matières propres en effet à entrer dans la composition des pierres, mais qui n’ont pas encore été pierres, qui n’ont pas passé de la pierre au gravier, et du gravier à la pierre… Les pierres au contraire qui résistent à la gelée sont ordinairement dures, souvent aigres et cassantes, leurs molécules sont serrées et très adhérentes, et, soit que leur coupe ou cassure soit lisse ou grenue, elles sont toujours parsemées de points brillants ; mais ces pierres ne sont telles que parce qu’elles sont composées de matières combinées depuis longtemps sous cette forme, que parce qu’elles ne sont qu’un amas de graviers qui ont été pierres, liés par des concrétions de même nature, plus pures et plus homogènes encore que ces mêmes graviers. (Note communiquée par M. Nadault.)
  10. « Il y a, dit M. l’abbé de Sauvages, une grande analogie entre les sucs pierreux et les sucs salins, ou les sels proprement dits… Nos sucs pierreux ne faisaient-ils pas eux-mêmes la base de différents sels neutres ?… De même que les sels rendent plus fermes et plus inaltérables les parties des animaux ou des végétaux qu’ils pénètrent, ainsi les sucs pierreux, en s’insinuant dans les craies et les terres, les rendent plus solides, etc. » Mémoires de l’Académie des sciences, année 1746, p. 733.
  11. On trouve au sommet de la plupart des plus hautes montagnes des Cévennes de grands bancs de roches calcaires tous parsemés de coquillages… Ces bancs de roches calcaires sont souvent appuyés sur d’autres bancs considérables de schistes ou roches ardoisées, qui ne sont autre chose que des vases argileuses ou des limons plus ou moins pétrifiés… Ces bancs de schiste faisaient autrefois un fond de mer… Mais un fait qui surprendra plus d’un naturaliste, c’est qu’il est des endroits où, au-dessous de ces bancs de schiste, il s’en trouve un second de roche calcaire d’une couleur différente du premier, et dont les incrustations testacées ne paraissent pas les mêmes.

    Comment concevoir que la mer ait pu produire dans les mêmes parages une espèce de coquillages dans un temps et une autre espèce dans un autre ? Et comment pourrait-on comprendre que la mer a pu déposer ses vases sur un fond de rochers calcaires, sans présumer en même temps que la mer a couvert ces endroits à deux reprises différentes et fort éloignées l’une de l’autre ? Histoire naturelle du Languedoc, par M. de Gensane, t. Ier, p. 260 et 261.

  12. On tire cette pierre de la mer en tel volume que l’on veut ; elle est polie et de bel emploi… Et la manière dont ces insulaires l’enlèvent est assez ingénieuse : ils prennent des madriers et plateaux de bois de Candon, qui est aussi léger que le liège, et ils les joignent ensemble pour en former un gros volume ; ils y attachent un câble, dont ils portent en plongeant l’autre extrémité pour attacher la pierre qu’ils veulent enlever, et comme ces blocs sont isolés et ne sont point adhérents par leur base, le volume de ce bois léger enlève la masse pesante de la pierre. Voyage de François Pyrard de Laval, Paris, 1719, t. Ier, p. 135.
  13. On trouve un banc de spath strié ou filamenteux et blanc dans une gorge formée par des monticules qu’on peut regarder comme les premiers degrés de la chaîne de montagnes qui bordent la Limagne et l’Auvergne du côté du couchant, au-dessous de Châtel-Guyon ; cette pierre striée, dont le banc est fort étendu, est employée à faire de la chaux, mais il faut beaucoup de temps pour la calciner. On voit dans les rochers que ce spath y est déposé par couches mêlées parmi d’autres couches d’une espèce de pierre graveleuse et grisâtre : dans l’un des rochers, qui a quatorze à quinze pieds d’élévation, les couches de spath ont deux ou trois pouces et plus d’épaisseur, et celles de la pierre grisâtre en ont huit et même douze. La base de ce rocher est distribuée par couches, et la partie supérieure est composée de pierres et de cailloux arrondis, dont plusieurs sont de la grosseur de la tête ; ils sont liés par une matière pierreuse, dure, blanchâtre, et parsemée de petits graviers de toutes sortes de couleurs. Mémoires sur la minéralogie d’Auvergne, par M. Guettard, dans ceux de l’Académie des sciences, année 1759.
