Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/De la craie



DE LA CRAIE

Jusqu’ici nous n’avons parlé que des matières qui appartiennent à la première nature : le quartz, le jaspe, les porphyres, les granits, produits immédiats du feu primitif ; les grès, les argiles, les schistes, les ardoises, détriments de ces premières substances, et qui, quoique transportés, pénétrés, figurés par les eaux, et même mélangés des premières productions de ce second élément, n’en appartiennent pas moins à la grande masse primitive des matières vitreuses, lesquelles dans cette première époque composaient seules le globe entier. Maintenant, considérons les matières calcaires qui se trouvent eu si grande quantité, et en tant d’endroits sur cette première surface du globe, et qui sont proprement l’ouvrage de l’eau même et son produit immédiat : c’est dans cet élément que se sont en effet formées ces substances qui n’existaient pas auparavant, qui n’ont pu se produire que par l’intermède de l’eau, et qui non seulement ont été transportées, entassées et disposées par ses mouvements, mais même ont été combinées, composées et produites dans le sein de la mer.

Cette production d’une nouvelle substance pierreuse par le moyen de l’eau est un des plus étonnants ouvrages de la nature, et en même temps un des plus universels ; il tient à la génération la plus immense peut-être qu’elle ait enfantée dans sa première fécondité : cette génération est celle des coquillages, des madrépores, des coraux et de toutes les espèces qui filtrent le suc pierreux et produisent la matière calcaire, sans que nul autre agent, nulle autre puissance particulière de la nature, puisse ou ait pu former cette substance. La multiplication de ces animaux à coquilles est si prodigieuse, qu’en s’amoncelant ils élèvent encore aujourd’hui en mille endroits des récifs, des bancs, des hauts-fonds, qui sont les sommets des collines sous-marines, dont la base et la masse sont également formées de l’entassement de leurs dépouilles[1]. Et combien dut être encore plus immense le nombre de ces ouvriers du vieil Océan dans le fond de la mer universelle, lorsqu’elle saisit tous les principes de fécondité répandus sur le globe animé de sa première chaleur !

Sans cette réflexion pourrions-nous soutenir la vue vraiment accablante des masses de nos montagnes calcaires[2], entièrement composées de cette matière toute formée des dépouilles de ces premiers habitants de la mer ? Nous en voyons à chaque pas les prodigieux amas ; nous en avons déjà recueilli mille preuves[3] ; chaque contrée peut en offrir de nouvelles, et les articles suivants les confirmeront encore par un plus grand développement[4].

Nous commencerons par la craie[NdÉ 1], non qu’elle soit la plus commune ou la plus noble des substances calcaires ; mais parce que de ces matières, qui toutes également tirent leur origine des coquilles[NdÉ 2], la craie doit en être regardée comme le premier détriment, dans lequel cette substance coquilleuse est encore toute pure, sans mélange d’autre matière, et sans aucune de ces nouvelles formes de cristallisation spathique, que la stillation des eaux donne à la plupart des pierres calcaires ; car, en réduisant des coquilles en poudre, on aura une matière toute semblable à celle de la craie pulvérisée.

Il a donc pu se former de grands dépôts de ces poudres de coquilles, qui sont encore aujourd’hui sous cette forme pulvérulente, ou qui ont acquis avec le temps de la consistance et quelque solidité ; mais les craies sont en général ce qu’il y a de plus léger et de moins solide dans ces matières calcaires, et la craie la plus dure est encore une pierre tendre ; souvent au lieu de se présenter en masses solides, la craie n’est qu’une poussière sans cohésion, surtout dans ses couches extérieures : c’est à ces lits de poussière de craie qu’on a souvent donné le nom de marne ; mais je dois avertir, pour éviter toute confusion, que ce nom ne doit s’appliquer qu’à une terre mêlée de craie et d’argile, ou de craie et de terre limoneuse, et que la craie est au contraire une matière simple, produite par le seul détriment des substances purement calcaires.

