Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Du plâtre et du gypse



DU PLÂTRE ET DU GYPSE

Le plâtre et le gypse sont des matières calcaires[NdÉ 1], mais imprégnées d’une assez grande quantité d’acide vitriolique pour que ce même acide et même tous les autres n’y fassent plus d’impression : cet acide vitriolique est seul dans le gypse, mais il est combiné dans le plâtre avec d’autres acides ; et, pour que les noms ne fassent pas ici confusion, j’avertis que j’appelle gypse ce que les nomenclateurs ont nommé sélénite, par le rapport très éloigné qu’ont les reflets de la lumière sur le gypse avec la lumière de la lune.

Ces deux substances, le gypse et le plâtre, qui sont au fond les mêmes, ne sont jamais bien dures ; souvent elles sont friables, et toujours elles se calcinent à un degré de chaleur moindre que celui du feu nécessaire pour convertir la pierre calcaire en chaux. On les broie après la calcination ; et, en les détrempant alors avec de l’eau, on en fait une pâte ductile qui reçoit toutes sortes de formes, qui se sèche en assez peu de temps, se durcit en se séchant, et prend une consistance aussi ferme que celle des pierres tendres ou de la craie dure.

Le gypse et le plâtre calcinés forment, comme la chaux vive, une espèce de crème à la surface de l’eau, et l’on observe que, quoiqu’ils refusent de s’unir avec les acides, ils s’imbibent facilement de toutes les substances grasses. Pline dit que cette dernière propriété des gypses était si bien connue, qu’on s’en servait pour dégraisser les laines : c’est aussi en polissant les plâtres à l’huile, qu’on leur donne un lustre presque aussi brillant que celui d’un beau marbre.

L’acide qui domine dans tous les plâtres est l’acide vitriolique ; et si cet acide était seul dans toutes ces matières, comme il l’est dans le gypse, on serait en droit de dire que le gypse et le plâtre ne sont absolument qu’une seule et même chose ; mais l’on verra, par quelques expériences rapportées ci-après, que le plâtre contient non seulement de l’acide vitriolique, mais aussi des acides nitreux et marins, et que par conséquent on ne doit pas regarder le gypse et le plâtre comme des substances dont l’essence soit absolument la même : je ne fais cette réflexion qu’en conséquence de ce que nos chimistes disent « que le plâtre ou gypse n’est qu’un sel vitriolique à base de terre calcaire, c’est-à-dire une vraie sélénite[1]. » Il me semble qu’on peut distinguer l’un de l’autre, en disant que le gypse n’est en effet imprégné que de l’acide vitriolique, tandis que le plâtre contient non seulement l’acide vitriolique avec la base calcaire, mais encore une portion d’acides nitreux. D’ailleurs le prétendu gypse, fait artificiellement en mêlant de l’acide vitriolique avec une terre calcaire, ne ressemble pas assez au gypse ou au plâtre produit par la nature pour qu’on puisse dire que c’est une seule et même chose : M. Pott avoue même que ces deux produits de l’art et de la nature ont des différences sensibles ; mais, avant de prononcer affirmativement sur le nombre et la qualité des éléments dont le plâtre est composé après la calcination, il faut d’abord le voir et l’examiner dans son état de nature.

Les plâtres sont disposés, comme les pierres calcaires, par lits horizontaux ; mais tout concourt à prouver que leur formation est postérieure à celle de ces pierres. 1o Les masses ou couches de plâtre surmontent généralement les bancs calcaires et n’en sont jamais surmontés ; ces plâtres ne sont recouverts que de couches plus ou moins épaisses d’argile ou de marne amoncelées, et souvent mélangées de terre limoneuse. 2o La substance du plâtre n’est évidemment qu’une poudre détachée des masses calcaires anciennes, puisque le plâtre ne contient point de coquilles, et qu’on y trouve, comme nous le verrons, des ossements d’animaux terrestres, ce qui suppose une formation postérieure à celle des bancs calcaires. 3o Cette épaisseur d’argile, dont on voit encore la plupart des carrières de plâtre surmontées, semble être la source d’où l’acide a découlé pour imprégner les plâtres, en sorte que la formation des masses plâtreuses paraît tenir à la circonstance de ces dépôts d’argile rapportés sur les débris des matières calcaires, telles que les craies, qui dès lors ont reçu par stillation les acides, et surtout l’acide vitriolique plus abondant qu’aucun autre dans les argiles, ce qui n’empêche pas que, lors de sa formation, le plâtre n’ait aussi reçu d’autres principes salins, dont l’eau de la mer était imprégnée, et c’est en quoi le plâtre diffère du gypse dans lequel l’acide vitriolique est seul combiné avec la terre calcaire.

Mais de quelque part que viennent les acides contenus dans le plâtre, il est certain que le fond de sa substance n’est qu’une poussière calcaire qui ne diffère de la craie qu’en ce qu’elle est fortement imprégnée de ces mêmes acides ; et ce mélange d’acides dans la matière calcaire suffit pour en changer la nature, et pour donner aux stalactites qui se forment dans le plâtre des propriétés et des formes toutes différentes de celles des spaths et autres concrétions calcaires : les parties intégrantes du gypse, vues à la loupe, paraissent être tantôt des prismes engrenés les uns dans les autres, tantôt de longues lames avec des fibres uniformes en filaments allongés, comme dans l’alun de plume, auquel l’acide donne aussi cette forme, mais dans une matière bien différente, puisque la base de l’alun est argileuse, au lieu que celle de tout plâtre est calcaire.

La plupart des auteurs ont employé sans distinction le nom de gypse et celui de plâtre pour signifier la même chose ; mais, pour éviter une seconde confusion de noms, nous n’appellerons plâtre que celui qui est opaque, et que l’on trouve en grands bancs comme la pierre calcaire, d’autant que le nom de gypse n’est connu ni dans le commerce, ni par les ouvriers qui nomment plâtre toute matière gypseuse et opaque : nous n’appliquerons donc le nom de gypse qu’à ce que l’on appelait sélénite, c’est-à-dire à ces morceaux transparents et toujours de figure régulière que l’on trouve dans toutes les carrières plâtreuses.

Le plâtre ressemble, dans son état de nature, à la pierre calcaire tendre ; il est de même opaque et si friable, qu’il ne peut recevoir le moindre poli ; le gypse au contraire est transparent dans toute son épaisseur ; sa surface est luisante et colorée de jaunâtre, de verdâtre, et quelquefois elle est d’un blanc clair. Les dénominations de pierre spéculaire ou de miroir d’âne, que le vulgaire avec quelques nomenclateurs ont données à cette matière cristallisée, n’étant fondées que sur des rapports équivoques ou ridicules, nous préférons avec raison le nom de gypse ; car le talc, aussi bien que le gypse, pourrait être appelé pierre spéculaire, puisque tous deux sont transparents, et la dénomination de miroirs à âne, ou miroir d’âne, n’aurait jamais dû sortir de la plume de nos docteurs.

