Élémens de chimie/Texte entier

Imprimerie de Jean-François Picot (p. iii-259).
AVERTISSEMENT

DE L’AUTEUR.


L’Agriculture fait sans doute la base du bonheur public, puisqu’elle seule fournit à tous les besoins que la nature a liés à notre existence ; mais les arts et le commerce font la gloire, l’ornement et la richesse de tout peuple policé, et notre luxe et nos rapports en ont fait pour nous de nouveaux besoins. La culture des arts est donc devenue presque aussi nécessaire que celle des terres ; et le vrai moyen d’assurer ces deux bases de la gloire et de la prospérité d’une Nation, c’est d’encourager la Chimie qui leur fournit des principes. Si cette vérité n’étoit pas assez généralement reconnue, je pourrois rappeler ici les succès dont mes travaux ont été couronnés dans cette Province ; je pourrois même interpeller la voix publique, et elle diroit que, depuis l’établissement public de Chimie, chaque année trois à quatre cents personnes reçoivent l’instruction avec fruit ; elle diroit, que nos anciennes écoles de Médecine et de Chirurgie, dont les succès et la splendeur sont liés à l’intérêt général de cette Province, en sont plus florissantes et plus nombreuses ; elle diroit, que nos fabriques se perfectionnent de jour en jour, que plusieurs nouveaux genres d’industrie ont été introduits dans le Languedoc, et qu’on a vu successivement réformer des abus dans les atteliers, éclairer la préparation des remèdes, simplifier les procédés des Arts, multiplier les exploitations des mines de charbon, et créer, d’après mes principes et par mes soins, dans les différentes parties de la Province, des fabriques d’alun, d’huile de vitriol, de couperose, de brun-rouge, de pozzolane artificielle, de céruse et de blanc de plomb, etc.

La Chimie est donc essentiellement liée à la gloire et à la prospérité d’un état : et, dans un moment où tous les esprits s’occupent d’assurer le bonheur public, chaque Citoyen est comptable envers la patrie de tout le bien que sa position lui permet d’opérer ; il doit s’empresser de présenter à la société le tribut de talent dont le ciel l’a favorisé, et il n’est aucun d’eux qui ne puisse apporter quelques matériaux au pied du superbe édifice que des Administrateurs vertueux élèvent au bonheur de tous : c’est dans ces vues que j’ose présenter à mes Compatriotes l’ouvrage que je publie aujourd’hui ; et je les prie de ne juger sévèrement que l’intention de l’Auteur pour réserver toute leur indulgence à l’ouvrage.

Je publie ces élémens de Chimie avec d’autant plus de confiance que j’ai pu voir par moi-même les nombreuses applications des principe qui en font la base aux phénomènes de la nature & des arts : l’immense établissement de produits chimiques que j’ai formé à Montpellier m’a permis de suivre le développement de cette doctrine & d’en reconnoître l’accord avec tous les faits que les diverses opérations nous présentent ; c’est elle seule qui m’a conduit à simplifier la plupart des procédés, à en perfectionner quelques-uns, et à rectifier toutes mes idées : c’est donc avec la confiance la plus intime que je la propose. Je ferai sans peine l’aveu public que j’ai enseigné pendant quelque temps une doctrine différente de celle que je présente aujourd’hui, je la croyois alors vraie et solide : mais je n’ai pas cessé pour cela de consulter la nature, je lui ai constamment présenté une ame avide de la connoître ; ses vérités ont pu s’y graver avec toute leur pureté parce que j’en avois banni les préjugés, et insensiblement je me suis vu ramené par la force des faits à la doctrine que j’enseigne aujourd’hui : que d’autres principes impriment chez moi la même conviction ; qu’ils m’offrent, en leur faveur, le même nombre de phénomènes et de faits, le même nombre d’applications heureuses aux opérations de la nature et des arts ; qu’ils se présentent à mon esprit avec tous les caractères sacrés de la vérité, je les publierai avec le même zèle & le même intérêt. Je blâme également, celui qui attaché aux anciennes idées les respecte assez pour rejeter, sans un examen réfléchi, tout ce qui paroît les contrarier, et celui qui embrasse avec enthousiasme et presque sans réflexion les principes d’une nouvelle doctrine : ils sont à plaindre, s’ils vieillissent dans leurs préjugés ; ils sont coupables, s’ils les perpétuent.

J’ai eu soin d’écarter de toutes mes discussions, cet esprit de parti qui ne divise que trop souvent les personnes qui courent une même carrière : ce ton d’aigreur qui règne dans quelques disputes, cette mauvaise foi qui perce à travers les petits mouvemens de l’amour propre, n’ont retardé que trop long-temps le progrès de nos connoissances ; l’amour de la vérité est la seule passion que les savans doivent se permettre : un même but, un même intérêt unissent les Chimistes ; qu’un même esprit inspire et dirige tous leurs travaux, et bien-tôt nous verrons la chimie avancer par des progrès rapides, et les Chimistes honorés du suffrage et de la reconnoissance de leurs contemporains.

J’ai tâché, dans cet écrit, de rendre mes idées avec clarté, précision et méthode. Je sais, par expérience, que le succès d’un ouvrage et ses divers degrés d’utilité dépendent souvent de la forme sous laquelle on présente la doctrine qu’il contient ; et j’ai eu l’intention de ne rien négliger pour revêtir les vérités qui font la base de celle-ci de tous les caractères qui leur conviennent.

En rédigeant ces élémens de chimie, je me suis servi avec avantage de tous les faits que j’ai trouvés dans les ouvrages des célèbres Chimistes qui illustrent ce siècle ; je ne me suis même pas fait un scrupule de suivre leur méthode dans la rédaction de certains articles, et de transporter dans mon ouvrage, presque sans altération, des faits que j’ai trouvé décrits ailleurs avec plus de précision et de clarté que je n’aurois pu leur donner moi-même : j’ai cru par-là rendre hommage aux auteurs et non les dépouiller ; et, si de pareils procédés pouvoient exciter des réclamations, MM. Lavoisier, de Morveau, Berthollet, de Fourcroy, Sage, Kirwan, etc. pourroient facilement en former contre moi.

J’ai senti, de bonne-heure, que c’étoit une entreprise au-dessus de mes forces, que d’aspirer à connoître, à discuter et à distribuer avec méthode tout ce qui étoit connu sur la chimie ; cette science a fait tant de progrès, ses applications sont si multipliées qu’il est impossible d’embrasser tout avec le même soin ; et il me paroît, qu’on doit principalement s’étudier aujourd’hui à développer les principes généraux, et se contenter d’en indiquer les conséquences et les applications : en cela, nous suivrons la méthode pratiquée, depuis long-temps, dans l’étude des mathématiques, dont les principes, presque isolés et séparés de toute application, forment la première étude de l’homme qui s’en occupe.

Au reste, pour se mettre au niveau de toutes les connoissances qui ont été acquises jusqu’à nos jours, on pourra consulter avec avantage la partie chimique de l’Encyclopédie méthodique : c’est-là que son célèbre auteur présente avec le plus grand intérêt les progrès de cette science ; c’est-là qu’il discute les opinions avec cette bonne-foi et cette énergie qui conviennent à l’homme de lettres qui ne voit que la vérité ; c’est-là qu’il forme le dépôt précieux de toutes les connoissances acquises, afin de nous présenter sous le même point de vue tout ce qui est fait et tout ce qui reste à faire ; c’est-là enfin que M. de Morveau a rendu l’hommage le plus éclatant à la vérité de la doctrine que nous enseignons aujourd’hui, puisque, après en avoir combattu quelques principes dans le premier volume, il a eu le courage de revenir sur ses pas du moment que les faits mieux vus et les expériences répétées l’ont suffisamment éclairé. Ce grand exemple de courage et de bonne-foi honore, sans doute, le savant qui le donne, mais il ne peut qu’ajouter encore à la confiance que mérite la doctrine qui en est l’objet.

On trouvera, dans le traité élémentaire de chimie de M. Lavoisier, le développement des principes sur lesquels la nouvelle nomenclature est établie ; et je renvoie encore à cet excellent ouvrage pour la figure et l’explication de tous les appareils dont j’aurai occasion de parler. J’embrasse ce parti, avec d’autant plus d’empressement, qu’en associant mes foibles productions à celles de ce célèbre Chimiste, je crois en assurer le succès et les livre au public avec plus de confiance.
DISCOURS

PRÉLIMINAIRE.


IL paroît que les anciens peuples avoient quelques notions de la chimie : l’art de travailler les métaux qui remonte à l’antiquité la plus reculée, l’éclat que les Phéniciens donnoient à certaines couleurs, le luxe de Tyr, les fabriques nombreuses que renfermoit dans ses murs cette ville opulente, tout annonce de la perfection dans les arts, et suppose des connoissances assez étendues et assez variées sur la chimie. Mais les principes de cette science n’étoient point encore réunis en un corps de doctrine ; ils étoient concentrés dans les seuls atteliers où ils venoient de prendre naissance, et la seule observation transmise de bouche en bouche éclairoit et conduisoit l’Artiste. Telle est, sans-doute, l’origine de toutes les sciences : elles ne présentent d’abord que des faits isolés ; les vérités sont confondues avec l’erreur, le temps et le génie peuvent seuls en épurer le mélange, et le progrès des lumières est toujours le fruit tardif d’une expérience lente et pénible. Il est difficile de marquer l’époque précise de l’origine de la science chimique ; mais nous trouvons des traces de son existence dans les siècles les plus reculés : l’agriculture, la minéralogie et tous les arts qui lui doivent des principes étoient cultivés et éclairés ; nous voyons les premiers peuples, à peine sortis de la nuit des temps, entourés de tous les arts qui fournissent à leurs besoins ; et nous pourrions comparer la chimie à ce fleuve fameux dont les eaux fertilisent toutes les terres qu’elles inondent, mais dont les sources nous sont encore inconnues.

L’Égypte, qui paroît avoir été le berceau de la chimie réduite en principes, ne tarda pas à tourner les applications de cette science vers un but chimérique : les premiers germes de la chimie furent bientôt altérés par la passion de faire de l’or : on vit, en un moment, tous les travaux dirigés vers la seule Alchymie ; on ne parut plus occupé qu’à interpréter des fables, des allusions, des hiéroglyphes, etc. et les travaux de plusieurs siècles furent consacrés à la recherche de la Pierre philosophale. Mais, en convenant que les Alchimistes ont suspendu les progrès de la chimie, nous sommes bien éloignés d’outrager la mémoire de ces philosophes, et nous leur accordons le tribut d’estime qu’ils méritent à tant de titres : la pureté de leurs sentimens, la simplicité de leurs mœurs, leur soumission à la Providence, leur amour pour le Créateur pénètrent de vénération tous ceux qui lisent leurs ouvrages ; les vues profondes du génie sont par-tout dans leurs écrits à côté des idées les plus extravagantes, les vérités les plus sublimes y sont dégradées par les applications les plus ridicules ; et ce contraste étonnant de superstition et de philosophie, de lumière et d’obscurité, nous force de les admirer lors même que nous ne pouvons pas nous dispenser de les plaindre. Il ne faut pas confondre la secte des Alchimistes, dont nous parlons en ce moment, avec cette foule d’imposteurs et cet amas sordide de souffleurs, qui cherchent des dupes et nourrissent l’ambition de certains imbéciles par l’espoir trompeur d’augmenter leurs richesses ; cette dernière classe d’hommes vils et ignorans n’a jamais été reconnue par les vrais Alchimistes ; et ils ne méritent pas plus ce nom que celui qui vend des spécifiques sur des treteaux ne mérite le titre honorable de Médecin.

L’espoir de l’Alchimiste peut être peu fondé : mais le grand homme, lors même qu’il poursuit un but chimérique, sait profiter des phénomènes qui se présentent, et retire de ses travaux des vérités utiles qui auroient échappé à des hommes ordinaires ; c’est ainsi que les Alchimistes ont enrichi successivement la pharmacie et les arts de presque toutes leurs compositions.

La fureur de s’enrichir a été, de tout temps, une passion si générale, qu’elle a pu décider plusieurs personnes à cultiver une science qui, ayant plus de rapport qu’aucune autre avec les métaux, en étudie plus particulièrement la nature, et paroît faciliter les moyens de les composer : on sait que les Abdéritains ne commencèrent à regarder les sciences, comme une occupation digne d’un homme raisonnable, qu’après avoir vu un Philosophe célèbre s’enrichir par des spéculations de commerce ; et je ne doute point que le désir de faire de l’or, n’ait décidé la vocation de plusieurs Chimistes.

Nous devons donc à l’alchimie quelques vérités et quelques Chimistes : mais c’est peu, en comparaison de ce que plusieurs siècles auroient pu nous fournir de connoissances utiles si, au lieu de chercher à former les métaux, on s’étoit borné à les analyser, à simplifier les moyens de les extraire, de les combiner, de les travailler, et d’en multiplier et rectifier les usages.

À la fureur de faire de l’or, a succédé l’espoir si séduisant de prolonger ses jours par le moyen de la chimie : on s’est persuadé aisément qu’une science qui fournissoit des remèdes à tous les maux, pourroit parvenir sans effort à la médecine universelle. Ce qu’on racontoit de la longue vie des anciens paroissoit un effet naturel de leurs connoissances en chimie ; les fables nombreuses de l’antiquité obtenoient la faveur des faits avérés ; et les Alchimistes, après s’être épuisés dans la recherche de la pierre philosophale, parurent ranimer leurs efforts pour parvenir à un but plus chimérique encore : alors prirent naissance les élixirs de longue vie, les arcanes, les polichrestes et toutes les préparations monstrueuses dont quelques-unes sont parvenues jusqu’à nous.

La chimère de la médecine universelle agitoit presque toutes les têtes dans le seizième siècle ; et on promettoit l’immortalité avec la même effronterie qu’un Baladin annonce son remède à tous maux. Le peuple se laisse aisément séduire par ces folies promesses ; mais l’homme instruit ne crut jamais que le Chimiste pût parvenir à renverser cette loi générale de la nature, qui condamne tous les êtres vivans à se renouveler et à entretenir une circulation fondée sur des décompositions et des générations successives ; on accabla peu-à-peu cette secte de mépris ; l’enthousiaste Paracelse qui, après s’être flatté de l’immortalité, mourut à quarante-huit ans dans un cabaret de Saltzbourg, mit le comble à l’ignominie. Dès ce moment les débris dispersés de cette secte se réunirent pour ne plus se donner en spectacle ; la lumière qui commençoit à percer de toutes parts, leur fit un besoin du secret et de l’obscurité, et c’est ainsi que s’épura la chimie.

Jacques Barner, Bohnius, Tachenius, Kunckel, Boyle, Crollius, Glazer, Glauber, Schroder, etc. parurent sur les ruines de ces deux sectes, pour fouiller dans ce tas de décombres, et séparer, de cet amas confus de phénomènes, de vérités et d’erreurs, tout ce qui pouvoit éclairer la science. La secte des Adeptes, réchauffée par la manie de l’immortalité, avoit fait connoître beaucoup de remèdes ; et la pharmacie et les arts s’enrichirent alors de formules et de compositions dont il ne fallut que rectifier l’opération et mieux raisonner les applications.

Le célèbre Becher parut à-peu-près dans le même temps : il retira la chimie du cercle trop étroit de la pharmacie ; il montra ses liaisons avec tous les phénomènes de la nature ; et la théorie des météores, la formation des métaux, les phénomènes de la fermentation, les loix de la putréfaction, tout fut embrassé et développé par ce génie supérieur.

La chimie fut alors ramenée à son véritable but : et Stalh qui succéda à Becher, rappela à quelques principes généraux tous les faits dont son prédécesseur avoit enrichi la science ; il parla un langage moins énigmatique, classa tous les faits avec ordre et méthode, et purgea cette science de cette rouille alchimique dont Becher lui-même l’avoit si fort infectée. Mais, si on considère ce qui est du à Stalh et ce qu’on a ajouté à sa doctrine jusqu’au milieu de ce siècle, on ne peut qu’être étonné du peu de progrès que fit la chimie : en consultant les travaux des Chimistes qui ont paru après Stalh, nous les voyons presque tous, enchaînés sur les pas de ce grand-homme, souscrire aveuglément à toutes ses idées ; la liberté de penser paroît ne plus exister pour eux. Et, lorsqu’une expérience bien faite laisse échapper quelque trait de lumière peu favorable à cette doctrine, on les voit se tourmenter d’une manière ridicule pour former une interprétation illusoire : c’est ainsi que l’accrétion en pesanteur qu’acquièrent les métaux par la calcination, quoique peu favorable à l’idée de la soustraction d’un principe sans aucune addition, n’a pas pu ébranler cette doctrine.

L’opinion presque religieuse qui asservissoit tous les Chimistes à Stalh, a nui sans-doute aux progrès de la chimie ; mais la fureur de réduire tout en principes, et d’établir une théorie sur des expériences incomplètes ou sur des faits mal vus, ne lui a pas présenté de moindres obstacles : du moment que l’analyse eut fait connoître quelques principes des corps, on se crut en possession des premiers agens de la nature ; on se crut autorisé à regarder comme élémens ce qui ne parut plus susceptible d’être décomposé ; les acides et les alkalis jouèrent le premier rôle ; et on parut oublier que le terme où s’arrête l’Artiste n’est point celui du Créateur, et que le dernier résultat de l’analyse marque à la vérité les bornes de l’art, mais ne fixe point celles de la nature. On pourroit encore reprocher à quelques Chimistes d’avoir trop négligé les opérations de la nature vivante : ils se sont concentrés dans leurs laboratoires, n’ont étudié les corps que dans leur état de mort, et n’ont pu acquérir que des connoissances très-incomplètes ; car celui qui, dans ses recherches, n’a d’autre but que de connoître les principes d’une substance, est comme le Médecin qui croiroit prendre une idée complète du corps humain en bornant ses études à celle du cadavre. Mais nous observerons que pour bien étudier les phénomènes des corps vivans, il falloit avoir le moyen de se saisir des principes gazeux qui s’échappent des corps, et d’analyser ces substances volatiles et invisibles qui se combinent : or, ce travail étoit alors impossible ; et gardons-nous d’imputer aux hommes ce qui ne doit être rapporté qu’au temps où ils ont vécu.

Ce seroit peut-être le cas de se demander pourquoi la chimie a été plutôt connue et plus généralement cultivée en Allemagne et dans le Nord que dans notre Royaume ! je crois qu’on pourroit en donner plusieurs raisons : la première, c’est que les Élèves de Stalh et de Becher y ont dû être plus nombreux et conséquemment l’instruction plus répandue ; la seconde, c’est que l’exploitation des mines, devenue une ressource nécessaire aux Gouvernemens du Nord, a été singulièrement encouragée, et que la chimie qui éclaire la minéralogie, a dû nécessairement participer à ces encouragemens[1].

Ce n’est que vers la fin du dernier siècle qu’on a commencé parmi nous à cultiver la chimie avec avantage : les premières guerres de Louis XIV, si propres à développer le talent de l’Artiste, de l’Historien, du Militaire, paroissoient bien peu favorables à l’étude paisible de la nature. Le Naturaliste qui dans ses recherches ne voit par-tout qu’union et harmonie, ne sauroit être témoin indifférent de ces scènes continuelles de désordre et de destruction ; et son génie s’éteint au milieu des troubles et des agitations. L’ame du grand Colbert, profondément pénétrée de ces vérités, essaya bientôt de tempérer le feu de la discorde en rappelant les esprits vers les seuls objets qui pouvoient assurer le calme et la prospérité de l’État ; il s’occupa de faire fleurir le commerce ; il établit des fabriques ; les savans furent appelés de toutes parts, encouragés et réunis pour concourir à ses vastes projets : alors l’ardeur de tout connoître remplaça, pour quelque temps, la fureur de tout envahir ; et la France le disputa bientôt à toutes les Nations, par les progrès rapides des sciences et la perfection des arts : on vit paroître, presque à la fois, les Lemery, les Homberg, les Geoffroy, et les autres Nations ne furent plus en droit de nous reprocher que nous n’avions pas de Chimistes. Dès ce moment l’existence des arts parut plus assurée ; toutes les sciences qui leur fournissent des principes furent cultivées avec le plus grand succès ; et l’on croira, à peine, que, dans quelques années, les arts aient été tirés du néant, et portés à un tel point de perfection, que la France qui jusques-là avoit tout reçu de l’Étranger, eût la gloire de fournir à ses voisins des modèles et des marchandises.

Cependant la chimie et l’histoire naturelle n’étoient encore cultivées que par un très-petit nombre de personnes au commencement de ce siècle ; et l’on croyoit alors que leur étude devoit être concentrée dans les seules Académies. Mais deux hommes, à jamais célèbres, en ont rendu le goût général sous le règne de Louis quinze : l’un, animé de cette noble fierté qui ne connoît point le pouvoir des préjugés, de cette ardeur infatigable qui surmonte si aisément les obstacles qui se présentent, de cette franchise qui inspire de la confiance, fit passer dans le cœur de ses élèves l’enthousiasme dont il étoit pénétré. Dans le temps que Rouelle éclairoit la chimie, Buffon préparoit dans l’histoire naturelle une révolution encore plus étonnante : les naturalistes du nord n’étoient parvenus qu’à se faire lire par un petit nombre de savans, et les ouvrages du naturaliste François furent bien-tôt, comme ceux de la nature, entre les mains de tout le monde. Il sut répandre, dans ses écrits, ce vif intérêt, ce coloris enchanteur et cette touche délicate et vigoureuse, qui préviennent, attachent et subjuguent : la profondeur du raisonnement s’allie par-tout à ce que l’imagination la plus brillante peut offrir d’agrémens et d’illusions ; le feu sacré du génie anime toutes ses productions ; ses systèmes présentent toujours les vues les plus sublimes dans leur ensemble et l’accord le plus parfait dans les détails ; lors même qu’il n’offre que des hypothèses, on aime à se persuader qu’il dit des vérités ; on devient semblable à cet homme qui, après avoir admiré une belle statue, fait des efforts pour se persuader qu’elle respire et écarte tout ce qui peut dissiper son illusion ; on reprend l’ouvrage avec plaisir comme celui qui se replonge dans le sommeil pour prolonger les erreurs d’un songe agréable.

Ces deux hommes célèbres, en répandant le goût de la chimie et de l’histoire naturelle, en faisant mieux connoître leurs rapports et leurs usages, leur concilièrent la faveur du gouvernement ; et, dès ce moment, tout le monde s’intéressa aux progrès de ces deux sciences. Les personnes les plus qualifiées du Royaume s’empressèrent de concourir à la révolution qui se préparoit ; les sciences inscrivirent bien-tôt dans leurs fastes les noms chers et respectés des, Larochefoucault, d’Ayen, de Chaulnes, de Lauraguais, de Malesherbes, etc. et ces hommes distingués par leur naissance s’honorèrent d’un nouveau genre de gloire qui n’est plus l’effet du hasard ou des préjugés. Ils enrichirent la chimie de leurs découvertes, associèrent leurs noms à ceux de tous les savans qui couroient cette même carrière, ranimèrent dans l’ame du Chimiste cet amour de la gloire et cette ardeur du bien public qui suscitent toujours de nouveaux efforts ; l’homme ambitieux et intriguant n’étouffa plus l’homme de génie modeste et timide ; le crédit des hommes en place servit d’égide et de soutien contre la calomnie et la persécution ; on assigna des récompenses au mérite ; des savans furent envoyés dans toutes les parties du monde pour en étudier l’industrie et nous en rapporter les productions ; des hommes du premier mérite furent invités à nous éclairer sur nos propres richesses ; et des établissemens de chimie formés dans les principales villes du Royaume répandirent le goût de cette science, et fixèrent parmi nous les arts que vainement on auroit Prétendu naturaliser si on ne leur avoit donné une base stable. Les professeurs établis dans la capitale et les provinces paroissent placés entre les Académies et le Peuple, pour préparer à celui-ci les vérités utiles qui émanent de ces corps, et nous pourrions les considérer comme un milieu qui brise et modifie les rayons de lumière qui partent de ces divers foyers, et les dirige vers les atteliers pour y éclairer et perfectionner la pratique. Sans ces faveurs, sans cette considération, sans ces récompenses, auroit-on pu se flatter que le savant, même le plus modeste, se dévouât à préparer la gloire d’une Nation dont il étoit inconnu ! Auroit-il pu lui-même espérer de parvenir à faire prospérer une découverte ! Auroit-il eu assez de fortune pour travailler en grand, et vaincre, par ce seul moyen, les préjugés sans nombre qui l’éloignent des atteliers ! Les sciences contemplatives ne demandent au souverain que repos et liberté ; les sciences expérimentales exigent plus, elles veulent des secours et des encouragemens. Eh ! que pouvoit-on espérer de ces siècles de Barbarie où le Chimiste osoit à peine avouer le genre d’occupation dont il faisoit en secret ses délices ! Le titre de Chimiste étoit presque un opprobre ; et le préjugé qui le confondoit avec ces souffleurs éternels qui ne méritoient de sa part que pitié, a retardé peut-être de plusieurs siècles la renaissance des arts, puisque la chimie devoit leur servir de base. Si les Princes, amis des arts et jaloux d’une gloire pure et durable, avoient eu soin d’honorer les savans, de recueillir précieusement leurs travaux et de nous transmettre sans altération les annales précieuses du génie des hommes, nous serions dispensés de fouiller dans les premiers temps pour aller consulter quelques débris échapés au naufrage ; et nous nous épargnerions le regret de convenir, après bien des travaux inutiles, qu’il ne nous reste des chefs-d’œuvre de l’antiquité que pour nous donner une idée de la supériorité où l’on étoit parvenu : le temps, le fer, le feu, les préjugés ont tout dévoré et nos recherches ne font qu’ajouter nos regrets aux pertes qui ont été faites.

La chimie a non-seulement à se glorifier de nos jours de la protection du gouvernement ; mais elle s’enorgueillit encore d’une conquête tout aussi glorieuse : elle a fixé les regards et fait l’occupation de plusieurs hommes, chez qui l’habitude d’une étude profonde des Sciences exactes a fait une nécessité de n’admettre que ce qui est démontré et de ne s’attacher qu’à ce qui est susceptible de l’être, et MM. de Lagrange, de Condorcet, Vandermonde, Monges, de la Place, Meusnier, Cousin, les plus célèbres mathématiciens de l’Europe, s’intéressent tous aux progrès de cette science, et la plûpart l’enrichissent journellement de leurs découvertes.

Tant d’instructions, tant d’encouragemens ne pouvoient qu’opérer une révolution dans la science elle-même ; et nous devons aux efforts combinés de tous ces savans la découverte de plusieurs métaux, la création de quelques arts utiles, la connoissance de plusieurs procédés avantageux, l’exploitation de plusieurs mines, l’analyse des gaz, la décomposition de l’eau, la théorie de la chaleur, la doctrine de la combustion, et des connoissances si positives et si étendues sur tous les phénomènes de l’art et de la nature qu’en très-peu de temps la chimie est devenue une science toute nouvelle ; et l’on pourroit dire, avec bien plus de fondement, ce que le célèbre Bacon disoit de la chimie de son temps : ″il est sorti des fourneaux des Chimistes une nouvelle philosophie qui a confondu, tous les raisonnemens de l’ancienne″.

Mais, les découvertes se multipliant à l’infini dans la chimie, on a bientôt senti la nécessité de remédier à la confusion qui régnoit depuis si long-temps dans la langue de cette science. Il y a un rapport si intime entre les mots et les faits, que la révolution qui s’opère dans les principes d’une science doit en entraîner une pareille dans la langue de cette même science ; et il n’est pas plus possible, de conserver une nomenclature vicieuse à une science qui s’éclaire, s’étend et se simplifie, que de polir, civiliser et instruire des hommes grossiers sans rien changer à leur langue naturelle. Chaque Chimiste qui écrivoit sur une matière, se pénétroit de l’inexactitude des mots reçus jusqu’à lui ; il se croyoit autorisé à introduire quelque changement, et on rendoit insensiblement la langue chimique plus longue, plus pénible et plus confuse : c’est ainsi que l’acide carbonique a été connu, en quelques années, sous les noms d’air fixe, d’acide aërien, d’acide méphitique, d’acide craïeux, etc. et nos neveux disputeront un jour pour savoir si ces diverses dénominations n’ont pas désigné différentes substances. Le temps étoit donc arrivé où il falloit nécessairement réformer la langue de la chimie ; les vices de l’ancienne nomenclature et la découverte de beaucoup de substances rendoient cette révolution indispensable. Mais, il étoit nécessaire de soustraire cette révolution au caprice et à la fantaisie de quelques particuliers ; il étoit nécessaire d’établir cette nouvelle langue sur des principes invariables ; et le seul moyen de remplir ce but étoit sans doute d’ériger un tribunal, où des Chimistes d’un mérite reconnu discutassent les mots reçus sans préjugé comme sans intérêt, où les principes d’une nouvelle nomenclature fussent établis et épurés par la logique la plus sévère, et où l’on identifiât si bien la langue avec la science, le mot avec le fait, que la connoissance de l’un conduisit à la connoissance de l’autre : c’est ce qui a été exécuté, en 1788, par MM. de Morreau, Lavoisier, Berthollet et de Fourcroy.

