Épitaphe du petit chien Lycophagos


Epitaphe du petit chien Lyco-phagos, par Courtault, son conculinaire et successeur en charge et office, à toutes les legions des chiens academiques.
Vincent Denis

1613


Epitaphe du petit chien Lycophagos, par Courtault, son conculinaire et successeur en charge d’office, à toutes les legions des chiens academiques, par Vincent Denis, Perigordien.

Arrière, pleureux Heraclite !
Nous ne pleurons pas comme vous ;
Nos pleurs sont ris de Democrite,
Car pleurer, c’est rire, chez nous.

À Paris, chez Jean Libert, demeurant rue Saint-Jean-de-Latran.
1613. In-8.

LE LIVRE AU LECTEUR.

Les censeurs qui seront marris
De nostre joye et de nos ris,
Et qui ne daigneront me lire,
Ne sont pas hommes de raison :
Car par tout, en toute saison,
Le propre de l’homme est de rire.
La pIn tenui labor at tenuis non gloria.
La peine en est chose petite,
Mais l’honneur d’assez grand mérite.

ADVERTISSEMENT ET SALUT AU LECTEUR.

Amy lecteur, l’assoupissement lethargique qui avoit saisi les hypocondres de Courtault et sembloit rendre presque inexplicable la douleur qu’il avoit conceue sur la mort de Lyco-phagos, son conculinaire, ayant à la parfin ouvert les catadoupes de son cerveau et donné passage à toutes les cataractes de ses yeulx, leur a faict débonder un cataclysme de larmes sur le funeste reliquat de sa désolation. C’est pourquoy il ne se faut pas estonner si ses periodes ne sont triées, comme l’on dict, sur le volet ; si ses pointes sont grossierement sujettes, le passe-poil de sa subtilité villageoisement appliqué, ses dispositions mal flanquées, ses epiphonèmes entrecoupées, ses inventions decousues, et la tissure de son style ineptement cadencée : car l’estourdissement d’un coup tant inopiné lui a faict perdre sa tramontane. Si que, pour des antonomasies d’eloquence, il n’a peu rien produire que des pleonasmes de regrets, metathèses de confusion et hyperbates de tristesse, ainsi que le discours suivant le t’apprendra, si tu daignes y adjouter le jugement de ton optique et ouvrir les ressorts de ton oreille.

Adieu.

Epitaphe du chien du Gascon sur la mort de Lyco-phagos.

Helas ! qu’est devenu mon maistre ?
Est-il vray que Lyco-phagos
Soit attrapé par Atropos,
Ou qu’elle l’aye occis en traistre ?

Je croy que cela ne peut estre,
Ains pense que, pour son repos,
Ou pour compliment de son los,
Au ciel les dieux l’ont voulu mettre.

Ne craignez plus, ô moissonneurs !
Les insupportables chaleurs
Dont vostre sein en esté brusle :

Mange-loup, au ciel transporté,
Moderant les chaleurs d’esté,
Doit temperer la canicule.

Complainte de Courtault sur la mort de Lyco-phagos,
rôtisseur du collége de Reims, son conculinaire1.

Cy gist soubs ceste motte verte,
Le dos au vent, le ventre à l’erte2,
Mon collègue Lyco-phagos,
Que la mort a troussé en crouppe3
Pour avoir trop mangé de souppe
Et trop avallé de gigos.

Lyco-phagos, la pauvre beste,
Qui faisoit sa petite queste
Dedans le collége de Reims4,
Pour renforcer, chose equitable,
Du seul reliquat de la table
Ses muscles, ses nerfz et ses reins.

Lyco-phagos, autant habile
Que chien qui fust en ceste ville
À chasser aux rats, aux souris ;
Lyco-phagos, par privilége
Roy des animaux du collége
Et doyen des chiens de Paris.

Lyco-phagos, galant et leste ;
Lyco-phagos, grave et modeste
Autant qu’on sauroit souhaitter,
Soit qu’il tînt à mon maistre escorte,
Soit qu’il conduisît à la porte
Ceux qui le venoient visiter.

Lyco-phagos, qui souloit estre
Le contentement de son maistre ;
Lyco-phagos, sage et discret,
Lorsque d’une mine friande,
Pour mieux attraper la viande,
Il luy descouvroit son secret.

Ou, quand pour plaire à tout le monde,
Il faisoit à table la ronde,
Comme un maistre de regiment,
Puis, d’une trogne politique,
Mettoit sa science en pratique
Pour soigner à son aliment.

Que si mon maistre en compagnie
N’avoit pas de soin de sa vie,
Discretement il le frappoit,
Et de sa patte le bon drolle
Sçavoit si bien jouer son rolle,
Que quelque chose il attrapoit.

