Étude sur la convention de Genève pour l'amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne (1864 et 1868)/02/01

Art. 1er . Les ambulances et les hôpitaux militaires seront reconnus neutres, et, comme tels, protégés et respectés par les belligérants, aussi longtemps qu’il s’y trouvera des malades ou des blessés.

La neutralité cesserait si ces ambulances ou ces hô­pitaux étaient gardés par une force militaire.

Art. 3. (Additionnel.) Dans les conditions prévues par les articles 1 et 4 de la Convention, la dénomination d’ambulance s’applique aux hôpitaux de campagne et autres établissements temporaires qui suivent les trou­pes sur les champs de bataille pour y recevoir des ma­lades et des blessés.

§ 1. Pour améliorer le sort des militaires blessés, dans les armées en campagne, la pre- mière chose à faire est évidemment d’empêcher qu’une fois mis hors de combat, ils continuent à être en butte aux hostilités de l’ennemi. Malheureusement ce résultat ne saurait être obtenu d’une manière absolue et, tant que ces infortunés restent couchés sur le théâtre des opérations militaires, ils peuvent éprouver un surcroît de souffrances, par le fait d’un nouvel engagement dans leur voisinage ou au lieu même où ils se trouvent. Jamais des généraux ne s’abstiendront, par égard pour eux, d’ordonner des mouvements de troupes impérieusement exigés par les circonstances. En multipliant le personnel affecté à l’enlèvement des blessés, en le faisant agir promptement, en le munissant de moyens de transport perfectionnés, on emploiera le seul remède possible à cette heure.

Mais la question change de face dès que les blessés ont été recueillis dans des ambulances ou des hôpitaux, et les belligérants peuvent s’imposer l’obligation de ne leur faire alors aucun mal, de leur épargner les appréhensions, les tortures morales, de les soustraire à ces paniques qui se répandent quelquefois parmi les patients et qui les poussent à chercher leur salut dans la fuite, au risque de compromettre pour toujours leur guérison. Si l’on sévissait contre eux dans cette situation, le malheur ne serait plus individuel, mais collectif, et, à mesure qu’il gagne en étendue, il devient plus important de s’en préserver. Puis le respect d’un asile hospitalier ne sera jamais aussi gênant pour une armée que celui des blessés disséminés sur une grande étendue de terrain. Enfin les hôpitaux et les ambulances sont aisément reconnaissables et l’on peut commander certains procédés à leur égard, tandis que la présence d’individus isolés, gisant sur le sol, ne se révèle pas toujours à première vue et que l’aggravation de leur sort peut être involontaire de la part de celui qui en est l’auteur.

Telles sont les considérations qui justifient la disposition de l’article 1er , en vertu de laquelle les ambulances et les hôpitaux militaires seront protégés et respectés par les belligérants.

§ 2. Les mots ambulances et hôpitaux militaires ont besoin d’être définis, car ils peuvent prêter à équivoque[1].

Quant aux premières, l’article 3 additionnel explique que la dénomination d’ambulance s’applique aux hôpitaux de campagne et autres établissements temporaires qui suivent les troupes sur le champ de bataille, pour y recevoir des malades et des blessés.

Ainsi, les places de pansement, au sujet desquelles des doutes avaient été émis, rentrent dans cette catégorie.

Il faut y comprendre aussi les caissons d’ambulance circulant sur le champ de bataille, quoiqu’ils ne soient pas destinés à recevoir des blessés ; effectivement ils font partie du matériel qui, en vertu de l’article 4, ne peut, lorsqu’il fonctionne, devenir la proie du vainqueur.

En revanche les convois et les dépôts de matériel sanitaire ne sont point sauvegardés[2]. Le motif de cette exclusion est facile à saisir, si l’on songe que la Convention n’a pas pour but d’empêcher le vainqueur de s’emparer de la propriété du vaincu, mais seulement d’améliorer le sort des blessés. Les convois et les dépôts de matériel ne sont guère pris qu’avec les blessés auxquels ils sont destinés ; dès lors il serait impossible, injuste même d’interdire à l’ennemi de toucher au matériel, tandis que toute la responsabilité de l’assistance des blessés retomberait sur lui.