Ces dépôts de poudre coquilleuse ont formé des couches épaisses et souvent très étendues, comme on le voit dans la province de Champagne, dans les falaises de Normandie, dans l’Île-de-France, à la Roche-Guyon, etc. ; et ces couches composées de poussières légères, ayant été déposées les dernières, sont exactement horizontales, et prennent rarement de l’inclinaison, même dans leurs lits les plus bas, où elles acquièrent plus de dureté que dans les lits supérieurs : cette même différence de solidité s’observe dans toutes les carrières anciennement formées par les sédiments des eaux de la mer. La masse entière de ces bancs calcaires était également molle dans le commencement ; mais les couches inférieures, formées avant les autres, se sont consolidées les premières, et en même temps elles ont reçu par infiltration toutes les particules pierreuses que l’eau a détachées et entraînées des lits supérieurs : cette addition de substance a rempli les intervalles et les pores des pierres inférieures, et a augmenté leur densité et leur dureté à mesure qu’elles se formaient et prenaient de la consistance par la réunion de leurs propres parties. Cependant la dureté des matières calcaires est toujours inférieure à celle des matières vitreuses qui n’ont point été altérées ou décomposées par l’eau : les substances coquilleuses, dont les pierres calcaires tirent leur origine, sont par leur nature d’une consistance plus molle et moins solide que les matières vitreuses ; mais quoiqu’il n’y ait point de pierres calcaires aussi dures que le quartz ou les jaspes, quelques-unes, comme les marbres, le sont néanmoins assez pour recevoir un beau poli.

La craie, même la plus durcie, n’est susceptible que du poli gras que prennent les matières tendres, et se réduit au moindre effort en une poussière semblable à la poudre des coquilles ; mais quoiqu’une grande partie des craies ne soit en effet que le débris immédiat de la substance des coquilles, on ne doit pas borner à cette seule cause la production de toutes les couches de craie qui se trouvent à la surface de la terre ; elles ont, comme les sables vitreux, une double origine ; car la quantité de la matière coquilleuse réduite en poussière s’est très considérablement augmentée par les détriments et les exfoliations qui ont été détachés de la surface des masses solides de pierres calcaires par l’impression des éléments humides ; l’établissement local de ces masses calcaires paraît en plusieurs endroits avoir précédé celui des couches de craie. Par exemple, le grand terrain crétacé de la Champagne commence au-dessous de Troyes et finit au delà de Rethel, ce qui fait une étendue d’environ quarante lieues, sur dix ou douze de largeur moyenne ; et la montagne de Reims qui fait saillie sur ce terrain n’est pas de craie, mais de pierre calcaire dure : il en est de même du mont Aimé, qui est isolé au milieu de ces plaines de craie, et qui est également composé de bancs de pierres dures très différentes de la craie, et qui sont semblables aux pierres des montagnes situées de l’autre côté de Vertus et de Bergères. Ces montagnes de pierre dure paraissent donc avoir surmonté de tout temps les collines et les plaines où gisent actuellement les craies, et dès lors on peut présumer que ces couches de craie ont été formées, du moins en partie, par les exfoliations et les poussières de pierre calcaire que les éléments humides auront détachées de ces montagnes, et que les eaux auront entraînées dans les lieux plus bas où gît actuellement la craie. Mais cette seconde cause de la production des craies est subordonnée à la première, et même dans plusieurs endroits de ce grand terrain crétacé la craie présente sa première origine et paraît purement coquilleuse ; elle se trouve composée ou remplie de coquilles entières parfaitement conservées, comme on le voit à Courtagnon et ailleurs ; en sorte qu’on ne peut douter que l’établissement local de ces couches de craie mêlée de coquilles ne se soit fait dans le sein de la mer et par le mouvement de ses eaux. D’ailleurs, on trouve souvent les dépôts ou lits de craie surmontés par d’autres matières qui n’ont pu être amenées que par alluvion, comme en Pologne, où les craies sont très abondantes, et particulièrement dans le territoire de Sadki, où M. Guettard dit, d’après Rzaczynski, qu’on ne trouve la craie qu’au-dessous d’un lit de mine de fer qui est précédé de plusieurs autres couches de différentes matières[5].