Non qu’il ait faict par imprudence
À table quelque irreverence ;
Mais c’est qu’il charmoit tellement
Ceux qu’il regrattoit par derrière,
Qu’il falloit en quelque manière
Recognoistre son gratement.

Qui n’admireroit son adresse,
Son artifice et sa finesse ?
Quand son maistre vouloit sortir,
Soit tout seul, soit en compagnie,
Il couroit à la galerie
Jusqu’à tant qu’il falloit partir.

Là tousjours il l’alloit attendre
À l’instant qu’il luy voyoit prendre
Sa grande robbe ou son manteau,
El sembloit né pour tousjours suivre
Celuy qui luy donnoit à vivre,
Tant par terre que par batteau.

Or, suivant mon maistre à la ville
D’une façon plus que civile,
Vous eussiez dit d’un estaphier
Ou d’un chien de sommellerie,
Nourry tout le long de sa vie
Dans la cuisine de Coueffier5.

Chien d’admirable prevoyance,
Autant que chien qui fut en France,
Voire plus qu’on ne peut penser,
Lors qu’au milieu de quatre rues
Il choisissoit les advenues
Où son maistre devoit passer.

En ville, il alloit à gambette6 ;
Aux champs, il sautoit sur l’herbette
Pour les taupes escarmoucher,
Et puis, leur denonçant la guerre,
Il fouilloit si profond à terre
Qu’il sembloit y vouloir coucher.

Il eut jadis pour son manége
La cuisine de ce collége,
Où dans une roue de bois,
Tantost à bonds, puis à courbette,
On a veu ceste pauvre beste,
Comme moy, tourner mille fois.

Ores, proche de la marmite,
Faisant la bonne chatemite,
Sur la viande il meditoit ;
Puis, soignant à son advantage,
Il suivoit de près le potage
Quand le serviteur le portoit.

Ores, de sa petite patte
Grattant et regrattant la natte
Quand il fleuroit la venaison,
Il monstroit par experience
Les beaux effets de sa science
Par tous les coings de la maison.

Quelle joye à toy, Trois-Oreilles7,
D’ouyr les douleurs nompareilles
Que je resens de ceste mort !
Desormais repose à ton aise
Entre le tison et la braise,
Puisque Lyco-phagos est mort.

Lyco-phagos, ton adversaire,
Ne te sçauroit aucun mal faire,
Comme il faisoit auparavant,
Lorsque, sautant sur ta croupière,
Il t’attaquoit par le derrière,
Ou t’assailloit sur le devant.

Ô ! qu’il seroit plus desirable
Que la mort eust froissé ton rable,
Ou que la cruelle Atropos
T’eust occis pour te mettre en paste,
Que d’avoir esté tant ingratte
À mon pauvre Lyco-phagos !

Lyco-phagos, chien de police,
Chien expert en toute malice,
Chien exempt de tout larrecin,
Qui ne fist aucune entreprise,
Sinon sur quelque patte grise
Ou sur le pied d’un medecin.

Encor c’estoit par adventure ;
Lors que sa pesante nature
Le rendoit un peu moins courtois :
Faute legère et pardonnable !
Car l’homme qui est raisonnable
Se courrouce bien quelquefois.

Toutefois, pour estre sevère,
Il en porta la folle enchère,
Cruauté contre un pauvre chien !
Lors que d’une vieille rapière
On lui donna dans la visière,
Croyant qu’il n’y verroit plus rien.

Hé ! quand je vis par malencontre
Le desastre de ce rencontre
Où Lyco-phagos fut blessé :
C’est, dy-je à l’instant, un augure
Qui présage sa mort future
Devant qu’octobre soit passé.

Ce malheur me rendit prophète,
Car, suivant mon maistre une feste,
Alors qu’il alloit au festin,
Il reçut son dernier supplice
Chez le curé de Sainct-Sulpice
Par un inopiné destin.

Qui le croira ? par jalousie
Lyco-phagos, qui dans sa vie
Eut le cœur noblement placé,
Mist tant de potage en son ventre,
Et farcit tellement son centre,
Que la mort l’a mis in pace.

Mort cruelle et insuportable,
De l’avoir surpris à la table
Pour l’estrangler sur la minuit !
Mort impitoyable et farouche !
Ainsy faut-il que je t’abbouche,
Tant ceste trahison me nuit.

Tu fais voir par ce canicide
Que tu es bien traistre et perfide,
Sans reverence et sans amour,
Quand par des actions funèbres
Ton delict cherche les tenèbres,
Fuyant la lumière du jour.