Pour établir un système de nomenclature, on doit considérer les corps sous deux points de vue différens et les distribuer en deux classes : celle des substances simples ou réputées élémentaires, et celle des substances composées.

1°. Les dénominations les plus naturelles et les plus convenables qu’on puisse assigner aux substances simples, doivent être déduites d’une propriété principale et caractéristique de la substance qu’on veut désigner : on peut encore les distinguer par des mots qui ne présentent aucune idée précise à l’esprit. La plupart des noms reçus sont établis sur ce dernier principe, tels sont ceux de soufre, de phosphore, qui ne portent dans notre langue aucune signification, et ne réveillent en nous des idées déterminées que parce que l’usage les a appliqués à des substances connues. Ces mots consacrés par l’usage doivent être conservés dans une nouvelle nomenclature ; et on ne doit se permettre de changement que lorsqu’il est question de rectifier des dénominations vicieuses. Dans ce cas, les auteurs de la nouvelle nomenclature ont cru devoir tirer la dénomination de la principale propriété caractéristique de la substance : ainsi, on a pu appeller l’air pur, air vital, air du feu, gaz oxigène, parce qu’il est la base des acides, et l’aliment de la respiration et de la combustion. Mais il me paroît qu’on s’est un peu écarté de ce principe, lorsqu’on a donné le nom de gaz azote à la mofette atmosphérique : 1°. aucune des substances gazeuses connues, à l’exception de l’air vital, n’étant propre à la respiration, le mot azote convient à toutes hormis à une ; par conséquent cette dénomination n’est point fondée sur une propriété exclusive, distinctive et caractéristique de ce gaz ; 2°. cette dénomination étant une fois introduite, on auroit dû appeller l’acide nitrique acide azotique, et ses combinaisons azotates, puisqu’on a affecté de designer les acides par le nom qui appartient au radical ; 3°. si la dénomination de gaz azote ne convient point à cette substance aëriforme, celle d’azote convient encore moins à cette substance concrète ou fixée : car, dans cet état, tous les gaz sont essentiellement des azotes. Il me paroît donc, que la dénomination gaz azote n’est point établie d’après les principes qu’on a adoptés, et que les noms donnés aux diverses substances dont ce gaz forme un des élémens s’éloignent également des principes de la nomenclature. Pour corriger la nomenclature sur ce point, il n’est question que de substituer à ce mot une dénomination qui dérive du système général qu’on a suivi, et je me permettrai de proposer celle de gaz nitrogène : d’abord elle est déduite d’une propriété caractéristique et exclusive de ce gaz qui forme le radical de l’acide nitrique ; et, par ce moyen, nous conservons aux combinaisons de cette substance les dénominations reçues telles que celles d’acide nitrique, de nitrates, de nitrites, etc. Ainsi ce mot, qui nous est fourni par les principes adoptés par les célèbres auteurs de la nomenclature, fait rentrer toutes choses dans l’ordre qu’on s’est proposé d’établir.

2°. La méthode qu’on a adoptée pour déterminer les dénominations qui conviennent aux substances composées, me paroît simple et rigoureuse : on a cru que la langue de cette partie de la science devoit en présenter l’analyse, que les mots n’étoient que l’expression des faits, et que, par conséquent, la dénomination appliquée par un Chimiste à une substance analysée, doit nous en faire connoître les principes constituans : en suivant cette méthode, on unit et on identifie, pour ainsi dire, la nomenclature avec la science, le fait avec le mot ; on réunit deux choses qui, jusqu’ici, n’avoient paru avoir aucun rapport entr’elles, le mot et la substance qu’il représente ; et, par ce moyen, on simplifie l’étude de la chimie. Mais, en faisant l’application de ces principes incontestables aux divers objets que la chimie nous présente, nous devons suivre pas à pas l’analyse et établir d’après elle seule les dénominations générales et individuelles. Nous pouvons observer que c’est d’après cette méthode analytique que les diverses dénominations ont été assignées et que les distributions méthodiques de l’histoire naturelle se sont opérées dans tous les temps : si l’homme ouvroit les yeux, pour la première fois, sur les divers êtres qui peuplent ou composent ce globe, il établiroit leurs rapports sur la comparaison des propriétés les plus saillantes, et fonderoit sans-doute ses premières divisions sur les différences les plus sensibles : la diverse manière d’être des corps, ou leurs divers degrés de consistance, formeroient sa première distribution, en corps solides, liquides, aériformes. Un examen plus réfléchi et l’analyse plus suivie des individus, lui feroient bientôt connoître que les substances, que quelques rapports généraux avoient réunies dans la même classe et asservies à une dénomination générique, différoient essentiellement entr’elles, et que ces différences nécessitoient des subdivisions ; de-là, la division des corps solides, en pierres, métaux, substances végétales, animales, etc. la division des liquides, en eau, air vital, air inflammable, air méphitique, etc. En poussant plus loin les recherches sur la nature de ces diverses substances, on a dû s’appercevoir que presque tous les individus étoient formés par la réunion de principes simples ; et c’est ici où commencent les applications du système qu’on doit suivre pour assigner à chaque substance une dénomination qui lui convienne : pour remplir ce but, les auteurs de la nouvelle nomenclature ont tâché de présenter des dénominations qui désignassent et fissent connoître les principes constituans ; ce beau plan a été rempli pour ce qui regarde les substances qui ne sont pas très-compliquées, telles que les combinaisons des principes entr’eux, celles des acides avec les terres, les métaux, les alkalis, etc. et cette partie de la nomenclature ne me paroît rien laisser à désirer : on peut en voir le développement dans l’ouvrage publié à ce sujet par les Auteurs et dans le Traité élémentaire de chimie de M. Lavoisier. Je ne me permettrai que de présenter une idée de la méthode qu’on a suivie, et nous prendrons pour exemple les combinaisons des acides qui forment la classe des composés la plus nombreuse.

On a commencé par comprendre sous une dénomination générale la combinaison d’un acide avec une base quelconque : et pour observer un ordre plus rigoureux et soulager en même-temps la mémoire, on a donné la même terminaison à tous les mots qui désignent la combinaison d’un acide : de-là les mots sulfates, nitrates, muriates, pour désigner les combinaisons des acides sulfurique, nitrique, muriatique. On fait connoître l’espèce de combinaison en ajoutant au mot générique celui du corps qui est combiné avec l’acide : ainsi sulfate de potasse exprime la combinaison de l’acide sulfurique avec la potasse.

Les modifications de ces mêmes acides, dépendantes des proportions de leurs principes constituans, forment des sels diiférens de ceux dont nous venons de parler ; et les Auteurs de la nouvelle nomenclature ont exprimé les modifications des acides par la terminaison du mot générique. La différence dans les acides est presque toujours établie sur ce que l’oxigène y est en plus ou moins : dans le premier cas, l’acide prend l’épithète oxigéné ; de-là acide muriatique oxigéné, acide sulfurique oxigéné, etc. Dans le second cas, la terminaison du mot qui désigne l’acide est en eux ; de-là acide sulfureux, acide nitreux, etc. les combinaisons de ces derniers forment des sulfites, des nitrites, etc, les combinaisons des premiers forment des muriates oxigénés, des sulfates oxigénés, etc.

Les combinaisons des divers corps qui composent ce globe ne sont pas toutes aussi simples que celles dont nous venons de parler ; et on sent déjà combien les dénominations seroient longues et pénibles si on aspiroit à faire connoître dans une seule dénomination les principes constituans d’un corps formé par l’union de 5 à 6 : on a préféré d’employer dans ce cas le mot reçu, et on ne s’est permis d’autres changemens que ceux qui ont été nécessités pour substituer des mots convenables à des dénominations qui présentoient des idées contraires à la nature des objets qu’elles désignoient.

J’adopte cette nomenclature dans mes leçons et dans mes écrits ; et je n’ai pas tardé à m’appercevoir combien elle étoit avantageuse à l’enseignement, combien elle soulageoit la mémoire, combien elle excitoit le goût de la chimie, et avec quelle facilité et quelle précision les idées et les principes concernant la composition et la nature des corps se gravent dans l’esprit des auditeurs. Mais j’ai eu soin de présenter dans cet Ouvrage les termes techniques usités dans les arts ou reçus dans la société à côté des nouvelles dénominations ; je pense que, comme il est impossible de changer le langage du peuple, il faut descendre jusqu’à lui, et par ce moyen l’associer à nos découvertes : nous voyons, par exemple, que l’Artiste ne connoît l’acide sulfurique que sous le nom d’huile de vitriol, quoique la dénomination d’acide vitriolique ait été le langage des Chimistes pendant un siècle ; n’espérons pas d’être plus heureux que nos prédécesseurs ; et, bien-loin de nous isoler, multiplions nos rapports avec l’Artiste ; bien-loin d’aspirer à l’asservir à notre langue, inspirons-lui de la confiance en apprenant la sienne ; prouvons à l’Artiste que nos rapports avec lui sont plus étendus qu’il ne l’imagine ; et, par ce rapprochement, établissons une confiance réciproque et un concours de lumières qui ne peuvent que tourner au profit des arts et de la chimie.

Après avoir expliqué les principaux obstacles qui ont retardé les progrès de la chimie, et les causes qui, de nos jours, en ont assuré les progrès, nous tâcherons de faire connoître les principales applications de cette science ; et nous croyons y parvenir en jetant un coup-d’œil général sur les arts et les sciences qui en reçoivent quelque principe.

Presque tous les arts doivent leur naissance au hazard : ils ne sont en général, ni le fruit des recherches, ni le résultat des combinaisons ; mais tous ont un rapport plus ou moins marqué avec la chimie, et elle peut en éclairer les principes, en réformer les abus, simplifier les moyens, et hâter leurs progrès.

La chimie est à la plupart des arts ce que les mathématiques sont aux diverses parties qu’elles éclairent de leurs principes : il est, sans-doute, possible qu’on exécute des ouvrages de mécanique sans être Mathématicien, commue il est possible qu’on fasse une belle écarlate sans être Chimiste ; mais les opérations du Mécanicien et du Teinturier ne sont pas moins fondées sur des principes invariables, dont la connoissance seroit infiniment utile à l’Artiste.

On ne parle dans les atteliers que des caprices des opérations ; mais il me paroît que ce terme vague a pris naissance dans l’ignorance où sont les Ouvriers des vrais principes de leur art : car la nature n’agit point elle-même avec détermination et discernement, elle obéit à des loix constantes ; et les matières mortes que nous employons dans nos atteliers, présentent des effets nécessaires où la volonté n’a aucune part et où par conséquent il ne sauroit y avoir de caprices. "Connoissez mieux vos matières premières, pourroit-on dire aux Artisans : étudiez mieux les principes de votre art et vous pourrez tout prévoir, tout prédire et tout calculer : c’est votre seule ignorance qui fait de vos opérations un tâtonement continuel et une décourageante alternative de succès et de revers.

Le public qui crie sans cesse qu’expérience passe science, nourrit et accrédite cette ignorance de la part de l’Artisan ; et il n’est pas hors de propos d’apprécier la valeur de ces termes : il est très-vrai, par exemple, qu’un homme qui a une très-longue expérience peut exécuter les opérations avec exactitude ; mais il est toujours borné à la simple manipulation, et je le compare à un aveugle qui connoît un chemin et peut le parcourir avec aisance, peut-être même avec la hardiesse et l’assurance d’un homme qui y voit bien, mais il est hors d’état d’éviter les obstacles fortuits, hors d’état d’abréger son chemin et de simplifier sa route, hors d’état de se faire des principes qu’il puisse transmettre : voilà l’Artiste réduit par la seule expérience, quelque longue qu’on la suppose, à la qualité de Manipulateur. On a vu, me dira-t-on, des Artistes faire par un travail assidu des découvertes très-importantes : cela est vrai, mais ces exemples sont rares ; et, de ce qu’on a vu pareillement des hommes de génie, sans aucune théorie de mathématiques, exécuter des ouvrages merveilleux de mécanique, conclura-t-on que les mathématiques ne font pas la base de la mécanique, et qu’on peut aspirer à devenir grand Mécanicien sans une étude profonde des mathématiques ?

Il paroît aujourd’hui assez généralement reconnu que la chimie est la base des arts ; mais l’Artiste ne retirera de la chimie tout le parti qu’on est en droit d’en attendre, que lorsqu’on aura rompu cette puissante barrière que la méfiance, l’amour-propre et les préjugés ont élevée entre le Chimiste et lui : le Chimiste qui a essayé de la franchir a été souvent repoussé comme un innovateur dangereux ; et le préjugé qui règne en despote dans les atteliers, n’a seulement pas permis de penser qu’on pût faire mieux.

Il est facile de nous pénétrer des avantages que les arts peuvent retirer de la chimie, en jetant un coup-d’œil sur ses applications à chacun d’eux en particulier.

I°. Il paroît par les écrits de Columelle, que les anciens avoient des connoissances assez étendues sur l’agriculture : elle étoit regardée alors comme la première et la plus noble occupation de l’homme ; mais, une fois que les objets de luxe ont prévalu sur les objets de première nécessité, on a abandonné la culture des terres à la pure routine, et le premier des arts a été dégradé par les préjugés.

L’agriculture a plus de rapports avec la chimie qu’on ne le croit ordinairement : tout homme est, sans-doute, en état de faire porter du blé à une terre ; mais combien ne faut-il pas de connoissances pour lui en faire produire le plus qu’il est possible ? Il ne suffit pas, pour cela, de diviser, de labourer et de fumer une terre, on a besoin encore d’un mélange de principes terreux si bien assorti, qu’il puisse fournir une nourriture convenable, permettre aux racines de pouvoir s’étendre au loin pour pomper le suc nourricier, donner à la tige une base fixe, recevoir, retenir et fournir au besoin le principe aqueux sans lequel rien ne végète ; il est donc essentiel de connoître la nature de la terre, l’avidité qu’elle a de se saisir de l’eau, la force avec laquelle elle la retient, etc. Ce sont là des études qui fournissent des principes que la seule pratique ne présente que tard et imparfaitement.

Chaque germe demande une terre particulière : le seigle végète librement dans les débris arides du granit, le froment dans la terre calcaire, etc. Et comment pourra-t-on naturaliser des productions étrangères, si on n’a pas assez de connoissances pour leur fournir une terre analogue à celle qui leur est naturelle ?

Les maladies des blés et des fourrages, la destruction des insectes qui les dévorent, sont du ressort de l’histoire naturelle et de la chimie : et nous avons vu, de nos jours, l’art si essentiel de la mouture et de la conservation des grains, et tous les détails qui intéressent la boulangerie, portés par les travaux de quelques Chimistes à un degré de perfection auquel il paroissoit difficile de parvenir.

L’art de disposer convenablement les étables, celui de faire choix d’une eau convenable pour la boisson des animaux domestiques, des procédés économiques pour préparer et mélanger leur nourriture, le talent si rare de fournir un engrais analogue à la nature du terrain, les connoissances nécessaires pour éviter ou pour combattre les épizooties, tout cela est du ressort de la chimie : sans son secours, notre marche seroit pénible, lente et incertaine.

Nous pouvons aujourd’hui faire connoître la nécessite de la chimie dans les diverses branches de l’agriculture, avec d’autant plus de raison, que le Gouvernement ne cesse d’encourager ce premier des arts par des récompenses, des distinctions et des établissemens ; et c’est entrer dans ses vues que de lui fournir des moyens pour le faire prospérer. Nous voyons avec la plus grande satisfaction que, par le plus heureux retour, on commence à regarder l’agriculture comme la source la plus pure, la plus féconde et la plus naturelle de nos richesses ; les préjugés ne pèsent plus sur l’Agriculteur ; le mépris et la servitude ne sont plus l’apanage réservé à ses pénibles travaux ; l’homme le plus utile et le plus vertueux, est aussi l’homme le plus considéré, et il est enfin permis au Cultivateur de lever au Ciel des mains libres pour le remercier de cette heureuse révolution.

II°. L’exploitation des mines est encore fondée sur les principes de la chimie ; et elle seule indique et dirige cette suite de travaux qu’on fait sur un métal depuis le moment de son extraction jusqu’à ce qu’il est employé.

Avant que l’analyse s’occupât de la nature des pierres, ces substances étoient toutes désignées par des caractères superficiels : la couleur, la dureté, le volume, la pesanteur, la forme, la propriété d’étinceler sous le briquet avoient fait des classes où tout étoit confondu : mais les travaux successifs de Pott, de Margraaf, de Bergmann, de Schéele, et de MM. Bayen, le Baron de Dietrich, Kirwan, Lavoisier, de Morveau, Achard, Sage, Berthollet, Gerhard, Erhmann, de Fourcroy, l’Abbé Mongez, Klaproth, Crell, Pelletier, de la Metherie, etc. en nous instruisant sur les principes constituans de toutes les pierres connues, ont mis chaque substance à sa place, et ont porté sur cette partie la même précision que celle que nous avions sur les sels neutres.

L’histoire naturelle du règne minéral, sans le secours de la chimie, est une langue composée de quelques mots dont la connoissance a mérité le nom de minéralogiste à beaucoup de personnes : les mots pierre calcaire, granit, spath, schorl, feld-spath, schistes, mica, etc. composent eux seuls le Dictionnaire de quelques amateurs d’histoire naturelle ; mais la disposition de ces substances dans l’intérieur de la terre, leur position respective dans la composition du globe, leur formation et leur décomposition successives, leurs usages dans les arts, la connoissance de leurs principes constituans forment une science qu’il n’appartient qu’au Chimiste de bien connoître et d’approfondir.

Il est donc nécessaire d’éclairer la minéralogie par l’étude de la chimie ; et nous observerons que depuis que ces deux parties ont été réunies, on a simplifié les travaux de l’exploitation, on a appris à travailler les métaux avec plus d’intelligence, on a même découvert plusieurs substances métalliques ; des particuliers ont fait ouvrir des mines dans les Provinces, et on s’est familiarisé avec un genre de travail qui nous paroissoit étranger et peu compatible avec notre sol et notre caractère ; l’acier et les autres métaux reçoivent dans nos atteliers ce degré de perfection qui jusqu’ici avoit excité notre admiration et humilié notre amour propre ; les superbes usines du Creusot n’ont point de modèle dans toute l’Europe ; presque toutes nos fabriques sont alimentées par le charbon de pierre, et ce nouveau combustible est d’autant plus précieux qu’il nous donne le temps de réparer nos forêts épuisées, et qu’il existe presque par-tout dans des terres arides qui repoussent le soc de la charrue et interdisent tout autre genre d’industrie. Ainsi, grâces éternelles soient rendues aux célèbres naturalistes MM. Jars, Dietrick, Duhamel, Monnet, Genssane, etc. qui les premiers nous ont fait connoître ces véritables richesses ! Le goût de la minéralogie qui s’est répandu de nos jours n’a pas peu contribué à opérer cette révolution ; et c’est, en grande partie, à ces collections d’histoire naturelle, contre lesquelles on a tant crié, que nous devons ce goût général : ces collections sont à l’histoire ce que sont les cabinets de livres à la littérature et aux sciences ; ce n’est souvent qu’un objet de luxe pour le propriétaire, mais, dans ce cas-là même, c’est une ressource toujours ouverte à l’homme qui veut voir et s’instruire ; c’est un exemplaire des ouvrages de la nature qu’on peut consulter à chaque moment ; et le Chimiste, qui parcourt toutes ces productions et les soumet à l’analyse pour en connoître les principes constituans, forme le précieux chaînon qui unit la nature à l’art.

III°. Tandis que la chimie s’occupe de la nature des corps et qu’elle cherche à en connoître les principes constituans, le Physicien en étudie le caractère extérieur et, pour ainsi dire, la physionomie ; il faut donc réunir l’objet du Chimiste à celui du Physicien pour avoir une idée complète d’un corps. Qu’est-ce en effet, que l’air ou le feu sans le secours de la chimie ? Des fluides plus ou moins compressibles, pesans, élastiques. Quelles sont les connoissances que donne la physique sur la nature des solides ? Elle nous apprend à les distinguer l’un de l’autre, à calculer leur pesanteur, à déterminer leur figure, à connoître leurs usages, etc.

Si on jette un coup-d’œil sur ce que la chimie nous a appris de nos jours, sur l’air, l’eau et le feu, on sentira combien les liens de ces deux sciences ont été resserrés : avant cette révolution, la physique se voyoit réduite à un pur étalage de machines ; et cette coquetterie, en lui donnant un éclat éphémère, en auroit étouffé les progrès si la chimie ne l’avoit rappelée à sa véritable destination. Le célèbre chancelier Bacon, comparoit la magie naturelle (physique expérimentale de son temps) à un magasin où l’on voit dans un tas de jouets d’enfans quelques meubles riches et précieux ; on y débite, dit-il, du curieux pour de l’utile : que faut-il de plus pour attirer les grands et pour former cette vogue passagère qui finit par le mépris ? Philosoph. du Chanc. Bacon, Chap. 12.

La physique de nos jours ne mériteroit plus les reproches de ce célèbre Philosophe : cette science repose sur deux bases également solides : d’une part, elle emprunte des principes dans les mathématiques ; de l’autre, elle en puise dans la chimie ; et le physicien existe entre ces deux sciences.

Dans quelques objets, l’étude de la chimie est tellement liée à celle de la physique qu’elles sont inséparables, comme, par exemple, dans les recherches sur l’air, l’eau, le feu, etc. ; elles s’aident avantageusement dans quelques autres ; et, tandis que la chimie dépouille les minéraux des corps étrangers qui leur sont combinés, la physique fournit l’appareil mécanique nécessaire à l’exploitation. La chimie est même inséparable de la physique dans les parties qui en paroissent les plus indépendantes, telles que l’optique, où le Physicien ne fera des progrès, qu’autant que le Chimiste perfectionnera ses verres.

Les rapports entre ces deux sciences sont si intimes qu’il est difficile de tirer une ligne de démarcation entr’elles : si nous bornons la physique à la recherche des propriétés externes des corps, nous ne lui donnons pour objet que l’écorce des choses ; si nous restreignons le Chimiste à la simple analyse, il parviendra, tout au plus, à connoître les principes constituans des corps et ignorera les fonctions. Ces distinctions dans une science qui n’a qu’un but, la connoissance complète des corps, ne peuvent plus exister ; et il me paroît que nous devons absolument les rejeter dans tous les objets qui ne peuvent être approfondis que par la réunion de la physique et de la chimie.

À l’époque de la renaissance des lettres, il a été avantageux d’isoler, pour ainsi dire, les savans sur la route de la vérité, et d’y multiplier les atteliers (qu’on me permette l’expression) pour hâter le défrichement ; mais aujourd’hui que les divers points sont réunis et que tout est lié, ces séparations, ces divisions doivent être effacées ; et nous pouvons nous flatter, qu’en réunissant nos efforts, nous ferons des progrès rapides dans l’étude de la nature. Les météores, et tous les phénomènes dont l’atmosphère est le théâtre, ne peuvent être connus que par cette réunion ; la décomposition de l’eau dans l’intérieur de la terre, et sa formation dans le fluide qui nous entoure, nous préparent les plus heureuses et les plus sublimes applications.

IV. Les rapports entre la chimie et la pharmacie sont si intimes qu’on les a long-temps considérées comme une seule et même science, et la chimie n’a été long-temps cultivée que par des Médecins ou des Pharmaciens. Il faut convenir que, quoique la chimie actuelle soit bien différente de la pharmacie qui n’est qu’une application des principes généraux de cette science, ces applications sont si nombreuses, la classe des personnes qui cultivent la pharmacie est en général si instruite, qu’on doit être peu surpris de voir la plupart des Pharmaciens s’éclairer dans leur profession par une étude sérieuse de la chimie, et réunir, par le plus heureux accord, les connoissances des deux parties.

L’abus qu’on a fait au commencement de ce siècle des applications de la chimie à la médecine, a fait méconnoître les rapports naturels et intimes de cette science à l’art de guérir. Il eût été, sans doute, plus prudent de rectifier les applications : mais on peut malheureusement reprocher aux Médecins d’avoir été toujours extrêmes : ils ont banni, sans restriction, ce qu’ils avoient adopté sans examen ; et on les a vus successivement dépouiller leur art de tous les secours qu’il pouvoit retirer des sciences accessoires.

Pour bien diriger les applications de la chimie au corps humain, il faut réunir des vues saines sur l’économie animale à des idées exactes de la chimie ; il faut subordonner nos résultats de laboratoire aux observations physiologiques, tâcher d’éclairer les uns par les autres, et ne reconnoître d’autre vérité que celle qui n’est contredite par aucun de ces moyens de conviction. C’est, pour s’être écarté de ces principes, qu’on a regardé le corps humain comme un corps mort et passif, et qu’on y a appliqué les principes rigoureux qui s’observent dans les opérations du laboratoire.

Dans le minéral, tout est soumis aux loix invariables des affinités ; aucun principe interne ne modifie l’action des agens externes : de-là vient que nous pouvons connoître, produire, ou modifier les effets.

Dans le végétal, l’action des agens externes y est également marquée, mais l’organisation intérieure la modifie, et les principales fonctions du végétal résultent de l’action combinée des causes externes et internes ; c’est, sans doute, pour cette raison que le Créateur a disposé sur la surface de la plante les principaux organes de la végétation, afin que les diverses fonctions reçoivent à la fois l’impression des agens externes et celle du principe interne de l’organisation.

Dans l’animal, les fonctions sont beaucoup moins dépendantes des causes externes, et la nature en a caché les principaux organes dans l’intérieur du corps, comme pour les soustraire à l’influence des puissances étrangères. Mais, plus les fonctions d’un individu sont liées à l’organisation, moins la chimie a d’empire sur elles ; et il convient d’être sobre sur l’application de cette science à tous les phénomènes qui dépendent essentiellement du principe de vie.

Il ne faut pas cependant regarder la chimie comme étrangère à l’étude et à la pratique de la médecine : elle seule peut nous apprendre l’art si difficile et si nécessaire de combiner les remèdes ; elle seule peut nous enseigner à les manier avec prudence et fermeté ; sans son secours, le Praticien tremblant ne se livre qu’avec peine à ces remèdes héroïques dont le Médecin-Chimiste sait tirer un si grand avantage. Il n’appartient, peut-être, qu’à la chimie de fournir les moyens de combattre les maladies épidémiques, qui, presque toutes, reconnoissent pour cause une altération dans l’air, l’eau, ou les alimens. Ce n’est que par l’analyse qu’on trouvera le véritable remède contre ces concrétions pierreuses qui forment la matière de la goutte, du calcul, du rhumatisme, etc. ; et les belles connoissances, que nous avons aujourd’hui sur la respiration et sur la nature des principales humeurs du corps humain, sont encore un bienfait de cette science.

V°. Non seulement la chimie est avantageuse à l’agriculture, à la physique, à la minéralogie et à la médecine ; mais les phénomènes chimiques intéressent tous les ordres de citoyens, et les applications de cette science sont si nombreuses qu’il est peu de circonstances dans la vie où on ne goutte le plaisir d’en connoître les principes. Presque tous les faits que l’habitude nous fait voir avec indifférence, sont des phénomènes intéressans aux yeux du Chimiste ; tout l’instruit, tout l’amuse ; rien ne lui est indifférent, par ce que rien ne lui est étranger ; et la nature, aussi belle dans ses moindres détails que sublime dans la disposition de ses loix générales, ne paroît déployer son entière magnificence qu’aux yeux du Chimiste.