Le gypse est transparent et s’exfolie, comme le talc, en lames étendues et minces ; il perd de même sa transparence au feu ; mais il en diffère même à l’extérieur, en ce que le talc est plus doux et comme onctueux au toucher ; il en diffère aussi par sa cassure spathique et chatoyante ; il est calcinable et le talc ne l’est pas ; le plus petit degré de feu rend opaque le gypse le plus transparent, et il prend par la calcination plus de blancheur que l’autre plâtre.

De quelque forme que soient les gypses, ce sont toujours des stalactites du plâtre qu’on peut comparer aux spaths des matières calcaires : ces stalactites gypseuses sont composées ou de grandes lames appliquées les unes contre les autres, ou de simples filets posés verticalement les uns sur les autres, ou enfin de grains à facettes irrégulières, réunis latéralement les uns auprès des autres ; mais toutes ces stalactites gypseuses sont transparentes, et par conséquent plus pures que les stalactites communes de la pierre calcaire[2]; et quand je réduis à ces trois formes de lames, de filets et de grains, les cristallisations gypseuses, c’est seulement parce qu’elles se trouvent le plus communément, car je ne prétends pas exclure les autres formes qui ont été ou qui seront remarquées par les observateurs, puisqu’ils trouveront en ce genre, comme je l’ai moi-même observé dans les spaths calcaires, des variétés presque innombrables dans la figure de ces cristallisations, et qu’en général la forme de cristallisation n’est pas un caractère constant, mais plus équivoque et plus variable qu’aucun autre des caractères par lesquels on doit distinguer les minéraux.

Nous pensons qu’on peut réduire à trois classes principales les stalactites transparentes de tous les genres : 1o les cristaux quartzeux, ou cristaux de roche, qui sont les stalactites du genre vitreux, et sont en même temps les plus dures et les plus diaphanes ; 2o les spaths, qui sont les stalactites des matières calcaires, et qui ne sont pas à beaucoup près aussi durs que les cristaux vitreux ; 3o les gypses qui sont les stalactites des matières plâtreuses, et qui sont les plus tendres de toutes. Le degré de feu, qui est nécessaire pour faire perdre la transparence à toutes ces stalactites, paraît proportionnel à leur dureté : il ne faut qu’une chaleur très médiocre pour blanchir le gypse et le rendre opaque ; il en faut une plus grande pour blanchir le spath et le réduire en chaux, et enfin le feu le plus violent de nos fourneaux ne fait que très peu d’impression sur le cristal de roche, et ne le rend pas opaque. Or, la transparence provient en partie de l’homogénéité de toutes les parties constituantes du corps transparent, et sa dureté dépend du rapprochement de ces mêmes parties et de leur cohésion plus ou moins grande : selon que ces parties intégrantes seront elles-mêmes plus solides, et à mesure qu’elles seront plus rapprochées les unes des autres par la force de leur affinité, le corps transparent sera plus dur. Il n’est donc pas nécessaire d’imaginer, comme l’ont fait les chimistes, une eau de cristallisation[NdÉ 2], et de dire que cette eau produit la cohésion et la transparence, et que, la chaleur la faisant évaporer, le corps transparent devient opaque et perd sa cohésion par cette soustraction de son eau de cristallisation. Il suffit de penser que, la chaleur dilatant tous les corps, un feu médiocre suffit pour briser les faibles liens des corps tendres, et qu’avec un feu plus puissant on vient à bout de séparer les parties intégrantes des corps les plus durs ; qu’enfin ces parties séparées et tirées hors de leur sphère d’affinité ne pouvant plus se réunir, le corps transparent est pour ainsi dire désorganisé et perd sa transparence, parce que toutes ses parties sont alors situées d’une manière différente de ce qu’elles étaient auparavant.

Il y a des plâtres de plusieurs couleurs. Le plâtre le plus blanc est aussi le plus pur, et celui qu’on emploie le plus communément dans les enduits pour couvrir le plâtre gris, qui ferait un mauvais effet à l’œil et qui est ordinairement plus grossier que le blanc. On connaît aussi des plâtres rougeâtres, jaunâtres, ou variés de ces couleurs ; elles sont toutes produites par les matières ferrugineuses et minérales, dont l’eau se charge en passant à travers les couches de la terre végétale ; mais ces couleurs ne sont pas dans les plâtres aussi fixes que dans les marbres : au lieu de devenir plus foncées et plus intenses par l’action du feu, comme il arrive dans les marbres chauffés, elles s’effacent au contraire dans les plâtres au même degré de chaleur, en sorte que tous les plâtres après la calcination sont dénués de couleurs et paraissent seulement plus ou moins blancs. Si l’on expose à l’action du feu le gypse composé de grandes lames minces, on voit ces lames se désunir et se séparer les unes des autres ; on les voit en même temps blanchir et perdre toute leur transparence. Il en est de même du gypse en filets ou en grains : la différente figure de ces stalactites gypseuses n’en change ni la nature ni les propriétés.

Les bancs de plâtre ont été, comme ceux des pierres calcaires, déposés par les eaux en couches parallèles, séparées par lits horizontaux ; mais, en se desséchant, il s’est formé dans tout l’intérieur de leur masse un nombre infini de fentes perpendiculaires qui la divisent en colonnes à plusieurs pans. M. Desmarets a observé cette figuration dans les bancs de plâtre à Montmartre ; ils sont entièrement composés de prismes posés verticalement les uns contre les autres, et ce savant académicien les compare aux prismes de basalte[3], et croit que c’est par la retraite de la matière que cette figuration a été produite ; mais je pense au contraire, comme je l’ai déjà dit[4], que toute matière ramollie par le feu ou par l’eau ne peut prendre cette figuration en se desséchant que par son renflement et non par sa retraite, et que ce n’est que par la compression réciproque que ces prismes peuvent s’être formés et appliqués verticalement les uns contre les autres. Les basaltes se renflent par l’action du feu qu’ils contiennent, et l’on sait que le plâtre en se séchant, au lieu de faire retraite, prend de l’extension ; et c’est par cette extension de volume et par ce renflement réciproque et forcé, que les différentes parties de sa masse prennent cette figure prismatique à plus ou moins de faces, suivant la résistance plus ou moins grande de la matière environnante.