Ces dépôts de craie, formés au fond de la mer par le sédiment des eaux, n’étaient pas originairement d’une matière aussi simple et aussi pure qu’elle l’est aujourd’hui ; car on trouve entre les couches de cette matière crétacée de petits lits de substance vitreuse ; le silex, que nous nommons pierre à fusil, n’est nulle part en aussi grande quantité que dans les craies. Ainsi cette poussière crétacée était mélangée de particules vitreuses et silicées, lorsqu’elle a été transportée et déposée par les eaux ; et après l’établissement de ces couches de craie mêlées de parties silicées, l’eau les aura pénétrées par infiltration, se sera chargée de ces particules silicées, et les aura déposées entre les couches de craie, où elles se seront réunies par leur force d’affinité ; elles y ont pris la forme et le volume que les cavités ou les intervalles entre les couches leur ont permis de prendre. Cette sécrétion de silex se fait dans les craies de la même manière que celle de la matière calcaire se fait dans les argiles : ces substances hétérogènes, atténuées par l’eau et entraînées par sa filtration, sont également posées entre les grandes couches de craie et d’argile, et disposées de même en lits horizontaux ; seulement on observe que les petites masses de pierres calcaires, ainsi formées dans l’argile, sont ordinairement plates et assez minces, au lieu que les masses de silex formées dans la craie sont presque toujours en petits blocs épais et arrondis. Cette différence peut provenir de ce que la résistance de l’argile est plus grande que celle de la craie ; en sorte que la force de la masse silicée qui tend à se former soulève ou comprime aisément la craie dont elle se trouve environnée, au lieu que la même force ne peut faire un aussi grand effet dans l’argile qui, étant plus compacte et plus pesante, cède plus difficilement et se comprime moins. Il y a encore une différence très apparente dans l’établissement de ces deux sécrétions, relativement à leur quantité : dans les collines de craie coupées à pic, on voit partout ces lits de silex, dont la couleur brune contraste avec le blanc de la couche de craie ; souvent il se trouve de distance à autre plusieurs de ces lits toujours posés horizontalement entre les grands lits de craie, dont l’épaisseur est de plusieurs pieds, en sorte que toute la masse de craie, jusqu’à la dernière couche, paraît être traversée horizontalement par ces petits lits de silex, au lieu que dans les argiles coupées de même aplomb, les petits lits de pierre calcaire ne se trouvent qu’entre les couches supérieures, et n’ont jamais autant d’épaisseur et de continuité que les lits de silex, ce qui paraît encore provenir de la plus grande facilité de l’infiltration des eaux dans la craie qu’elles pénètrent dans toute son épaisseur, au lieu qu’elles ne pénètrent que les premières couches de l’argile, et ne peuvent par conséquent déposer des matières calcaires à une grande profondeur.

La craie est blanche, légère et tendre, et selon ses degrés de pureté elle prend différents noms. Comme toutes les autres substances calcaires, elle se convertit en chaux par l’action du feu et fait effervescence avec les acides ; elle perd environ un tiers de son poids par la calcination, sans que son volume en soit sensiblement diminué, et sans que sa nature en soit essentiellement altérée[NdÉ 3], car en la laissant exposée à l’air et à la pluie, cette chaux de craie reprend peu à peu les parties intégrantes que le feu lui avait enlevées, et dans ce nouvel état on peut la calciner une seconde fois, et en faire de la chaux d’aussi bonne qualité que la première. On peut même se servir de la craie crue pour faire du mortier, en la mêlant avec la chaux, car elle est de même nature que le gravier calcaire, dont elle ne diffère que par la petitesse de ses grains. La craie que l’on connaît sous le nom de blanc d’Espagne est l’une des plus fines, des plus pures et des plus blanches ; on l’emploie pour dernier enduit sur les autres mortiers. Cette craie fine ne se trouve pas en grandes couches ni même en bancs, mais dans les fentes des rochers calcaires et sur la pente des collines crétacées ; elle y est conglomérée en pelotes plus ou moins grosses, et quand cette craie fine est encore plus atténuée, elle forme d’autres concrétions d’une substance encore plus légère, auxquelles les naturalistes ont donné le nom de lac lunæ[6] (nom très impropre, puisqu’il ne désigne qu’un rapport chimérique), medulla saxi (qui ne convient guère mieux, puisque le mot saxum, traduit par ces mêmes naturalistes, ne désigne pas la pierre calcaire, mais le roc vitreux) ; cette matière serait donc mieux désignée par le nom de fleur de craie, car ce n’est en effet que la partie la plus ténue de la craie que l’eau détache et dépose ensuite dans les cavités qu’elle rencontre. Et lorsque ce dépôt, au lieu de se faire eu masses, ne se fait qu’en superficie, cette même matière prend la forme de lames et d’écailles, auxquelles ces mêmes nomenclateurs[7] en minéralogie ont donné le nom d’agaric minéral (ce qui n’est fondé que sur une fausse analogie).