Nous pourrions aisément nous former une idée de cette science, s’il nous étoit possible de présenter ici le tableau de ses principales applications : nous verrions, par exemple, que c’est la chimie qui nous fournit tous les métaux dont les usages ont été si fort multipliés ; que c’est la chimie qui nous donne les moyens d’employer à notre ornement la dépouille des animaux et des plantes ; que c’est elle encore qui établit notre luxe et notre subsistance, comme un impôt, sur tous les êtres créés et nous apprend à conquérir la nature en la faisant servir a nos goûts, à nos caprices et à nos besoins. Le feu, cet élément libre, indépendant, a été rassemblé et maîtrisé par l’industrie du Chimiste ; et cet agent, destiné à pénétrer, à animer et à vivifier toute la nature, est devenu entre ses mains un agent de mort et son premier ministre de destruction : les Chimistes, qui, de nos jours, nous ont appris à isoler l’air pur, seul propre à la combustion, ont mis, pour ainsi dire, entre nos mains l’essence même du feu ; et cet élément, dont les effets étoient si terribles, en produit de plus terribles encore. L’atmosphère, qu’on avoir regardée comme une masse de fluide homogène, s’est trouvée un véritable cahos, d’où l’analyse à retiré des principes, d’autant plus intéressans à connoître que la nature en a fait les principaux agens de ses opérations : et nous pouvons considérer cette masse de fluide dans lequel nous vivons, comme un vaste attelier où se préparent les météores, où se développent tous les germes de vie et de mort, où la nature prend les élémens de la composition des corps et où la décomposition rapporte les mêmes principes qui en avoient été tirés.

La chimie, en nous faisant connoître la nature et les principes des corps, nous instruit parfaitement sur nos rapports avec les objets qui nous environnent ; elle nous apprend, pour ainsi dire, à vivre avec eux, et imprime à tous une véritable vie, puisque, par elle, chaque corps a son nom, son caractère, ses usages et son influence dans l’harmonie et l’ordonnance de cet univers. Le Chimiste, au milieu de ces êtres nombreux dont le commun des hommes accuse la nature d’avoir vainement surchargé notre globe, jouit comme au centre d’une société dont tous les membres liés entr’eux par des rapports intimes concourent tous au bien général : à ses yeux tout est animé ; chaque être joue un rôle sur ce vaste théâtre ; et le Chimiste qui participe à ces scènes attendrissantes est payé avec usure des premières peines qu’il a prises pour établir ses relations.

On peut même regarder ce commerce ou ces rapports entre le Chimiste et la nature, comme très-propres à adoucir les mœurs et à imprimer au caractère cette franchise et cette loyauté si précieuses dans la société. Dans l’étude de l’histoire naturelle, on n’eut jamais à se plaindre, ni d’inconstance, ni de trahison ; on se passionne aisément pour les objets qui ne nous procurent que des jouissances ; et ces sortes de liaisons sont aussi pures que leur objet, aussi durables que la nature, et d’autant plus fortes qu’il en a plus coûté pour les établir.

D’après toutes ces considérations, aucune science ne mérite plus que la chimie d’entrer dans le plan d’une bonne éducation ; on peut même avancer que son étude est presque indispensable pour n’être pas étranger au milieu des êtres et des phénomènes qui nous environnent. À la vérité, l’habitude de voir les objets peut en faire reconnoître quelques propriétés principales ; on peut même s’élever jusqu’à la théorie de certains phénomènes ; mais rien n’est plus propre à rabaisser les prétentions des jeunes gens prévenus par ces demi-connoissances que de leur montrer le vaste tableau de ce qu’ils ignorent : au sentiment profond de leur ignorance, succède le désir si naturel d’acquérir de nouvelles connoissances ; le merveilleux des objets qu’on leur présente captive leur attention ; l’intérêt de chaque phénomène excite leur curiosité ; l’exactitude dans les expériences et la rigueur dans les résultats, forment leur raisonnement et les rendent sévères dans leurs jugemens. En étudiant les propriétés de tous les corps qui l’entourent, le jeune homme apprend à connoître les rapports qu’ils ont avec lui-même : et, en se portant successivement sur tous les objets, il étend par de nouvelles conquêtes le cercle de ses jouissances ; il devient même participant des priviléges du Créateur, puisqu’il unit et désunit, compose et détruit ; et l’on diroit que l’Auteur de la nature, se réservant à lui seul la connoissance de ses loix générales, a placé l’homme entre lui et la matière pour qu’il reçût ces mêmes loix de sa propre main, et les appliquât à celle-ci avec les modifications et les restrictions convenables. Nous pouvons donc considérer l’homme comme bien supérieur aux autres êtres qui composent ce globe : ils suivent tous une marche monotone et invariable, reçoivent les loix et les effets sans modification ; lui seul a le rare avantage de connoître les loix, de préparer les événemens, de prédire les résultats, d’opérer des effets à sa volonté, d’écarter ce qui lui est nuisible, de s’approprier ce qui lui est avantageux, de composer même des substances que la nature ne forma jamais ; et, sous ce dernier point de vue, créateur lui-même, il paroît partager avec l’Être Suprême la plus belle de ses prérogatives.
TABLE MÉTHODIQUE

DES MATIÈRES.


 p. xiii-lxxvi.




PREMIÈRE PARTIE.


DES PRINCIPES CHIMIQUES.


INTRODUCTION.
Définition de la chimie, son but et ses moyens. Description des principaux instrumens employés dans les opérations, et définition de ces diverses opérations, 
 p. 1-19.



De la loi générale qui tend à rapprocher et à maintenir dans un état de mélange ou de combinaison les molécules des corps, 
 p. 19-37.



Des divers moyens que le Chimiste emploie pour rompre l’adhésion qui existe entre les molécules des corps, 
 p. 37-45.



De la marche que le Chimiste doit suivre pour étudier les divers corps que la nature nous présente, 
 p. 43-52.



Des substances simples ou élémentaires, 
 p. 52-54.
CHAPITRE I. Du feu, 
 p. 54-56.
Article I. Du calorique et de la chaleur, 
 p. 56-74.
Article II. De la lumière, 
 p. 74-79.
CHAPITRE II. Du soufre, 
 p. 79-85.
CHAPITRE III. Du carbone, 
 p. 85-86.



Des gaz ou de la dissolution de quelques principes par le calorique à la température de l’atmosphère, 
 p. 86-91.
CHAPITRE I. Du gaz hydrogène ou air inflammable, 
 p. 91-101.
CHAPITRE II. Du gaz oxigène ou air vital, 
 p. 101-124.
CHAPITRE III. Du gaz nitrogène, gaz azote ou
mofète atmosphérique, 
 p. 124-126.


Du mélange des gaz nitrogène et oxigène, ou
de l’air atmosphérique, 
 p. 126-129.



De la combinaison des gaz oxigène et hydrogène formant de l’eau, 
 p. 129-132.
Article I. De l’eau à l’état de glace, 
 p. 132-136.
Article II. De l’eau à l’état liquide, 
 p. 136-140.
Article III. De l’eau à l’état gaz, 
 p. 140-147.



Des combinaisons du gaz nitrogène, 1°. avec le gaz hydrogène ; 2°. avec des principes terreux, formant les alkalis, 
 p. 147-149.
CHAPITRE I. Des alkalis fixes, 
 p. 149.
Article I. De l’alkali végétal ou potasse, 
 p. 149-152.
Article II. De l’alkali minéral ou soude, 
 p. 152-159.
CHAPITRE II. De l’ammoniaque ou alkali volatil, 
 p. 159-164.



De la combinaison de l’oxigène avec certaines bases formant des
acides,
 
 p. 164-171.
CHAPITRE I. De L’acide carbonique, 
 p. 171-180.
Article I. Carbonate de potasse, 
 p. 180-182.
Article II. Carbonate de soude, 
 p. 182.
Article III. Carbonate d’ammoniaque, 
 p. 182-184.
CHAPITRE II. De l’acide sulfurique, 
 p. 184-190.
Article I. Sulfate de potasse, 
 p. 190-191.
Article II. Sulfate de soude, 
 p. 191-193.
Article III. Sulfate d’ammonium, 
 p. 193-194.
CHAPITRE III. De l’acide nitrique, 
 p. 194-204.
Article I. Nitrate de potasse, 
 p. 204-212.
Article II. Nitrate de soude, 
 p. 212.
Article III. Nitrate d’ammonium, 
 p. 212-213.
CHAPITRE IV. De l’acide muriatique, 
 p. 213-223.
Article I. Muriate de potasse, 
 p. 223-224.
Article II. Muriate de soude, 
 p. 224-230.
Article III. Muriate d’ammoniaque, ci. 
 p. 230-234.
CHAPITRE V. De l’acide nitro-muriatique, 
 p. 234-236.
CHAPITRE VI. De l’acide boracique, ci.  
 p. 237-240.
Article I. Borate de potasse, 
 p. 241.
Article II. Borate de soude, 
 p. 241-246.
Article III. Borate d’ammoniaque, ci. 
 p. 246.
Des Eaux Minérales
 p. 246-263.






SECONDE PARTIE.


DE LA LITHOLOGIE OU DES SUBSTANCES PIERREUSES.


INTRODUCTION.
Définition de la lithologie. Caractères des pierres. Nécessité et difficulté de former des divisions dans cette partie de l’histoire naturelle, et diverses méthodes qu’on a suivies jusqu’ici pour en établir. Principes sur lesquels j’ai fondé mes divisions. Résultats de l’analyse sur les substances pierreuses. Caractères et propriétés des principales terres primitives, telles que la chaux, la barite, la magnésie, l’alumine et la silice, 
 p. 3-16.
de la Combinaison des Terres avec les acides.
I. GENRE. 
Sels terreux à base de chaux 
 p. 16.
Ire. Espèce. Carbonate de chaux. Pierre calcaire. 
 p. 16-18.
La pierre à chaux présente ou une cristallisation déterminée, ou une cristallisation confuse, ou des masses informes : dans le premier cas, elle forme les spaths calcaires, rhomboïdaux, prismatiques, pyramidaux, etc. ; dans le second, elle constitue les stalactites et les albâtres calcaires ; dans le troisième, la pierre est ou susceptible du poli ou non : si elle est susceptible du poli on l’appelle marbre ; si elle n’est pas susceptible du poli, elle forme les grès calcaires, le moëllon, les crayes, les gurhs, etc. ci. 
 p. 16-27.
Analyse et usages de la pierre calcaire 
 p. 27-34
IIe. Espèce. Sulfate de chaux, Pierre à plâtre, Gypse, etc. 
 p. 34-37.
La pierre à plâtre présente, ou une cristallisation déterminée ou des masses informes : Dans le premier cas, elle forme le gypse rhomboïdal et toutes ses variétés, le gypse en crête de coq, le gypse soyeux, le gypse en stalactite, etc. Dans le second, elle constitue le plâtre. Analyse, propriétés et usages du plâtre, 
 p. 37-39
IIIe. Espèce. Fluate de chaux, Spath vitreux fusible ou phosphorique, fluor spathique, 
 p. 39.
Le spath fluor se présente ou en crystaux, ou en masse informe ; la variété de ses couleurs lui a fait donner différens noms, 
 p. 39-40.
Procédés pour obtenir l’acide fluorique ; et caractère et propriétés de cet acide, 
 p. 40-43.
IVe. Espèce. Nitrate de chaux, Nitre calcaire 
 p. 44-45.
Ve. Espèce. Muriate de chaux, Sel marin calcaire 
 p. 45-46.
VIe. Espèce. Phosphate de chaux, Sel phosphorique calcaire 
 p. 46-47.
IIe. GENRE. 
Sels terreux à base de barite
Ie. Espèce. Sulfate de barite, Spath pesant 
 p. 47-50.
IIe. Espèce. Carbonate de barite 
 p. 50.
IIIe. Espèce. Nitrate de barite 
 p. 50.
IVe. Espèce. Muriate de Barite 
 p. 50.
IIIe. GENRE. 
Sels terreux à base de magnésie 
 p. 51-52.
Ire. Espèce. Sulfate de Magnésie, Sel d’Epsom 
 p. 52-53.
IIe. Espèce. Nitrate de magnésie
 p. 53-54.
IIIe. Espèce. Muriate de magnésie
 p. 54.
IVe. Espèce. Carbonate de magnésie
 p. 54-56.
IVe. GENRE. 
Sels terreux à base d’alumine 
 p. 56.
Ie. Espèce. Sulfate d’alumine, Alun, 
 p. 56-61.
IIe. Espèce. Carbonate d’alumine
 p. 61-62.
Ve. GENRE. 
Sels terreux à base de silice, 
 p. 62-63.
De la Combinaison et du mélange des terres primitives entr’elles, ou mélanges terreux, 
 p. 63-64.
Ier. GENRE. 
Mélanges Calcaires, 
 p. 64.
Ire. Espèce. Pierre à chaux et magnésie
 p. 65.
IIe. Espèce. Pierre à chaux et barite
 p. 65.
IIIe. Espèce. Carbonate de chaux et alumimine, Marnes, 
 p. 65-67.
IVe. Espèce. Pierre à chaux et silice
 p. 67.
Ve. Espèce. Pierre à chaux et bitume
 p. 68.
VIe. Espèce. Pierre à chaux et fer
 p. 69.
IIe. GENRE. 
Mélanges Baritiques, 
 p. 69.
Ire. Espèce. Sulfate de barite, pétrole, gypse, alun et silice. Pierre hépati-que, 
 p. 70.
IIe. Espèce. Carbonate de barite, fer et silice
 p. 70.
IIIe. GENRE. 
Mélanges magnésiens, 
 p. 71.
Ire. Espèce. Magnésie pure, silice, et alumine. Talc, 
 p. 71.
IIe. Espèce. Carbonate de magnésie, silice et alumine. Pierre de lard, Pierre ollaire, 
 p. 71-74.
IIIe. Espèce. Magnésie pure combinée avec un peu plus que son poids de silice, un tiers d’alumine, près d’un tiers d’eau et plus ou moins de fer. Serpentine, 
 p. 74-76.
IVe. Espèce. Carbonate de magnésie, silice, chaux, alumine et fer. Asbeste, Liége de montagne, 
 p. 76-77.
Ve. Espèce. Carbonates de magnésie et de chaux, sulfate de barite, alumine et fer. Amianthe, 
 p. 77-78.
IVe. GENRE. 
Mélanges Alumineux, 
 p. 79.
Ire. Espèce. Alumine, silice, carbonate de chaux, et plus ou moins de fer. Argile et ses variétés ; usage des argiles. Observations sur les poteries, 
 p. 79-87.
IIe. Espèce. Alumine, silice magnésie pure et fer. mica, 
 p. 88-89.
IIIe. Espèce. Alumine, silice, magnésie, chaux et fer. Pierre de corne et ses variétés, 
 p. 89-90.
IVe. Espèce. Alumine, silice, carbonate de magnésie et de chaux et fer. Ardoise, Schiste et variétés, 
 p. 91-92.
Ve. Espèce. Alumine, silice, pyrite ou sulfure de fer, et carbonate de chaux et de magnésie. Schiste pyriteux, 
 p. 92-94.
VIe. Espèce. Alumine, silice, chaux et eau. Zéolithe, 
 p. 95-96.
Ve. GENRE. 
Mélanges Siliceux, 
 p. 97.
Ire. Espèce. Silice, alumine, chaux et fer. Pierres gemmes, 
 p. 97-98.
Ire. Division. Pierres gemmes rouges. Rubis, Grenat, 
 p. 98-100.
IIe. Division. Pierres gemmes jaunes. Topazes, Hyacinthe, 
 p. 100-102.
IIIe. Division. Pierres gemmes vertes. Émeraude, Christolite, Béril, 
 p. 102-105.
IVe. Division. Pierres gemmes bleues. Saphir, 
 p. 105-106.
IIe. Espèce. Silice quelquefois pure, mais plus souvent mêlée avec une très-petite quantité d’alumine, de chaux et de fer
 p. 106.
Ire. Division. Crystal de roche et ses variétés, 
 p. 107-112.
IIe. Division. Quartz, 
 p. 112-113.
IIIe. Espèce. Silice, alumine, chaux et fer intimement mêlés. Silex, 
 p. 113.
Ire. Division. Silex grossiers. Pierre à fusil, Petro-silex, 
 p. 113-115.
IIe. Division. Silex fins. Agathe, Opale, Calcédoine, Cacholong, Cornaline, 
 p. 115-120.
IVe. Espèce. Silice, alumine, et fer. Jaspe, 
 p. 120-121.
Ve. Espèce. Silice, alumine, chaux, un peu de magnésie et fer. Tourmaline, Schorl, Produits volcaniques, 
 p. 121-126.
Observations sur les bouteilles de lave et le parti qu’on peut tirer du basalte dans les verreries, 
 p. 126-130.
Observations sur le trapp, 
 p. 130-131.
VIe. Espèce. Silice, chaux, magnésie, fer, cuivre et acide fluorique. Chrisoprase, 
 p. 131-132.
VIIe. Espèce. Silice, fluate de chaux bleu, sulfate de chaux et fer. Lapis lazuli, pierre d’azur, 
 p. 132-133.
VIIIe. Espèce. Silice, alumine, barite, magnésie. Feld-spath, 
 p. 133-135.



Du mélange des pierres entr’elles. Mélanges pierreux. Roches, 
Ier. GENRE. 
Roches formées par le mélange des pierres calcaires avec d’autres espèces, 
 p. 136.
Ire. Espèce. Carbonate de chaux et sulfate de barite
 p. 136.
IIe. Espèce. Carbonate de chaux et mica
 p. 137.
IIIe. Espèce. Mélanges de pierres calcaires et de magnésiennes
 p. 137.
IVe. Espèce. Pierres calcaires et fragmens de quartz
 p. 137.
IIe. GENRE. 
Roches formées par le mélange des pierres baritiques avec d’autres pierres, 
 p. 138.
Ire. Espèce. Spath pesant mêlé d’un peu de spath calcaire
 p. 139.
IIe. Espèce. Spath pesant et serpentine
 p. 139.
IIIe. Espèce. Spath pesant et spath fluor
 p. 139.
IVe. Espèce. Spath pesant et argile durcie
 p. 139.
Ve. Espèce. Spath pesant et quartz
 p. 140.
VIe. Espèce. Spath pesant et lave
 p. 140.
IIIe. GENRE. 
Roches formées par le mélange des pierres magnésiennes avec d’autres espèces, 
 p. 140.
Ire. Espèce. Pierres magnésiennes mélangées entr’elles
 p. 140.
IIe. Espèce. Pierres magnésiennes et pierres calcaires
 p. 141.
IIIe. Espèce. Pierres magnésiennes et pierres alumineuses
 p. 141.
IVe. Espèce. Pierres magnésiennes et pierres siliceuses
 p. 141.
Ve. GENRE. 
Roches formées par le mélange des pierres alumineuses avec d’autres espèces, 
 p. 142.
Ire. Espèce. Schiste et mica
 p. 142.
IIe. Espèce. Schiste et grenat
 p. 143.
IIIe. Espèce. Schiste, mica et quartz mêlés en petits fragmens. Gneiss, 
 p. 143.
IVe. Espèce. Schiste et schorl
 p. 144.
Ve. Espèce. Argile et quartz. Grés argileux, 
 p. 144.
VIe. GENRE. 
Roches formées par le mélanges et la réunion des pierres quartzeuses entr’elles, 
 p. 146.
Ire. Espèce. Quartz et schorl
 p. 146.
IIe. Espèce. Quartz et feld-spath
 p. 146.
IIIe. Espèce. Grés et grenat
 p. 147.
IVe. Espèce. Quartz, feld-spath et schorl
 p. 147.
Ve. Espèce. Fragmens de quartz liés par un ciment siliceux
 p. 148.
VIe. Espèce. Jaspe et feld-spath, Pophire, 
 p. 148.
VIIe. Espèce. Jaspe et grenat
 p. 150.
VIIIe. Espèce. Jaspe et calcédoine
 p. 150.
IXe. Espèce. Jaspe et quartz
 p. 150.
Xe. Espèce. Jaspe, quartz et feld-spath
 p. 151.
XIe. Espèce. Schorl, grenat et tournaline
 p. 151.
VI. GENRE. 
Roches sur-composées ou celles qui résultent du mélange et de la réunion de plusieurs genres différens, 
 p. 152.
Ire. Espèce. Petro-silex, alumine, spath calcaire
 p. 152.
IIe. Espèce. Argile, stéatite, spath calcaire
 p. 152.
IIIe. Espèce. Argile, zéolithe, schorl, spath calcaire
 p. 152.
IVe. Espèce. Argile, serpentine, spath calcaire
 p. 152.
Ve. Espèce. Serpentine, mica, spath calcaire
 p. 152.
VIe. Espèce. Serpentine, schorl, spath calcaire
 p. 153.
VIIe. Espèce. Stéatite, mica et grenats
 p. 153.
VIIIe. Espèce. Stéatite, mica et schorl
 p. 153.
IXe. Espèce. Grenats, quartz, mica et serpentine
 p. 153.
Xe. Espèce. Feld-spath, quartz, mica, stéatite
 p. 153.
XIe. Espèce. Quartz, mica et argile
 p. 154.
XIIe. Espèce. Argile et stéatite
 p. 154.
DU DIAMANT 
 p. 154-160.
Vues générales sur les décompositions et les changemens que subit la partie pierreuse de notre globe 
 p. 160-177.


TROISIÈME PARTIE.


Des substances métalliques.


INTRODUCTION.
Caractères des substances métalliques, p. 179. Opacité, pesanteur et ductilité particulières aux métaux, p.179-182. Formes sous lesquelles se présentent les métaux dans l’intérieur de la terre : mines, filons et leurs variétés, p. 182-183. Signes qui annoncent l’existence des mines, p. 183-185. Procédés usités pour faire l’essai d’une mine, p. 186-188. Manière d’extraire le minerai ; méthode générale pour exploiter une mine, et diverses opérations par lesquelles on parvient à dépouiller le minerai des substances étrangères et à le porter à l’état de métal, p. 190-193, Oxidation et calcination des métaux, et théorie de ce phénomène, p. 193-198. Division des substances métalliques, 
 p. 198-199.



De l’Arsenic.


État ordinaire sous lequel se trouve l’arsenic dans le commerce : procédé pour le faire passer à l’état de métal ; caractères de ce métal, 
 p. 199-200.
Combinaisons naturelles de l’arsenic avec divers métaux, et procédé pour l’extraire, 
 p. 201.
Combinaisons artificielles de l’arsenic avec le calorique, l’oxigène, le soufre, les acides et les alkalis, 
 p. 201-208.
Usages et dangers de l’arsenic et de ses préparations, 
 p. 209-210.



Du Cobalt.


Caractères du cobalt et ses combinaisons naturelles avec l’arsenic, le soufre, l’oxigène et autres métaux, 
 p. 210-213.
Exploitation des mines de cobalt et fabrication des saffres, smalths, azurs, etc. 
 p. 213-215.
Combinaisons artificielles du cobalt avec le calorique, les acides, les alkalis, 
 p. 215-216.
Usages du cobalt et de ses préparations,



Du Nickel.


Propriétés du nickel et ses divers états dans l’intérieur de la terre, 
 p. 216-217.
Ses combinaisons avec le calorique, les acides, le soufre, etc. 
 p. 217-219.


Du Bismuth.


Caractères du bismuth, 
 p. 219.
Ses combinaisons naturelles avec l’arsenic, le soufre, l’acide carbonique, l’oxigène, etc. 
 p. 219-221.
Exploitation des mines de bismuth, 
 p. 221-222.
Combinaisons artificielles du bismuth avec le calorique, les acides et les divers métaux ; usages de ce métal et de ses préparations, 
 p. 222-225.



De l’Antimoine.


Caractères de l’antimoine, 
 p. 225-226.
Combinaisons naturelles de l’antimoine avec le soufre, l’arsenic, l’oxigène, etc. 
 p. 226-229.
Exploitation des mines d’antimoine, et procédés pour former ce qui est connu dans le commerce sous les noms d’antimoine crud et de régule, 
 p. 229-232.
Combinaisons artificielles de l’antimoine avec le calorique, les acides sulfurique, nitrique, muriatique, muriatique oxigéné, tartrique, etc, avec les alkalis, les sulfures d’alkali, les métaux, etc. 
 p. 232-242.
Divers usages de l’Antimoine et de ses préparations, 
 p. 242-243.



Du Zinc.


Caractères du zinc, 
 p. 243-244.
Combinaisons naturelles du zinc avec le soufre, l’oxigène, etc. 
 p. 244 248.
Exploitation des mines de zinc, 
 p. 248-249.
Combinaisons artificielles du zinc avec le calorique, les acides, les alkalis et les métaux, 
 p. 250-252.
Usages du zinc et de ses préparations, 
 p. 252-253.



Du Manganèse.


Histoire, caractères et propriétés du manganèse, diverses formes sous lesquelles il se présente, 
 p. 253-255.
Combinaisons naturelles du manganèse avec l’oxigène, les métaux, etc. 
 p. 255.
Procédés pour réduire l’oxide natif de manganèse à l’état de métal, 
 p. 256.
Combinaisons artificielles du manganèse avec le calorique, les acides, le soufre, les métaux, les alkalis, etc. 
 p. 256-264.
Usages du manganèse et de ses préparations, 
 p. 264.


CHAPITRE VIII.


Du Plomb.


Caractères du plomb, 
 p. 264-265.
Combinaisons naturelles du plomb avec le soufre, les acides sulfurique, carbonique, phosphorique, l’oxigène, 
 p. 265-271.
Procédés pour essayer et exploiter les mines de plomb, 
 p. 271.
Combinaisons artificielles du plomb avec le calorique, l’oxigène, etc. et divers états sous lesquels se présentent ses oxides, 
 p. 272-274.
Combinaisons du plomb avec les acides, 
 p. 274-277.
Usages du plomb et de ses préparations, 
 p. 277-280.


CHAPITRE IX.


De l’Étain.


Caractères de l’étain, 
 p. 281.
Divers états sous lesquels se présentent les mines d’étain, 
 p. 282.
Procédés pour essayer et exploiter les mines d’étain, 
 p. 282-283.
Combinaisons naturelles ou artificielles de l’étain avec divers métaux ; ce qui établit divers degrés de bonté et de pureté dans l’étain du commerce, 
 p. 283-284.
Combinaisons de l’étain avec le calorique, l’oxigène, les acides, les métaux, le soufre, 
 p. 284-293.
Usages de l’étain et de ses préparations, 
 p. 294-295.


CHAPITRE X.


Du Fer.


Présence du fer dans presque tous les corps de la nature. Caractères et propriétés de ce métal. Opinions et faits relatifs à l’existence du fer natif, 
 p. 295-298.
Divers états sous lesquels se présentent les mines de fer.
Article I. Mines de fer attirables à l’aimant, 
 p. 298.
Article II. Mines de fer sulfureuses ou sulfures de fer, 
 p. 302.
Article III. Mines de fer spathiques ou carbonates de fer, 
 p. 306.
Article IV. Mines de fer limoneuses ou argileuses, 
 p. 307.
Article V. Bleu de prusse natif ou prussiate de fer, 
 p. 309.
Article VI. Plombagine ou carbure de fer, 
 p. 309.
Procédés pour essayer et pour exploiter les mines de fer, 
 p. 316-318.
Combinaisons du fer avec l’oxigène et le carbone, 
 p. 318-323.
Causes des différences observées dans les divers fers, 
 p. 323-325.
Combinaisons du fer avec le calorique, les acides sulfurique, nitrique, muriatique, gallique, tartrique, oxalique, prussique, 
 p. 325-342.
Usages du fer et de ses préparations, 
 p. 343-346.


CHAPITRE XI.


Du Cuivre.


Caractères du cuivre, 
 p. 346-348.
Combinaisons naturelles du cuivre avec le soufre, l’arsenic, l’antimoine, l’oxigène, l’acide carbonique, 
 p. 348-352.
Procédés pour essayer et pour exploiter une mine de cuivre, 
 p. 353-355.
Combinaisons artificielles du cuivre avec le calorique, l’oxigène, les acides, les alkalis, les métaux, etc. 
 p. 355-363.
Usages du cuivre et de ses combinaisons, 
 p. 363-365.

CHAPITRE XII.


Du Mercure.


Caractères du mercure et ses propriétés, 
 p. 365-367.
Combinaisons naturelles du mercure avec l’oxigène, les métaux et le soufre, 
 p. 367-368.
Procédés pour exploiter les mines de mercure, 
 p. 368-370.
Combinaisons artificielles du mercure avec le calorique, les acides, le soufre, les métaux, etc. 
 p. 370-382.
Usages du mercure et de ses préparations, 
 p. 382-383.


CHAPITRE XIII.


De l’Argent.


Caractères et propriétés de l’argent, 
 p. 384-385.
Combinaisons naturelles de l’argent avec le soufre, le soufre et l’arsenic, le soufre et l’antimoine, l’acide muriatique, les métaux, etc. 
 p. 385-387.
Procédés pour exploiter les mines d’argent, 
 p. 387-388.
Moyens de reconnoître le titre de l’argent, 
 p. 388.
Combinaisons artificielles de l’argent avec le calorique, les métaux, l’oxigène, les acides, l’ammoniaque, etc. 
 p. 388-396.
Usages de l’argent et de ses combinaisons, 
 p. 396.