Nous comprenons les aspirations de ceux qui voudraient étendre l’immunité à tout ce qui suit l’armée pour le service médical des troupes[3], mais de solides raisons militent en faveur des restrictions convenues.

L’objection la plus forte que l’on fasse au système qui a prévalu, est la crainte que les Gouvernements ou les Sociétés de secours s’abstiennent d’envoyer des approvisionnements trop près de l’ennemi, afin de ne pas courir le risque de les voir tomber entre ses mains et qu’ainsi les blessés soient exposés, comme par le passé, à manquer au premier moment des ressources que, sans cela, on aurait mises à leur disposition. — Il n’est pas impossible que ce résultat se produise dans une certaine mesure. Ainsi, pendant la guerre de 1866, le commandant en chef de la division hessoise dut renoncer à établir un hôpital de quatre cents lits à Aschaffenbourg, parce qu’il n’aurait pas été couvert par la neutralité[4].

Cependant l’inconvénient signalé disparaîtra dans la proportion même où l’esprit de charité internationale pénétrera dans les armées. Lorsqu’il sera largement et généralement pratiqué, un convoi ou un dépôt capturé ne sera pas détourné de sa destination. Non-seulement sa nature s’oppose à ce qu’il serve à autre chose qu’au soulagement des blessés et des malades, mais pris en même temps que ceux en vue desquels il avait été préparé, il servira toujours à pourvoir à leurs besoins. Les Sociétés de se cours seront là pour y veiller, et celle qui aura été dépouillée n’aura à regretter que la satisfaction de dispenser elle-même ses bienfaits à ses compatriotes.

Les hôpitaux dont parle l’article 1er , sont tous ceux où des militaires ont été recueillis[5]. Sur le théâtre d’une guerre on peut dire que tous les hôpitaux sont dans ce cas. L’adjectif militaires aurait donc pu être retranché avec avantage[6], car il a l’air d’exclure les hôpitaux civils contenant des militaires, tandis qu’il a été bien convenu qu’eux aussi seraient protégés et respectés[7].

§ 3. Le docteur Kisch, médecin des bains de Marienbad, a proposé, en 1867, d’étendre le bénéfice de la neutralité aux établissements d’eaux thermales, rapprochés du théâtre des hostilités. Immédiatement avant la guerre de 1866 il avait déjà émis cette idée, et la presse périodique avait considéré la chose comme allant de soi. On se souvenait que, plus de cent ans auparavant, en 1759, l’impératrice Marie-Thérèse et le roi Frédéric II avaient conclu un traité qui mettait au bénéfice de lettres de franchise (Schutzbriefe), pendant la durée de la guerre, les bains de Carlsbad et de Tœplitz en Bohême, ainsi que ceux de Landeck et de Warmbrunn en Silésie. Il semblait donc naturel que la neutralisation s’appliquât aux établissements de ce genre. Mais les événements se chargèrent de démentir cette croyance. Des milliers de malades furent privés, pendant une saison, des eaux bienfaisantes de la Bohême, et il en fut de même dans d’autres contrées ; il suffit de rappeler le combat acharné livré dans les rues mêmes de Kissingen. Une déclaration de neutralité aurait paré à cet inconvénient et aurait eu, en outre, des avantages incontestables pour les blessés des deux armées[8].

Les députés allemands du Landtag de Bohême ont renouvelé ce vœu au commencement de 1868, sous forme d’une interpellation au vice-roi. Celui-ci a répondu que la question était, par sa nature, internationale, mais qu’il la soumettrait au ministère autrichien, en insistant en faveur d’une solution affirmative. C’est en suite de cette démarche qu’elle fut portée en octobre 1868 devant la Conférence de Genève[9], mais elle n’y fut pas discutée et les articles additionnels ne consacrèrent point l’assimilation des villes de bains aux ambulances et aux hôpitaux.