Le plâtre semble différer de toutes les autres matières par la propriété qu’il a de prendre très promptement de la solidité, après avoir été calciné, réduit en poudre et détrempé avec de l’eau ; il acquiert même tout aussi promptement, et sans addition d’aucun sable ni ciment, un degré de dureté égal à celui du meilleur mortier fait de sable et de chaux : il prend corps de lui-même et devient aussi solide que la craie la plus dure, ou la pierre tendre ; il se moule parfaitement, parce qu’il se renfle en se desséchant ; enfin il peut recevoir une sorte de poli, qui, sans être brillant, ne laisse pas d’avoir un certain lustre.

La grande quantité d’acides dont la matière calcaire est imprégnée dans tous les plâtres et même saturée, ne fait en somme qu’une très petite addition de substance, car elle n’augmente sensiblement ni le volume ni la masse de cette même matière calcaire : le poids du plâtre est à peu près égal à celui de la pierre blanche dont on fait de la chaux, mais ces dernières pierres perdent plus du tiers et quelquefois moitié de leur pesanteur en se convertissant en chaux, au lieu que le plâtre ne perd qu’environ un quart par la calcination[5] De même il faut une quantité plus que double d’eau pour fondre une quantité donnée de chaux, tandis qu’il ne faut qu’une quantité égale d’eau pour détremper le plâtre calciné, c’est-à-dire plus de deux livres d’eau pour une livre de chaux vive, et une livre d’eau seulement pour une livre de plâtre calciné.

Une propriété commune à ces deux matières, c’est-à-dire à la chaux et au plâtre calciné, c’est que toutes deux, exposées à l’air après la calcination, tombent en poussière et perdent la plus utile de leurs propriétés : on ne peut plus les employer dans cet état. La chaux, lorsqu’elle est ainsi décomposée par l’humidité de l’air, ne fait plus d’ébullition dans l’eau, et ne s’y détrempe ou délaie que comme la craie ; elle n’acquiert ensuite aucune consistance par le dessèchement, et ne peut pas même reprendre par une seconde calcination les qualités de la chaux vive ; et de même le plâtre en poudre ne se durcit plus lorsqu’il a été éventé, c’est-à-dire abandonné trop longtemps aux injures de l’air.

La chaux fondue n’acquiert pas à la longue, ni jamais par le simple dessèchement, le même degré de consistance que le plâtre prend en très peu de temps après avoir été, comme la pierre calcaire, calciné par le feu et détrempé dans l’eau : cette différence vient en grande partie de la manière dont on opère sur ces deux matières. Pour fondre la chaux, on la noie d’une grande quantité d’eau qu’elle saisit avidement ; dès lors elle fermente, s’échauffe et bout en exhalant une odeur forte et lixivielle : on détrempe le plâtre calciné avec une bien moindre quantité d’eau ; il s’échauffe aussi, mais beaucoup moins, et il répand une odeur désagréable qui approche de celle du foie de soufre ; il se dégage donc de la pierre à chaux, comme de la pierre à plâtre, beaucoup d’air fixe[NdÉ 3] et quelques substances volatiles, pyriteuses, bitumineuses et salines, qui servent de liens à leurs parties constituantes, puisque étant enlevées par l’action du feu, leur cohérence est en grande partie détruite ; et ne doit-on pas attribuer à ces mêmes substances volatiles, fixées par l’eau, la cause de la consistance que reprennent le plâtre et les mortiers de chaux ? En jetant de l’eau sur la chaux, on fixe les molécules volatiles auxquelles ses parties solides sont unies[NdÉ 4] : tant que dure l’effervescence, ces molécules volatiles font effort pour s’échapper, mais lorsque toute effervescence a cessé et que la chaux est entièrement saturée d’eau, on peut la conserver pendant plusieurs années et même pendant des siècles sans qu’elle se dénature, sans même qu’elle subisse aucune altération sensible. Or, c’est dans cet état que l’on emploie le plus communément la chaux pour en faire du mortier : elle est donc imbibée d’une si grande quantité d’eau, qu’elle ne peut acquérir de la consistance qu’en perdant une partie de cette eau par la sécheresse des sables avec lesquels on la mêle ; il faut même un très long temps pour que ce mortier se sèche et se durcisse en perdant, par une lente évaporation, toute son eau superflue ; mais comme il ne faut au contraire qu’une petite quantité d’eau pour détremper le plâtre, et que, s’il en était noyé comme la pierre à chaux, il ne se sécherait ni ne durcirait pas plus tôt que le mortier, on saisit pour l’employer le moment où l’effervescence est encore sensible, et quoique cette effervescence soit bien plus faible que celle de la chaux bouillante, cependant elle n’est pas sans chaleur, et même cette chaleur dure pendant une heure ou deux ; c’est alors que le plâtre exhale la plus grande partie de son odeur. Pris dans cet état et disposé par la main de l’ouvrier, le plâtre commence par se renfler, parce que ses parties spongieuses continuent de se gonfler de l’eau dans laquelle il a été détrempé ; mais, peu de temps après, il se durcit par un dessèchement entier. Ainsi l’effet de sa prompte cohésion dépend beaucoup de l’état où il se trouve au moment qu’on l’emploie : la preuve en est que le mortier fait avec de la chaux vive se sèche et se durcit presque aussi promptement que le plâtre gâché, parce que la chaux est prise alors dans le même état d’effervescence que le plâtre ; cependant ce n’est qu’avec beaucoup de temps que ces mortiers faits avec la chaux, soit vive, soit éteinte, prennent leur entière solidité, au lieu que le plâtre prend toute la sienne dès le premier jour. Enfin cet endurcissement du plâtre, comme le dit très bien M. Macquer[6], « peut venir du mélange de celles de ses parties qui ont pris un caractère de chaux vive pendant la calcination, avec celles qui n’ont pas pris un semblable caractère et qui servent de ciment. » Mais ce savant chimiste ajoute que cela peut venir aussi de ce que le plâtre reprend l’eau de sa cristallisation, et se cristallise de nouveau précipitamment et confusément. La première cause me paraît si simple et si vraie que je suis surpris de l’alternative d’une seconde cause, dont on ne connaît pas même l’existence, car cette eau de cristallisation n’est, comme le phlogistique, qu’un être de méthode et non de la nature[NdÉ 5].