CHAPITRE XIV.


De l’Or.


Caractères et propriétés de l’or, 
 p. 397-398.
Combinaisons naturelles de l’or avec le soufre, l’arsenic, les substances végétales, les métaux, etc. 
 p. 398-400.
Procédés pour exploiter les mines d’or, 
 p. 400-402.
Procédés pour déterminer le titre de l’or, 
 p. 403-404.
Combinaisons artificielles de l’or avec le calorique, l’oxigène, les acides, l’ammoniaque, l’éther, les métaux, 
 p. 404-410.
Usages de l’or et de ses préparations.
Idées générales sur l’Alchimie, 
 p. 411-414.


CHAPITRE XV.


Du Platine.


Histoire, caractères et propriétés du platine, 
 p. 414-415.
Combinaisons artificielles du platine avec le calorique, les acides, l’arsenic, le phosphore, les métaux, 
 p. 415-422.
Usages du platine, 
 p. 422-423.


CHAPITRE XVI.


Du Tungsten et du Wolfram.


Article I. Du Tungsten,
Caractères du tungsten, 
 p. 423-424.
Acide tungstique, procédés pour l’obtenir et propriétés de cet acide, 
 p. 424-430.
Article II. Du Wolfram.
Caractères du wolfram, 
 p. 430-431.
Acide tungstique extrait du wolfram ; procédés pour l’obtenir et propriétés de cet acide, 
 p. 431-434.
Caractères et propriétés du métal fourni par ces mines, 
 p. 434-436.


CHAPITRE XVII.


Du Molybdène.


Caractères du Molybdène, 
 p. 436-438.
Combinaisons du molybdène avec le calorique, l’oxigène, les alkalis, le soufre, les métaux, 
 p. 438-440.
Acide molybdique, moyens de l’obtenir, ses propriétés et ses combinaisons, 
 p. 440-443.





QUATRIÈME PARTIE.


DES SUBSTANCES VÉGÉTALES.


INTRODUCTION.
Caractères du végétal. Différences entre les substances des trois règnes. Vices des méthodes employées jusqu’ici à l’analyse végétale. Plan d’analyse et distribution plus méthodique des divers principes du végétal, 
 p. 3-11.


SECTION PREMIÈRE.


De la structure du végétal, 
 p. 11.
Article I. De l’écorce, 
 p. 11-15.
Article II. Du tissu ligneux, 
 p. 15-16.
Article III. Des vaisseaux, 
 p. 16-19.
Article IV. Des glandes, 
 p. 19.

SECTION SECONDE.


Des principes nutritifs du végétal, 
 p. 19-21.
Article I. De l’eau, principe nutritif de la plante, 
 p. 21-25.
Article II. De la terre et de son influence dans la végétation, 
 p. 25-29.
Article III. Du gaz nitrogène, principe nutritif de la plante, 
 p. 29-30.
Article IV. De l’acide carbonique, comme principe nutritif du végétal, 
 p. 30-31.
Article V. De la lumière et de son influence dans la végétation, 
 p. 31-34.


SECTION TROISIÈME.


Du résultat de la nutrition ou des principes du végétal, 
 p. 34.
Article I. Du mucilage, 
 p. 34-39.
Article II. Des huiles, 
 p. 39-41.
I. Division Des huiles fixes, 
 p. 41-53.
I. Division Des huiles volatiles, 
 p. 61-66.
Article III. Des résines, 
 p. 66-74.
Article IV. Des baumes, 
 p. 74-79.
Article V. Des gommes-résines, 
 p. 79-84.
Du caoutchouc ou gomme élastique, 
 p. 84-88.
Des vernis, 
 p. 89-92.
Article VI. Des fécules, 
 p. 92-99.
Article VII. Du gluten, 
 p. 99-104.
Article VIII. Du sucre, 
 p. 104-114.
Article IX. De l’acide végétal, 
 p. 114-132.
Article X. Des alkalis, 
 p. 132-135.
Article XI. Des principes colorans, 
 p. 135-153.
Article XII. Du pollen, ou poussières fécondante des étamines, 
 p. 153-156.
De la cire, 
 p. 156-158.
Article XIII. Du miel, 
 p. 158-159.
Article XIV. De la partie ligneuse, 
 p. 159-162.
Article XV. De quelques autres principes du végétal, 
 p. 162-165.
Article XVI. Des sucs communs qu’on extrait par incision ou par expression, 
 p. 165-175.


SECTION QUATRIÈME.


Des principes qui s’échappent par la transpiration du végétal, 
 p. 175.
Article I. Du gaz oxigene fourni par les végétaux, 
 p. 176-179.
Article II. De l’eau fournie par les végétaux, 
 p. 179-180.
Article III. De l’arome ou esprit recteur, 
 p. 180-184.


SECTION CINQUIÈME.


Des altérations qu’éprouvent les végétaux morts, 
 p. 184-185.
CHAPITRE I. De l’action de la chaleur sur le végétal mort, 
 p. 185-192.
CHAPITRE II. De l’action de l’eau seule appliquée aux végétaux morts, 
 p. 191-198.
Du charbon de pierre et des bitumes, 
 p. 198-210.
Des volcans et de leurs produits, 
 p. 210-220.
CHAPITRE III. De la décomposition du végétal dans l’intérieur de la terre, 
 p. 220-222.
CHAPITRE IV. De l’action de l’air et de la chaleur sur le végétal, 
 p. 222-224.
CHAPITRE V. De l’action de l’air et de l’eau, déterminant un commencement de fermentation qui procure la séparation des sucs du végétal d’avec la partie ligneuse, 
 p. 225-228.
CHAPITRE VI. De l’action de l’air, de la chaleur et de l’eau sur le végétal mort, 
 p. 228-231.
Article I. De la fermentation spiritueuse et de ses produits, 
 p. 231-254.
Article II. De la fermentation acide, 
 p. 254-258.
Article III. De la fermentation putride, 
 p. 259-264.


CINQUIÈME PARTIE.


Des substances animales.


INTRODUCTION.
Abus qu’on a fait des applications de la chimie à la médecine. Moyen de rectifier ces applications. Caractères de l’animal ; son rang parmi les autres corps de cet univers. La chimie actuelle peut nous éclairer sur plusieurs fonctions ; et ses applications sent avantageuses et même nécessaires dans l’état de santé et dans l’état de maladie, 
 p. 265-270.
CHAPITRE I. De la digestion, 
 p. 271-275.
CHAPITRE II. Du lait, 
 p. 275-285.
CHAPITRE III. Du sang, 
 p. 285-291.
CHAPITRE IV. De la graisse, 
 p. 291-297.
CHAPITRE V. De la bile, 
 p. 297-303.
CHAPITRE VI. Des parties molles et blanches des animaux, 
 p. 303-311.
CHAPITRE VII. Des muscles ou parties charnues, 
 p. 311-316.
CHAPITRE VIII. De l’urine, 
 p. 316-326.
Du calcul de la vessie, 
 p. 326-331.
CHAPITRE IX. Du phosphore, 
 p. 331-349.
CHAPITRE X. De quelques substances qu’on retire des animaux pour l’usage de la médecine et des arts, 
 p. 349 et suiv.
Article I. Des produits fournis par les quadrupèdes, 
 p. 350-355.
Article II. De quelques produits fournis par les poissons, 
 p. 355-358.
Article III. De quelques produits fournis par les oiseaux, 
 p. 358-360.
Article IV. De quelques produits fournis par les insectes, 
 p. 360-367.
CHAPITRE XI. De quelques autres acides extraits du règne animal, 
 p. 367-373.
CHAPITRE XII. De la putréfaction, 
 p. 373-386.
PREMIÈRE PARTIE.

DES PRINCIPES CHIMIQUES.

INTRODUCTION.


Définition de la Chimie, son but et ses moyens, idée d’un laboratoire, description des principaux instrumens employés dans les opérations, et définition de ces diverses opérations.


LA chimie est une science, dont le but est de connoître la nature et les propriétés des corps.

Les moyens qu’elle emploie pour y parvenir, se réduisent à deux : l’analyse et la synthèse.

Les principales opérations du Chimiste se font dans un attelier qu’on appelle laboratoire.

Un laboratoire doit être grand et bien aéré, afin d’éviter le séjour des vapeurs dangereuses qui sont produites dans quelques opérations, ou qui s’échappent par quelqu’accident imprévu ; il doit être sec, sans quoi les vases de fer s’y rouillent, et la plupart des produits chimiques s’y altèrent ; mais le principal mérite d’un laboratoire, est d’être meublé de tous les instrumens, qui peuvent être employés à l’étude de la nature des corps et à la recherche de leurs propriétés.

Parmi ces instrumens, il en est qui sont d’un usage général et applicables au plus grand nombre d’opérations, il en est d’autres qui ne servent que dans des cas particuliers : cette division nous indique déjà, qu’il ne sera question, en ce moment, que des premiers, et que nous nous réserverons de faire connoître les autres, lorsque nous serons dans le cas de les employer.

Les instrumens chimiques les plus employés, ceux qui se présentent les premiers dans un laboratoire, sont les fourneaux.

On appelle fourneaux des vaisseaux de terre appropriés aux diverses opérations qu’on fait sur les corps par le moyen du feu.

Un mélange convenable de sable et d’argile forme ordinairement ces vaisseaux : il est difficile, il est même impossible, de prescrire et de déterminer, d’une manière invariable, les proportions de ces principes constituant ; elles doivent varier, selon la nature des terres qu’on veut employer : l’habitude et l’expérience peuvent seules nous fournir des principes à ce sujet.

La diverse manière d’appliquer le feu aux substances qu’on veut analyser, a fait donner aux fourneaux différentes formes que nous réduirons en ce moment aux trois suivantes.

1°. Fourneau évaporatoire. Ce fourneau a reçu son nom de ses usages : on s’en sert pour réduire en vapeurs, par le secours du feu, toute substance liquide, et séparer, par ce moyen, des principes plus fixes et plus pesans qui étoient mêlés, suspendus, combinés, ou dissous dans le fluide.

Ce fourneau est composé d’un cendrier et d’un foyer : ces deux parties sont séparées par une grille qui supporte le combustible : le cendrier a une porte qui donne passage à l’air ; et c’est par celle du foyer qu’on introduit le combustible.

Le foyer est recouvert par le vase évaporatoire, et on pratique deux ou trois échancrures, canelures ou dépressions, dans l’épaisseur des parois du fourneau, vers son bord supérieur, pour faciliter l’aspiration et la combustion.

On appelle vase évaporatoire, le vaisseau qui contient la substance qu’on évapore.

Ces vases sont de terre, de verre ou de métal : les vases de terre non vernissés sont trop poreux, et les liquides filtrent à travers leur tissu ; ceux de bisquit de porcelaine se laissent aussi pénétrer par les liquides fortement chauffés, et donnent passage aux substances gazeuses : on connoît à ce sujet les belles expériences de M. Darcet, sur la combustion et la destruction du diamant dans les boules de porcelaine ; j’ai confirmé ces résultats, par des expériences en grand sur la distillation de l’eau forte, qui perd en quantité et qualité, quand on la fabrique dans des vaisseaux de poterie-porcelaine.

Les vaisseaux de terre vernissés ne peuvent pas servir, lorsque le vernis est fait avec les verres de plomb ou de cuivre, puisque ces matières métalliques sont attaquées par les acides, les graisses, les huiles, etc. Ils ne peuvent pas non-plus être employés lorsque la couverte est en émail, parce que cette espèce de verre opaque est presque toujours gercée et fendillée, et que le liquide s’introduit dans le corps du vase.

Les vaisseaux de terre ne peuvent donc servir, que pour ces opérations peu délicates, où la précision et l’exactitude ne sont pas de rigueur.

On doit préférer les vaisseaux évaporatoires de verre : ceux qui résistent le mieux au feu sont ceux qu’on prépare soi-même, en coupant, à l’aide d’un fer rouge, une sphère de verre ou un récipient en deux calottes égales : les capsules qu’on fait dans les verreries sont plus épaisses dans le milieu, et conséquemment plus susceptibles de casser en cet endroit, quand on les expose au feu.

Dans les atteliers des arts on fabrique des évaporatoires de métal : le cuivre est le plus employé, parce qu’il réunit la propriété de résister au feu, à la solidité et à la facilité de pouvoir être travaillé ; on en fait, des alambics pour la distillation des vins et des aromes, des chaudières pour la cristallisation de certains sels et pour quelques travaux de teintures, etc. Le plomb est encore d’un usage assez étendu, et on s’en sert, toutes les fois qu’il est question d’opérer sur des substances qui ont pour base l’acide sulfurique, telles que les sulfates d’alumine et de fer, et pour la concentration et rectification des huiles de vitriol. On emploie également les vaisseaux d’étain dans quelques opérations ; le bain d’écarlate donne de plus belles couleurs dans des chaudières de ce métal que dans toute autre ; on commence déjà à substituer des chapitaux d’étain à ceux de cuivre dans la construction des alambics ; et, par ce moyen, les divers produits de la distillation sont exempts de tout soupçon de ce métal dangereux. On se sert encore de chaudières de fer pour des opérations grossières, comme, par exemple, lorsqu’il est question de rapprocher des lessives de salin, de salpêtre, etc.

Les évaporatoires d’or, d’argent ou de platine, doivent être préférés dans quelques opérations délicates : mais le prix et la rareté n’en permettent pas l’usage, sur-tout dans les travaux en grand.

Au reste, c’est la nature de la substance qu’on évapore, qui doit décider du choix du vase qui convient le mieux à l’opération : on ne peut point adopter exclusivement tel ou tel évaporatoire ; tout ce qu’on peut dire, c’est que le verre présente le plus d’avantages, parce que la matière qui le constitue est la moins attaquable, la moins soluble, et la moins destructible par les agens chimiques.

Les vaisseaux évaporatoires sont connus sous les noms de capsules, de cucurbites, etc. selon la variété de leur forme.

Ces vases doivent être, en général, très-évasés et peu profonds : pour que la distillation et l’évaporation soient promptes et économiques, il faut, 1°. que le vase évaporatoire ne soit point étranglé à sa partie supérieure ; 2°. que la chaleur soit appliquée au liquide dans tous les points et d’une manière égale ; 3°. que la colonne ou masse du liquide présente peu de hauteur et beaucoup de surface : c’est sur ces principes que j’ai fait construire, dans le Languedoc, des chaudières propres à distiller les vins, qui économisent les onze douzièmes de temps et les quatre cinquièmes de combustible.

L’évaporation peut se faire de trois manières, 1°. à feu nud, 2°. au bain de sable, 3°. au bain-marie.

L’évaporation se fait à feu nud, lorsqu’il n’y a aucun corps interposé entre le feu et le vaisseau qui contient la substance à évaporer, comme lorsqu’on fait bouillir de l’eau dans un chaudron.

L’évaporation se fait au bain de sable, lorsqu’on interpose un vaisseau rempli de sable entre le feu et le vaisseau évaporatoire : alors la chaleur se communique plus lentement et d’une manière plus graduée, et les vaisseaux, qui casseroient par l’application immédiate de la chaleur, résistent par ce moyen ; la chaleur est en même-temps plus égale et plus soutenue, le refroidissement est plus gradué, et les opérations se font avec plus d’ordre, plus de précision et plus d’aisance.

Si, au lieu d’employer un vase plein de sable, on se sert d’un vaisseau rempli d’eau, et qu’on plonge dans le liquide le vase évaporatoire, l’évaporation se fait au bain-marie : dans ce cas, la substance qu’on évapore n’est chauffée que par la chaleur que lui communique le liquide ; cette forme ou méthode d’évaporation est employée, lorsqu’il est question d’extraire ou de distiller quelques principes très-volatils, tels que l’alkool, l’arome des plantes, etc. Elle a l’avantage de fournir des produits qui ne sont point altérés par le feu, parce que la chaleur leur est transmise par l’intermède d’un liquide ; c’est ce qui rend ce procédé précieux pour extraire les huiles volatiles, les parfums, les liqueurs étherées, etc. : elle a encore l’avantage de présenter une chaleur à-peu-près égale, parce que le degré de l’ébullition est un terme assez constant ; et on peut graduer et varier à volonté cette chaleur, en ajoutant des sels au liquide du bain-marie, et rendant, par ce seul moyen, l’ébullition plus ou moins prompte et plus ou moins facile ; on peut y parvenir encore, en gênant l’évaporation, car, dans ce cas, le liquide peut prendre une chaleur beaucoup plus forte, comme on le voit dans la marmite de Papin, les pompes à feu, l’éolipile, et les chaudières des avivages dans la teinture en rouge du coton.

La sublimation diffère de l’évaporation, en ce que la substance qu’on volatilise est solide : les vases qui servent à cette opération sont connus sous le nom de vaisseaux sublimatoires : ce sont ordinairement des boules surmontées d’un long col, et alors on les appelle matras.

Pour sublimer une substance, on entoure de table une partie de la boule du matras ; la matière que la chaleur volatilise va se condenser contre la portion du vase la plus froide, et forme une couche ou calotte qu’on enlève en cassant le vase ; c’est ainsi qu’on forme, dans le commerce, le sel ammoniac, le sublimé corrosif, etc.

La sublimation se pratique ordinairement, ou bien pour purifier certaines substances et les dégager de quelques matières étrangères, ou bien pour réduire en vapeurs et combiner sous cette forme des principes qui s’uniroient difficilement, s’ils n’avoient pas été ramenés à ce point de division.

2°. Fourneau de réverbère. On a donné le nom de fourneau de réverbère à celui qui est approprié aux distillations.

Ce fourneau est composé de quatre pièces : 1°. d’un cendrier destiné à livrer passage à l’air, et à recevoir les cendres ou le résidu de la combustion ; 2°. d’un foyer séparé du cendrier par la grille, c’est dans cette pièce qu’est contenu le combustible ; 3°. d’une portion de cylindre, qu’on appelle laboratoire, parce que c’est cette partie qui reçoit les cornues employées au travail ou à la distillation ; 4°. ces trois pièces sont couvertes d’un dôme ou d’une portion de sphère percée vers son milieu par un trou qui livre passage au courant d’air et forme la cheminée.

La forme la plus ordinaire qu’on donne au fourneau de réverbère, est celle d’un cylindre terminé par une demi-sphère surmontée d’une cheminée plus ou moins longue, ce qui détermine une aspiration plus ou moins forte.

Pour qu’un fourneau de réverbère soit dans les bonnes proportions, il faut, 1°. établir un large cendrier, afin que l’air y aborde frais et sans altération ; 2°. donner au foyer et au laboratoire réunis la forme d’une véritable ellipse dont le feu et la cornue occupent les deux foyers, alors toute la chaleur, soit directe, soit réfléchie, se porte sur la cornue.

Le fourneau de réverbère est employé aux distillations : on appelle distillation, cette opération par laquelle on cherche à désunir et à séparer par le feu les divers principes d’un corps, selon les loix de leur pesanteur et de leurs affinités.

Les vaisseaux distillatoires sont connus sous le nom de cornues.

Les cornues sont, de verre, de grès, de porcelaine ou de métal : on se sert de l’une ou de l’autre de ces matières, selon la nature des substances qu’on veut distiller.

De quelque nature que soit la cornue, la forme en est toujours la même, et elles ont toutes la figure d’un œuf terminé par un bec ou tuyau qui diminue insensiblement de largeur et est légèrement incliné.

La portion ovale de la cornue, qu’on appelle la panse, se place dans le laboratoire du fourneau, et est supportée sur deux barres de fer qui séparent le laboratoire du foyer, tandis que le bec ou col de la cornue sort au dehors du fourneau par l’ouverture circulaire pratiquée sur les bords du dôme et du laboratoire.

On adapte au bec de la cornue un vase destiné à recevoir le produit de la distillation ; c’est ce vase qu’on nomme récipient.

Le récipient est ordinairement une sphère qui présente deux ouvertures ; l’une assez grande, pour recevoir le col de la cornue ; l’autre plus petite, pour donner issue aux vapeurs : c’est celle-ci qu’on appelle tubulure du récipient ; de là, récipient tubulé ou non tubulé, etc.

Quoique le fourneau de réverbère soit spécialement affecté aux distillations, cette opération peut s’exécuter au bain de sable ; et ici, comme ailleurs, c’est au seul génie de l’Artiste à varier ses appareils selon le besoin, les circonstances et la nature des matières sur lesquelles il opère.

On peut également varier la construction de ces fourneaux ; et le Chimiste doit apprendre de bonne heure à se servir de tout ce qu’il a sous la main pour exécuter ses opérations ; car, s’il se laisse maîtriser par les circonstances, et qu’il se persuade qu’on ne peut travailler à la chimie, que dans un laboratoire pourvu de tous les vaisseaux convenables, il laissera échapper le moment d’une découverte qui ne se présentera plus ; et on peut dire avec fondement, que celui qui se traîne servilement sur les pas d’autrui ne s’élèvera jamais jusqu’à des vérités nouvelles.

3°. Fourneau de forge. Le fourneau de forge est celui où le courant d’air est déterminé par un soufflet : cendrier, foyer, laboratoire tout est réuni ; et cet ensemble ne forme qu’une portion de cylindre percé, vers l’angle inférieur, d’un petit trou où aboutit le tuyau du soufflet ; on recouvre quelquefois cette partie d’une calotte ou dôme, pour concentrer plus efficacement la chaleur, et la réverbérer sur les corps qui y sont exposés.

Ce fourneau est employé pour la fonte, la calcination des métaux, et généralement pour toutes les opérations qu’on exécute dans les creusets.

On entend par creusets, des vases de terre ou de métal, qui ont presque toujours la forme d’un cône renversé : un creuset doit supporter la plus forte chaleur sans se fondre ; il doit encore être inattaquable par tous les agens qu’on expose au feu dans ces vases : ceux qui se rapprochent le plus de ces degrés de perfection, sont ceux de Hesse et de Hollande ; j’en ai fabriqué de très-bons, par le mélange de l’argile crue et de l’argile cuite de Salavas dans le Vivarais.

On a pourvu nos laboratoires de creusets de platine qui réunissent les plus excellentes propriétés ; ils sont presque infusibles, et en même-temps indestructibles par le feu.

On peut fabriquer à la main, ou travailler au tour, les divers vaisseaux de terre dont nous venons de parler ; le premier procédé les rend plus solides, la pâte en est mieux battue, et c’est le seul usité dans les verreries ; le second est plus expéditif.

L’agent des décompositions par le moyen des fourneaux, est le feu : il est fourni par le bois, le charbon de terre ou celui de bois.

Le bois n’est employé que pour quelques travaux en grand ; et nous préférons le charbon de bois dans nos laboratoires, parce qu’il ne fume point, n’a pas de mauvaise odeur et qu’il brûle mieux en petit volume que les autres combustibles ; nous choisissons le plus sonore, le plus sec et le moins poreux.

Mais, dans les diverses opérations dont nous venons de parler, il est nécessaire, de garantir les cornues de l’action immédiate du feu, de coercer et de retenir des vapeurs expansibles, précieuses et souvent corrosives, et c’est pour remplir ces vues qu’on emploie différens luts.

1°. Une cornue de verre exposée à l’action du feu casseroit infailliblement, si on n’avoit la sage précaution de la revêtir d’une chemise ou enveloppe de terre.

Je me sers avec avantage, pour lutter les cornues, d’un mélange de terre grasse et de fiente fraîche de cheval : pour cet effet, on fait pourrir pendant quelques heures de la terre glaise dans l’eau, et lorsqu’elle est bien humectée et convenablement ramollie, on la pétrit avec la fiente de cheval et on en forme une pâte molle, qu’on applique et qu’on étend avec la main sur toute la partie de la cornue qui doit être exposée à l’action du feu. La fiente de cheval réunit plusieurs avantages ; 1°. elle contient un suc glaireux qui durcit par la chaleur et lie fortement toutes les parties ; lorsque ce suc a été altéré par la fermentation ou la vétusté, ce fumier n’a plus la même vertu ; 2°. les filamens ou brins de paille, qui se distinguent si aisément dans la fiente de cheval, unissent toutes les parties du lut.

Les cornues luttées de cette manière résistent très-bien à l’impression du feu ; et l’adhérence du lut à la cornue est telle que, lors même qu’une cornue se fend pendant l’opération, la distillation se soutient et continue, comme je l’éprouve journellement dans les travaux en grand.

2°. Lorsqu’il s’agit de coercer ou de s’opposer à la sortie des vapeurs qui se dégagent d’une opération, il suffit, sans-doute, d’enduire les jointures des vaisseaux avec le papier enduit de colle, la vessie mouillée, le lut de chaux et de blanc d’œuf, si les vapeurs ne sont ni dangereuses ni corrosives ; mais, lorsque les vapeurs rongent et corrodent, on se sert alors du lut gras pour les contenir.

Le lut gras est fait avec l’huile de lin cuite mêlée et bien incorporée avec l’argile tamisée : l’huile de noix pétrie avec la même argile forme un lut qui a les mêmes propriétés, il s’étend aisément sous la main ; on en garnit les jointures des vaisseaux et on l’assujettit ensuite avec des bandes de linge trempées dans le lut de chaux et de blanc d’œuf.

Avant d’appliquer le feu à une distillation, il faut laisser sécher les luts : sans cette précaution, les vapeurs les soulèvent et s’échappent, ou bien elles se combinent avec l’eau qui abreuve et humecte les luts, et rongent la vessie, la peau, le papier, en un mot, toutes les matières qui les assujettissent.

Le lut de chaux et de blanc d’œuf sèche très-promptement, et il faut l’employer dès le moment qu’il est fait : c’est aussi celui qui oppose le plus de résistance à l’effort des vapeurs, et adhère le plus intimement au verre : on le fait, en mêlant un peu de chaux vive très-divisée au blanc d’œuf, et battant de suite ce mélange pour faciliter la combinaison, on le porte dans le moment sur des morceaux de vieux linge qu’on applique sur les jointures.

Dans les travaux en grand, où il n’est pas possible d’apporter tous ces minutieux détails, on lutte les jointures du récipient à la cornue avec le même lut qui sert à enduire les cornues ; et il suffit d’une couche de l’épaisseur de quelques lignes, pour que les vapeurs d’acide muriatique ou d’acide nitrique ne s’échappent point.

Comme dans certaines opérations, il se dégage une si prodigieuse quantité de vapeurs, qu’il est dangereux de les coercer, et que, d’un autre côté, la perte fait un déchet considérable dans le produit, on a imaginé un appareil aussi simple qu’ingénieux pour modérer la sortie et retenir sans risque les vapeurs qui s’échappent ; cet appareil est connu sous le nom de son auteur, M. Woulf, fameux Chimiste anglois : son superbe procédé consiste à adapter l’extrémité d’un tube creux et recourbé à la tubulure du récipient, tandis que l’autre bout plonge dans l’eau d’un flacon à moitié plein qu’on place à côté : de la partie vide de ce même flacon, part un second tube qui va se rendre dans l’eau d’un second flacon : on peut en ajouter plusieurs, en observant les mêmes précautions, avec l’attention néanmoins de laisser le dernier ouvert, pour donner une libre issue aux vapeurs non coercibles : et l’appareil ainsi disposé, on lutte toutes les jointures. On sent déjà que les vapeurs qui s’échappent de la cornue sont obligées d’enfiler le tube adapté à la tubulure du récipient et de passer à travers l’eau du premier flacon : elles éprouvent donc une première résistance qui les condense en partie ; mais, comme presque toutes les vapeurs sont plus ou moins miscibles et solubles dans l’eau, on a calculé la quantité d’eau nécessaire pour absorber la quantité de vapeurs qui se dégagent d’un mélange donné, et on a soin de distribuer dans les flacons de l’appareil le volume d’eau convenable.

On obtient par ce moyen les produits les plus purs et les plus concentrés, puisque l’eau qui est toujours l’excipient et le véhicule de ces substances en est saturée ; c’étoit là peut-être encore le seul moyen d’obtenir des produits d’une énergie toujours égale et d’un effet comparable, ce qui est très-important dans les opérations des arts et nos expériences de laboratoire.

J’ai appliqué cet appareil aux travaux en grand, et je m’en sers pour extraire l’acide muriatique ordinaire, l’acide muriatique oxygéné, l’ammoniaque, etc.