Malgré cela, les partisans de cette réforme ne se sont pas découragés. En 1869 ils ont nanti de ce sujet les Sociétés de secours réunies à Berlin en conférence internationale, et ont obtenu de cette assemblée la déclaration suivante : « La Conférence exprime le vœu que les hauts Gouvernements veuillent bien, en temps de guerre, accorder aux blessés et aux malades qui se trouveraient dans les établissements d’eau thermale, les privilèges que possèdent les militaires blessés et tombés malades en campagne, et à ces établissements les privilèges dont jouissent les hôpitaux d’une armée en campagne. »

§ 4. Les ambulances et les hôpitaux seront, est-il dit, protégés et respectés. Ces deux termes se complètent l’un l’autre et tracent aux belligérants leurs devoirs respectifs. On protège ce que l’on possède ; on respecte la chose d’autrui. Chaque belligérant doit donc protection aux ambulances et aux hôpitaux qui se trouvent sur le territoire dont il est maître, quelle que soit d’ailleurs l’autorité qui les a établis. Ce devoir implique l’obligation d’empêcher que l’asile de la souffrance soit violé, que les patients soient molestés ou qu’on les sacrifie à quelque autre besoin du service de l’armée. Il comprend également les mesures préventives pour le cas d’une invasion de l’ennemi, notamment l’emploi du drapeau tutélaire dont il est parlé à l’article 7.

Quant au respect, c’est évidemment à la partie adverse qu’il s’impose et tout spécialement à l’heure de l’action. On a cru qu’il n’était pas superflu de proclamer que, même pendant un engagement meurtrier, l’homme ne doit pas perdre tout sentiment de compassion et qu’il lui est interdit de chercher à nuire à son adversaire en dirigeant ses coups contre des établissements hospitaliers. On a voulu se prémunir contre les entraînements irréfléchis d’une armée victorieuse qui, dans l’ardeur de la poursuite, méprisant tous les obstacles, serait tentée d’assouvir son animosité, même contre des êtres sans défense.

§ 5. Afin de donner plus de force à l’expression de sa pensée, le législateur, a résumé les idées de protection et de respect que nous venons d’analyser, en disant que les ambulances et les hôpitaux seront reconnus neutres.

La justesse de cette expression est contestable, car, si l’on n’avait pas pris soin de l’expliquer en ajoutant : et comme tels protégés et respectés, une interprétation plus large aurait été parfaitement légitime. Si les ambulances et les hôpitaux étaient réellement neutres, ils ne pourraient devenir la propriété du vainqueur : ils auraient le même sort que les propriétés particulières, auxquelles le droit des gens ne permet pas de porter atteinte. Or ce n’est point là ce qu’on a voulu dire. L’intérêt des blessés, qui était toujours l’objectif présent à l’esprit des rédacteurs de la Convention, n’exigeait pas une telle dérogation aux lois ordinaires de la guerre. Il ne s’agit ici que d’une neutralité relative, conditionnelle et temporaire. On ne voit pas en effet quel préjudice un général occasionnerait aux blessés, en disposant à son gré d’un hôpital situé dans un territoire envahi par lui sans coup férir, et qui se trouverait inoccupé. Il n’y aura aucune inhumanité de sa part à y loger des hommes valides ou à en faire tel autre usage qu’il jugera bon. De même si un détachement est fait prisonnier sans avoir eu de combat à soutenir, il n’y a pas de motif plausible à alléguer pour empêcher l’ambulance qui l’accompagne d’être également capturée, et le vainqueur d’en faire son profit[10].

Mais la présence de malades, ou de blessés est considérée comme une circonstance atténuante qui a pour effet, quant à l’hôpital, de retarder l’entrée en possession du nouveau propriétaire, et qui rend parfaite la neutralité de l’ambulance. Le but de l’article 1er  n’est cependant pas de trancher cette question de droit, mais seulement de maintenir provisoirement le statu quo, en pourvoyant à ce qu’il ne soit porté aucune atteinte à ces établissements, à ce que leur destination ne soit pas modifiée, en un mot à ce qu’ils soient protégés et respectés aussi longtemps qu’il s’y trouvera des malades ou des blessés.