Les plâtres n’étant que des craies ou des poudres de pierres calcaires imprégnées et saturées d’acides, on trouve assez souvent des couches minces de plâtre entre les lits d’argile, comme l’on y trouve aussi de petites couches de pyrites et de pierres calcaires : toutes ces petites couches sont de nouvelle formation, et proviennent également du dépôt de l’infiltration des eaux. Comme l’argile contient des pyrites et des acides, et qu’en même temps la terre végétale qui la couvre est mêlée de sable calcaire et de parties ferrugineuses, l’eau se charge de toutes ces particules calcaires, pyriteuses, acides et ferrugineuses, et les dépose ou séparément ou confusément entre les joints horizontaux et les petites fentes verticales des bancs ou lits d’argile : lorsque l’eau n’est chargée que des molécules de sable calcaire pur, son sédiment forme une concrétion calcaire tendre, ou bien une pierre semblable à toutes les autres pierres de seconde formation ; mais quand l’eau se trouve à la fois chargée d’acides et de molécules calcaires, son sédiment sera du plâtre. Et ce n’est ordinairement qu’à une certaine profondeur dans l’argile que ces couches minces de plâtre sont situées, au lieu qu’on trouve les petites couches de pierres calcaires entre les premiers lits d’argile : les pyrites se forment de même, soit dans la terre végétale, soit dans l’argile par la substance du feu fixe réunie à la terre ferrugineuse et à l’acide. Au reste, M. Pott[7] a eu tort de douter que le plâtre fût une matière calcaire, puisqu’il n’a rien de commun avec les matières argileuses que l’acide qu’il contient, et que sa base, ou pour mieux dire sa substance, est entièrement calcaire, tandis que celle de l’argile est vitreuse.

Et de même que les sables vitreux se sont plus ou moins imprégnés des acides et du bitume des eaux de la mer en se convertissant en argile, les sables calcaires, par leur long séjour sous ces mêmes eaux, ont dû s’imprégner de ces mêmes acides, et former des plâtres principalement dans les endroits où la mer était le plus chargée de sels : aussi les collines de plâtre, quoique toutes disposées par lits horizontaux, comme celles des pierres calcaires, ne forment pas des chaînes étendues, et ne se trouvent qu’en quelques endroits particuliers ; il y a même d’assez grandes contrées où il ne s’en trouve point du tout[8].

Les bancs des carrières à plâtre, quoique superposés horizontalement, ne suivent pas la loi progressive de dureté et de densité qui s’observe dans les bancs calcaires : ceux de plâtre sont même souvent séparés par des lits interposés de marne, de limon, de glaise, et chaque banc plâtreux est pour ainsi dire de différente qualité, suivant la proportion de l’acide mêlé dans la substance calcaire. Il y a aussi beaucoup de plâtres imparfaits, parce que la matière calcaire est très souvent mêlée avec quelque autre terre, en sorte qu’on trouve assez communément un banc de très bon plâtre entre deux bancs de plâtre impur et mélangé.

Au reste, le plâtre cru le plus blanc ne l’est jamais autant que le plâtre calciné, et tous les gypses ou stalactites de plâtre, quoique transparents, sont toujours un peu colorés, et ne deviennent très blancs que par la calcination ; cependant l’on trouve en quelques endroits le gypse d’un blanc transparent dont nous avons parlé, et auquel on a donné improprement le nom d’albâtre.

Le gypse est le plâtre le plus pur, comme le spath est aussi la pierre calcaire la plus pure : tous deux sont des extraits de ces matières, et le gypse est peut-être plus abondant proportionnellement dans les bancs plâtreux, que le spath ne l’est dans les bancs calcaires ; car on trouve souvent entre les lits de pierre à plâtre des couches de quelques pouces d’épaisseur de ce même gypse transparent et de figure régulière ; les fentes perpendiculaires ou inclinées, qui séparent de distance à autre les blocs des bancs de plâtre, sont aussi incrustées et quelquefois entièrement remplies de gypse transparent et formé de filets allongés. Et il paraît en général qu’il y a beaucoup moins de stalactites opaques dans les plâtres que dans les pierres calcaires.

Les plâtres colorés, gris, jaunes ou rougeâtres, sont mélangés de parties minérales : la craie ou la pierre blanche réduite en poudre aura formé les plus beaux plâtres ; la marne qui est composée de poudre de pierre, mais mélangée d’argile ou de terre limoneuse, n’aura pu former qu’un plâtre impur et grossier, plus ou moins coloré suivant la quantité de ces mêmes terres[9]. Aussi voit-on dans les carrières plusieurs bancs de plâtres imparfaits, et le bon plâtre se fait souvent chercher bien au-dessous des autres.

Les couches de plâtre, comme celles de craie, ne se trouvent pas sous les couches des pierres dures ou des rochers calcaires ; et ordinairement les collines à plâtre ne sont composées que de petit gravier calcaire, de tuffeau, qu’on doit regarder comme une poussière de pierre, et enfin de marne, qui n’est aussi que de la poudre de pierre mêlée d’un peu de terre. Ce n’est que dans les couches les plus basses de ces collines, et au-dessous de tous les plâtres, qu’on trouve quelquefois des bancs calcaires avec des impressions de coquilles marines. Ainsi toutes ces poudres de pierre, soit craie, marne ou tuffeau, ont été déposées par des alluvions postérieurs, avec les plâtres, sur les bancs de pierre qui ont été formés les premiers ; et la masse entière de la colline plâtreuse porte sur cette pierre ou sur l’argile ancienne et le schiste qui sont le fondement et la base générale et commune de toutes les matières calcaires et plâtreuses.

Comme le plâtre est une matière très utile, il est bon de donner une indication des différents lieux qui peuvent en fournir, et où il se trouve par couches d’une certaine étendue, à commencer par la colline de Montmartre à Paris : on en tire des plâtres blancs, gris, rougeâtres, et il s’y trouve une très grande quantité de gypse, c’est-à-dire des stalactites transparentes et jaunâtres en assez grands morceaux plus ou moins épais et composés de lames minces appliquées les unes contre les autres[10]. Il y a aussi de bon plâtre à Passy, à Montreuil près de Créteil, à Gagny et dans plusieurs autres endroits aux environs de Paris ; on en trouve de même à Decize en Nivernais, à Sombernon, près de Vitteaux en Bourgogne, où le gypse est blanc et très transparent. « Dans le village de Charcey, situé à trois lieues au couchant de Chalon-sur-Saône, sur la route de cette ville à Autun, il y a, m’écrit M. du Morey, des carrières de très beau plâtre blanc et gris : ces carrières s’étendent dans une grande partie du territoire ; elles sont à peu de profondeur en terre, on les découvre souvent en cultivant les vignes qui couvrent la colline où elles se trouvent ; elles sont placées presque au pied du coteau, qui est dominé de toutes parts des montagnes les plus élevées du pays ; la surface de tout le coteau n’est pas sous des pentes uniformes, elle est au contraire coupée presque en tous sens par des anciens ravins qui forment dans ce pays un nombre de petits monticules disposés sur la croupe générale de la montagne. Ce plâtre est de la première qualité pour l’intérieur des appartements, mais moins fort que celui de Montmartre et que celui de Salins, en Franche-Comté, lorsqu’il est exposé aux injures de l’air[11]. » M. Guettard a donné la description de la carrière à plâtre de Serbeville en Lorraine, près de Lunéville[12] : dans cette plâtrière, les derniers bancs ne portent pas sur l’argile, mais sur un banc de pierres calcaires mêlées de coquilles ; il a aussi parlé de quelques-unes des carrières à plâtre du Dauphiné[13] ; et, en dernier lieu, M. Pralon a trèsbien décrit celle de Montmartre, près Paris[14].