Comme il arrivoit fort souvent, que la pression de l’air extérieur faisoit passer l’eau des derniers flacons dans le récipient par le simple refroidissement de la cornue, on a obvié à cet inconvénient en plaçant un tube droit dans le goulot du premier et du second flacon, de façon qu’il plonge dans l’eau et s’élève à quelques pouces au-dessus du goulot ; on sent d’après cette disposition que, lorsque les vapeurs dilatées du récipient et de la cornue se condenseront par le refroidissement, l’air extérieur se précipitera par ces tubes pour rétablir l’équilibre, et l’eau ne pourra pas passer de l’un dans l’autre.

Avant que cet appareil fût connu, on laissoit un trou dans le récipient qu’on avoit soin de boucher et d’ouvrir de temps en temps pour donner issue aux vapeurs : cette méthode avoit plusieurs inconvéniens ; le premier de tous, c’est que, malgré toutes ces précautions, on couroit risque d’une explosion à chaque moment par le dégagement peu gradué des vapeurs et l’impossibilité de calculer la quantité qui s’en produisoit dans un temps donné : le second, c’est que les vapeurs qui se dissipoient entrainoient un déchet notable dans le produit et en affoiblissoient même la vertu, puisque ce principe volatil est le plus énergique : le troisième, c’est que cette vapeur incommodoit l’Artiste à tel point qu’il étoit impossible d’exécuter la plupart des opérations dans les cours de chimie en présence de nombreux auditeurs.

L’appareil de Woulf réunit donc plusieurs avantages : d’un côté, économie dans la fabrication et supériorité dans le produit ; de l’autre, sûreté pour le Chimiste et les Assistans : et, sous tous ces rapports, l’Auteur a des droits à la reconnoissance des Chimistes qui trop souvent atteints de ces funestes exhalaisons traînoient une vie languissante ou périssoient victimes de leur zèle pour la science.

Il est nécessaire de pourvoir un laboratoire de balances d’une précision rigoureuse : car le Chimiste qui n’opère souvent que sur de petites masses doit retrouver, par la rigueur de ses opérations et l’exactitude de ses appareils, des résultats comparables avec ceux des travaux en grand : c’est souvent sur le simple essai d’un échantillon de mine qu’on détermine une exploitation, et l’on sent de quelle conséquence il est d’écarter toute cause d’erreur puisque la plus légère dans les travaux de laboratoire entraîne les suites les plus funestes lorsqu’on fait l’application des principes aux travaux en grand.

Nous parlerons des autres vases et appareils chimiques à mesure que nous aurons occasion de nous en servir ; nous avons cru, qu’en rapprochant ainsi la description de leurs usages, nous parviendrions à les faire mieux connoître et que nous fatiguerions moins la mémoire de nos lecteurs.


SECTION PREMIÈRE.


De la loi générale qui tend à rapprocher et à maintenir dans un état de mélange ou de combinaison les molécules des corps.


Il a suffi à l’Être suprême de donner aux molécules de la matière une force d’attraction réciproque pour nécessiter l’arrangement que nous présentent les corps de cet univers : par une suite très-naturelle de cette loi primordiale, les élémens des corps ont dû se presser sur eux-mêmes, il a dû se former des masses par leur réunion, et insensiblement se sont établis des corps solides et compactes vers lesquels, comme vers un centre, ont dû peser les corps plus foibles et plus légers.

Cette loi d’attraction que les Chimistes appellent affinité, tend sans cesse à rapprocher les principes qui sont désunis, retient avec plus ou moins d’énergie ceux qui sont déjà combinés ; et on ne peut opérer aucun changement dans la nature sans rompre ou modifier cette puissance attractive.

Il est donc naturel, il est même nécessaire de parler de la loi des affinités, avant de s’occuper des moyens d’analyse.

L’affinité s’exerce, ou bien entre des principes de même nature, ou bien entre des principes de nature différente.

D’après cela, nous pouvons distinguer deux espèces d’affinité par rapport à la nature des corps, 1°. l’affinité d’aggrégation, ou celle qui existe entre deux principes de même nature ; 2°. l’affinité de composition, ou celle qui retient dans un état de combinaison deux ou plusieurs principes de nature différente.

AFFINITÉ D’AGGRÉGATION.

Deux gouttes d’eau qui se réunissent en une seule forment un aggrégé dont chaque goutte est connue sous le nom de partie intégrante.

L’aggrégé diffère de l’amas en ce que les parties intégrantes de celui-ci n’ont aucune adhésion sensible entr’elles, comme dans des tas de bled, de sable, etc.

L’aggrégé et l’amas différent du mélange en ce que dans ce dernier les parties constituantes sont de nature différente, comme dans la poudre à canon.

L’affinité d’aggrégation est d’autant plus forte, que les parties intégrantes sont plus rapprochées : ainsi tout ce qui tend à éloigner et à séparer ces parties intégrantes diminue leur affinité et affoiblit leur force de cohésion.

La chaleur produit cet effet sur la plupart des corps connus, de là vient que les métaux fondus n’ont plus de consistance : le calorique en se combinant avec les corps produit presque toujours un effet opposé à la force d’attraction, et l’on seroit autorisé à le regarder comme un principe de répulsion, si la saine chimie ne nous avoit prouvé qu’il ne produit cet effet qu’en cherchant à se combiner avec les corps et diminuant nécessairement par là leur rapport d’aggrégation, comme font tous les agens chimiques. En outre, l’extrême légèreté du calorique fait que, lorsqu’il est combiné avec un corps quelconque, il tend sans cesse à l’élever et à vaincre cette force qui le retient et le précipite vers la terre.

Les opérations mécaniques du pilon, du marteau, du ciseau diminuent pareillement l’affinité d’aggrégation : elles éloignent les parties intégrantes les unes des autres ; et cette nouvelle disposition, en présentant moins d’adhésion et plus de surface, facilite l’abord des agens chimiques et en augmente l’énergie : c’est à ce dessein, qu’on divise les corps quand on veut les analyser, et qu’on facilite l’effet des réactifs par le secours de la chaleur.

La division mécanique des corps est d’autant plus difficile que leur aggrégation est plus forte.

Les aggrégés se présentent sous plusieurs états : ils sont solides, liquides, aériformes, etc. Voyez M. de Fourcroy.


AFFINITÉ DE COMPOSITION.


Les corps de diverse nature exercent les uns sur les autres une tendance ou une attraction plus ou moins forte, et c’est en vertu de cette force que s’opèrent tous les changemens de composition ou de décomposition qu’on observe entr’eux.

L’affinité de composition nous offre dans tous ses phénomènes des loix invariables, dont nous pouvons faire des principes auxquels nous rapporterons tous les effets que nous présentent le jeu et l’action des corps les uns sur les autres.

I. L’affinité de composition n’agit qu’entre les parties constituantes des corps.

La loi générale de l’attraction s’exerce sur les masses, et en cela elle diffère de la loi des affinités qui n’agit sensiblement que sur les molécules élémentaires des corps : deux corps mis à côté l’un de l’autre ne se confondent point, mais si on les divise et qu’on les mêle il peut en résulter une combinaison, on en voit des exemples lorsqu’on triture le muriate de soude avec la litarge, le muriate d’ammoniaque avec la chaux, etc. et on peut avancer que l’énergie de l’affinité de composition est presque toujours proportionnée au degré de division des corps.

II. L’affinité de composition est en raison inverse de l’affinité d’aggrégation.

Il est d’autant plus difficile de décomposer un corps que les principes constituans en sont unis et retenus par une force plus grande : les gaz et surtout les vapeurs tendent sans cesse à la combinaison parce que leur aggrégation est foible, et la nature qui renouvelle à chaque instant les productions de cet univers ne combine jamais solide à solide, mais elle réduit tout en gaz, rompt par ce moyen les entraves de l’aggrégation, et ces gaz en s’unissant entr’eux forment à leur tour des solides.

De là vient sans-doute que l’affinité de composition est d’autant plus forte, que les corps approchent plus de l’état élémentaire ; et nous observerons, à ce sujet, que c’est même une loi très-sage de la nature, car si la force ou affinité de composition n’augmentoit pas à mesure que les corps sont ramenés à ce degré de nudité, si les corps ne prenoient pas une tendance décidée à s’unir et à se combiner à proportion qu’ils avoisinent leur état primitif ou élémentaire, la masse des élémens iroit toujours croissant par les décompositions successives et non interrompues, et nous retomberions insensiblement dans ce cahos ou cette confusion de principes qu’on suppose avoir été le premier état de ce globe.

C’est la nécessité de cet état de division si propre à augmenter l’énergie de l’affinité qui a fait recevoir, comme un principe incontestable, que pour que l’affinité de composition ait lieu, il faut que l’un des corps soit fluide, corpora non agunt nisi sint fluida ; mais il me paroît qu’une division extrême peut remplacer une dissolution, car l’une et l’autre de ces opérations ne tendent qu’à diviser et à atténuer les corps qu’on veut combiner sans en altérer la nature ; c’est en raison de cette division qui équivaut à une dissolution, que s’opèrent la décomposition du muriate de soude par la trituration avec le minium, l’union à froid et à sec de l’alkali à l’antimoine, le dégagement de l’ammoniaque par le simple mélange du muriate d’ammoniaque avec la chaux.

III. Lorsque deux ou plusieurs corps s’unissent par affinité de composition leur température change.

On ne peut rendre raison de ce phénomène, qu’en regardant le fluide de la chaleur comme un principe constituant des corps réparti inégalement entr’eux : de sorte que lorsqu’il survient quelque changement dans les corps ce fluide est déplacé à son tour, ce qui emmène nécessairement un changement de température. Nous reviendrons sur ces principes en parlant de la chaleur.

IV. Le composé qui résulte de la combinaison de deux corps a des propriétés tout-à-fait différentes de celles des principes constituans.

Quelques Chimistes ont avancé que les propriétés du composé étoient moyennes entre celles des principes constituans : mais ce terme moyen n’a aucun sens dans le cas présent ; car, entre l’aigre et le doux, l’eau et le feu, peut-il y avoir des qualités moyennes ?

Pour peu qu’on réfléchisse sur les phénomènes que nous présentent les corps dans les compositions, on verra que la forme, la saveur, la consistance, se dénaturent dans les combinaisons ; et nous ne pouvons établir aucun principe qui nous indique à priori tous les changemens qui peuvent survenir et la nature et les propriétés du corps qu’on forme.

V. Chaque corps a ses affinités marquées avec les diverses substances qu’on lui présente.

Si tous les corps avoient entr’eux le même degré d’affinité, il n’y auroit aucun changement : en présentant les corps l’un à l’autre, nous n’opérerions le déplacement d’aucun principe ; la nature a donc fait sagement de varier les affinités et de marquer à chaque corps le degré de rapport qu’il a avec tous ceux qu’on peut lui présenter.

C’est à raison de cette différence dans les affinités qu’on opère toutes les décompositions en chimie ; c’est sur elle que sont fondées toutes les opérations de la nature et des arts ; il importe donc de bien connoître tous les phénomènes et toutes les circonstances que peut nous présenter cette loi de décomposition.

L’affinité de composition a reçu différens noms d’après ses effets ; et on la divise en affinité simple, affinité double, affinité d’intermède, affinité réciproque, etc.

1°. Deux principes unis entr’eux, et séparés par le moyen d’un troisième, donnent un exemple de l’affinité simple : c’est le déplacement d’un principe par l’addition d’un troisième. Bergmann lui a donné le nom d’attraction élective.

Le corps chassé ou déplacé est connu sous le nom de précipité : l’alkali précipite les métaux de leurs dissolutions, l’acide sulfurique précipite le muriatique, le nitrique, etc.

Le précipité n’est pas toujours formé par le corps déplacé : quelquefois c’est le nouveau composé qui se précipite, comme, par exemple, lorsque je verse de l’acide sulfurique sur une dissolution de muriate de chaux ; d’autrefois le corps déplacé et le nouveau composé se précipitent, c’est ce qui arrive lorsqu’on décompose le sulfate de magnésie dissous dans l’eau par le moyen de l’eau de chaux.

2°. Il arrive souvent que le composé de deux principes ne peut être détruit, ni par un troisième, ni par un quatrième corps qui lui sont appliqués séparément ; mais, si on unit ces deux corps et qu’on les mette en contact et en action avec ce même composé, il y a alors décomposition ou échange de principes, c’est ce phénomène qui constitue l’affinité double.

Un exemple nous rendra cette proposition plus claire et plus précise : le sulfate de potasse n’est complètement décomposé ni par l’acide nitrique ni par la chaux, quand on les lui présente séparément ; mais si on combine l’acide nitrique avec la chaux, ce nitrate de chaux décompose le sulfate de potasse : dans ce dernier cas, l’affinité de l’acide sulfurique avec l’alkali est affoiblie par son affinité avec la chaux ; cet acide exerce donc deux attractions, l’une qui le retient à l’alkali, l’autre qui l’attire vers la chaux. M. Kirwann a appellé la première affinité quiescente, et la seconde affinité divellente. Ce que nous disons des affinités de l’acide est applicable aux affinités de l’alkali, il est retenu à l’acide sulfurique par une force supérieure et néanmoins attiré par l’acide nitrique ; supposons maintenant, que l’acide sulfurique adhère à la potasse avec une force comme 8 et à la chaux avec une force égale à 6, que l’acide nitrique adhère à la chaux par une force comme 4 et tende à s’unir à l’alkali avec une force comme 7 ; on voit déjà que l’acide nitrique et la chaux appliqués séparément au sulfate de potasse ne produiront aucun changement ; mais si on les présente dans un état de combinaison, alors l’acide sulfurique est attiré d’une part par 6 et retenu par 8, il a donc une adhésion effective à l’alkali comme 2 ; d’un autre côté l’acide nitrique est attiré par une force comme 7 et retenu par une comme 4, reste une tendance à s’unir à l’alkali comme 3 ; il doit donc déplacer l’acide sulfurique qui n’est retenu que par une force comme 2.

3°. Il est des cas, où deux corps n’ayant aucune affinité sensible entr’eux reçoivent la disposition à s’unir par l’intermède d’un troisième, c’est ce qu’on appelle affinité d’intermède : l’alkali est l’intermède de l’union de l’huile avec l’eau ; de-là, la théorie des lessives, des décreusages, etc.

Si les affinités des corps étoient bien connues, on pourroit prédire les résultats de toutes les opérations ; mais on sent combien il est difficile d’acquérir cette étendue de connoissances, surtout depuis les découvertes modernes qui nous ont fait connoître des modifications infinies dans les opérations, et nous ont appris que les résultats pouvoient varier avec tant de facilité que l’absence ou la présence de la lumière en déterminent de très-différens.

Lorsque la chimie étoit bornée à la connoissance de quelques substances et qu’elle n’étoit occupée que de quelques faits, il étoit possible alors de dresser des tables d’affinité, et de présenter dans le même tableau le résultat de nos connoissances ; mais tous les principes sur lesquels on avoit construit ces échelles ont reçu des modifications, le nombre des principes s’est accru, et nous sommes obligés de travailler sur de nouvelles bases. On peut voir une esquisse de ce grand ouvrage dans le traité des affinités du cél. Bergmann, et à l’article affinité de l’Encyclopédie méthodique.

VI. Les molécules que leur affinité rapproche et réunit, qu’elles soient de même nature ou de nature différente, tendent sans cesse à former des corps qui présentent une forme polièdre, constante et déterminée.

Cette belle loi de la nature, par laquelle elle imprime à toutes ses productions une figure constante et régulière, paroît avoir été ignorée des anciens ; et lorsque les Chimistes ont commencé à reconnoître que presque tous les corps du règne minéral affectoient des formes régulières, ils les ont d’abord désignées d’après la grossière ressemblance qu’on a cru appercevoir entr’elles et des corps connus : de-là les dénominations des crystaux, en tombeaux, en aiguilles, en pointes de diamans, en croix, en lames de couteau, etc.

C’est sur-tout au cél. Linné qu’on doit les premières idées précises sur ces figures géométriques : il a reconnu la constance et l’uniformité de ce caractère ; et ce cél. naturaliste a cru pouvoir en faire la base de sa méthode de classification dans le règne minéral.

M. de Romé de Lisle a été encore plus loin : il a soumis à un examen rigoureux toutes les formes, il les a décomposées, pour ainsi dire, et a cru reconnoître dans tous les crystaux des corps analogues ou identiques de simples modifications et les nuances d’une forme primitive : par ce moyen, il a ramené à quelques formes premières toutes les formes confuses et bizarres, et a attribué à la nature un plan ou un dessein primitif qu’elle varie et modifie de mille manières selon les circonstances qui influent sur son travail. Cette marche vraiment grande et philosophique a jeté le plus grand intérêt sur cette partie de la minéralogie ; et, en convenant que M. de Lisle a peut-être poussé trop loin ces rapprochemens, nous ne pouvons pas disconvenir qu’il ne mérite une place distinguée parmi les auteurs qui ont contribué aux progrès de la science : on peut lire avec avantage la crystallographie de ce célèbre naturaliste.

M. l’Abbé Hauy a ensuite appliqué le calcul aux observations : il a prétendu prouver qu’il y avoir un noyau ou forme primitive à chaque crystal, et a fait connoître les loix de décroissement auxquelles sont assujetties les lames composantes des crystaux considérés dans le passage de la forme primitive aux formes secondaires : on peut voir le développement de ces beaux principes et leur application aux crystaux les plus connus dans sa théorie sur la structure des cristaux, etc., et dans plusieurs de ses mémoires imprimés dans les volumes de l’Académie des Sciences.

Les travaux réunis de ces cél. naturalistes ont porté la crystallographie à un degré de perfection dont elle ne paroissoit pas susceptible : mais nous ne nous occuperons en ce moment que des principes d’après lesquels s’opère la crystallisation.

Pour disposer un corps à la crystallisation, il faut préalablement en opérer une division aussi complète qu’il est possible.

Cette division peut s’effectuer par dissolution ou par une opération purement mécanique.

La dissolution peut s’opérer par le moyen de l’eau, ou par le moyen du feu ; celle des sels se fait en général dans le premier liquide, celle des métaux s’exécute à l’aide du second, et leur dissolution n’est complète que lorsqu’on leur applique une chaleur assez forte pour les porter à l’état de gaz.

Lorsqu’on évapore l’eau qui tient un sel en dissolution, on rapproche insensiblement les principes du corps dissous, et on l’obtient sous forme régulière ; il en est à peu près de même de la dissolution par le feu, dès qu’un métal est imprégné de ce fluide il ne crystallise qu’autant que cet excédent de fluide lui est soustrait.

Pour que la forme du crystal soit régulière, il faut la réunion de trois circonstances, le temps, l’espace et le repos. V. Linné, Daubenton, etc.

A. Le temps fait dissiper lentement le liquide surabondant, et rappoche insensiblement et sans secousses les molécules intégrantes qui s’unissent alors selon des loix constantes, et forment par conséquent un crystal régulier. C’est pour cette raison que l’évaporation lente est recommandée par tous les bons Chimistes. V. Stahl, traité des sels, cap. 29.

À proportion que l’évaporation du dissolvant s’effectue, les principes du corps dissous se rapprochent et leur affinité augmente à chaque instant tandis que celle du dissolvant reste la même : de-là vient, sans doute, que les dernières portions du dissolvant sont plus difficilement volatilisées, et que les sels en retiennent plus ou moins, ce qui forme l’eau de crystallisation. Non-seulement la proportion de l’eau de crystallisation varie beaucoup dans les divers sels, mais elle y adhère plus ou moins ; il y en a quelques-uns qui la laissent dissiper dès qu’ils sont exposés à l’air, tels que la soude, le sulfate de soude, etc. et alors ces sels perdent leurs transparence, tombent en poussière, et on les appelle sels effleuris : il en est d’autres qui retiennent obstinément l’eau de crystallisation, tels que le muriate de potasse, le nitrate de potasse, etc.

Les phénomènes que nous présentent les divers sels, lorsqu’on les prive forcément de leur eau de crystallisation, offrent encore des variétés : les uns pétillent sur le feu, et se dispersent en éclats lorsque l’eau se dissipe, c’est ce qu’on appelle décrépitation ; d’autres exhalent en fumée cette même eau, ce se liquéfient en diminuant de volume ; quelques-uns se boursoufflent et se tuméfient.

Nous devons à M. Kirwann une table précise sur la quantité d’eau de crytallisation que contient chaque sel ; on peut la consulter dans sa minéralogie.

Le simple refroidissement du liquide qui tient un sel en dissolution peut le précipiter en grande partie : le calorique et l’eau dissolvent une plus grande quantité de sel lorsque leur action est réunie, et l’on conçoit aisément que la soustraction d’un des dissolvans doit entraîner la précipitation de la portion qu’il tenoit dissoute ; ainsi l’eau chaude saturée de sel doit en laisser précipiter une partie par le refroidissement : c’est pour cette raison que la crystallisation commence toujours à la surface de la liqueur et sur les parois du vase, parce que ces parties sont les premières à éprouver le refroidissement.

C’est l’alternative du froid et du chaud qui fait que l’air atmosphérique dissout tantôt plus, tantôt moins, ce qui constitue les brouillards, le serein, la rosée, etc.

On peut encore hâter le rapprochement des parties constituantes d’un corps dissous, en présentant à l’eau qui les tient en dissolution un corps avec lequel elle ait plus d’affinité qu’elle n’en a avec elles ; c’est d’après ce principe que l’alkool précipite plusieurs sels.

B. L’espace est encore une condition nécessaire pour obtenir une crystallisation régulière : si la nature est gênée dans ses opérations, son travail se ressentira de cet état de détresse ; et l’on diroit qu’elle moule ses productions sur toutes les circonstances qui peuvent influer sur ses opérations.

C. Le repos du liquide est encore nécessaire pour obtenir des formes bien régulières : une agitation non interrompue s’oppose à tout arrangement simétrique, et l’on n’obtient dans ce cas qu’une crystallisation confuse et peu prononcée.

Je suis persuadé que pour obtenir les corps sous forme de crystaux, il n’est point nécessaire d’une dissolution préalable, mais qu’il suffit d’une simple division mécanique : pour se convaincre de cette vérité il nous suffira d’observer que la dissolution ne dénature point les corps et qu’elle n’en procure qu’une division extrême, de sorte que les principes désunis, rapprochés peu à peu et sans secousses s’adaptent l’un à l’autre en suivant les loix invariables de leur pesanteur et de leur affinité, or une division purement méchanique produit le même effet et met les principes dans la même disposition ; ne soyons donc pas surpris si la plupart des sels, tels que le gypse, dispersés dans la terre, prennent des formes régulières sans une dissolution préalable ; ne soyons pas surpris si les fragmens imperceptibles de quartz, de spath, etc., entraînés et prodigieusement divisés par les eaux, se déposent et forment des crystaux bien prononcés.

On peut distinguer dans les sels une propriété très-singulière qu’on pourroit rapporter à la crystallisation, mais qui s’en éloigne parce qu’elle ne dépend pas des mêmes causes ; c’est la vertu qu’ils ont de grimper sur les parois des vases qui en contiennent la dissolution, et c’est ce qu’on appelle végétation saline.

J’ai démontré le premier que ce phénomène dépendoit du concours de l’air et de la lumière, et qu’on pouvoit déterminer à volonté cet effet sur tel ou tel point des vaisseaux, en maîtrisant et dirigeant l’action de ces deux agens.

J’ai fait connoître les principales formes qu’affectoit cette singulière végétation ; et on peut voir les détails de mes expériences dans le 3e. vol. de l’Académie de Toulouse.

M. Dorthes a confirmé mes résultats, et a observé de plus que le camphre, l’esprit de vin, l’eau, etc. qui s’élèvent par évaporation insensible des flacons à moitié pleins, alloient se fixer constamment sur les points les plus éclairés des vases.

MM. Petit et Rouelle avoient parlé de la végétation des sels ; mais il nous manquoit une suite d’expériences à ce sujet, et nous avons eu pour but de remplir cette tâche.


SECTION SECONDE.


Des divers moyens que le Chimiste emploie pour rompre l’adhésion qui existe entre les molécules des corps.


La loi des affinités dont nous venons de nous occuper tend sans cesse à rapprocher les molécules des corps, et à les maintenir dans leur état d’union ; les efforts du Chimiste se bornent presque toujours à vaincre cette puissance attractive, et les moyens qu’il emploie se réduisent 1°. à diviser les corps par des opérations mécaniques ; 2°. à les diviser ou à éloigner les molécules l’une de l’autre par le secours des dissolvans ; 3°. à présenter aux divers principes de ces mêmes corps des substances qui aient plus d’affinité avec eux qu’ils n’en ont eux-mêmes entr’eux.

1°. Les différentes opérations que le Chimiste fait sur les corps, pour en déterminer la nature, en altèrent la forme, le tissu, et en changent même quelquefois la constitution : tous ces changemens sont ou mécaniques ou chimiques ; les opérations méchaniques dont nous parlons en ce moment ne dénaturent point les substances, et n’en changent en général que la forme et le volume : ces opérations s’exécutent par le marteau, le ciseau, le pilon, etc. ce qui nécessite le Chimiste à pourvoir son laboratoire de tous ces agens.

Ces divisions, ces triturations se font dans des mortiers de pierre, de verre ou de métal : la nature des substances détermine l’emploi de l’un ou l’autre de ces vases.

Ces opérations préliminaires préparent et disposent à de nouvelles qui désunissent les principes des corps et changent leur nature : celles-ci, que nous pourrions appeller opérations chimiques, constituent essentiellement l’analyse.

2°. La dissolution dont il est question en ce moment est la division et la disparition d’un solide dans un liquide, mais sans altération dans la nature du corps qu’on dissout.

On appelle dissolvant ou menstrue le liquide dans lequel disparoît le solide.

L’agent de la dissolution paroît suivre quelques loix constantes que nous ne ferons qu’indiquer.

A. L’agent de la dissolution ne paroît pas différer de celui des affinités ; et, dans tous les cas, la dissolution est plus ou moins abondante, selon l’affinité des parties intégrantes du dissolvant avec celles du corps à dissoudre.

Il s’ensuit de ce principe que pour faciliter la dissolution il faut triturer et diviser le corps qu’on veut dissoudre ; par ce moyen, on lui fait présenter plus de surfaces, et on diminue l’affinité des parties intégrantes.

Il arrive quelquefois que l’affinité entre le dissolvant et le corps qu’on lui présente est si peu marquée qu’elle ne devient sensible que par la suite des temps : ces opérations lentes, dont nous avons quelques exemples dans nos laboratoires, sont communes dans les travaux de la nature, et peut-être c’est à de pareilles causes que nous devons rapporter la plupart de ces résultats dont nous ne voyons ni la cause ni les agens.

B. La dissolution est d’autant plus prompte que le corps à dissoudre présente plus de surface ; c’est sur ce principe qu’est fondé l’usage de broyer, de triturer et de diviser les corps qu’on veut dissoudre. Bergmann a même observé que des corps qui ne sont pas attaqués lorsqu’ils sont en masse, deviennent solubles quand en les divise. Lettres sur l’Islande, pag. 421.

C. La dissolution d’un corps produit constamment du froid : on a même tiré parti de ce phénomène pour se procurer des froids artificiels bien supérieurs aux plus rigoureux de nos climats : nous reviendrons sur ce principe en parlant des loix de la chaleur.

Les principaux dissolvans employés dans nos opérations, sont l’eau, l’alkool et le feu : les corps soumis à l’un ou à l’autre de ces dissolvans présentent des phénomènes analogues ; ils se divisent, se raréfient et finissent par disparoître à la vue ; le métal le plus réfractaire se fond, se dissipe en vapeur, et passe à l’état de gaz si une plus forte chaleur lui est appliquée ; ce dernier état forme une dissolution complète de la substance métallique dans le calorique.

On fait souvent concourir le calorique avec quelqu’un des autres deux dissolvans, pour opérer une plus prompte et plus abondante dissolution.

Les trois dissolvans dont nous venons de parler n’exercent point une action égale sur tous les corps indistinctement ; et de très-habiles Chimistes nous ont dressé des tableaux de la vertu dissolvante de ces menstrues : on peut voir dans la minéralogie de Kirwann, avec quel soin ce célèbre Chimiste nous fait connoître le degré de solubilité de chaque sel dans l’eau. On peut encore consulter le tableau de M. de Morveau, sur l’action dissolvante de l’alkool. Journal de physique, 1785.