  14. « Les sucs pétrifiants, dit M. l’abbé de Sauvages, sont certainement la cause de la solidité des pierres ; celles qui n’en sont point pour ainsi dire abreuvées ne portent ce nom qu’improprement : telles sont les craies, les marnes, les pierres mortes, etc., qui ne doivent le peu de solidité qu’elles ont dans la carrière qu’à l’affaissement de leurs parties appliquées l’une sur l’autre, sans aucun intermède qui les lie : aussi, dès que ces pierres sont exposées aux injures de l’air, leurs parties, que rien ne fixe et ne retient, s’enflent, s’écartent, se calcinent et se durcissent en terre ; au lieu que ces agents sont trop faibles pour décomposer les pierres proprement dites… J’ai été assez heureux pour trouver dans les carrières de nos rochers des morceaux dont une partie était pétrifiée et avait la cassure brillante, tandis que l’autre, qui était encore sur le métier, était tendre, mate dans sa cassure, et n’avait rien de plus qu’une marne, qui à la longue se détrempait à l’air et à la pluie : le milieu de cette pierre mi-partie participait de la différente solidité des deux, sans qu’on pût assigner au juste le point où la marne commençait à être de la pierre. » Mémoires de l’Académie des sciences, année 1746, p. 732 et suiv.
  15. Époques de la Nature.
  16. Il ne faut pas confondre ces pierres calcaires en laves avec les laves de grès feuilleté dont nous avons parlé ci-devant, et bien moins encore avec les véritables laves volcaniques, qui sont d’une tout autre nature.
  17. Cadix est situé dans une presqu’île, sur des rochers, où vient se briser la mer. Ces rochers sont un mélange de différentes matières, comme marbre, quartz, spath, cailloux et coquilles réduites en mortier avec le sable et le gluten ou bitume de la mer, lequel est si puissant dans cet endroit, que l’on observe, dans les décombres qu’on y jette, que les briques, les pierres, le sable, le plâtre, les coquilles, etc., se trouvent, après un certain temps, si bien unis et attachés ensemble, que le tout ne paraît qu’un morceau de pierre. Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles. — M. le prince de Pignatelli d’Egmont, amateur très éclairé de toutes les grandes et belles connaissances, a eu la bonté de me donner pour le Cabinet du Roi un morceau de cette même nature, tiré sur le rivage de la mer de Sicile, où cette pétrification s’opère en très peu de temps. Fazzelo, de Rebus Siculis, attribue à l’eau du détroit de Carybde cette propriété de cimenter le gravier de ses rivages.