En Espagne, aux environs de Molina, il y a plusieurs carrières de plâtre[15], on en voit une colline entière à Dovenno, près de Liria, et l’on y voit des bancs de plâtre blanc, gris et rouge[16]. On trouve aussi du plâtre rouge au sommet d’une montagne calcaire à Albaracin, qui paraît être l’un des lieux les plus élevés de l’Espagne[17], et il y en a de même près d’Alicante, qui est un des lieux les plus bas, puisque cette ville est située sur les bords de la mer ; elle est voisine d’une colline dont les bancs inférieurs sont de plâtre de différentes couleurs[18].

En Italie, le comte Marsigli a donné la description de la carrière à plâtre de Saint-Raphaël, aux environs de Bologne, où l’on a fouillé à plus de deux cents pieds de profondeur[19]. On trouve aussi du bon plâtre dans plusieurs provinces de l’Allemagne, et il y en a de très blanc dans le duché de Wurtemberg.

Dans quelques endroits[20] de la Pologne, dit M. Guettard, « le vrai plâtre n’est pas rare ; celui de Rohatin (starostie de Russie) est entièrement semblable au plâtre des environs de Paris, que l’on appelle grygnard : il est composé de morceaux de pierres spéculaires, jaunâtres et brillantes qui affectent une figure triangulaire ; les bancs de cette pierre sont de toutes sortes de largeurs et d’épaisseurs. » On trouve encore du plâtre et du beau gypse aux environs de Bâle, en Suisse, dans le pays de Neufchâtel et dans plusieurs autres endroits de l’Europe.

Il y a de même du plâtre dans l’île de Chypre, et presque dans toutes les provinces de l’Asie. On en fait des magots à la Chine et aux Indes.

L’on ne peut donc guère douter que cette matière ne se trouve dans toutes les parties du monde, quoiqu’elle se présente seulement dans des lieux particuliers et toujours dans le voisinage de la pierre calcaire ; car le plâtre n’étant composé que de substance calcaire réduite en poudre, il ne peut se trouver que dans les endroits peu éloignés des rochers, dont les eaux auront détaché ces particules calcaires, et comme il contient aussi beaucoup d’acide vitriolique, cette combinaison suppose le voisinage de la terre limoneuse, de l’argile et des pyrites, en sorte que les matières plâtreuses ne se seront formées, comme nous l’avons dit, que dans les terrains où ces deux circonstances se trouvent réunies.

Quelque hautes que soient certaines collines à plâtre, il n’est pas moins certain que toutes sont d’une formation plus nouvelle que celle des collines calcaires : outre les preuves que nous en avons déjà données, cela peut se démontrer par la composition même de ces éminences plâtreuses ; les couches n’en sont pas arrangées comme dans les collines calcaires ; quoique posées horizontalement, elles ne suivent guère un ordre régulier, elles sont placées confusément les unes sur les autres, et chacune de ces couches est de matière différente ; elles sont souvent surmontées de marne ou d’argile, quelquefois de tuffeau ou de pierres calcaires en débris et aussi de pyrites, de grès et de pierre meulière : une colline à plâtre n’est donc qu’un gros tas de décombres amenés par les eaux dans un ordre assez confus, et dans lequel les lits de poussière calcaire qui ont reçu les acides des lits supérieurs sont les seuls qui se soient convertis en plâtre. Cette formation récente se démontre encore par les ossements d’animaux terrestres[21] qu’on trouve dans ces couches de plâtre, tandis qu’on n’y a jamais trouvé de coquilles marines. Enfin elle se démontre évidemment, parce que dans cet immense tas de décombres, toutes les matières sont moins dures et moins solides que dans les carrières de pierres anciennes. Ainsi la nature, même dans son désordre, et lorsqu’elle nous paraît n’avoir travaillé que dans la confusion, sait tirer de ce désordre même des effets précieux et former des matières utiles, telles que le plâtre, avec de la poussière inerte et des acides destructeurs ; et comme cette poussière de pierre, lorsqu’elle est fortement imprégnée d’acides, ne prend pas un grand degré de dureté, et que les couches de plâtre sont plus ou moins tendres dans toute leur étendue, soit en longueur ou en largeur, il est arrivé que ces couches, au lieu de se fendre comme les couches de pierre dure par le dessèchement de distance en distance sur leur longueur, se sont au contraire fendues dans tous les sens, en se renflant tant en largeur qu’en longueur ; et cela doit arriver dans toute matière molle qui se renfle d’abord par le dessèchement avant de prendre sa consistance. Cette même matière se divisera par ce renflement en prismes plus ou moins gros et à plus ou moins de faces, selon qu’elle sera plus ou moins tenace dans toutes ses parties. Les couches de pierre au contraire, ne se renflant point par le dessèchement, ne se sont fendues que par leur retraite et de loin en loin, et plus fréquemment sur leur longueur que sur leur largeur, parce que ces matières plus dures avaient trop de consistance, même avant le dessèchement, pour se fendre dans ces deux dimensions, et que dès lors les fentes perpendiculaires n’ont pu se faire que par effort sur l’endroit le plus faible, où la matière s’est trouvée un peu moins dure que le reste de la masse, et qu’enfin le dessèchement seul, c’est-à-dire sans renflement de la matière, ne peut la diviser que très irrégulièrement et jamais en prismes ni en aucune autre figure régulière.