Presque tous les Auteurs qui ont traité de la dissolution, l’ont envisagée sous un point de vue trop mécanique : les uns ont supposé des étuis dans le dissolvant et des pointes dans le corps qu’on dissout ; cette supposition absurde et gratuite a paru suffisante pour concevoir l’action des acides sur les corps. Newton et Gassendi ont admis des pores dans l’eau dans lesquels les sels pouvoient se nicher, et ont expliqué par ce moyen pourquoi l’eau n’augmentoit pas en volume en proportion des sels qu’elle dissolvoit. Gassendi a même supposé des pores de diverses formes, et a cherché à concevoir par là comment l’eau saturée d’un sel peut en dissoudre d’autres d’une nouvelle espèce. M. Watson qui a observé les phénomènes de la dissolution avec le plus grand soin, a conclu de ses nombreuses expériences, 1°. que l’eau monte dans les vaisseaux dans le moment de l’immersion d’un sel, 2°. qu’elle baisse pendant la dissolution, 3°. qu’elle remonte après la solution au-dessus du premier niveau : les deux derniers effets me paroissent provenir du changement de température qui survient à la liqueur, le refroidissement qu’entraîne la dissolution doit diminuer le volume du dissolvant, mais il doit se restituer dans le premier état dès que la dissolution est faite. On peut consulter les tables qu’a dressé M. Watson sur ces phénomènes et sur la gravité spécifique de l’eau saturée avec différens sels : V. le Journal de physique, tom. XIII, pag. 62.

3°. Comme l’affinité particulière des corps n’est point la même chez tous, les principes constituans peuvent être aisément déplacés par d’autres substances, et c’est là-dessus qu’est fondée l’action de tous les réactifs que le Chimiste emploie dans ses analyses ; quelquefois il déplace certains principes qu’il peut alors examiner plus exactement, par là même qu’il les a isolés et dégagés de toutes leurs entraves ; souvent le réactif employé se combine avec quelque principe du corps qu’on analyse, et il en résulte un composé dont les caractères nous indiquent la nature du principe qui s’est combiné, attendu que les combinaisons des principaux réactifs avec les diverses bases sont connues ; il arrive encore très-souvent, que le réactif employé se décompose lui-même, ce qui complique les phénomènes et les produits, mais nous jugeons toujours par leur nature des principes constituans du corps qu’on analyse ; ce dernier fait a été peu observé par les anciens Chimistes, et c’est là un des grands défauts des travaux de Sthal, qui a rapporté aux corps qu’il soumettoit à l’analyse la plupart des phénomènes qui n’appartiennent qu’à la décomposition des réactifs employés dans ses opérations.


SECTION TROISIÈME.


De la marche que le Chimiste doit suivre pour étudier les divers corps que la nature nous présente.


Les progrès qu’on fait dans une science dépendent de la solidité des principes qui en font la base et de la manière de les étudier ; il n’est donc pas étonnant que la chimie ait fait peu de progrès dans ce temps où le langage des Chimistes étoit énigmatique et où les principes de la science n’étoient fondés que sur des analogies mal déduites ou des faits mal vus et peu nombreux ; dans les temps qui ont suivi cette époque, on a un peu plus consulté les faits ; mais, au lieu de ne dire que ce qu’ils disoient, le Chimiste a voulu faire des applications, tirer des conséquences et établir des théories : ainsi, lorsque Sthal vit pour la première fois que l’huile de vitriol et le charbon produisoient du soufre, s’il se fût borné à énoncer le fait, il auroit annoncé une vérité précieuse et éternelle ; mais conclure que le soufre étoit créé par la combinaison du principe combustible du charbon avec l’huile, c’est dire plus que l’expérience n’indique, c’est aller plus loin que le fait, et ce premier pas hazardé peut être un premier pas vers l’erreur. Toute doctrine, pour être stable, ne doit être que l’expression pure et simple des faits, mais presque toujours nous les subordonnons à notre imagination, nous les adaptons à notre manière de voir et nous nous engageons dans de fausses routes ; l’amour propre nous fournit ensuite toutes sortes de moyens pour ne pas revenir sur nos pas, nous attirons dans le sentier de l’erreur tous ceux qui viennent après nous, et ce n’est qu’après bien du temps perdu, ce n’est qu’après s’être épuisé en vaines conjectures, ce n’est qu’après s’être bien convaincu qu’il nous est impossible de plier la nature à nos caprices et à nos délires, que quelque bon esprit se dégage des liens dans lesquels on l’avoit enlacé, il revient sur ses pas, consulte de nouveau l’expérience, et ne marche qu’autant qu’elle le pousse.

Nous pouvons dire, à la louange de quelques-uns de nos contemporains, qu’on discute aujourd’hui les faits avec une logique plus sévère ; et c’est à cette méthode rigoureuse de travail et de discussion que nous devons rapporter les progrès rapides de la chimie. C’est par une suite de cette marche dialectique qu’on est parvenu, à s’emparer de tous les principes qui se combinent ou se dégagent dans les opérations de l’art et de la nature, à tenir compte de toutes les circonstances qui ont une influence plus ou moins marquée sur les résultats, à déduire des conséquences simples et naturelles de tous les faits, et à créer une science aussi rigoureuse dans ses principes que sublime dans ses applications.

C’est donc le moment de dresser un tableau fidèle de l’état actuel de la chimie, et de recueillir à cet effet, dans les nombreux écrits des Chimistes modernes, tout ce qui peut servir à poser les fondemens de cette belle science.

Il y a peu d’années qu’il étoit possible de présenter en peu de mots tout ce qui étoit connu sur la chimie ; il suffisoit alors d’indiquer les moyens d’exécuter quelques opérations pharmaceutiques, les procédés des arts étoient presque tous enveloppés de ténèbres, les phénomènes de la nature étoient des énigmes ; et ce n’est que lorsqu’on a commencé à lever le voile, qu’on a vu se développer un ensemble de faits et de recherches qui se rapportoient à des principes généraux et annonçoient une science toute nouvelle : alors tout a été repris, tout a été revu, des hommes de génie se sont occupés de la chimie, chaque pas les a rapprochés de la vérité, et en quelques années on a vu sortir de cet ancien cahos une doctrine lumineuse ; tout a paru reconnoître les loix qu’on établissoit, et les phénomènes des arts et de la nature ont été également bien expliqués.

Mais pour avancer à grands pas dans la carrière qui a été ouverte, il est nécessaire de faire connoître quelques principes sur lesquels nous pouvons établir notre marche.

Je crois d’abord qu’il est convenable de se soustraire à cet usage importun, qui assujettit quelqu’un qui étudie une science au pénible emploi de rapprocher toutes les opinions avant de se décider ; en effet, les faits sont de tous les temps, ils sont immuables comme la nature dont ils sont le langage ; mais les conséquences doivent varier selon l’état des connoissances acquises : il est vrai, par exemple, pour l’éternité, que la combustion du soufre donne de l’acide sulfurique, on a pu croire pendant quelque temps que cet acide étoit contenu dans le soufre, mais nos découvertes sur la combustion des corps ont dû nous faire déduire une théorie très-différente de celle qui s’étoit présentée aux premiers Chimistes. Nous devons donc nous attacher principalement aux faits, nous ne devons même nous attacher qu’à eux, parce que l’explication qu’on leur a donné dans des temps éloignés est rarement au niveau de nos connoissances actuelles.

Les faits nombreux dont la chimie s’est successivement enrichie forment un premier embarras pour celui qui veut étudier les élémens de cette science : en effet, que sont les élémens d’une science ? L’énoncé clair, simple et succinct des vérités qui en font la base : il faut donc, pour remplir pleinement son but, analyser tour ce qui est fait et en présenter un extrait fidèle et raisonné ; mais cette méthode est impraticable par rapport aux détails nombreux et aux discussions infinies dans lesquelles on s’engageroit ; et la seule marche qu’il me paroît qu’on doit suivre, c’est de ne présenter que les expériences les plus décisives, celles qui sont le moins contestées, et de négliger celles qui sont douteuses ou peu concluantes, car une expérience bien faite établit une vérité aussi incontestablement que mille également avérées.

Lorsqu’une proposition se trouve appuyée sur des faits suspects ou combattus, lorsque des théories opposées se fondent sur des expériences contradictoires, il faut avoir le courage de les discuter, de les répéter et de s’assurer par soi-même de la vérité ; mais lorsque cette voie de conviction nous est interdite, on doit peser le degré de confiance que méritent les défenseurs des faits opposés, examiner si des faits analogues ne portent pas à adopter tel ou tel résultat, et présenter son sentiment avec la modestie et la circonspection qui conviennent à des opinions plus ou moins probables.

Lorsqu’une doctrine nous paroît établie sur des expériences suffisantes, il nous reste encore à en faire l’application aux phénomènes de la nature et des arts ; c’est, à mon avis, la pierre de touche la plus sure pour distinguer des principes vrais de ceux qui ne le sont pas ; et du moment que je vois tous les phénomènes se réunir et se plier, pour ainsi dire, à une théorie, je conclus que c’est là l’expression et le langage de la vérité : lorsque je vois, par exemple, que la plante peut se nourrir d’eau pure, que les métaux s’oxident dans l’eau, que les acides se forment dans les entrailles de la terre, ne suis-je pas en droit de conclure que l’eau se décompose ? Et les faits chimiques qui me rendent témoin de sa décomposition dans nos laboratoires ne reçoivent-ils pas une nouvelle force par l’observation de ces phénomènes ? Je crois donc qu’on doit se piquer de faire concourir ces deux genres de preuves, et un principe déduit d’une expérience n’est à mes yeux démontré qu’autant que j’en vois des applications bien naturelles aux phénomènes de l’art et de la nature. Ainsi, si je me trouve combattu entre des systèmes opposés, je me déciderai pour celui dont l’expérience et les principes s’adaptent naturellement et sans effort au plus grand nombre de phénomènes, je me méfierai toujours d’un fait isolé qui ne s’applique à rien, et je le réputerai faux si je le vois en opposition avec les phénomènes que la nature nous présente.

Il me paroît encore qu’un homme qui se propose d’étudier ou même d’enseigner la chimie, ne doit point chercher à connoître tout ce qui a été fait sur chaque matière et à suivre la marche pénible de l’esprit humain depuis l’origine d’une découverte jusqu’à nos jours, cette érudition fastueuse est fatiguante pour un élève, et ces digressions ne doivent être permises dans les sciences positives que lorsque les détails historiques nous présentent des traits piquans, ou nous élèvent par degrés et sans interruption jusqu’à l’état actuel de nos connoissances ; mais rarement ces sortes de recherches et cette espèce de généalogie nous présentent ces caractères, et il ne nous est pas plus permis en général de rapprocher et de discuter tout ce qui a été fait sur une science qu’à celui qui, avant d’indiquer le chemin le plus sûr et le plus court pour parvenir à un terme, disserteroit longuement sur toutes les routes qui ont été successivement pratiquées et sur celles qui existent encore. Il en est peut-être de l’histoire des sciences, sur-tout de celle de la chimie, comme de celle des peuples ; elle nous éclaire rarement sur l’état présent, nous présente beaucoup de fables sur le passé, nécessite des discussions sur tout ce qu’elle annonce et suppose une étendue de connoissances étrangères et indépendantes du but qu’on se propose dans l’étude des élémens de la chimie.

Ces principes généraux sur l’étude de la chimie une fois établis, on peut ensuite procéder de deux manières dans l’examen chimique des corps, ou bien aller du simple au composé, ou descendre du composé au simple : ces deux méthodes ont des inconvéniens, mais le plus grand sans-doute qu’on éprouve en suivant la première, c’est qu’en commençant par les corps simples on présente des corps que la nature ne nous offre que rarement dans cet état de simplicité et de nudité, et l’on est forcé de cacher la suite d’opérations qui a été employée pour dépouiller ces mêmes corps de leurs liens et les ramener à cet état élémentaire. D’un autre côté, si on présente les corps tels qu’ils sont, il est difficile de parvenir à les bien connoître, parce que leur action réciproque et en général la plupart de leurs phénomènes ne peuvent être saisis que d’après la connoissance exacte de leurs principes constituans, puisque c’est d’eux seuls qu’ils dépendent.

Après avoir bien pesé les avantages et les inconvéniens de chaque méthode, nous préférons la première. Nous commencerons donc par faire connoître les divers corps dans leur état le plus élémentaire, ou réduits à ce terme au-delà duquel l’analyse ne peut rien ; et, lorsque nous en aurons appris les diverses propriétés, nous combinerons ces corps entr’eux, ce qui nous donnera la classe des composés simples, et nous nous élèverons par degrés jusqu’à la connoissance des corps et des phénomènes les plus compliqués. Nous observerons de ne procéder, dans l’examen des divers corps que nous soumettrons à nos recherches, qu’en allant du connu à l’inconnu, et nous commencerons par nous occuper des substances élémentaires ; mais, comme il nous seroit impossible de parler en ce moment de toutes les substances que l’état actuel de nos connoissances nous force de regarder comme élémentaires, nous nous bornerons à faire connaître celles qui jouent le plus grand rôle sur ce globe, celles qui y sont le plus généralement répandues, celles qui entrent comme principe dans la composition des réactifs les plus employés dans nos opérations, celles en un mot que nous trouvons à chaque pas dans l’examen et l’analyse des corps qui composent ce globe ; la lumière, le calorique, le soufre, le carbone sont de ce nombre : la lumière modifie toutes nos opérations et concourt puissamment à la production de tous les phénomènes qui appartiennent aux corps morts ou vivans ; le calorique réparti d’une manière inégale entre tous les corps de cet univers établit leurs divers degrés de consistance et de fixité, et c’est un des grands moyens que l’art et la nature emploient pour diviser les corps, les volatiliser, affoiblir leur force d’adhésion et par là les préparer et les disposer à l’analyse ; le soufre existe dans les produits des trois règnes ; il forme le radical d’un des acides les mieux connus et des plus employés, il présente des combinaisons intéressantes avec la plupart des substances simples, et sous ces divers rapports c’est une des substances dont la connoissance devient nécessaire dès les premiers pas qu’on fait dans la science ; il en est de même du carbone, c’est le produit fixe le plus abondant qu’on trouve dans les végétaux et les animaux, l’analyse l’a découvert dans quelques substances minérales, sa combinaison avec l’oxigène est si commune dans les corps et dans les opérations de l’art et de la nature, qu’il n’est presque pas de phénomène qui ne nous la présente et qui conséquemment n’en suppose la connoissance. D’après toutes ces raisons il nous a paru que pour avancer dans la chimie, il falloir assurer nos premiers pas sur la connoissance des substances dont nous venons de parler, et nous ne nous occuperons des autres substances simples ou élémentaires qu’à mesure qu’elles se présenteront.


SECTION QUATRIÈME.


Des substances simples ou élémentaires.


Si nous jettons un coup d’œil sur les systèmes qui ont été successivement formés par les Philosophes, relativement au nombre et à la nature des élémens, nous serons étonnés de la variété prodigieuse qui règne dans leur manière de voir : dans les premiers temps, chacun paroît avoir pris son imagination pour guide, et nous ne trouvons aucun système raisonnable jusqu’au temps où Aristote et Empedocle reconnurent pour élémens l’air, l’eau, la terre et le feu : leur manière de voir a été celle de plusieurs siècles, et il faut convenir que leur opinion étoit bien faite pour captiver tous les esprits ; en effet, on voyoit des masses énormes et des magasins inépuisables de ces quatre principes où la destruction ou décomposition des corps paroissoit rapporter tous les principes que la formation ou la création en avoit tirés ; l’autorité de tous ces grands hommes qui avoient adopté ce système, l’analyse des corps qui ne présentoit que ces quatre principes, étoient des titres bien suffisans pour faire admettre une telle doctrine.

Mais du moment que la chimie s’est crue assez avancée pour connoître les principes des corps, elle a prétendu devoir marquer elle-même le nombre, la nature et le caractère des élémens, et elle a regardé comme principe simple ou élémentaire tout ce qui se refusoit à ses voies de décomposition. En prenant ainsi pour élémens la terme de l’analyse, leur nombre et leur nature doivent varier selon les révolutions et les progrès de la chimie, c’est ce dont on peut s’assurer en consultant tous les Chimistes qui ont écrit sur cette matière depuis Paracelse jusqu’à nous ; et il faut convenir que c’est beaucoup hasarder que de prendre le terme de l’artiste pour celui du créateur, et de s’imaginer que l’état de nos connoissances est un état de perfection.

La dénomination d’élémens devroit donc être effacée d’une nomenclature chimique, ou du moins on ne devroit la considérer que comme faite pour exprimer le dernier degré de nos résultats analytiques ; et c’est sous ce point de vue que nous l’envisagerons.


CHAPITRE PREMIER.

Du Feu.


Le principal agent que la nature emploie pour balancer le pouvoir et l’effet naturel de l’attraction, c’est le feu : par l’effet naturel de l’attraction nous n’aurions que des corps solides et compactes, mais le calorique dispersé inégalement dans les corps tend sans cesse à rompre cette adhésion des molécules, et c’est à lui que nous devons cette variété de consistance sous laquelle se présentent les corps à nos yeux : les diverses substances qui composent cet univers sont donc soumises, d’un côté à une loi générale qui cherche à les rapprocher, de l’autre à un agent puissant qui tend à les éloigner l’une de l’autre ; c’est de l’énergie respective de ces deux forces que dépend la consistance de tous les corps ; lorsque l’affinité prévaut ils sont à l’état solide, ils sont à l’état gazeux lorsque le calorique domine, et l’état liquide paroît être le point d’équilibre entre ces deux puissances.

Il importe donc essentiellement de parler du feu, puisqu’il joue un si beau rôle dans cet univers, et qu’il est impossible de s’occuper d’un corps quelconque sans reconnoître l’influence de cet agent.

Il y a deux choses à considérer dans le feu, la chaleur et la lumière.

Ces deux principes qu’on a très-souvent confondus paroissent très-distincts, puisqu’ils ne sont presque jamais en proportion et que chacun peut exister séparément.

L’acception la plus ordinaire du mot feu comprend chaleur et lumière, et ses principaux phénomènes doivent être connus depuis bien long-temps : la découverte du feu doit être presque aussi ancienne que l’existence de l’espèce humaine sur ce globe ; le choc de deux cailloux, le jeu des météores, l’action des volcans, ont dû en donner la première idée, et il est très-étonnant que les habitans des Isles mariannes ne le connussent point avant l’invasion des Espagnols : ces insulaires qui n’apprirent à connoître ce terrible élément que par ses ravages, le regardoient d’abord comme un être mal-faisant qui s’attachoit à tous les corps et les dévoroit sans les abandonner. V. l’hist, phil. et pol. par M. l’Abbé Raynal.

Les effets du feu sont peut-être ce que la nature nous présente de plus étonnant, et ne soyons pas surpris si tous les anciens l’ont regardé comme un être moyen entre l’esprit et la matière, et ont bâti sur son origine la belle fable de Prométhée.

Nous avons été assez heureux de nos jours pour acquérir des idées saines et étendues sur cet agent, et nous allons les développer dans les deux articles suivans.

ARTICLE PREMIER.

Du calorique & de la Chaleur.

Lorsqu’on chauffe un métal ou un liquide, ces corps se dilatent en tout sens, se réduisent en vapeur, et finissent par disparoître à la vue si on leur applique une plus forte chaleur.

Les corps qui se sont emparés du principe de la chaleur, l’abandonnent avec plus ou moins de facilité : si on observe attentivement un corps qui se refroidit, on verra un léger mouvement d’ondulation dans l’air qui l’entoure, et l’on peut comparer cet effet au phénomène que nous présente le mélange de deux liqueurs de densité et de pesanteur inégales.

Il est difficile de concevoir ce phénomène, sans admettre un fluide particulier qui passe d’abord du corps qui chauffe à celui qui est chauffé, se combine avec le dernier, y produit les effets dont nous venons de parler, et s’échappe ensuite pour s’unir à d’autres corps selon ses affinités et la loi de l’équilibre vers lequel tendent tous les fluides.

Ce fluide de la chaleur que nous appellons calorique est contenu en plus ou moins grande quantité dans les corps, selon les divers degrés d’affinité qu’il a avec eux.

On peut employer divers moyens pour déplacer ou chasser le calorique : le premier, c’est par la voie des affinités ; par exemple, l’eau versée sur l’acide sulfurique chasse la chaleur et prend sa place, et tant qu’il y a dégagement de chaleur le volume du mélange ne s’accroît pas en proportion des substances mélangées, ce qui annonce pénétration, et on ne peut la concevoir qu’en admettant que les parties intégrantes de l’eau prennent la place du calorique à mesure qu’il se dissipe. Le second moyen de précipiter le calorique est le frottement et la compression ; dans ce cas on l’exprime comme on exprime l’eau d’une éponge ; à la vérité toute la chaleur qui peut être produire par le frottement n’est pas fournie par le corps lui-même, parce qu’à mesure que la chaleur intérieure se développe, l’air extérieur agit sur le corps, le calcine, l’enflamme et donne lui-même de la chaleur en se fixant. La fermentation, et en général toute opération chimique qui change la nature des corps peut en dégager le calorique, parce que le nouveau composé peut en demander et en recevoir une plus ou moins grande quantité, ce qui fait que les opérations produisent tantôt du froid tantôt du chaud.

Examinons à présent sous quelle forme se présente le calorique.

Ce fluide se dégage dans un état de liberté ou dans un état de combinaison.

Dans le premier cas le calorique cherche toujours à se mettre en équilibre, non qu’il se distribue également dans tous les corps, mais il s’y répartit d’après ses degrés d’affinité avec eux ; d’où il suit que les corps embians en prennent et retiennent une quantité plus ou moins considérable : les métaux se pénètrent aisément de ce fluide et le transmettent de même, les bois et les parties animales reçoivent jusqu’au degré de la combustion, les liquides jusqu’à ce qu’ils soient réduits en vapeurs ; la glace seule absorbe toute la chaleur qu’on lui fournit sans en communiquer jusqu’à ce qu’elle soit fondue.

On ne peut apprécier le degré de chaleur que par ses effets : et les instrumens qui ont été successivement inventés pour les calculer, et qui sont connus sous les noms de thermomètres, pyromètres, etc. ont été appliqués à déterminer rigoureusement les divers phénomènes que nous présente l’absorption du calorique dans les divers corps.

La dilatation des liqueurs ou des métaux fluides par les divers degrés de chaleur a été long-temps mesurée par les seuls thermomètres de verre ; mais cette substance très-fusible ne pouvoit évaluer que les degrés de chaleur inférieurs au degré de fusion du verre lui-même.

On a proposé successivement divers moyens pour calculer les plus hauts degrés de chaleur. M. Leidenfrost a prouvé que plus un métal étoit chaud plus les gouttes d’eau qu’on y verse dessus s’évaporent lentement ; il a proposé ce principe pour construire des pyromètres : une goutte d’eau versée dans une cuiller de fer chauffée au degré de l’eau bouillante s’évapore en une seconde, une pareille goutte versée sur du plomb fondu se dissipe en 6 à 7, et sur du fer rouge en 30. M. Ziegler, specimen de digestore papini, a trouvé qu’il falloit 89 secondes à une goutte d’eau pour s’évaporer au 520 deg. de Fahreneit et qu’une seconde suffit au 300 degré. Ce phénomène, plus intéressant pour la chimie que pour la pyrométrie à qui il donnera toujours des résultats peu susceptibles d’être calculés rigoureusement, m’a paru dépendre de l’adhésion et de la décomposition de l’eau sur le métal.

Le pyromètre le plus rigoureux dont nous ayons connoissance est celui qui a été présenté à la Société royale de Londres par M. Wedgwood. Il est construit sur le principe que l’argile la plus pure prend au feu un retrait proportionné à la chaleur qu’on lui applique : ce pyromètre consiste en deux parties, l’une qu’on appelle jauge et qui sert à mesurer les degrés de diminution ou de retrait, l’autre comprend de petites pièces d’argile pure qu’on appelle pièces à thermomètre.

La jauge est formée par une plaque de terre cuite sur laquelle sont appliquées deux règles de même matière : ces règles parfaitement droites et unies offrent un écartement d’un demi-pouce à un des bouts et de trois dixièmes de pouce à l’autre ; pour plus grande commodité on a coupé la jauge par le milieu, et on ajuste les deux pièces quand on veut s’en servir : on a divisé la longueur de cette règle en 240 parties égales dont chacune représente un dixième de pouce.

Pour former les pièces à thermomètre, on tamise la terre avec la plus grande attention, on la mêle ensuite avec de l’eau, et on fait passer cette pâte à travers un tuyau de fer, ce qui lui donne la forme de bâtons longs que l’on découpe après en pièces de la grandeur convenable ; quand les pièces sont sèches on les présente à la jauge et il faut qu’elles s’adaptent au 0 de l’échelle : si par l’inadvertence de l’ouvrier quelque pièce pénètre à un ou deux degrés plus loin, ce degré est marqué sur son fond et doit se déduire lorsqu’on se sert de cette pièce pour mesurer la chaleur ; les pièces ainsi ajustées sont cuites dans un four à une chaleur rouge pour leur donner la consistance nécessaire au transport ; la chaleur employée dans ce travail est communément de 6 degrés ou environ, les pièces en sont diminuées plus ou moins, mais peu importe dès qu’on doit les soumettre à un degré de chaleur supérieur à celui qu’elles ont éprouvé ; et si par événement on veut mesurer un degré de chaleur inférieur, on emploie des pièces non cuites qu’on conserve dans des gazettes ou étuis pour éviter le flottement.

Lorsqu’on veut se servir de ce pyromètre on expose une des pièces dans le foyer dont on veut prendre la chaleur, et lorsqu’on juge qu’elle en a éprouvé toute l’intensité, on la retire et on la laisse refroidir, ou bien on la plonge dans l’eau pour faciliter le refroidissement, on la présente à la jauge et on détermine aisément le retrait qu’elle a éprouvé. M. Wedgwood nous a donné le résultat de quelques expériences faites avec son pyromètre et a mis à côté les degrés correspondans de Farheneit.

Pyromètre de Wedgwood. Thermomètre de Farheneit.
La chaleur rouge visible au jour 
0 1077
Le cuivre jaune se fond à 
21 1857
Le cuivre suédois se fond à 
27 4587
L’argent pur se fond à 
28 4717
L’or pur se fond à 
32 5237
La chaleur des barres de fer chauffées au point de pouvoir s’incorporer
plus petite. 90 12777
plus grande. 95 13427
La chaleur la plus grande que nous ayons pu produire dans la forge d’un Maréchal-ferrant.
125 17327
La fonte entre en fusion à 
130 17977
La plus grande chaleur que j’aie produit dans un fourneau à vent de 8 pouces quarrés.
160 21877

Ces divers thermomètres n’étoient point applicables à tous les cas : nous ne pouvions pas par exemple calculer rigoureusement la chaleur qui s’échappe des corps vivans, et prendre d’une manière précise la température d’un corps quelconque : mais MM. de Laplace et Lavoisier, Acad. des Sciences 1780, nous ont fait connoître un appareil qui paroit ne plus rien laisser à désirer : il est construit sur le principe que la glace absorbe toute la chaleur sans la communiquer jusqu’à ce qu’elle soit fondue : ainsi d’après cela, on peut calculer les degrés de chaleur communiqués par la quantité de glace fondue ; il s’agissoit, pour avoir des résultats rigoureux, de trouver le moyen de faire absorber par la glace toute la chaleur qui se dégage des corps, de soustraire la glace à l’action de toute autre substance qui pourroit en faciliter la fonte, de ramasser à la rigueur l’eau provenant de cette même fonte.

L’appareil qu’ont fait construire à cet effet nos deux célèbres Académiciens consiste dans trois corps circulaires presque inscrits les uns dans les autres, de sorte qu’il en résulte trois capacités : la capacité intérieure est formée par un grillage de fil de fer soutenu par quelques montans du même métal, c’est dans cette capacité que l’on place les corps soumis à l’expérience, la partie supérieure se ferme au moyen d’un couvercle : la capacité moyenne est destinée à contenir la glace qui environne la capacité intérieure, cette glace est supportée et retenue par une grille sous laquelle est un tamis ; à mesure que la glace fond, l’eau coule à travers la grille et le tamis et se rassemble dans un vase posé dessous : la capacité extérieure contient la glace qui doit arrêter l’effet de la chaleur extérieure.

Pour mettre cette belle machine en expérience, on remplit de glace pilée la capacité moyenne et le couvercle de la sphère intérieure, on en fait autant à la capacité extérieure, de même qu’au couvercle général de toute la machine ; on laisse égouter la glace intérieure, et lorsqu’elle ne donne plus d’eau on ouvre le couvercle de la capacité intérieure pour y introduire le corps qu’on veut mettre en expérience et on referme sur le champ ; on attend que le corps soit porté au degré de chaleur 0, température ordinaire de la capacité intérieure, et on pesé la quantité d’eau qui est produite ; ce poids mesure exactement la chaleur dégagée de ce corps, puisque la fonte de la glace n’est que l’effet de cette chaleur ; les expériences de ce genre durent 15, 18, 20 heures.