Tu le prens à minuict en traistre,
Couché soubs le lict de son maistre,
Luy livrant les derniers assauts.
Il tesmoigne ta perfidie,
Au milieu de sa maladie,
Par mille bons et mille sauts.

Il monte, remonte et devalle,
Vient et revient parmy la salle,
Pour chercher quelque allegement ;
Et lorsque le mal le travaille,
Ne pouvant vuider sa tripaille,
Il meurt saoul comme un Allemand.

Helas ! quelle perte et quel dommage !
Pour avoir mangé du potage,
Faut-il que Mange-loup soit mort !
Mange-loup, mon conculinaire,
Mon contentement ordinaire,
Mon passe-temps, mon reconfort !

Mange loup, chien academiste8,
Chien assez savant alchimiste,
Soit qu’il soufflast près du brasier,
Le nez plat comme une punaise,
Ou reniflast contre la braise
Le ventre enflé comme un cuvier.

Pauvre Courlault, toute esperance
Est morte pour toy dans la France,
Puis, helas ! que Lyco-phagos,
Autheur de la bonne adventure,
Sert fatalement de pasture
Aux taupes et aux escargots.

Tu succèdes à son office,
Mais c’est un petit benefice
Au prix du mal que tu ressens,
Ayant perdu (regret extresme !)
La vraye image de toy-mesme
Et l’unique objet de tes sens.

Encor si la sœur filandière
L’eust ravy d’une autre manière,
On supporteroit sa rigueur ;
Mais, ô crève-cœur ! quand je pense
Qu’elle l’a trahy par la panse,
Cela me faict fendre le cueur.

Falloit-il que, sur ta vieillesse,
Cette maudite piperesse,
Mange-loup, triomphast de toy !
Mange-loup, pour ta reverence,
Digne de quelque recompense
Au coing de la table du roy.

Lyco-phagos, je te proteste
Que pour un acte si funeste
J’abboyeray incessamment
Jusqu’à tant que le chien Cerbère
Punisse la Parque sevère
Qui t’a trompé si laschement.

Que si mon dueil ne le convie
À venger l’honneur de ta vie,
Pour lors, justement irrité,
Je mettray en fougue et colère,
À l’encontre de ce faux frère,
Les chiens de l’université.

J’en feray moy-mesme justice,
Et sans crainte d’aucun supplice
Je descendray dans Phlegeton,
Où, près de l’infernale forge,
Je l’estrangleray par la gorge
À la presence de Pluton.

Mes discours ne sont point sornettes,
Car je porte au col des sonettes
Pour faire entendre ma douleur,
Et publie, faisant ma ronde
Par tous les carrefours du monde,
Les effects d’un si grand malheur.

C’est donc à toy, race canine,
Que mon corival9 de cuisine
A recours pour estre vangé !
À toy maintenant je desdie
Les sanglots de ceste elegie,
Pour estre en mes pleurs soulagé.

Et, fuyant toute ingratitude,
En qualité de chien d’estude,
J’ay ces carmes10 elabouré,
Où tu verras la galantise,
Les mœurs, la mort, la mignardise
De mon camarade enterré.

Adieu te dis, mon camerade ;
J’ay peur de devenir malade
En pleurant ton enterrement.
Adieu, mon compagnon d’eschole ;
Que pour le dernier coup j’accole
Le dehors de ton monument.

Et, si les chiens ont souvenance
De ceux qui ont leur ressemblance,
Je te conjure vivement
D’avoir Courtault en ton idée :
Car je suis l’image empruntée
De ton naturel ornement.

Que si la sterile nature
M’a formé d’une autre figure
Que tu n’estois, Lyco-phagos,
Pour le moins j’ay le mesme office
Et, servant en mesme police,
Porte un mesme faix sur mon dos.

Et qui pis est, cas lamentable !
Pour me rendre à toy plus semblable,
Bien que ce fust contre mon gré,
À cause de mes demerites,
Me rendant leger de deux pites,
Après ta mort on m’a hongré.

Je suis courtault à toute outrance,
Si courtault jamais fut en France ;
Mais ce qui me met en courroux,
C’est que ma nature infertile
Faict qu’on me prent souvent en ville
Pour un chien de Toupinambou 11.

Mange-loup, donc, je te conjure,
Par les supplices que j’endure,
De te souvenir de mes maux,
Croyant que, si cela peut estre,
Je me dois dire, sous mon maistre,
Le plus heureux des animaux.

Je conjure aussi ta puissance
De faire aux serviteurs deffence
De jamais ne me tourmenter
Par menace ou par bastonnades,
Quand je viens de mes promenades,
Car je ne puis les supporter.

Ainsi puissent près de ta fosse
Abboyer les mastins d’Escosse12
Qui sont dans l’Université,
Sans rompre desormais ta teste
Par leur abboyante tempeste
Dans la ville ou dans la cité !