  18. C’est à ces sortes de pierres que l’on peut rapporter celles qui se trouvent à une lieue et demie de Riom, en Auvergne, et dont M. Dutour fait mention dans les termes suivants : « La terre végétale qui couvre la terre crétacée en est séparée par un lit de pierres ; ces pierres sont branchues, baroques, quelquefois percées de part en part par des trous ronds : intérieurement elles sont compactes, nullement farineuses, et de couleur ou grise ou bleuâtre ; leur extérieur est recouvert d’une écorce, tantôt dure, tantôt friable, toujours blanche et telle que si on les avait trempées dans de la chaux éteinte : il y a de ces pierres éparses au-dessus de la terre végétale, mais au-dessous de cette couche végétale, qui a environ un pied et demi d’épaisseur, on voit un lit de ces mêmes pierres, si exactement enclavées les unes dans les autres, qu’il en résulte un banc continu en apparence. Sa surface supérieure est seulement raboteuse, et ce lit de pierre se continue sur la terre crétacée… L’espace où se trouvent ces pierres, ainsi que la terre crétacée qui est au-dessous, était occupé dans les premiers temps par un banc homogène de pierres calcaires, que les eaux des pluies ont entraîné par succession de temps. » Observation sur un banc de terre crétacée, etc., par M. Dutour, dans les Mémoires des savants étrangers, t. V, p. 54. — Aux bords de l’Albarine, surtout près de Saint-Denis, il y a une immensité de cailloux roulés (qui sont bien de terre calcaire, puisqu’on en fait de très bonne chaux) ; ils ont une croûte blanche à peu près concentrique, et un noyau d’un beau gris bleu. Le hasard ne peut avoir fait que des fragments de blocs mêlés se soient usés et arrondis concentriquement suivant leurs couleurs : quelle peut donc être la formation de ces cailloux ? (Lettre de M. de Morveau à M. le comte de Buffon, datée de Bourg-en-Bresse le 22 septembre 1778.) — Je puis ajouter à toutes ces notes particulières que, dans presque tous les pays dont les collines sont composées de pierres calcaires, il se trouve de ces pierres dont l’intérieur, plus anciennement formé que l’extérieur, est teint de gris ou de bleu, tandis que les couches supérieures et inférieures sont blanches ; ces pierres sont en moellons plats, et il ne leur manque, pour ressembler entièrement aux prétendus cailloux du Rhône, que d’avoir été roulés.
  19. « On distingue très bien, dit M. l’abbé de Sauvages, les sucs pierreux dans les rochers de Navacelle, au moyen de certains noyaux qui y sont répandus, et dans lesquels ce suc se trouve ramassé et cristallisé. Ces noyaux, qui arrêtent le marteau des tailleurs de pierre, ne sont que des coquillages que la pétrification a défigurés : le test de la coquille semble s’être changé en une matière cristalline qui en occupe la place. » Mémoires de l’Académie des sciences, année 1746, p. 716.
  20. Il me semble qu’on pourrait rapporter à notre pierre à four celle qu’on nomme roussier en Normandie. « C’est, dit M. Guettard, une pierre graveleuse et dont il y a des carrières aux environs de la Trappe… Ces pierres sont d’un jaune rouille de fer ; ce sont des amas de gros sable ou de gravier liés par une matière ferrugineuse qui a été dissoute, et qui s’est filtrée et déposée entre les grains qui composent maintenant ces pierres par leur réunion. » Mémoires de l’Académie des sciences, année 1763, p. 81.
  21. « Lorsque les eaux pluviales s’infiltrent dans les lits de pierres tendres qui se trouvent à découvert, elles s’y glacent par le froid, et tendent alors à y occuper plus d’espace ; ces couches, d’autant plus minces qu’elles sont plus près de la superficie, et déjà divisées en plusieurs pièces par les fentes perpendiculaires, s’éclatent, se fendent en mille endroits, et c’est ce qui fournit le moellon ou la pierre mureuse ; et lorsque ces fragments de pierre sont entraînés par les torrents, le long de la pente des collines et jusque dans le courant des rivières, leurs angles alors s’émoussent par les frottements, ils deviennent des galets, et, à force d’être roulés, ils se réduisent enfin en graviers arrondis plus ou moins fins. L’action de l’air et les grands froids dégradent de même la coupe perpendiculaire des carrières, et la surface de toutes les pierres qui se gercent et s’égrènent produit le gravier qui se trouve ordinairement au pied des carrières ; ce gravier continue d’être atténué par les gelées et par le frottement, lorsqu’il est ensuite entraîné dans des eaux courantes jusqu’à ce qu’il soit enfin réduit en poussière : telle est l’origine de quelques craies et de toutes les espèces de gravier qui ne sont que des fragments de différentes grosseurs de toutes les sortes de pierres… Les eaux pluviales, en s’infiltrant dans les couches disposées dans l’ordre que nous venons de voir, doivent donc entraîner dans les plus basses les molécules les plus divisées des lits supérieurs qu’elles continuent d’atténuer en les exfoliant, et dont elles remplissent les interstices ; elles s’unissent alors étroitement, et forment dans ces lits de graviers de petites congélations ou stalactites, qui lient, qui serrent étroitement, qui ne sont enfin qu’un tout continu de toutes les parties de la couche auparavant divisées, et cela successivement jusqu’à une certaine hauteur de la carrière, et la pierre alors a acquis sa perfection. Sa coupe ou cassure est lisse et sans grains apparents, si le gravier qui en fait la base est très fin ; elle est au contraire rude au toucher et grenue, si elle est formée de gros gravier : il s’en trouvera aussi qui ne seront qu’un assemblage de galets ou pierres roulées, liées par ce suc pierreux, et par ces petites congélations que nous venons de décrire. J’ai même observé, dans la démolition des remparts d’un très ancien château, que, dans l’espace de quelques toises, les pierres n’étaient plus liées par les mortiers, mais par une matière transparente, par une concrétion pierreuse, que des eaux gouttières avaient produites de la décomposition du mortier des parties supérieures de ce mur, et qui en remplissait en cet endroit tous les vides, parce que la chaux n’étant en effet que de la pierre décomposée, elle en conserve toutes les propriétés, et elle reprend dans certaines circonstances la forme de pierre. » Note communiquée par M. Nadault.
  22. La pierre qu’on tire à peu de distance de la Seine, près de l’Hôpital général de Paris, et dont j’ai parlé plus haut, est remplie de petites vis qui sont communes dans les ruisseaux d’eau vive ; cette pierre de la Seine ressemble à peu près aux pierres que l’on tire dans les vallées, entre la Saône et la Vingeanne, auprès du village de Talmay en Bourgogne : je cite ce dernier exemple, parce qu’il démontre évidemment que la matière de ces lits de pierre a été amenée de loin, parce qu’il n’y a aucune montagne calcaire qu’à environ une lieue de distance.
  23. Le sieur Dumortier, maître maçon à Paris, m’a assuré qu’il y a quelques années il avait trouvé dans un bloc de pierre dite de Saint-Leu, laquelle ne se tire qu’à la surface de la terre, c’est-à-dire à quelques pieds de profondeur, un corps cylindrique qui lui paraissait être une pétrification, parce qu’il était incrusté de matières pierreuses ; mais que, l’ayant nettoyé avec soin, il reconnut que c’était vraiment un canon de pistolet, c’est-à-dire du fer.
  24. Dans un bloc de pierre de plusieurs pieds de longueur, sur une épaisseur d’environ un pied ou quinze pouces, tiré des carrières du faubourg Saint-Marceau à Paris, l’ouvrier tailleur de pierre s’aperçut, en la sciant, que sa scie poussait au dehors une matière noire qu’il jugea être des débris de bois pourri ; en effet, la pierre ayant été séparée en deux blocs, il trouva qu’elle renfermait dans son intérieur un morceau de bois de près de deux pouces d’épaisseur, sur six à sept pouces de longueur, lequel était en partie pourri et sans aucun indice de pétrification.
Notes de l’éditeur
  1. Carbonate de chaux hydraté.
  2. Un groupe d’animaux beaucoup plus ancien que celui des « coquillages », c’est-à-dire des mollusques, celui des foraminifères, a joué et joue encore un rôle d’une extrême importance dans la formation des terrains calcaires. Les foraminifères sont des animaux tout à fait inférieurs, appartenant à la classe des protozoaires, formés par une masse protoplasmique émettant de longs prolongements, à l’aide desquels l’animal se déplace dans l’eau et s’enveloppe d’un test calcaire. Ces animaux existent en quantités prodigieuses dans toutes les mers entre le 60e degré de latitude nord et le 60e degré de latitude sud. Ce sont leurs tests calcaires qui forment presque uniquement le sol des mers dans toute cette région du globe.