Il est essentiel que dans cette machine il n’y ait aucune communication entre la capacité moyenne et la capacité externe.

Il est encore nécessaire que la chaleur de l’air ne soit pas sous 0, puisqu’alors la glace intérieure recevroit un froid sous 0.

La chaleur spécifique n’est que le rapport de quantité de chaleur nécessaire pour élever d’un même nombre de degrés la température des corps qu’on compare à égalité de masse : ainsi, si l’on veut avoir la chaleur spécifique d’un corps solide, on élèvera sa température d’un nombre quelconque de degrés, on le placera promptement dans la sphère intérieure et on l’y laissera jusqu’à ce que sa température soit réduite 0, on recueillira l’eau, et cette quantité divisée par le produit de la masse du corps et du nombre de degrés dont sa température primitive étoit au-dessus de 0 sera proportionnelle à sa chaleur spécifique.

Quant aux fluides, on les enfermera dans des vases dont on aura déterminé la chaleur, et l’opération sera la même que pour les solides, à cela près qu’il faudra soustraire de la quantité d’eau fondue la quantité que la chaleur du vase a fait fondre.

Si on veut connoître la chaleur qui se dégage dans la combinaison de plusieurs substances, on les réduit toutes, ainsi que les vases qui doivent les renfermer, à 0 ; on met le mélange dans la sphère intérieure, et la quantité d’eau recueillie est la mesure de la chaleur qui a été dégagée.

Pour déterminer la chaleur de la combustion et de la respiration, comme le renouvellement de l’air est indispensable dans ces deux opérations, il est nécessaire d’établir une communication entre l’intérieur de la sphère et l’atmosphère qui l’environne ; et pour que l’introduction d’un nouvel air ne cause aucune erreur sensible, il faut faire les expériences à une température peu différente de 0, ou du moins réduire à cette température l’air que l’on introduit.

Pour déterminer la chaleur d’un gaz, il faut établir un courant par l’intérieur de la sphère, et placer deux thermomètres, l’un à l’entrée et l’autre à la sortie ; par les degrés comparés de ces deux instrumens on juge du froid qu’ils prennent, et on évalue la glace fondue.

On peut consulter dans l’excellent Mémoire de MM. de Laplace et Lavoisier les résultats des expériences qu’ils ont faites : ce que je viens de dire n’est qu’un extrait de leur superbe travail.

Les divers procédés usités pour mesurer la chaleur sont établis sur le principe général que les corps absorbent la chaleur en plus ou moins grande quantité : si ce fait n’étoit pas une vérité généralement convenue, nous pourrions l’étayer sur les trois faits suivans : M. Franklin, ayant exposé des morceaux d’étoffe de même tissu mais de diverse couleur sur de la neige, apperçut, quelques heures après, que le rouge étoit enfoncé dans la neige tandis que le blanc n’avoit souffert aucune dépression. M. de Saussure observe que les paysans des montagnes de la Suisse s’empressent de répandre de la terre noire sur les terres couvertes de neige lorsqu’ils veulent la fondre pour les ensemencer. Les enfans brûlent un chapeau noir au foyer d’une loupe qui chauffe à peine un chapeau blanc.

Tels sont à-peu-près les phénomènes que nous présente le calorique lorsqu’il se dégage dans un état de liberté : voyons ceux qu’il nous offre lorsqu’il s’échappe dans un état de combinaison.

La chaleur se dégage quelquefois dans un état de simple mélange, et c’est ce qui constitue les vapeurs, les sublimations, etc. Si on applique la chaleur à de l’eau, ces deux fluides s’uniront et le mélange se dissipera dans l’atmosphère ; mais ce seroit abuser des mots que d’appeler combinaison une union aussi foible, car dès que la chaleur trouve à se combiner avec d’autres corps elle abandonne l’eau qui repasse à l’état liquide ; ce corps vaporisé entraîne sans cesse une portion de chaleur, et de là peut-être l’avantage de la transpiration, de la sueur, etc.

Mais très-souvent le calorique contracte une union vraiment chimique avec les corps qu’elle volatilise ; cette combinaison est même si parfaite que la chaleur n’y est pas sensible, elle est neutralisée par le corps avec qui elle s’est combinée, et on l’appelle alors chaleur latente, calor latens.

Nous pouvons réduire aux deux principes suivans les divers cas dans lesquels la chaleur se combine et passe à l’état de chaleur latente.

Premier principe. Tout corps qui passe de l’état solide à l’état liquide absorbe une portion de chaleur qui n’est plus sensible au thermomètre et se trouve dans un véritable état de combinaison.

Les Académiciens de Florence remplirent un vase de glace pilée et y plongèrent un thermomètre qui descendit à 0 ; on mit le vase dans l’eau bouillante, le thermomètre ne bougea point pendant le temps que fondit la glace : donc la fonte de la glace absorbe de la chaleur.

M. Wilke a versé une livre d’eau chaude au soixantième degré sur une livre de glace, le mélange fondu a marqué 0 : il s’est donc combiné soixante degrés de chaleur.

M. le Chevalier Landriani a prouvé que la fusion des métaux, du soufre, du phosphore, de l’alun, du nitre, etc. absorboit de la chaleur.

Il se produit du froid dans la dissolution de tous les sels : Réaumur a fait une suite d’expériences très-intéressantes à ce sujet ; elles confirment celles de Boyle. Farheneit a fait descendre le thermomètre à 40 en fondant la glace par l’acide nitrique très-concentré ; mais les expériences les plus étonnantes sont celles qui ont été faites par MM. Thomas Beddoes Médecin, et Walker Apothicaire à Oxfort, et publiées dans les Transactions philosophiques pour l’année 1787 ; les mélanges qui leur ont produit les plus hauts degrés de froid sont, 1°. onze parties muriate d’ammoniaque, dix nitrate de potasse, seize sulfate de soude, trente-deux pesant d’eau : les deux premiers sels doivent être secs et en poudre ; 2°. l’acide nitrique, le muriate d’ammoniaque, le sulfate de soude mêlés ensemble font baisser le thermomètre à 8 sous 0. M. Walker a gelé le mercure sans glace ni neige.

C’est donc un principe incontestable que tout corps qui passe de l’état solide à l’état liquide, absorbe de la chaleur et la retient dans une combinaison si exacte qu’elle ne donne aucun signe de sa présence ; c’est donc de la chaleur fixée, neutralisée, latente.

Second principe. Tout corps en passant de l’état solide ou fluide à l’état aériforme, absorbe de la chaleur qui devient chaleur latente, et ce corps n’est mis et soutenu à cet état que par cette chaleur.

C’est sur ce principe qu’est fondé le procédé usité dans la Chine, l’Inde, la Perse et l’Égypte pour rafraîchir les liqueurs employées à la boisson : on met l’eau qu’on veut boire dans des vaisseaux très-poreux et on les expose au soleil ou au courant d’un vent chaud pour rafraîchir la liqueur qu’ils contiennent : c’est par des moyens semblables qu’on se procure des boissons fraîches dans les longues caravanes. On peut voir des détails intéressans à ce sujet dans les écrits de Chardin, tome III de ses voyages, édit. 1723 ; de Tavernier, tome premier de ses voyages, édit. 1738 ; de Paul Lucas, tome II de ses voyages, édit. 1724 ; du P. Kircher mundus subterr., lib. VI, sect. II, cap. II.

Nous pouvons conclure des expériences de M. Richmann faites en 1747, et consignées dans le tome premier Académie impériale de Pétersbourg, 1°. qu’un thermomètre qu’on retire de l’eau et qu’on expose à l’air descend toujours, lors même que sa température est égale ou supérieure à celle de l’eau ; 2°. qu’il remonte ensuite jusqu’à ce qu’il soit parvenu au degré de la température de l’atmosphère ; 3°. que le temps qu’il emploie à descendre est moins long que celui qu’il met à remonter ; 4°. que, lorsque le thermomètre retiré de l’eau est parvenu au degré de la température ordinaire, la boule est sèche, et qu’elle est humide tant qu’elle est au-dessous de ce degré.

À ces conséquences nous ajouterons celles que le célèbre Cullen a déduites de plusieurs expériences très-curieuses, 1°. un thermomètre suspendu dans la machine pneumatique descend de deux à trois degrés à mesure qu’on pompe l’air et remonte ensuite à la température du vide ; 2°. un thermomètre plongé sous la machine pneumatique dans l’alkool descend toujours, d’autant plus que les bulles qui sortent de l’alkool sont plus fortes ; si on le retire de cette liqueur et qu’on le suspende tout mouillé dans la cloche, il descend de huit à dix degrés à mesure qu’on pompe l’air.

On sait que si on enveloppe la boule d’un thermomètre d’un linge fin, qu’on l’arrose d’éther et qu’on en facilite l’évaporation par l’agitation dans l’air, le thermomètre descend à 0.

L’immortel Franklin a éprouvé sur lui-même que lorsque le corps sue il est moins chaud que les corps embiants et que la sueur détermine toujours quelque degré de froid. Voyez sa lettre au Docteur Lining.

Le grand nombre de Travailleurs ne supporte les chaleurs brûlantes de nos climats qu’en suant beaucoup, et ils fournissent matière à cette sueur par une boisson copieuse : les Ouvriers employée dans les verreries, les fonderies, etc. vivent souvent dans un milieu plus chaud que leur corps qui est entretenu à une chaleur égale et modérée par la sueur.

Si on augmente l’évaporation par l’agitation de l’air on rafraîchit davantage : de là l’usage des éventails, des ventilateurs, etc. qui, quoique destinés à imprimer du mouvement à un air chaud, lui donnent la vertu de rafraîchir en facilitant et favorisant l’évaporation.

L’air chaud et sec est le plus propre à former un courant d’air rafraîchissant, parce qu’il est le plus propre à dissoudre et à absorber l’humidité ; l’air humide est le moins convenable, parce qu’il est déjà saturé.

De là la nécessité de renouveler souvent l’air pour conserver la fraîcheur de nos appartemens.

Ces principes ont plus de rapport à la médecine qu’on ne pense : on voit presque toutes les fièvres se terminer par les sueurs qui, outre l’avantage de pousser au dehors la matière morbifique, ont encore celui de charrier la matière de la chaleur et de ramener le corps à sa température ordinaire : le Médecin qui cherche à modérer l’excès de chaleur dans un corps malade, doit ménager dans l’air la disposition la plus favorable pour remplir ses vues.

L’usage de l’alkali volatil est généralement reconnu pour être avantageux dans la brûlure, la douleur aux dents, etc. ne peut-on pas attribuer ces effets à la volatilité de cette substance qui se combinant promptement avec le calorique s’exhale avec elle et laisse une impression de froid ? L’éther est souverain pour calmer les douleurs de colique, pourquoi cette vertu ne tiendroit-elle pas aux mêmes principes ?

On peut obtenir la chaleur qui s’est combinée avec les corps qu’on a fait passer de l’état solide à l’état liquide ou de ce dernier à l’état aériforme, en faisant repasser ces dernières substances à l’état liquide ou à l’état concret ; en un mot, tout corps qui passe de l’état liquide à l’état solide laisse échapper la chaleur latente, qui devient en ce moment chaleur libre ou thermométrique.

En 1724 le célèbre Farheneit ayant laissé de l’eau exposée à un froid plus fort que celui de la glace, l’eau resta fluide ; mais en l’agitant elle se gela, et le thermomètre qui marquoit quelques degrés sous la glace monta à la glace. M. Treiwald consigna un fait semblable dans les transactions philosophiques, et M. de Ratte a fait la même observation à Montpellier.

M. Baumé a prouvé, dans ses recherches et expériences sur plusieurs phénomènes singuliers que l’eau présente au moment de la congélation, qu’il se développe toujours quelques degrés de chaleur au moment de la congélation.

Les substances gazeuses ne sont tenues à l’état aériforme que par la chaleur qui leur est combinée, et lorsqu’on présente à ces substances ainsi dissoutes dans le calorique un corps avec lequel leur affinité est très-marquée, elles abandonnent la chaleur pour s’unir à lui, et le calorique ainsi chassé ou dégagé paroît sous forme de chaleur libre ou thermométrique ; ce dégagement de chaleur par la concrétion ou fixation des substances gazeuses a été observé par le célèbre Schéele, comme on peut le voir dans les belles expériences qui font la base de son traité chimique sur l’air et le feu ; depuis ce grand homme, on a calculé rigoureusement la quantité de chaleur latente qui se trouve dans chacun de ces gaz, et nous devons à ce sujet de superbes recherches à MM. Black, Crawfort, Wilke, de Laplace, Lavoisier, etc.

ARTICLE SECOND.

De la Lumière.

Il paroît que la lumière est transmise à nos yeux par un fluide particulier qui remplit l’intervalle qui est entre nous et les corps apparens.

Ce fluide parvient-il directement du soleil et nous vient-il par des émissions et irradiations successives ? Ou bien est-ce un fluide particulier répandu dans l’espace et mis en jeu par le mouvement de rotation du soleil ou par toute autre cause ? Je n’entrerai dans aucune discussion à ce sujet, je me bornerai à en indiquer les phénomènes.

A. Le mouvement de la lumière est si rapide qu’il parcourt à-peu-près quatre-vingt mille lieues par seconde.

B. L’élasticité des rayons de lumière est telle que l’angle de réflexion égale l’angle d’incidence.

C. Le fluide de la lumière est pesant, puisque si on reçoit un rayon par un trou pratiqué au volet d’une fenêtre et qu’on lui présente la lame d’un couteau, le rayon se détourne de la ligne droite et s’infléchit vers le corps, ce qui annonce qu’il obéit à la loi d’attraction, et suffit pour le faire classer parmi les autres corps de la nature.

D. Le grand Newton est parvenu à décomposer la lumière solaire en sept rayons primitifs qui se présentent dans l’ordre suivant : le rouge, l’orangé, le jaune, le vert, le bleu, le pourpre, le violet. Les teintures ne nous présentent que trois couleurs primitives, qui sont le rouge, le bleu et le jaune ; la combinaison et les proportions de ces trois principes forment toutes les nuances de couleur dont les arts se sont enrichis. Des Physiciens ont soutenu que parmi les sept rayons solaires il n’y avoit que trois couleurs primitives. Voyez les recherches de M. Marat.

On peut considérer tous les corps de la nature comme des prismes qui décomposent ou plutôt divisent la lumière : les uns renvoient les rayons sans y produire aucun changement, c’est ce qui forme le blanc ; d’autres les absorbent tous, ce qui fait le noir absolu : l’affinité plus ou moins marquée de tel ou tel rayon avec tel ou tel corps, peut-être même la diverse disposition des pores, fait sans-doute que lorsqu’un faisceau de lumière tombe sur un corps, tel rayon se combine, tandis que les autres sont réfléchis ; c’est ce qui donne cette diversité de couleurs et la prodigieuse variété de nuances dont se peignent à nos yeux les divers corps de la nature.

On ne doit pas se borner aujourd’hui à regarder la lumière comme un être purement physique : le Chimiste s’est apperçu de son influence dans la plupart de ses opérations, il doit aujourd’hui tenir compte de l’action de ce fluide qui modifie ses résultats, et son empire n’est pas moins établi dans les divers phénomènes de la nature que dans ceux de nos laboratoires.

Nous voyons qu’il n’y a pas de végétation sans lumière : les plantes privées de ce fluide s’étiolent ; et, lorsque dans les serres la lumière ne leur parvient que par un seul endroit, les végétaux s’inclinent vers cette ouverture, comme pour témoigner le besoin qu’ils ont de ce fluide bienfaisant.

Sans l’influence de la lumière les végétaux ne nous présentent qu’une seule et triste couleur ; ils se dépouillent même de leurs riches nuances dès qu’on les met à l’abri de ce fluide lumineux ; c’est ainsi qu’on blanchit le scelery, l’endive et autres plantes.

Non-seulement les végétaux doivent leur couleur à la lumière ; mais l’odeur, le goût, la combustibilité, la maturité et le principe résineux sont tout autant de propriétés qui en dépendent : de là vient sans-doute que les aromates, les résines, les huiles volatiles sont l’apanage des climats du midi où la lumière est plus pure, plus constante et plus vive.

On voit même que l’influence de la lumière est marquée sur les autres êtres : car, comme l’a observé M. Dorthes, les vers et les chenilles qui vivent dans la terre ou dans les bois sont blanchâtres, les oiseaux et les papillons de nuit se distinguent de ceux de jour par leurs couleurs peu brillantes ; la différence est également marquée entre ceux du nord et ceux du midi.

Une propriété bien étonnante de la lumière sur le végétal, c’est qu’exposé au grand jour ou au soleil, il transpire de l’air vital : nous reviendrons sur tous ces phénomènes lorsqu’il sera question de l’analyse des végétaux.

Les belles expériences de MM. Schéele et Berthollet nous ont appris que l’absence ou la présence de la lumière modiffoit d’une manière étonnante les résultats des opérations chimiques : la lumière dégage l’air vital de quelques liqueurs, telles que l’acide nitrique, l’acide muriatique oxigéné, etc. elle réduit les oxides d’or, d’argent, etc. elle dénature les muriates oxigénés, selon les observations de M. Berthollet. La lumière détermine encore les phénomènes de végétation que nous présentent les dissolutions salines, comme je l’ai fait voir ; de sorte que nous devons calculer l’action de cet agent dans presque toutes nos opérations.

« L’organisation, le sentiment, le mouvement spontané, la vie, n’existent qu’à la surface de la terre et dans les lieux exposés à la lumière : on diroit que la flamme du flambeau de Promethée étoit l’expression d’une vérité philosophique qui n’avoit point échappé aux anciens. Sans la lumière la nature étoit sans vie, elle étoit morte et inanimée : un Dieu bienfaisant, en apportant la lumière, a répandu sur la surface de la terre l’organisation, le sentiment et la pensée. » Traité élémentaire de Chimie par M. Lavoisier, pag. 202.

Il ne faut pas confondre la lumière solaire avec celle que nous produisent nos foyers : celle-ci a des effets marqués sur quelques-uns de ces phénomènes, comme je m’en suis convaincu ; mais ces effets sont lents et peu en rapport avec ceux de la lumière du soleil.

Quoique la chaleur accompagne souvent la lumière, les phénomènes dont nous venons de parler ne sauroient lui être attribués ; elle peut les modifier quand elle existe, mais non les produire, comme on s’en est assuré.


CHAPITRE SECOND.

Du Soufre.


Nous sommes forcés de placer le soufre parmi les élémens, tandis que nos prédécesseurs prétendoient en avoir déterminé les principes constituans : cette marche paroîtroit rétrograde, si on n’étoit persuadé que c’est réellement avancer que de rectifier ses idées.

Les anciens désignoient par le mot soufre toute substance combustible et inflammable : on trouve dans tous leurs écrits l’expression de soufre des métaux, des animaux, soufre des végétaux, etc.

Stalh assigna une valeur déterminée à la dénomination de soufre, et, depuis ce célèbre Chimiste, nous connoissons sous ce nom un corps d’un jaune citron, sec, fragile, susceptible de brûler avec une flamme bleue et d’exhaler une odeur piquante lors de la combustion ; quand on le frotte il devient électrique, et si on lui fait subir une douce pression dans la main il craque et se réduit en poudre.

Il paroît que le soufre se forme par la décomposition des végétaux et des animaux : on en a trouvé sur les murs des fosses d’aisance ; et, lorsqu’on a creusé les boulevards de la porte St. Antoine à Paris, on en a ramassé beaucoup qui étoit mêlé avec les restes des débris des substances végétales et animales qui avoient comblé les anciens fossés, et s’y étoient pourries.

M. Deyeux a même prouvé que le soufre existoit naturellement dans quelques plantes telles que la patience, le cochlearia, etc. ; les procédés qu’il indique pour l’extraire se réduisent 1°. à réduire en pulpe assez fine par le moyen d’une râpe la racine lavée, à délayer cette pulpe dans l’eau froide et à la passer à travers un linge peu serré ; la liqueur passe trouble et laisse précipiter un dépôt qui desséché prouve l’existence du soufre ; 2°. à faire bouillir la pulpe et à dessécher l’écume qui se forme par l’ébullition ; cette écume contient le soufre. Plusieurs espèces de rumex confondus sous le nom de patience ne contiennent point de soufre ; j’en ai retiré du rumex patientia L. qui croît sur les montagnes des Cevènes et qui est le même dont on s’est servi à Paris. M. le Veillard a obtenu du soufre en faisant pourrir des substances végétales dans l’eau des puits. Le soufre est contenu en abondance dans les mines de charbon ; il est combiné avec certains métaux ; il se présente presque par-tout où il y a décomposition végétale ; il fait la majeure partie de ces schistes pyriteux et bitumineux qui forment le foyer des volcans ; il se sublime dans les endroits où les pyrites se décomposent ; il est rejetté par les feux souterrains, et on le trouve plus ou moins abondant dans le voisinage des endroits volcaniques. On a beaucoup parié des pluyes de soufre, mais l’on sait aujourd’hui que c’est sur-tout la poussière des étamines du pin qui emportée au loin par le vent a accrédité cette erreur ; Henckel en a vu la surface d’un marais toute couverte.

Les procédés connus pour extraire le soufre en grand et l’appliquer aux usages du commerce, se réduisent à le dégager des pyrites ou sulfures de cuivre ou de fer par des moyens plus ou moins simples et économiques : on peut consulter à ce sujet la pyritologie d’Henckel, le dictionnaire de chimie de Macquer, art. travaux des mines, les voyages métallurgiques de M. Jars. etc.

En Saxe et en Bohème on distille les mines de soufre dans des tuyaux de terre disposés sur une galère, le soufre que le feu dégage se rend dans des récipiens placés au dehors et dans lesquels on a soin d’entretenir de l’eau.

À Rammelsberg, à St. Bel, etc. on forme des tas de pyrites qu’on décompose par une chaleur douce imprimée d’abord à la masse par une couche de combustible sur laquelle on l’a posée ; la chaleur s’entretient ensuite par le jeu des pyrites elles-mêmes, le soufre qui s’exhale ne peut point s’échapper par les parois latérales qu’on a eu soin de revêtir d’une couche de terre, il monte jusqu’au sommet de la pyramide tronquée et se ramasse dans de petites cavités qu’on a pratiqué sur le sommet, la chaleur suffit pour l’y entretenir liquide, et de temps en temps on retire ce soufre avec des cuillers.

Presque tout le soufre employé dans le Royaume vient de la Solfatara : ce pays tourmenté par les volcans présente par-tout les effets de ces feux souterrains ; les masses énormes de pyrites qui se décomposent dans les entrailles de la terre produisent de la chaleur qui sublime une partie du soufre par les soupiraux que le feu et l’effort des vapeurs ont entrouvert de toutes parts ; on distille les terres et les pierres qui contiennent le soufre, et c’est le résultat de cette distillation qu’on appelle soufre brut.

Le soufre brut transporté dans notre Royaume par la voie de Marseille, reçoit dans cette Ville les préparations nécessaires pour le disposer et l’approprier à ses divers usages : 1°. on le réduit en canons, en le faisant fondre et le coulant dans des moules ; 2°. on fait les fleurs de soufre, en le sublimant par une chaleur douce et recueillant cette vapeur sulfureuse dans une chambre assez vaste et bien close : ce soufre très-pur et très-divisé est connu sous le nom de soufre sublimé, fleurs de soufre.

Le soufre entre en fusion à une chaleur assez douce ; et si on saisit le moment où la surface se fige pour faire couler le soufre liquide contenu dans la cavité, on obtient par ce moyen le soufre en longues aiguilles qui représentent des octaèdres alongés ; ce procédé indiqué par le fameux Rouelle a été appliqué à la crystallisation de presque tous les métaux.

On trouve du soufre naturellement crystallisé en Italie, à Conilla près de Cadix, etc., la forme ordinaire est l’octaèdre ; j’ai vu néanmoins des crystaux de soufre en rhombes parfaits.

Stalh avoir cru prouver par analyse et par synthèse que le soufre étoit formé par la combinaison de son phlogistique avec l’acide sulfurique : la belle suite de preuves qu’il a laissées pour établir cette opinion a paru si complète, que depuis ce grand homme on n’a cessé de regarder cette doctrine comme démontrée ; on donnoit même cet exemple pour prouver jusqu’à quel degré d’évidence pouvoir conduire l’analyse chimique ; mais nos découvertes sur les substances gazeuses nous ont appris que les anciens avoient été nécessairement induits en erreur pour n’en avoir pas eu connoissance, nos superbes travaux sur la composition des acides nous ont fait voir que ces substances se décomposoient dans beaucoup d’opérations, et cette révolution dans nos connoissances a dû en entraîner une dans notre manière de concevoir les phénomènes : il nous suffira d’analyser la principale expérience sur laquelle repose essentiellement la doctrine de Stalh, pour prouver ce que nous venons d’avancer.

Si on prend un tiers de charbon et deux tiers de sulfate de potasse, et qu’on fonde ce mélange dans un creuset, il en résulte du foie de soufre (sulfure de potasse) : si on dissout ce sulfure dans l’eau, et qu’on s’empare de la potasse par quelques gouttes d’acide sulfurique, il se forme un précipité qui est du véritable soufre : donc, a dit Stalh, le soufre est une combinaison du phlogistique ou principe inflammable du charbon avec de l’acide sulfurique. L’expérience est vraie, mais la conséquence est absurde, puisqu’il s’ensuivroit que l’acide sulfurique qu’on ajoute auroit la faculté de déplacer l’acide sulflirique uni à l’alkali.

Si Stalh avoir analysé plus rigoureusement le résultat ou le produit de l’opération, il se seroit convaincu qu’il n’y avoir plus un atome d’acide sulfurique.

S’il avoir pu opérer dans des vaisseaux clos et recueillir les substances gazeuses qui se dégagent, il auroit retiré beaucoup d’acide carbonique qui résulte de la combinaison de l’oxigène de l’acide sulfurique avec le charbon.

S’il eût exposé son foie de soufre à l’air dans des vaisseaux clos, il auroit vu que l’air vital est absorbé, que le sulfure est décomposé et qu’il s’y forme du sulfate de potasse, ce qui annonce que l’acide sulfurique se recompose.

Si on humecte du charbon avec l’acide sulfurique, et qu’on distille, on obtient de l’acide carbonique, du soufre et beaucoup d’acide sulfureux.

Les expériences de Stalh nous présentent toutes la démonstration la plus complète de la décomposition de l’acide sulfurique en soufre et oxigène, et il ne nous est nécessaire pour les expliquer, ni de supposer l’existence d’un être imaginaire, ni de reconnoître le soufre comme un corps composé.


CHAPITRE TROISIÈME.

Du Carbone.


On appelle carbone dans la nouvelle nomenclature le charbon pur ; cette substance est placée parmi les substances simples, parce que jusqu’ici aucune expérience ne nous a fait connoître la possibilité de la décomposer.

Le carbone existe tout formé dans les végétaux : on peut le débarrasser de tous les principes huileux et volatils par la distillation ; on peut extraire ensuite par des lotions convenables dans l’eau pure tous les sels qui se trouvent mêlés et confondus avec lui.

Lorsqu’on veut se procurer le carbone bien pur, il faut le dessécher par un coup de feu violent dans des vaisseaux clos ; cette précaution est nécessaire, car les dernières portions d’eau y adhèrent avec une telle avidité, qu’elles s’y décomposent et fournissent du gaz hydrogène et de l’acide carbonique.

Le carbone existe aussi dans le règne animal : on peut l’en extraire par un procédé semblable à celui que nous venons de décrire, mais il est peu abondant ; la masse qu’il présente est légère et spongieuse, il se consume difficilement à l’air, et il est mêlé d’une grande quantité de phosphates et même de soude.

On a trouvé également le carbone dans le plombagine dont il forme un des principes.

Nous présenterons plus de détails sur cette substance dans l’analyse des végétaux ; mais ces idées succinctes suffiront pour que nous puissions nous occuper de ses combinaisons, et c’est là le seul but que je me propose en ce moment.


SECTION CINQUIÈME.


Des gaz ou de la dissolution de quelques principes par le calorique à la température de l’atmosphère.


Le calorique en se combinant avec les corps, en volatilise quelques-uns et les réduit à l’état aériforme ; la permanence de cet état à la température de l’atmosphère constitue les gaz ; ainsi réduire une substance à l’état de gaz, c’est la dissoudre dans le calorique.