Notes de Buffon
  1. Dictionnaire de Chimie, in-12 ; Paris, 1778, t. II, p. 429.
  2. M. Sage, savant chimiste de l’Académie des sciences, distingue neuf espèces de matières plâtreuses : 1o la terre gypseuse, blanche et friable comme la craie, et qui n’en diffère qu’en ce qu’elle ne fait point effervescence avec les acides ; 2o l’albâtre gypseux qui est susceptible de poli, et qui est ordinairement demi-transparent ; 3o la pierre à plâtre qui n’est point susceptible de poli ; 4o le gypse ou sélénite cunéiforme, appelé aussi pierre spéculaire, miroir d’âne, et vulgairement talc de Montmartre ; 5o le gypse ou sélénite rhomboïdale, dont il a trouvé des morceaux dans une argile rouge et grise de la montagne de Saint-Germain-en-Laye ; 6o le gypse ou sélénite prismatique décaèdre, dont il a vu des morceaux dans l’argile noire de Picardie ; 7o la sélénite basaltine en prismes hexaèdres dans une argile grise de Montmartre ; 8o le gypse ou sélénite lenticulaire, dont les cristaux sont opaques ou demi-transparents, et forment des groupes composés de petites masses orbiculaires renflées dans le milieu, amincies vers les bords ; 9o enfin le gypse ou sélénite striée, composée de fibres blanches, opaques et parallèles, ordinairement brillantes et satinées : on la trouve en Franche-Comté, à la Chine, en Sibérie, et on lui donne communément le nom de gypse de la Chine. Éléments de minéralogie docimastique, nouvelle édition, t. Ier, p. 241 et 242.
  3. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1780.
  4. Époques de la Nature.
  5. J’ai mis dans le foyer d’une forge un morceau de plâtre du poids de deux livres, et après lui avoir fait éprouver une chaleur de la plus grande violence, pendant l’espace de près de huit heures, lorsque je l’en ai tiré, il ne pesait plus que vingt-quatre onces trois gros. Il m’a paru qu’il avait beaucoup diminué de volume ; sa couleur était devenue jaunâtre ; il était beaucoup plus dur qu’auparavant, surtout à sa surface ; il n’avait ni odeur ni goût, et l’eau-forte n’y a fait aucune impression. Après l’avoir broyé avec peine, je l’ai détrempé dans une suffisante quantité d’eau ; mais il ne s’en est pas plus imbibé que si c’eût été du verre en poudre, et il n’a acquis ensuite ni dureté ni cohésion. J’ai répété encore cette expérience de la manière suivante : j’ai fait calciner un morceau de plâtre dans un fourneau à chaux, et au degré de chaleur nécessaire pour la calcination de la pierre ; après l’avoir retiré du fourneau, j’ai observé que sa superficie s’était durcie et était devenue jaunâtre ; mais ce qui m’a surpris, c’est que ce plâtre exhalait une odeur de soufre extrêmement pénétrante ; l’ayant cassé, je l’ai trouvé plus tendre à l’intérieur que lorsqu’il a été cuit à la manière ordinaire, et, au lieu d’être blanc, il était d’un bleu clair : j’ai remis encore une partie de ce morceau de plâtre dans un fourneau de la même espèce, sa superficie y a acquis beaucoup plus de dureté, l’intérieur était aussi beaucoup plus dur qu’auparavant ; le feu avait enlevé sa couleur bleue, et l’odeur de soufre se faisait sentir beaucoup moins. Celui qui n’avait éprouvé que la première calcination s’est réduit facilement en poudre ; l’autre au contraire était parsemé de grains très durs, qu’il fallait casser à coups de marteau : ayant détrempé ces deux morceaux de plâtre pulvérisé dans de l’eau pour essayer d’en former une pâte, le premier a exhalé une odeur de soufre si forte et si pénétrante, que j’avais peine à la supporter ; mais je ne me suis pas aperçu que le mélange de l’eau ait rendu l’odeur du second plus sensible, et ils n’ont acquis l’un et l’autre, en se desséchant, ni dureté ni cohésion.

    J’ai fait calciner un autre morceau de plâtre, du poids d’environ trois livres, au degré de chaleur qu’on fait ordinairement éprouver à cette pierre lorsqu’on veut l’employer : après avoir broyé ce plâtre, je l’ai détrempé dans douze pintes d’eau de fontaine, que j’ai fait bouillir pendant l’espace de deux heures dans des vaisseaux de terre vernissés : j’ai versé ensuite l’eau par inclinaison dans d’autres vaisseaux ; et, après l’avoir filtrée, j’ai continué de la faire évaporer par ébullition ; pendant l’évaporation, sa superficie s’est couverte d’une pellicule formée de petites concrétions gypseuses, qui se précipitaient au fond du vaisseau lorsqu’elles avaient acquis un certain volume : la liqueur étant réduite à la quantité d’une bouteille, j’en ai séparé ces concrétions gypseuses, qui pesaient environ une once, et qui étaient blanches et demi-transparentes. En ayant mis sur des charbons allumés, loin d’y acquérir une plus grande blancheur, comme il serait arrivé au plâtre cru, elles y sont devenues presque aussitôt brunes ; j’ai filtré la liqueur, qui était alors d’un jaune clair et d’un goût un peu lixiviel, et l’ayant fait évaporer au feu de sable dans un grand bocal, il s’y est encore formé des concrétions gypseuses. Lorsque la liqueur a été réduite à la quantité d’un verre, sa couleur m’a paru plus foncée, et, l’ayant goûtée, j’y ai démêlé une saveur acide et néanmoins salée ; je l’ai filtrée avant qu’elle ait été refroidie, et, l’ayant mise dans un lieu frais, j’ai trouvé le lendemain, au fond du vaisseau, trente-six grains de nitre bien cristallisé, formé en aiguilles ou petites colonnes à six faces, qui s’est enflammé sur les charbons en fulminant comme le nitre le plus pur. J’ai fait ensuite évaporer pendant quelques instants le peu de liqueur qui me restait, et j’en ai encore retiré la même quantité de matière saline, d’une espèce différente à la vérité de la première ; car c’était du sel marin, sans aucun mélange d’autres sels, qui était cristallisé en cubes, mais dont la face attachée au vaisseau avait la forme du sommet d’une pyramide dont l’extrémité aurait été coupée ; le reste de la liqueur s’est ensuite épaissi, et il ne s’y est formé aucuns cristaux salins.

    J’ai fait calciner dans un fourneau à chaux un autre morceau de plâtre ; il pesait, après l’avoir calciné, dix onces : sa superficie était devenue très dure, et il exhalait une forte odeur de soufre ; l’ayant cassé, l’intérieur s’est trouvé très blanc, mais cependant parsemé de taches et de veines bleues, et l’odeur sulfureuse était encore plus pénétrante au dedans qu’au dehors ; après l’avoir broyé, j’ai versé quelques gouttes d’eau-forte sur une pincée de ce plâtre, et il a été sur le champ dissous avec beaucoup d’effervescence, quoique les esprits acides soient sans action sur le plâtre cru et sur celui qui n’a éprouvé qu’une chaleur modérée ; j’en ai ensuite détrempé une once avec de l’eau, mais ce mélange ne s’est point échauffé d’une manière sensible, comme il serait arrivé à la chaux ; cependant il s’en est élevé des vapeurs sulfureuses extrêmement pénétrantes : ce plâtre a été très longtemps à se sécher, et il n’a acquis ni dureté ni adhésion.