  3. Buffon a raison de poser, dans la note a, cette question : « N’y aurait-il pas des pierres de troisième et peut-être de quatrième formation ? » Il n’y a pas, en effet, de roches qui soient plus répandues à la surface de notre globe et qui aient été plus souvent remaniées et déplacées que les roches calcaires. Chaque âge de la terre a vu se produire une ou plusieurs formations de roches calcaires. Dès le premier âge géologique connu, dans les formations laurentiennes, on trouve un calcaire cristallin s’intercalant au gneiss en couches de 300 à 400 mètres d’épaisseur, et se faisant remarquer par sa richesse en minéraux accessoires (grenat, épidote, zircon, tourmaline,  etc.). Dans beaucoup de localités, il est dolomitique et passe même, dans certains points, à la dolomite véritable. C’est dans le calcaire cristallin des formations laurentiennes du Canada, de l’Écosse et de la Bavière que l’on a trouvé les concrétions connues sous le nom d’Eozoon canadense, considérées par beaucoup de paléontologistes comme un foraminifère et comme le fossile le plus ancien que nous connaissions. Ces concrétions se présentent sous l’aspect de nids, ayant plus de 30 centimètres cubes, disposés irrégulièrement les uns au-dessus des autres et formés de bandes ondulées de calcaire grenu alternant avec des bandes de serpentine. « Ces bandes de serpentine ont été considérées comme les restes d’un foraminifère géant, l’Eozoon, et les couches calcaires dans lesquelles elles se trouvent comme des récifs de foraminifères correspondant aux bancs de coraux récents ou aux roches nummulitiques. Dans cette supposition, l’Eozoon se serait accru par le développement de chambres irrégulières, superposées, séparées par des lamelles calcaires qui restaient en communication avec des canaux irrégulièrement distribués et finement ramifiés. Les lamelles calcaires, les parois des chambres isolées sont conservées à l’état de calcaire grenu, mais les chambres elles-mêmes, les canaux de ramification et les branches qu’ils donnent, occupés pendant la vie par le protoplasma de l’animal, sont remplis de serpentine et de minéraux semblables. » (Credner.) [Note de Wikisource : Il s’est avéré à la fin du xixe siècle que l’Eozoon canadense n’était qu’un pseudo-fossile ; il s’agit en réalité d’une structure d’origine inorganique, présente dans des roches métamorphisées à très hautes pression et température, et que l’on date aujourd’hui de 1,1 milliards d’années.]

    Dans les séries huroniennes du premier âge, on trouve encore des masses puissantes de calcaires plus ou moins cristallins, blancs ou gris ou rouges, souvent dolomitiques. Près de la limite inférieure de la série huronienne du Michigan, on trouve un groupe de calcaires dolomitiques atteignant 600 à 1 000 mètres d’épaisseur, très nettement stratifiés et alternant, en certains points, avec de minces lits de quartzite. Il est permis de supposer que tous les calcaires des formations archaïques sont d’origine animale et que la structure plus ou moins cristalline qu’ils présentent n’est due qu’aux transformations qu’ils ont subies depuis cette époque reculée. Quoique les formations archaïques ne présentent qu’un petit nombre de fossiles (l’Eozoon canadense dans les formations laurentiennes, quelques graptolithes, de très rares débris de crinoïdes et un petit nombre de fucoïdes dans les formations huroniennes), ces fossiles appartiennent à des espèces animales et végétales suffisamment élevées, pour qu’on soit obligé d’admettre que le règne animal et le règne végétal dataient déjà de plusieurs milliers et même de plusieurs millions de siècles. Si nous ne retrouvons plus les traces de ces organismes dans les terrains de la période archaïque et particulièrement dans les calcaires, si ces derniers se présentent à nous avec un aspect cristallin, il faut donc l’attribuer, sans nul doute, à ce que les fossiles