Les hommes, avant d’avoir construit des maisons, ont habité les cavernes ; ils se sont mis à l’abri des rigueurs de l’hiver et de la trop grande ardeur de l’été, en se réfugiant dans les antres des rochers, et lorsque cette commodité leur a manqué, ils ont cherché à se la procurer aux moindres frais possibles, en faisant des galeries et des excavations dans les matières les moins dures, telles que la craie. Le nom de Troglodytes, habitants des cavernes, donné aux peuples les plus antiques, en est la preuve, aussi bien que le grand nombre de ces grottes que l’on voit encore aux Indes, en Arabie, et dans tous les climats où le soleil est brûlant et l’ombrage rare. La plupart de ces grottes ont été travaillées de main d’homme, et souvent agrandies au point de former de vastes habitations souterraines, où il ne manque que la facilité de recevoir le jour, car du reste elles sont saines, et, dans ces climats chauds, fraîches sans humidité. On voit même dans nos coteaux et collines de craie des excavations à rez-de-chaussée, pratiquées avec avantage et moins de dépense qu’il n’en faudrait pour construire des murs et des voûtes, et les blocs tirés de ces excavations servent de matériaux pour bâtir les étages supérieurs. La craie des lits inférieurs est en effet une espèce de pierre assez tendre dans sa carrière, mais qui se durcit à l’air, et qu’on peut employer non seulement pour bâtir, mais aussi pour les ouvrages de sculpture.

La craie n’est pas si généralement répandue que la pierre calcaire dure ; ses couches, quoique très étendues en superficie, ont rarement autant de profondeur que celles des autres pierres, et, dans cinquante ou soixante pieds de hauteur perpendiculaire, on voit souvent tous les degrés du plus ou moins de solidité de la craie ; elle est ordinairement en poussière ou en moellon très tendre dans le lit supérieur ; elle prend plus de consistance à mesure qu’elle est située plus bas ; et comme l’eau la pénètre jusqu’à la plus grande profondeur, et se charge des molécules crétacées les plus fines, elle produit non seulement les pelotes de blanc d’Espagne, de moelle de pierre[8] et de fleur de craie, mais aussi les stalactites solides ou en tuyaux, dont sont formés les tufs. Toutes ces concrétions, qui proviennent des détriments de la craie, ne contiennent point de coquilles ; elles sont, comme toutes les autres exsudations ou stillations, composées des particules les plus déliées que l’eau a enlevées et ensuite déposées sous différentes formes dans les fentes ou cavités des rochers, ou dans les lieux plus bas où elles se sont rassemblées.

Ces dépôts secondaires de matières crétacées se font assez promptement pour remplir en quelques années des trous de trois ou quatre pieds de diamètre et d’autant de profondeur ; toutes les personnes qui ont planté des arbres dans les terrains de craie ont pu s’apercevoir d’un fait qui doit servir ici d’exemple : ayant planté un bon nombre d’arbres fruitiers dans un terrain fertile en grains, mais dont le fond est d’une craie blanche et molle, et dont les couches ont une assez grande profondeur, les arbres y poussèrent assez vigoureusement la première et la seconde année ; ensuite ils languirent et périrent. Ce mauvais succès ne rebuta pas le propriétaire du terrain ; on fit des tranchées plus profondes dont on tira toute la craie, et on les remplit ensuite de bonne terre végétale, dans laquelle on planta de nouveaux arbres, mais ils ne réussirent pas mieux, et tous périrent en cinq ou six années. On visita alors avec attention le terrain où ces arbres avaient été plantés, et l’on reconnut avec quelque surprise que la bonne terre qui avait été mise dans les tranchées était si fort mêlée de craie, qu’elle avait presque disparu, et que cette très grande quantité de matière crétacée n’avait été amenée que par la stillation des eaux[9].