    On sait en général que les corps qui sont imprégnés d’une grande quantité de sels et de soufre sont ordinairement très durs : telles sont les pyrites vitrioliques et plusieurs autres concrétions minérales. On observe de plus que certains sels ont la propriété de s’imbiber d’une quantité d’eau très considérable, et de faire paraître les liquides sous une forme sèche et solide : si on fait dissoudre dans une quantité d’eau suffisante une livre de sel de Glauber, qu’on aura fait sécher auparavant à la chaleur du feu ou aux rayons du soleil jusqu’à ce qu’il soit réduit en une poudre blanche, on retirera de cette dissolution environ trois livres de sel bien cristallisé ; ce qui prouve que l’eau qu’il peut absorber est en proportion double de son poids. Il se peut donc faire que la petite quantité de sel que le plâtre contient contribue, en quelque chose, à sa cohésion ; mais je suis persuadé que c’est principalement au soufre auquel il est uni qu’on doit attribuer la cause du prompt dessèchement et de la dureté qu’il acquiert, après avoir éprouvé l’effervescence, en comparaison de celle qu’acquiert la chaux vive jetée dans l’eau ; cette effervescence est cependant assez semblable et très réelle, puisqu’il y a mouvement intestin, chaleur sensible et augmentation de volume : or, toute effervescence occasionne une raréfaction, et même une génération d’air, et c’est par cette raison que le plâtre se renfle et qu’il pousse en tous sens, même après qu’il a été mis en œuvre ; mais cet air produit par l’effervescence est bientôt absorbé et fixé de nouveau dans les substances qui abondent en soufre. En effet, selon M. Hales (Statique des végétaux, expérience ciii), le soufre absorbe l’air non seulement lorsqu’il brûle, mais même lorsque les matières où il se trouve incorporé fermentent : il donne pour exemple des mèches, faites de charpie de vieux linges trempées dans du soufre fondu et ensuite enflammé, qui absorbèrent cent quatre-vingt-dix-huit pouces cubiques d’air. On sait d’ailleurs que cet air ainsi fixé, et qui a perdu son ressort, attire avec autant de force qu’il repousse dans son état d’élasticité ; on peut donc croire que le ressort de l’air contenu dans le plâtre, ayant été détruit durant l’effervescence par le soufre auquel il est uni, les parties constituantes de ce mixte s’attirent alors mutuellement, et se rapprochent assez pour lui donner la dureté et la densité que nous lui voyons prendre en aussi peu de temps. (Note communiquée par M. Nadault.)

  6. Dictionnaire de Chimie, p. 430.
  7. Litho-géognosie, t. II.
  8. « Cronstedt dit que le gypse est le fossile qui manque le plus en Suède ; que cependant il en possède des morceaux qui ont été trouvés à une grande profondeur, dans la montagne de Kupferberg, dans une carrière d’ardoise qui est auprès de la fabrique d’alun d’Andrarum, et qu’il a aussi un morceau d’alabastrite ou gypse strié que l’on a trouvé près de Nykioping. Il rapporte ensuite diverses expériences qu’il a faites sur des substances gypseuses, et il ajoute : 1o que le gypse calciné avec de la matière inflammable donne des indications d’acide sulfureux et d’une terre alcaline ; 2o que l’on trouve du gypse dans la mine de Kupferberg près d’Andrarum, entremêlé de couches d’ardoise et de pyrites, et qu’à Westersilberberg on le rencontre avec du vitriol blanc ; 3o que l’acide vitriolique est le seul des trois acides minéraux qui puisse donner à la terre calcaire la propriété de prendre corps et de se durcir avec l’eau, après avoir été légèrement calcinée, car l’acide de sel marin, en dissolvant la chaux, forme ce qu’on appelle (très improprement) le sel ammoniac fixe. Pour l’acide du nitre, il n’a point encore été trouvé dans le règne minéral : il faut conclure de là que la nature, dans la formation du gypse, emploie les mêmes matières que l’art ; cependant la combinaison qu’elle fait paraît bien plus parfaite. » Expériences sur le gypse dans un recueil de Mémoires sur la Chimie, traduit de l’allemand ; Paris, 1764, t. II, p. 337 et suiv.
  9. « On croirait, dit M. Bowles, que les feuilles d’argile, mêlées avec la terre calcaire, que l’on trouve souvent étendue sur le plâtre, en sont de véritables couches, mais cela n’est pas : elles sont de cette façon, parce que le temps de leur destruction n’est pas encore arrivé, et le plâtre est dans cet endroit plus nouveau que l’argile mêlée de terre calcaire, que je trouvai, par des expériences, être un plâtre imparfait. » Hist. naturelle d’Espagne, p. 192.
  10. « Dans les carrières de Montmartre, dit M. Guettard, les bancs sont ordinairement entrecoupés d’une bande de pierre spéculaire, qui est quelquefois d’un pied, et d’autres fois n’a que quelques pouces : cette pierre est communément d’un jaune transparent, mais quelquefois sa couleur est d’un brun ou d’un verdâtre de glaise : elle se trouve ordinairement dans des terres de l’une ou de l’autre de ces couleurs, elle y est en petites paillettes ; le total forme une bande qui n’a que quelques pouces : elle sépare ordinairement le second banc de pierre à plâtre, qui est un de ceux qui sont au-dessous des pierres veinées ; le premier l’est par une couche de l’autre pierre spéculaire. Cette couche forme communément des masses de morceaux arrangés irrégulièrement, de façon cependant qu’on peut la distinguer en deux parties : je veux dire qu’une partie des morceaux semble pendre du banc supérieur de pierre à plâtre, et l’autre s’élever du banc inférieur qu’elle sépare ; quelquefois il se trouve des morceaux qui sont isolés, et qui ont une figure triangulaire dont la base forme un angle aigu et rentrant ; les autres morceaux qui composent les masses irrégulières des autres couches affectent également plus ou moins cette figure, et tous se lèvent par feuillets. »

    M. Guettard ajoute qu’il en est à peu près de même de toutes les carrières à plâtre des environs de Paris. Voyez les Mémoires de l’Académie des sciences, année 1756, p. 239.

  11. Note communiquée par M. du Morey, ingénieur en chef de la province de Bourgogne, à M. de Buffon, 22 juillet 1779.
  12. « Le canton de Lunéville en Lorraine, dit M. Guettard, ne m’offrit rien de plus curieux, par rapport à l’histoire naturelle, qu’une carrière à plâtre qui est à Serbeville, village peu éloigné de Lunéville ; les bancs dont cette carrière est composée sont dans cet ordre : 1o un lit de terre de 28 pieds ; 2o un cordon rougeâtre de deux à trois pieds ; 3o un lit de châlin noir de 4 pieds ; 4o un cordon jaune de 2 pieds ; 5o un lit de châlin verdâtre de 4 à 5 pieds ; 6o un lit de crasses, moitié bonnes, moitié mauvaises, de 3 pieds ; 7o un lit de 4 pieds de pierres appelées moutons ; 8o un filet d’un pouce de tarque ; 9o un lit de 1/2 pied de carreau, bon pour la maçonnerie ; 10o un lit de plâtre gris de 1 pied ; 11o un lit de 1 pied de moellon de pierre calcaire jaunâtre, bleuâtre ou mêlée de deux couleurs et coquillière. On y voit des empreintes de cames, des peignes ou des noyaux de ces coquilles, et de jolies dendrites noires : ce dernier banc est plus considérable que je ne viens de le dire, ou bien il est suivi d’autres bancs de différentes épaisseurs ; on ne les perce que lorsqu’on fait des canaux pour l’écoulement des eaux des pluies…

    » Les uns ou les autres des lits ou des bancs de cette carrière, et surtout les petits, forment des ondulations qui donnent à penser que les dépôts auxquels ils sont dus ont été faits par les eaux.