Ainsi puissent sur ceste terre
Japper les dogues d’Angleterre,
Accompagnez des chiens d’Artois13,
Pleurant sans cesse et sans mesure,
Sur le bord de ta sepulture,
La mort d’un petit chien françois !

Regret de Picard
sur la mort de Lycophagos.

Pleurez largement, à ce coup,
La mort du petit Mange-loup,
Broches, chenets et lesches-frites :
Car de revoir Lyco-phagos
Tourner le rost près des fagos,
Les esperances en sont frittes.

Par un detestable moyen,
La roue perd son citoyen,
Le collége son commissaire ;
Mon maistre perd son precurseur,
La cuisine son rotisseur,
Et Courtault son conculinaire.

Tant de malheurs en un monceau
Me font detester le morceau
Qui mist Mange-loup hors du monde ;
Et, pour la douleur que je sens
En chaque endroit de mes cinq sens,
Peu s’en faut qu’en pleurs je ne fonde.

Si que, redoublant mes ennuits,
Tous les jours et toutes les nuicts
Je vay martelant ma poictrine,
Et prie pour luy Lucifer
Que, s’il doit servir en enfer,
Il ne serve qu’à Proserpine.



1. Cette épitaphe d’un chien de collège, qu’il fût ou non tournebroche comme celui-ci, est un genre de facétie scolastique qui dut souvent se renouveler. Racine, étudiant à Port-Royal, fit en vers latins une pièce de cette espèce, rappelée ainsi par son fils : « Je ne rapporterai pas une élégie sur la mort d’un gros chien qui gardoit la cour de Port-Royal, à la fin de laquelle il promet par ses vers l’immortalité à ce chien, qu’il nomme Rabotin :

Semper honos, Rabotine, tuus, laudesque manebunt ;
—-Carminibus vives, tempus in omne, meis.
SempeMémoires sur la vie de Jean Racine, in-12, p. 27.

Ce genre de poésie rentre dans la catégorie de celles dont parle Furetière dans le Roman bourgeois. V. notre édition, p. 145.

2. C’cst-a-dire contre terre, comme gens au guet, faisant sentinelle à l’erte, ainsi qu’on disoit alors. V. plus haut, sur cette expression, p. 42, note 3.

3. On disoit plus communément troussé en malle.

4. Le collége de Reims étoit rue des Sept-Voies. Il devoit son nom à Guy de Roye, archevêque de Reims, qui l’avoit fondé, en 1409, sur l’emplacement d’un hôtel appartenant aux ducs de Bourgogne.

5. Sur ce cabaretier, dont la femme reprit la taverne, et qui est souvent cité par Tallemant, V. notre Histoire des hôtelleries et cabarets, t. 2, p. 325–326. Sur son petit-fils, Jean Coiffier, qui fut maître des comptes, V. plus haut, p. 195.

6. Aller à gambette, c’est gambader. On avoit autrefois le verbe gambeter dans le même sens.

7. Lapin de M. de Navierre. (Note de l’auteur. )

8. On sait que ce mot se prit d’abord pour académicien, qui ne le remplaça dans la langue qu’après 1643. Cette substitution, ou plutôt cette transformation, trouve sa preuve et sa date presque certaine dans le titre de la seconde édition d’une comédie célèbre de Saint-Évremont. Imprimée d’abord sous le titre de : les Académistes, en 1643, elle prit celui de : les Académiciens, dans l’édition suivante. Le mot s’étoit métamorphosé dans l’intervalle.

9. Confrère, émule. Regnier l’emploie dans le sens de rival :

Et sans respect des saincts, hors l’Eglise il me porte,
Aussi froid qu’un jaloux qui voit son corrival.
Aussi froid qu’un jaloux qSatire VIII, p. 95.

10. Carmina, vers.

11. C’est-à-dire chien d’Amérique, et comme lui n’aboyant plus. C’étoit, on le sait, une croyance généralement répandue que les chiens perdoient la voix rien qu’en touchant la terre du Nouveau-Monde. J’ai dit dans une note d’une pièce précédente ce qui avoit rendu à cette époque le nom des Topinamboux très populaire à Paris.

12. C’est-à-dire les écoliers du collége des Écossois, situé rue des Fossés-Saint-Victor, et par conséquent assez voisin de celui de Reims.

13. Il venoit beaucoup de chiens de l’Artois, notamment de Boulogne, qui fournissoit les petites chiens de manchon. Pour les empêcher de croître, on leur frottoit toutes les jointures avec de fort esprit de vin, pendant plusieurs jours de suite, aussitôt après qu’ils étoient nés.