Cependant cette même craie, qui paraît si stérile et même si contraire à la végétation, peut l’aider et en augmenter le produit en la répandant sur les terres argileuses trop dures et trop compactes ; c’est ce que l’on appelle marner les terres, et cette espèce de préparation leur donne de la fécondité pour plusieurs années ; mais comme les terres de différentes qualités demandent à être marnées de différentes façons, et que la plupart des marnes dont on se sert diffèrent de la craie, nous croyons devoir en faire un article particulier.


Notes de Buffon
  1. « Toutes les îles basses du tropique austral semblent avoir été produites par des animaux du genre des polypes, qui forment les lithophytes ; ces animalcules élèvent peu à peu leur habitation de dessus une base imperceptible, qui s’étend de plus en plus, à mesure que sa structure s’élève davantage. J’ai vu de ces larges structures à tous les degrés de leur construction. » Observations de Forster, à la suite du Second Voyage du capitaine Cook, p. 135. — « Ces îles sont généralement liées les unes aux autres par des récifs de rochers de corail. » Idem, ibid. — « Nous découvrîmes les îles, vues par M. de Bougainville, par les 17° 24′ latitude, et 141° 39′ longitude ouest : une de ces îles basses, à moitié submergée, n’était qu’un grand banc de corail, de vingt lieues de tour. » Cook, Second Voyage, t. Ier, p. 293. — « On rencontra une ceinture de petites îles, jointes ensemble par un récif de rochers de corail. » Idem, t. II, p. 285. — « Nous abordâmes à l’île Sauvage (une de celles des Amis) ; ses bords n’étaient que des rochers de corail. » Idem, t. III, p. 10. — Cette multitude d’îles basses et de bancs sur lesquels se perdit le navigateur Roggevin ont été revus et reconnus par MM. Byron et Cook ; toutes ces îles ne sont soutenues que par des bancs de corail, élevés du fond de la mer jusqu’à sa surface. (Voyez le chapitre xi de la Relation du Second Voyage du capitaine Cook, traduction française, t. II, p. 275.) Ce fait étonnant a été si bien vu par ces bons observateurs qu’on ne peut le révoquer en doute, et il fournit à M. Forster cette réflexion frappante : « Le petit ver, dont le corail est l’ouvrage et qui paraît si insensible qu’on le distingue à peine d’une plante, agrandit son habitation, et construit un édifice de roches, depuis un point du fond de la mer, que l’art humain ne peut pas mesurer, jusqu’à la surface des flots ; il prépare ainsi une base à la résidence de l’homme. » Forster, Second Voyage de Cook, t. II, p. 283. — Voyez de plus toutes les relations des navigateurs sur les sondes tombées sur des rochers de coquillages et sur les câbles et grelins des ancres coupés contre les récifs de madrépores et de coraux. — « En traversant la Picardie, la Flandre française, la Champagne, la Lorraine allemande, le pays Messin, etc., M. Monnet a observé que les coquilles se montrent jusqu’à plus de trois cents pieds de profondeur perpendiculaire, à commencer des vallées les plus profondes… On trouve même des bancs de corail ou de madrépores auprès de Clermont, village de la principauté de Liège, de plus de soixante pieds de hauteur. Ces bancs sont droits comme des murailles ; ils ressemblent assez à ceux qui sont décrits par le capitaine Cook, et qui sont situés auprès de la Nouvelle-Guinée ; ils renferment des bancs de bon marbre qu’on exploite. » Tableau des Voyages minéralogiques de M. Monnet, Journal de Physique, février 1781, p. 160 et suiv.
  2. M. Monnet profita d’une ouverture qu’on avait faite dans une des plus profondes vallées de Bas-Bolonais, à dessein d’y découvrir du charbon, pour observer jusqu’où vont les bancs de pierre calcaire et les coquilles : cette ouverture de cinq cents pieds de profondeur perpendiculaire, et qui passait le niveau de la mer de plus de cent pieds, a montré autant de coquilles dans son fond que dans sa hauteur. Tableau des Voyages minéralogiques de M. Monnet, Journal de Physique, février 1781, p. 161.