§ 6. Tout le monde s’accorderait à flétrir l’a bus qui serait fait de la neutralité des hôpitaux pour couvrir des opérations militaires. Si par exemple on y dissimulait la présence d’un corps plus ou moins nombreux de combattants, l’auteur de ce piège ne saurait être assez sévèrement châtié, et, dès que sa fraude aurait été découverte, son ennemi n’aurait plus à le ménager. Mais l’hypothèse d’une pareille félonie n’est pas admissible, car elle serait une injure pour les signataires de la Convention. — Pourtant celui qui est chargé de protéger un hôpital ne peut s’acquitter de ce soin sans le concours de quelques représentants de la force armée. Il mettra toujours un factionnaire à la porte et par conséquent un poste de police auprès de l’établissement. Nul ne songerait à voir là une mesure entachée de ruse, puisqu’elle se pratique même en temps de paix ; toutefois, pour couper court à toute incertitude, on l’a inscrit dans la Convention, en disant que la neutralité cesserait si les ambulances ou les hôpitaux étaient gardés par une force militaire[11]. On a entendu par là autoriser la présence de quelques soldats nécessaires pour maintenir l’ordre, et interdire toute concentration plus considérable de troupes. — Les mots force militaire ont été critiqués[12], comme trop peu précis et comme ne suffisant pas pour parer à des mal­entendus. On a été jusqu’à prétendre que les corps sanitaires, classés dans beaucoup de pays parmi les combattants, pourraient être considérés comme une force militaire[13]. Mais cet exemple, par son exagération même, nous rassure au lieu de nous alarmer. Confronté avec l’esprit général de la Convention, ne montre-t-il pas à quelles subtilités inouïes la critique est contrainte de recourir pour battre en brèche un texte qui, s’il n'est pas irréprochable, est du moins fort intelligible et serre d’aussi près que possible la pensée des rédacteurs[14].

Ce que ceux-ci auraient pu ajouter, c’est qu’en principe, des hommes armés aux abords d’un hôpital seront censés appartenir à une garde de police, et que leur apparition seule ne justifierait pas une aggression contre l’éta­blissement au service duquel ils seraient affectés. Le droit civil admet depuis longtemps que, dans le doute, la bonne foi doit être présumée. C’est une conquête de la civilisation à laquelle il serait opportun de faire participer le droit international : L’Autriche en a déjà pris l’initiative le 13 mai 1866, lorsqu’elle a proclamé le beau principe de la liberté du commerce maritime, sous réserve de réciprocité, en déclarant que l’observation de cette réciprocité serait admise jusqu’à preuve contraire[15]. Telle est la règle que l’on devrait appliquer également au sujet qui nous occupe.

À vrai dire, on aurait pu, sans grand inconvénient, se passer de tout le deuxième alinéa de l’article 1er [16]. Néanmoins, à défaut d’autres mérites, il a celui de rendre les belligérants attentifs à ne pas compromettre le sort des blessés par des actes irréfléchis.

  1. 1867, I, 233. — Michaëlis, dans l’Allgem. militäar-ärztliche Zeitung. — 1868, 24.
  2. 1867, II, 70. — Michaëlis, ouvrage cité.
  3. 1867, I, 231. — 1868, 16. — Erfahrungen aus dem Krieg von 1866, p. 17. (Opinion du docteur Czihak.) — Mundy, Studien über die Genfer Konvention.
  4. Erfahrungen… u. s. w., p. 85, rapport du Dr  Lorenz.
  5. 1867, II, 50.
  6. 1867, I, 249.
  7. 1864,13 et 30.
  8. Wiener medizinische Wochenschrift, 1867, p. 107, 715. — Kriegerheil, 1868, no 4, p. 38.
  9. 1868, 47.
  10. 1864, 14.
  11. 1864, 13.
  12. 1867, I, 231.
  13. Michaëlis, ouvrage cité.
  14. Löffler, Das preussiche Militärsanitälswesen, 66.
  15. Cauchy, Du respect de la propriété privée dans la guerre Maritime, 74.
  16. 1867, I, 233.