ont été détruits et à ce que le calcaire a été transformé soit par l’eau, soit par la chaleur, soit par les deux simultanément ou consécutivement. Cette double action est d’autant plus certaine que la période archaïque a été manifestement marquée par un grand nombre de bouleversements de la surface du sol, d’affaissements et de soulèvements, d’éruptions volcaniques, etc., tous phénomènes qui exercent une action métamorphique considérable sur les terrains qui en sont le siège. [Note de Wikisource : Il est difficile de faire correspondre les formations laurentienne et huronienne de Credner aux divisions chronologiques actuellement reçues, d’autant plus qu’il y a recoupement de fait entre ces formations, et entre l’huronien et les périodes inférieures de notre Paléozoïque actuel. La période paléozoïque de Credner correspond quant à elle à peu près à notre Paléozoïque actuel (541-252 Ma), à ceci près que le Cambrien, qui en constitue environ les cinquante premiers millions d’années, en est rejeté ; c’est précisément au Cambrien qu’apparaissent les fossiles cités ci-dessus, ce qui a motivé le rattachement du Cambrien au Paléozoïque. Si le début du Cambrien (541 Ma) marque une diversification soudaine du vivant, l’auteur avait raison de penser que l’apparition de la vie était bien antérieure : les plus anciennes et indiscutables traces de vie sur Terre ne sont pas à proprement parler des organismes fossiles, mais des récifs fossilisés, les stromatolithes, dont la structure et la composition attestent qu’ils ont été édifiés par des bactéries ; ils datent au moins de 3,4 milliard d’années.]

    S’il est permis de croire que tous les calcaires de la période archaïque ont été fabriqués par les animaux, quoiqu’ils n’en contiennent plus que de rares traces, cette conclusion s’impose d’elle-même, en ce qui concerne les calcaires de la période paléozoïque, pendant laquelle les animaux aquatiques, notamment les animaux à coquilles calcaires, prirent un développement extrêmement considérable. La seule faune silurienne, c’est-à-dire celle de la formation la plus inférieure de la période paléozoïque, comprend 161 protozoaires, 507 cœlentérés, 500 échinodermes, 1 611 trilobites, 1 650 brachiopodes, 895 gastéropodes, etc. Et ce qui prouve que l’évolution des animaux était déjà fort avancée, c’est qu’on rencontre dans la formation silurienne un grand nombre d’invertébrés supérieurs et de vertébrés inférieurs, par exemple 1 454 céphalopodes, 154 annélides, 318 crustacés entomostracés et 37 poissons. [Note de Wikisource : Ces chiffres sont largement sous-estimés.] Les calcaires se retrouvent, du reste, en assez grande quantité dans chacune des formations paléozoïques ; moins abondants relativement dans les formations siluriennes, ils augmentent d’importance dans la formation dévonienne, et surtout dans la formation carbonifère et dans la formation permienne qui représente la dernière phase de ce deuxième âge du globe. La façon dont se produisent les couches calcaires est rendue très manifeste pendant les périodes carbonifère et dévonienne de l’âge paléozoïque. Dans les régions où les terrains de ces périodes sont aussi développés que possible, on trouve tout à fait à la base : du calcaire contenant des fossiles marins formé par le dépôt de tests calcaires dont une grande partie se dissout. Ce calcaire s’est manifestement déposé sur le sol de mers profondes. Puis, le sol de ces mers s’est soulevé et il s’est déposé, au-dessus du calcaire, auquel on donne le nom de calcaire carbonifère, des couches de conglomérats et de grès qui ont tous les caractères des formations actuelles des rivages ; ce qui permet de croire que ces grès et ces conglomérats se sont déposés après l’émersion, sur le rivage des parties soulevées. La période d’émersion, ayant été suivie d’une période de statu quo très longue, interrompue par des affaissements et des