  3. Voyez tous les articles de la Théorie de la Terre, des Preuves et des Suppléments, sur les carrières et les montagnes composées de coquillages et autres dépouilles des productions marines.
  4. Voyez en particulier les articles de la pierre calcaire et du marbre.
  5. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1762, p. 294.
  6. Wormius et plusieurs autres après lui.
  7. Ferrante Imperati et d’autres après lui.
  8. On a aussi nommé cette moelle de pierre ou de craie farina mineralis, parce qu’elle ressemble à la farine par sa blancheur et sa légèreté, et qu’on a même prétendu, mais fort mal à propos, qu’elle peut devenir un aliment en la mêlant avec de la farine de grain. Éphémérides d’Allemagne, dec. iii, observation 219.
  9. Note communiquée par M. Nadault.
Notes de l’éditeur
  1. Carbonate de chaux hydraté.
  2. Il faut distinguer la craie envisagée comme roche constituante du globe, de la craie envisagée comme substance chimique. Les roches calcaires ont toutes été formées comme l’indique Buffon par des tests calcaires de mollusques, de foraminifères, de crustacés, etc. Mais ces animaux eux-mêmes fabriquent leurs tests avec du bicarbonate de chaux qui existe dans l’eau à l’état de bicarbonate de chaux solide. Ce bicarbonate doit lui-même être considéré comme s’étant formé primitivement par la combinaison de l’acide carbonique de l’atmosphère avec l’oxyde de calcium. [Note de Wikisource : L’éditeur commet ici une confusion entre le carbonate de chaux et le bicarbonate de chaux. En réalité, le carbonate de chaux, constituant de la craie, est très peu soluble dans l’eau ; mais, si l’eau est chargée en dioxyde de carbone (ou acide carbonique) dissous (ce qui peut arriver à la suite d’un refroidissement de l’eau ou d’une augmentation de la concentration du dioxyde de carbone dans l’air), le carbonate de chaux se convertit en bicarbonate de chaux, très soluble dans l’eau. Les tests et les squelettes des êtres vivants sont formés de carbonate de chaux solide, précipité à partir de ce bicarbonate de chaux dissous ; les algues et les animaux marins procèdent donc à la conversion inverse du bicarbonate de chaux en carbonate de chaux. Ainsi peut-on définir deux causes de précipitation du calcaire : la première, purement physique, liée aux changements des conditions physico-chimiques du milieu (élévation de température, acidification des eaux, etc.), et qui donne lieu à la formation des albâtres, travertins, concrétions dans les grottes et les sources pétrifiantes (voyez l’article de l’albâtre) ; la seconde, d’origine biologique, qui se manifeste dans la construction par les algues et les animaux de leur test ou squelette calcaire, et qui donne lieu, après compaction des débris de ces tests, à la formation de l’immense majorité des roches calcaires (dont la craie). Notons cependant que ces causes ne sont pas sans liens : d’une part, la formation des travertins et autres concrétions par les eaux chargées en calcium et en dioxyde de carbone — formation que nous avons rattachée aux causes physiques — est souvent accélérée par la présence dans ces eaux de bactéries, d’algues ou de plantes, qui y prélèvent directement le dioxyde de carbone qui s’y tenait dissous, et en accélèrent ainsi l’alcalinisation ; d’autre part, la formation d’un test ou d’un squelette calcaire est une opération très coûteuse en énergie pour les êtres vivants, mais d’autant moins coûteuse que les conditions du milieu sont plus favorables à la conversion spontanée du bicarbonate en carbonate de chaux, ce qui favorise alors la prolifération des espèces testacées, et a fortiori la formation des roches calcaires d’origine biologique.]
  3. La calcination « altère » au contraire profondément la « nature de la craie ». Elle lui enlève son acide carbonique et son eau et la transforme en chaux ou oxyde de calcium. Mais si on laisse la chaux exposée à l’air, elle reprend à l’atmosphère de l’acide carbonique et de l’eau et se transforme de nouveau en carbonate de chaux hydraté.