Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 098

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 110-111).

FABLE XCVIII.

LE TIGRE ET LE CHAT.


Un tigre à déjeuner mangeoit un mouton gras ;
Un beau chat le regardoit faire,
Il étoit de sa loge éloigné de vingt pas.
Lorsque le sire eut fini son repas,
Il examine, il considère
Et la forme et les traits de ce preneur de rats :
Mais, lui dit-il, à ta manière,
À ton air, à ta barbe, à tes regards perçans,
Je crois, ma foi, que nous sommes parens.
Tu me fais souvenir de ma progéniture,
Surtout du plus joli des princes mes enfans,
Dont la perte toujours excite mon murmure
Contre les dieux et la nature.
Viens, mon cher, viens vivre avec moi
En faveur de la ressemblance ;
Quand nous aurons fait connoissance,
Tu seras plus heureux qu’un roi.
Tu vois comme on me sert, quelle est mon abondance :
Avec toi chaque jour je la partagerai,
Et même je t’adopterai
Pour succéder à mon empire
Où bientôt je retournerai.
C’est trop d’honneur, je vous rends grǎce, sire,
Répond le chat, je suis indigne de vos soins,
De votre parenté, de votre bonne chère :
Ma vie est simple et j’ai peu de besoins.
D’ailleurs, vous vous trompez ; j’entends dire à ma mère

Que je descends, de père en fils,
D’honnêtes chats, grands croqueurs de souris,
Fort estimés dans leur patrie,
Mais jamais alliés dans l’Afrique ou l’Asie ;
Ce seroit, je l’avoue, un procédé bien bas
D’accepter tous vos dons, ne les méritant pas.
De votre bon dîner j’entends sonner la cloche,
Oui, je vois un agneau que vers vous on approche.
Je vous quitte, excusez mon importunité,
Et recevez mes yeux pour Votre Majesté.
Le fin matois disoit, en rejoignant son maître :
Qu’on doit se savoir gré d’aimer la vérité !
Si j’avois eu la sotte vanité
D’être parent du tigre, un chat de qualité,
Je ferois à présent le dessert de ce traître.
Oh ! ne croyons jamais ce qu’un méchant nous dit,
Et fuyons les seigneurs de si grand appétit.