soulèvements alternatifs peu importants, il s’est déposé au-dessus des grès de rivage des couches de végétaux morts sur place ou apportés par les fleuves, couches qui se sont transformées ultérieurement en houille et dans lesquelles on trouve des plantes et des animaux terrestres ou de marécages. Un nouvel affaissement plus considérable s’étant alors produit, il s’y est formé, au-dessus des couches de houille, des dépôts de grès et de conglomérats de rivages ; puis, l’affaissement ayant continué à se faire, une mer profonde s’étant de nouveau formée sur le même point, on retrouve des couches de calcaires avec fossiles marins (calcaire du Dyas, Zechstein). Le calcaire, on le voit, ne s’est formé, dans les deux cas, que sur le sol des mers profondes, ou, pour mieux dire, dans les deux cas, sa formation indique l’existence de mers profondes ; son alternance avec des couches de rivages et des couches de marécages ou de forêts révèle un soulèvement et un nouvel affaissement consécutif d’une même région du globe pendant l’âge paléozoïque. Remarquons, en outre, que tout le calcaire de l’âge paléozoïque, comme celui de l’âge archaïque, est un produit d’animaux marins.

    Le calcaire abonde dans les formations de l’âge mésozoïque, c’est-à-dire dans les périodes triasique, jurassique et crétacée. Dans la formation triasique, il est situé au-dessus des grès bigarrés ; il forme d’abord la majeure partie du terrain désigné sous le nom de Muschelkalk et contient les premiers crustacés macroures, ce qui indique son origine marine ; il offre du gypse et du sel gemme. Dans le Reuss, qui est postérieur au Muschelkalck, il n’est que peu représenté. Le rhétien, qui forme l’étage le plus vieux du trias, est représenté par des dolomies importantes, finement grenues et par le calcaire de Dachstein, qui est pur, compact, de couleur sombre et porte tous les caractères de couches déposées dans des mers profondes. Dans beaucoup de points, le calcaire du trias a été transformé en marbre blanc, parfois grossièrement cristallin, par des éruptions volcaniques, c’est-à-dire par l’action combinée de la chaleur et de la vapeur d’eau. Dans le jurassique, le calcaire abonde à tel point, sous la forme oolithique, c’est-à-dire contenant des nodules arrondies plus ou moins volumineux, qu’on considère ces oolithes comme le trait caractéristique des terrains jurassiques. Toutes ces formations présentent le caractère de dépôts ininterrompus sur le fond de mers très calmes. Le calcaire des formations crétacées se présente surtout sous la forme de craie et revêt également les caractères de dépôts marins.

    Les calcaires de la période tertiaire, dont le plus ancien est le calcaire grossier de Paris, riche en nummulites, présentent encore les caractères de formations marines. Ils se déposent dans le fond des mers tertiaires. Dans la période oligocène apparaissent pour la première fois des calcaires formés dans l’eau douce. Dans le bassin de la Seine, on trouve d’abord une couche de calcaire d’eau douce, riche en gypse et contenant des planorbes et des paludines, puis des couches marines sableuses et une couche supérieure de calcaire (calcaire de la Beauce), d’eau douce, riche en planorbes, en lymnées, en paludines. Enfin, dans les formations miocènes inférieures, apparaissent des calcaires contenant des fossiles terrestres, notamment un grand nombre d’helix et de pupa.

    Buffon avait, on le voit, assez bien saisi la marche générale des formations calcaires, quand il les distinguait en calcaires marins, calcaires d’eau douce et calcaires terrestres, mais il ne pouvait pas saisir, à l’époque où il écrivait, le nombre considérable d’époques différentes pendant lesquelles ces formations s’étaient produites.

  4. Par cette expression impropre, Buffon veut sans doute désigner les dépôts calcaires abandonnés par les eaux qui ont traversé des roches calcaires.