    » Quoique l’on fasse une distinction entre ces plâtres, et qu’on donne à l’un le nom de blanc préférablement à l’autre, celui-ci n’est pas néanmoins réellement noir ; il n’est seulement qu’un peu moins blanc que l’autre : on met à part le plus blanc, et l’on mêle ensemble toutes les autres espèces ; ces espèces sont le plâtre qu’on appelle par préférence le noir, la crasse, le rouge, le tarque, le mouton et le très noir. Le rouge est d’une couleur de chair ou de cerise pâle, le tarque est brun noirâtre, et la crasse tire sur le gris blanc ; le blanc même le plus beau n’est pas transparent, mais les uns et les autres de ces bancs en fournissent qui sont fibreux, d’un blanc sale soyeux, et qui a de la transparence. » Mémoires de l’Académie des sciences, année 1763, p. 156 et suiv.

  13. Voyez les Mémoires sur la minéralogie du Dauphiné, t. II, p. 278, 279, 286, 289 et 290.
  14. Voyez le Journal de physique d’octobre 1780, p. 289 et suiv.
  15. « Il y en a de plus de 60 pieds de profondeur, qui ont plus de trente couches, depuis 2 lignes jusqu’à 2 pieds d’épaisseur, qui paraissent avoir été déposées et charriées avec une gradation successive, selon qu’on le voit par leurs feuillets et leurs couleurs ; mais ce n’est cependant qu’une seule et même masse de plâtre, variée seulement par l’arrangement des parties. » Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles, p. 191 et 192.
  16. Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles, p. 106.
  17. Idem, ibidem.
  18. « Au bas de cette montagne, dit M. Bowles, il y a une couche de marne ou terre à chaux mêlée d’argile, jaune, rouge et grise, laquelle sert de couverture à une base de plâtre ronge, blanc, châtain, couleur de rose, noir, gris et jaune, qui est le fondement de toute la montagne. » Idem, ibidem, p. 84.
  19. « Il y a dans ce lieu trois espèces de gypse : dans la première, située parallèlement à l’horizon et disposée par lits alternatifs avec des lits de terre, est le gypse commun nommé scaglia par les ouvriers du pays ; on l’employait autrefois tout brut dans les fondations des tours, et même pour les ornements des portes et des fenêtres ; mais à présent, étant brûlé et réduit en poudre, il passe pour un excellent ciment, surtout si on le mêle avec de la chaux pour qu’il résiste mieux à l’humidité.

    » La seconde espèce de gypse, appelée scagliola, est située perpendiculairement à l’horizon, dans les fentes de la montagne : c’est une espèce de talc imparfait, et peut-être la pierre spéculaire de Pline. On la calcine et on la réduit en poudre très fine, blanche comme la neige, dont on fait des figures moulées aussi élégantes que celles du plus beau marbre blanc faites au ciseau.

    » La troisième espèce de gypse est oblique à l’horizon : elle ressemble à l’alun de plume, et peut en être une espèce impure et imparfaite.

    » On rencontre aussi quelquefois dans les fentes de cette montagne certaine croûte que les ouvriers appellent œil de gypse et nervature : cette matière reçoit le poli comme le marbre, et ne cède point au plus bel albâtre par la distribution des taches. » Collection académique, partie étrangère, t. VI, p. 476.

  20. « Rzaczynski indique plusieurs endroits de la Pologne qui fournissent du plâtre sous la forme de pierre spéculaire, ou sous celle qui lui est le plus ordinaire : selon cet auteur, la pierre spéculaire est commune entre Crovie et Sonez, dans le village de Posadza (situé, comme les deux derniers endroits, dans la petite Pologne), le palatinat de Russie, et près le village de Marchocice ; elle est abondante proche Podkamien ; les caves de Saruki sont creusées dans des roches de cette pierre…

    » L’autre espèce de plâtre se tire en grande Pologne, près Goska, distant de deux lieues de Keinia, près Vapuo ; du canton de Paluki, et dans d’autres endroits de la petite Pologne… Les campagnes de Skala-Trembowla en ont qui ressemble à de l’albâtre, et auquel il ne manque que de la dureté pour être, selon Rzaczynski, regardé comme un marbre. Ces endroits ne sont pas les seuls qui fournissent de cette pierre : on en rencontre çà et là, suivant cet auteur… On trouve encore du plâtre à Bolestraszice, à Lakodow, à dix lieues du Léopol, dans le palatinat de Russie : ce plâtre est transparent, l’on en fait des vitres ; ce n’est sans doute que de la pierre spéculaire. Celui que les Italiens appellent alun-scagliola, et qui n’est que de la pierre spéculaire, se trouve à Zawale et à Czarnakozynce. Ces endroits donnent également du plâtre ordinaire et blanc ; ils sont de Podolie ou du territoire de Kuminice. » Mémoire de M. Guettard, dans ceux de l’Académie des sciences, année 1762, p. 301 et 302.

  21. Nous avons au Cabinet du Roi des mâchoires de cerf avec leurs dents, trouvées dans les carrières de plâtre de Montmartre, près Paris.
Notes de l’éditeur
  1. Le gypse est un sulfate de chaux hydraté ; on le transforme en plâtre par la calcination, qui lui enlève son eau.
  2. On désigne sous le nom d’eau de cristallisation l’eau qui entre dans la composition des corps cristallisés ; par la calcination on enlève cette eau, mais en même temps on fait disparaître l’état cristallin. Cette eau joue donc un rôle très important dans la constitution moléculaire des corps cristallisés.
  3. Ou acide carbonique [Note de Wikisource : en termes actuels, dioxyde de carbone].
  4. Quand on jette de l’eau dans la chaux vive, c’est-à-dire sur le carbonate de chaux qui a été déshydraté et transformé en oxyde de chaux par la calcination, on la transforme de nouveau en carbonate de chaux, et l’on peut, en effet, la garder indéfiniment dans cet état qui est semblable à celui dans lequel elle se trouvait avant la calcination.
  5. Le plâtre reprend, en effet, son eau de cristallisation quand on le mélange à l’eau, et il se cristallise de nouveau en reprenant la dureté et la compacité qu’il avait avant la calcination.