Le calorique se combine dans les divers corps avec plus ou moins de facilité, et nous en connoissons plusieurs qui, à la température de l’atmosphère, sont constamment à l’état de gaz ; il en est d’autres qui passent à cet état par quelques degrés de chaleur au-dessus, ce sont ceux-ci qu’on désigne par substances volatiles, évaporables, etc. ils different des matières fixes, en ce que ces dernières ne se volatilisent que par l’application et la combinaison d’une forte dose de calorique.

Il paroit que tous les corps ne prennent pas indistinctement la même quantité de calorique pour paroître à l’état de gaz, et nous verrons qu’on peut en apprécier la proportion par les phénomènes que présentent la fixation et la concrétion de ces substances gazeuses.

Pour réduire un corps à l’état de gaz, on peut lui appliquer le calorique de diverses manières.

Le moyen le plus simple est de le mettre en contact avec un corps plus chaud : alors, d’un côté la chaleur diminue l’affinité d’aggrégation ou de composition en écartant et éloignant les uns des autres les principes constituans, de l’autre la chaleur s’unit aux principes avec lesquels elle a le plus d’affinité et les volatilise. Cette voie est celle des affinités simples ; c’est en effet un troisième corps, qui présenté à un composé de plusieurs principes, se combine avec l’un d’eux et le volatilise.

Nous pouvons encore employer la voie des affinités doubles pour porter un corps à l’état de gaz, et c’est ce qui arrive lorsque nous faisons agir un corps sur un autre pour en opérer la combinaison et qu’il y a production et dégagement de quelque principe gazeux : si je verse, par exemple, de l’acide sulfurique sur de l’oxide de manganèse, l’acide se combine avec le métal, tandis que son calorique se porte sur l’oxigène et l’enlève. Ce principe a lieu non-seulement dans ce cas, mais toutes les fois que dans une opération qui se fait sans le secours du feu, il y a production de vapeurs ou de gaz.

Les divers états sous lesquels se présentent les corps à nos yeux, tiennent presqu’uniquement aux divers degrés de combinaison du calorique avec ces mêmes corps : les fluides ne different des solides que parce qu’ils ont constamment, à la température de l’atmosphère, la dose de calorique convenable pour les tenir à cet état ; ils se figent et passent à l’état concret avec plus ou moins de facilité, selon la quantité de calorique plus ou moins considérable qu’ils exigent.

Tous les corps solides peuvent passer à l’état gazeux ; et la seule différence qui existe entr’eux à cet égard, c’est que pour être portés à cet état, il leur faut une dose de calorique qui est déterminée, 1°. par l’affinité d’aggrégation qui lie les principes, les retient et s’oppose à une nouvelle combinaison ; 2°. par la pesanteur des parties constituantes, ce qui en rend la volatilisation plus ou moins difficile ; 3°. par le rapport et l’attraction plus ou moins forte entre le calorique et le corps solide.

Tous les corps, soit solides soit liquides, volatilisés par la chaleur se présentent sous deux états, celui de vapeur et celui de gaz.

Dans le premier cas, les substances perdent en peu de temps le calorique qui les a élevées, et reparoissent sous leur première forme du moment que le calorique trouve des corps plus froids avec lesquels il se combine ; mais il est rare que les corps ainsi divisés reprennent leur première consistance ; ce premier état est celui de vapeurs.

Dans le second cas, la combinaison du calorique avec la substance volatilisée est telle que la température ordinaire de l’atmosphère ne peut pas vaincre cette union ; c’est cet état qui constitue les gaz.

Lorsque la combinaison du calorique avec un corps quelconque est telle qu’il en résulte un gaz, on peut maîtriser à volonté ces substances invisibles par le secours des appareils qu’on a approprié de nos jours à ces usages : ces appareils sont connus sous le nom d’appareils pneumato-chimiques, hydropneumatiques, etc.

En général l’appareil pneumato-chimique est une cuve en bois, ordinairement quarrée et doublée en plomb ou en fer-blanc : à deux ou trois doigts du bord supérieur, on pratique sur un quart environ de la surface totale une rainure formant une coulisse dans laquelle on fait entrer une planche en bois qui présente un trou dans le milieu et une échancrure sur un des côtés ; le trou est pratiqué au milieu d’une excavation en forme d’entonnoir qu’on fait à la surface inférieure de la planche.

On remplit cette cuve d’eau ou de mercure, selon la nature du gaz qu’on veut extraire ; il en est qui se combinent aisément avec l’eau et on les traite dans l’appareil au mercure.

On peut extraire les gaz de diverses manières.

Lorsqu’on les dégage par le feu, on adapte au bec de la cornue un tube recourbé, dont l’extrémité plonge dans l’eau ou le mercure de la cuve pneumato-chimique et aboutit à la cavité en forme d’entonnoir qui est sous la planche ; on lutte les jointures du tube au bec de la cornue avec le lut ordinaire ; on met par-dessus la planche de la cuve un bocal plein du liquide de la cuve et renversé sur le trou de la planche ; lorsque le gaz se dégage de la cornue, il s’annonce par des bulles qui s’élèvent dans ce bocal et en gagnent la partie supérieure ; lorsque toute l’eau est déplacée et que le bocal est plein de gaz, on le retire en adaptant à son orifice une lame de verre pour qu’il ne se dissipe point ; on peut alors le transvaser et le tourmenter de mille manières pour en mieux connoître la nature.

Lorsqu’on dégage les gaz par le moyen des acides, on met le mélange qui doit le fournir dans un flacon à bec recourbé, et on fait plonger le bec dans la cuve de façon que les bulles puissent se rendre dans la concavité de la planche.

Les procédés usités aujourd’hui pour extraire les gaz et les analyser sont simples et commodes ; et ce sont ces mêmes procédés qui ont singulièrement contribué à nous acquérir la connoissance de ces substances aériformes, dont la découverte a décidé une révolution dans la chimie.


CHAPITRE PREMIER.

Du gaz hydrogène ou air inflammable.


L’air inflammable est un des principes constituans de l’eau, et c’est ce qui lui a mérité le nom de gaz hydrogène ; la propriété qu’il a de brûler avec l’air vital lui avoit fait donner celui d’air inflammable.

On fait du gaz hydrogène depuis long-temps. La fameuse chandelle philosophique atteste l’ancienneté de la découverte ; et le cél. Hales a retiré de la plupart des végétaux un air qui s’enflammoit.

Le gaz hydrogène peut s’extraire de tous les corps dont il est principe constituant : mais la décomposition de l’eau donne le plus pur, et c’est ce fluide qui le fournit ordinairement dans nos laboratoires : à cet effet, on verse de l’acide sulfurique sur le fer ou le zinc, l’eau qui sert de véhicule à cet acide se décompose sur le métal, son oxigène se combine avec lui, tandis que le gaz hydrogène se dissipe : cette explication, quelque contraire qu’elle soit aux anciennes idées, n’en est pas moins une vérité démontrée : en effet, le métal est à l’état d’oxide dans sa dissolution par l’acide sulfurique, comme on peut s’en convaincre en le précipitant par la potasse pure ; d’un autre côté, l’acide lui-même n’est pas du tout décomposé, de sorte que le gaz oxigène ne peut être fourni au fer que par l’eau. On peut encore décomposer l’eau plus directement en la jetant sur du fer fortement chauffé, et on peut obtenir le gaz hydrogène en faisant passer l’eau à travers un tube de fer chauffé au blanc.

On peut extraire aussi le gaz hydrogène par la simple distillation des végétaux : la fermentation végétale et la putréfaction animale produisent aussi cette substance gazeuse.

Les propriétés de ce gaz sont les suivantes.

A. Le gaz hydrogène a une odeur désagréable et puante : M. Kirwann a observé que lorsqu’on l’extrait dans l’appareil au mercure, il n’a presque pas d’odeur ; il contient moitié son poids d’eau, et perd son odeur du moment qu’elle est dissipée.

Kirwann a encore observé que le volume du gaz hydrogène étoit plus grand d’un huitième lorsqu’on l’extrait par l’appareil à l’eau, que lorsqu’on le retire par l’appareil au mercure.

Ces observations paroissoient prouver que l’odeur puante de ce gaz ne provient que de l’eau qu’il tient en dissolution.

B. Le gaz hydrogène n’est point propre à la respiration : M. l’Abbé Fontana assure n’avoir pu fournir que trois inspirations avec cet air ; M. le Comte Morozzo a prouvé que les animaux y périssent en un quart de minute ; d’un autre côté, quelques Chimistes du nord, tels que Bergmann, Schéele, etc. se sont assurés par des expériences faites sur eux-mêmes qu’on pouvoit respirer le gaz hydrogène sans danger ; et on a vu, il y a quelques années, à Paris, l’infortuné Pilatre du Rozier en remplir ses poumons et l’enflammer lors de l’expiration, ce qui formoit un jet de flamme très-curieux : on lui opposa ce que M. l’Abbé Fontana avoit objecté aux Chimistes Suédois, savoir, que le gaz hydrogène étoit mêlé d’air atmosphérique ; l’intrépide Physicien répondit à l’objection en mêlant à ce gaz très-pur un neuvième d’air atmosphérique ; il respira ce mélange à l’ordinaire, mais, lorsqu’il voulut l’enflammer, il se fit une explosion si terrible qu’il crut avoir les dents emportées.

Cette opposition de sentiment, cette contradiction dans des expériences sur un phénomène qui paroît pouvoir être décidé sans réplique par une seule, m’ont engagé à recourir à la même voie pour fixer mes idées à ce sujet.

Des oiseaux mis successivement dans du gaz hydrogène, y sont morts sans que le gaz ait éprouvé le moindre changement sensible.

Des grenouilles mises dans 40 pouces de gaz hydrogène y sont mortes dans l’espace de trois heures et demie, tandis que d’autres mises dans le gaz oxigène et l’air atmosphérique y ont vécu 55 heures, et lorsque je les ai retirées encore vivantes l’air n’étoit ni vicié ni diminué ; des expériences nombreuses que j’ai fait sur ces animaux m’ont permis d’observer qu’ils avoient la faculté d’arrêter la respiration lorsqu’on les plaçoit dans un gaz délétère, à tel point qu’ils n’inspirent qu’une ou deux fois, et suspendent ensuite toute fonction de la part de l’organe respiratoire. J’ai eu encore occasion d’observer que ces animaux ne se réduisent point en putrilage par leur séjour dans le gaz hydrogène, comme on l’a annoncé il y a quelque temps : ce qui a pu en imposer aux Chimistes qui ont rapporté ce fait, c’est que les grenouilles s’enveloppent souvent d’une morve ou sanie qui paroît les recouvrir ; mais elles présentent les mêmes phénomènes dans tous les gaz.

Après avoir éprouvé le gaz hydrogène sur des animaux, je me suis décidé à le respirer moi-même, et j’ai vu qu’on pouvoit respirer plusieurs fois sans danger le même volume de cet air ; mais j’ai observé que ce gaz n’étoit point altéré par ces opérations, et de cela même je conclus qu’il n’est pas respirable ; car s’il l’étoit, il éprouveroit du changement dans le poumon, puisque le but de la respiration ne se borne pas à prendre et à rendre un fluide sans y rien changer ; c’est une fonction bien plus noble, bien plus intéressante, bien plus intimement liée à l’économie animale ; et nous devons regarder le poumon comme un organe qui se nourrit d’air, digère celui qu’on lui présente, retient celui qui lui est avantageux, et rejette la portion qui lui est nuisible : ainsi, si l’air inflammable peut être respiré plusieurs fois de suite, sans danger pour l’individu et sans altération ni changement pour lui-même, concluons qu’à la vérité l’air inflammable n’est pas poison, mais qu’on ne peut pas le regarder comme un air essentiellement propre à la respiration : il en est du gaz hydrogène dans le poumon, comme de ces boules de mousse et de résine qu’avalent certains animaux pendant la saison rigoureuse de l’hiver ; ces boules ne se digèrent point puisque ces animaux les rendent au printemps, mais elles trompent la faim, et les membranes de l’estomac s’exercent sur elles sans danger, comme le tissu du poumon sur le gaz hydrogène qu’on lui présente.

C. Le gaz hydrogène n’est point combustible par lui-même : Ce gaz ne brûle que par le concours de l’oxigène : si on renverse un vase rempli de ce gaz, et qu’on lui présente une bougie allumée, on verra brûler le gaz hydrogène à la surface du bocal, et la bougie s’éteindra du moment qu’on la plongera dans l’intérieur. Les corps les plus inflammables, tels que le phosphore, ne brûlent point dans une atmosphère de gaz hydrogène.

D. Le gaz hydrogène est plus léger que l’air commun : un pied cube d’air atmosphérique pesant 720 grains, un pied cube de gaz hydrogène pese 72 grains. Le baromètre étant à 29.9, le thermomètre à 60, M. Kirwann a trouvé le poids de cet air à celui de l’air commun, comme 84 à 1000, conséquemment environ douze fois plus léger.

Sa pesanteur varie prodigieusement, parce qu’il est difficile de l’avoir constamment au même degré de pureté ; celui qu’on extrait des végétaux contient de l’acide carbonique et de l’huile qui en augmentent le poids.

Cette légèreté du gaz hydrogène a fait présumer à quelques physiciens qu’il devoit gagner la partie supérieure de notre atmosphère ; et sur cette supposition on s’est permis les plus belles conjectures sur l’influence que devoit avoir dans la météorologie une couche de ce gaz qui dominoit l’atmosphère ; ils n’ont point vu que cette continuelle déperdition de matière ne s’accorde point avec la sage économie de la nature ; ils n’ont point vu que ce gaz en s’élevant dans l’air, se combine avec d’autres corps, surtout avec l’oxigène, et qu’il en résulte de l’eau et autres produits dont la connoissance nous conduira nécessairement à celle de la plupart des météores.

C’est sur cette légèreté du gaz hydrogène qu’est fondée la théorie des ballons ou machines aérostatiques.

Pour qu’un ballon s’élève dans l’atmosphère, il suffit que le poids des enveloppes et de l’air qu’elles renferment soit moins considérable que celui d’un égal volume d’air atmosphérique, et il doit s’élever jusqu’à ce que son poids se trouve en équilibre avec celui d’un égal volume d’air ambiant.

La théorie des Montgolfières est très-différente de celle-là : dans ce cas-ci, on raréfie par la chaleur un volume donné d’air atmosphérique isolé de la masse commune par des enveloppes de toile : on peut donc un moment considérer cet espace raréfié comme une masse d’air plus léger, qui doit nécessairement faire effort pour s’élever dans l’atmosphère et entraîner avec lui ses enveloppes.

E. Le gaz hydrogène nous présente divers caractères selon son degré de pureté et la nature des substances qui lui sont mêlées.

Il est rare que ce gaz soit pur : celui que fournissent les végétaux contient de l’huile et de l’acide carbonique ; celui des marais est mêlé avec plus ou moins d’acide carbonique ; celui qui est fourni par la décomposition des pyrites tient quelquefois du soufre en dissolution.

La couleur de l’hydrogène enflammé varie selon ses mélanges : un tiers d’air des poumons mêlé avec l’air inflammable du charbon de terre donne une flamme de couleur bleue ; l’air inflammable ordinaire mêlé avec l’air nitreux fournit une flamme verte ; l’éther en vapeurs forme une flamme blanche. Le mélange varié de ces gaz, le degré de compression qu’on leur fait subir quand on les exprime pour les brûler, ont fourni à quelques Physiciens des feux très-agréables qui ont mérité l’attention des savans et des curieux.

F. Le gaz hydrogène a la propriété de dissoudre le soufre ; il contracte dans ce cas une odeur puante, et forme le gaz hépatique.

M. Gengembre a mis du soufre dans des cloches pleines de gaz hydrogène, et en a opéré la dissolution par le moyen du miroir ardent : ce gaz hydrogène a contracté par ce moyen toutes les propriétés caractéristiques du gaz hépatique.

La formation de ce gaz est presque toujours l’effet de la décomposition de l’eau : en effet, les sulfures alkalins n’exhalent aucune mauvaise odeur tant qu’ils sont secs ; mais du moment qu’ils s’humectent, il s’en dégage une odeur exécrable et il se forme du sulfate. Ces phénomènes nous prouvent que l’eau se décompose, qu’un de ses principes s’unit au soufre et le volatilise, tandis que l’autre se combine avec lui et forme un produit plus fixe.

On peut obtenir le gaz hydrogène sulfuré en décomposant les sulfures par les acides : les acides où l’oxigène est le plus adhérent en dégagent le plus ; le muriatique en produit deux fois plus que le sulfurique ; celui qui est produit par ce dernier donne une flamme bleue, celui qui est dégagé par le muriatique brûle avec une flamme d’un blanc jaunâtre.

Schéele nous a fourni le moyen d’obtenir ce gaz en abondance, en décomposant par l’esprit de vitriol une pyrite artificielle formée par trois parties de fer et une de soufre.

La décomposition naturelle des pyrites dans l’intérieur de la terre donne naissance à ce gaz qui s’échappe avec certaines eaux, et leur communique des vertus particulières.

Les propriétés les plus générales de ce gaz sont :

1°. De noircir les métaux blancs.

2°. D’être impropre à la respiration.

3°. De verdir le syrop de violettes.

4°. De brûler avec une flamme bleue et légère, et de déposer du soufre par cette combustion.

5°. De se mêler avec le gaz oxigène de l’air atmosphérique pour former de l’eau et de laisser échapper le soufre qu’il tenoit en dissolution ; de là vient qu’on trouve du soufre dans les conduits des eaux hépatiques, quoique leur analyse ne démontre pas l’existence d’un atome qui y soit tenu en dissolution.

6°. D’imprégner l’eau, de s’y dissoudre même en petite quantité, mais de se dissiper par la chaleur ou l’agitation.

L’air qui brûle à la surface de certaines sources et forme ce qu’on connoît sous le nom de fontaines ardentes, est du gaz hydrogène qui tient du phosphore en dissolution ; il sent le poisson pourri. Le P. Lampi a découvert une de ces sources sur les collines de Saint-Colombat.

Le Dauphiné nous en offre une semblable à quatre lieues de Grenoble. Les feux follets qui serpentent dans les cimetières, et que le peuple superstitieux prend pour l’image des revenans, sont des phénomènes de cette nature ; et nous en parlerons en traitant du phosphore.


CHAPITRE SECOND.

Du gaz oxigène ou air vital.


Cette substance gazeuse a été découverte par le célèbre Priestley le premier Août 1774 : depuis ce jour mémorable on a appris à la retirer de diverses substances, et on lui a reconnu des propriétés qui en font une des productions les plus intéressantes à connoître.

L’atmosphère ne présente nulle part l’air vital dans son plus grand degré de pureté, il y est toujours combiné, mêlé ou altéré par d’autres substances.

Mais cet air qui est l’agent le plus général des opérations de la nature, se combine avec les divers corps, et c’est par leur décomposition qu’on peut l’extraire et se le procurer.

Un métal exposé à l’air s’y altère, et ces altérations ne sont produites que par la combinaison de l’air pur avec le métal lui-même : la simple distillation de quelques-uns de ces métaux ainsi altérés ou oxidés suffit pour dégager cet air vital, et on l’obtient alors très-pur en le recevant dans l’appareil hydropneumatique ; une once de précipité rouge en fournit environ une pinte.

Les acides ont tous pour base l’air vital : il en est quelques-uns qui le cèdent facilement ; la distillation du salpêtre décompose l’acide nitrique, et on obtient environ douze mille pouces cubes de gaz oxigène par livre de ce sel ; l’acide nitrique distillé sur quelques substances se décompose, et on peut obtenir séparément ses divers principes constituans.

MM. Priestley, Ingenhousi, Sennebier, découvrirent, presque en même-temps, que les végétaux exposés au soleil exhaloient de l’air vital : nous parlerons ailleurs des circonstances de ce phénomène ; nous nous bornerons en ce moment à observer que l’émission de l’air vital est proportionnée à la vigueur de la plante et à la vivacité de la lumière, mais que l’émission directe des rayons du soleil n’est point nécessaire pour déterminer cette rosée gazeuse : il suffit qu’une plante soit bien éclairée pour qu’elle transpire l’air pur, car j’en ai recueilli souvent et abondamment d’une espèce de mousse qui tapisse le fond d’un bassin rempli d’eau, et si bien recouvert que le soleil n’y donne jamais directement.

Pour se procurer l’air vital qui se dégage des plantes, il suffit de les enfermer sous une cloche de verre pleine d eau et renversée sur une cuve remplie du même fluide : du moment que la plante est frappée par le soleil, il se forme sur les feuilles de petites bulles d’air qui se détachent, gagnent la partie supérieure des vases et en déplacent le liquide.

Cette rosée d’air vital est un bienfait de la nature qui répare sans cesse par ce moyen la déperdition qu’elle fait sans cesse de l’air vital : la plante absorbe la mofette atmosphérique et transpire de l’air vital ; l’homme au contraire se nourrit d’air pur et forme beaucoup de mofette : il paroît donc que l’animal et le végétal travaillent l’un pour l’autre ; et par cette admirable réciprocité de services, l’atmosphère est toujours réparée et l’équilibre entre les principes constituans toujours maintenu.

L’influence de la lumière solaire ne se borne point à produire de l’air vital par son action sur les seuls végétaux, elle a encore la singulière propriété de décomposer certaines substances et d’en extraire ce gaz.

Un flacon d’acide muriatique oxigéné exposé au soleil laisse échapper tout l’oxigène surabondant qu’il contient, et passe à l’état d’acide muriatique ordinaire ; le même acide exposé au soleil dans un flacon entouré de papier noir n’éprouve aucun changement, et chauffé dans un endroit obscur il se réduit en gaz sans se décomposer : l’acide nitrique fournit également du gaz oxigène quand on l’expose au soleil, tandis que la chaleur le volatilise sans le décomposer.

Le muriate d’argent mis sous l’eau et exposé au soleil laisse échapper du gaz oxigène : j’ai observé que le précipité rouge donnoit aussi de l’oxigène dans des cas semblables, et qu’il noircissoit en assez peu de temps.

On peut encore obtenir le gaz oxigène en le déplaçant de ses bases par le moyen de l’acide sulfurique ; le procédé que je préfère à tous par sa simplicité est le suivant : je prends une petite fiole à médecine, je mets dans cette bouteille une ou deux onces de manganèse et verse dessus de l’acide sulfurique en suffisante quantité pour former une pâte liquide, j’adapte ensuite un bouchon de liège à l’ouverture de la bouteille, ce bouchon est percé dans son milieu et est enfilé par un tube creux et recourbé, dont une extrémité plonge dans la capacité de la bouteille, tandis que l’autre va s’ouvrir sous la planche de la machine pneumato-chimique : l’appareil ainsi disposé, je présente un petit charbon au cul de la bouteille et le gaz oxigène se dégage dans le moment.

Le manganèse dont je me sers est celui que j’ai découvert à Saint- Jean-de-Gardonenque : il donne son oxigène avec une telle facilité qu’il suffit de le pétrir avec l’acide sulfurique pour le dégager. Ce gaz n’est pas mêlé sensiblement de gaz nitrogène (gaz azote) et la première bulle est aussi pure que la dernière.

Le gaz oxigène présente quelques variétés qui tiennent à son degré de pureté, et elles dépendent en général des substances qui le fournissent : celui qu’on retire des oxides mercuriels tient presque toujours en dissolution un peu de mercure ; je lui ai vu produire une prompte salivation sur deux personnes qui en faisoient usage pour des maladies de poitrine ; d’après ces observations, j’ai exposé à un froid vif des flacons remplis de ce gaz, et les parois se sont obscurcies d’une couche d’oxide de mercure très-divisé ; j’ai plusieurs fois chauffé le bain dans lequel je faisois passer le gaz, et j’ai obtenu dans ce cas, à deux reprises différentes, un précipité jaune dans le flacon dans lequel j’avois reçu le gaz.

Le gaz oxigène qu’on extrait des plantes n’est point aussi pur que celui que nous fournissent les oxides métalliques ; mais de quelques substances qu’on le retire ses propriétés générales sont les suivantes.

A. Ce gaz est plus pesant que l’air atmosphérique. Le pied cube d’air atmosphérique pesant 720 grains, le pied cube d’air pur pèse 765. Selon M. Kirwann son poids est à celui de l’air commun comme 1103 à 1000. 116 pouces de cet air ont pesé 39,09 grains, 116 pouces air commun 35,38. À la température de 10 degrés de Réaumur et à 28 pouces de pression, 100 parties air commun pèsent 46,00, 100 parties air vital 50,00.

B. Le gaz oxigène est le seul propre à la combustion : cette vérité reconnue lui a fait donner le nom d’air du feu par le célèbre Schéele.

Pour procéder avec plus d’ordre dans l’examen d’une des fonctions les plus importantes du gaz oxigène, puisqu’elle lui appartient exclusivement, nous poserons les quatre principes suivans comme des résultats incontestables de tous les faits connus.

Premier principe. Il n’y a jamais de combustion sans air vital.

Second principe. Il y a absorption d’air vital dans toute combustion.

Troisième principe. Dans les produits de la combustion il y a une augmentation de poids égale à la quantité d’air vital absorbée.

Quatrième principe. Dans toute combustion il y a dégagement de chaleur et de lumière.

1°. La première de ces proportions est d’une vérité rigoureuse : le gaz hydrogène ne brûle lui-même que par le concours de l’oxigène, et toute combustion cesse du moment que le gaz oxigène manque.

2°. Le second principe n’est pas d’une vérité moins générale : si on brûle certains corps, tels que le phosphore, le soufre, etc. dans du gaz oxigène bien pur, il est absorbé jusqu’à la dernière goutte ; et lorsque la combustion s’opère dans un mélange de plusieurs gaz, le seul oxigène est absorbé et les autres n’éprouvent pas de changement.

Dans les combustions les plus lentes, telles que la rancidité des huiles, l’oxidation des métaux, il y a également absorption d’oxigène, comme on peut s’en convaincre en isolant ces corps dans un volume d’air déterminé.

3°. Le troisième principe, quoiqu’aussi vrai, a besoin d’être développé : et à cet effet, nous distinguerons les combustions dont le résultat, le résidu et le produit sont fixes, de celles dont les effets sont des substances volatiles et fugaces : dans le premier cas, le gaz oxigène se combine tranquillement avec le corps ; et en pesant le même corps du moment que la combinaison est faite, on juge aisément si l’accrétion en pesanteur est en rapport avec l’oxigène absorbé ; c’est ce qui arrive dans tous les cas où les métaux s’oxident, les huiles rancissent, et dans la production de certains acides, tels que le phosphorique, le sulfurique, etc. : dans le second cas, il est plus difficile de peser tous les résultats de la combustion, et de constater par conséquent si l’accrétion en pesanteur est en raison de la quantité d’air absorbée ; néanmoins, si la combustion se fait sous des cloches et qu’on recueille tous les produits, on verra que leur augmentation en poids est dans un rapport rigoureux avec l’air absorbé.

4°. Le quatrième principe est celui dont les applications sont les plus intéressantes à connoître.

Dans la plupart des combustions, le gaz oxigène se fixe et se concret : il abandonne donc le calorique qui le tenoit à l’état aériforme, et ce calorique devenu libre produit de la chaleur et cherche à se combiner avec les substances qui sont à portée.

Le dégagement de chaleur est donc un fait constant dans tous les cas où l’air vital se fixe dans les corps : et il suit de ce principe, 1°. que la chaleur réside éminemment dans le gaz oxigène qui sert à la combustion ; 2°. que plus il y aura d’oxigène absorbé dans un temps donné plus forte sera la chaleur ; 3°. que le seul moyen de produire une chaleur violente est de brûler les corps dans l’air le plus pur ; 4°. que le feu et la chaleur doivent être d’autant plus intenses que l’air est plus condensé ; 5°. que les courans d’air sont nécessaires pour entretenir et hâter la combustion ; c’est sur ce dernier principe qu’est fondée la théorie des effets des lampes à cylindre : le courant d’air qui s’établit par le tuyau renouvelle l’air à chaque instant, et en appliquant continuellement à la flamme une nouvelle quantité de gaz oxigène on détermine une chaleur suffisante pour incendier et détruire la fumée.

C’est encore à ces mêmes principes qu’on doit rapporter la grande différence qui existe entre la chaleur produite par une combustion lente et celle qui est produite par une combustion rapide ; dans le dernier cas on produit dans une seconde la même chaleur et la même lumière qui auroient été produites dans un temps très-long.

Les phénomènes de la combustion à l’aide du gaz oxigène tiennent encore aux mêmes loix. Le Professeur Lichtenberger de Gottingue a soudé une lame de canif avec un ressort de montre par le moyen du gaz oxigène.

MM. Lavoisier et Erhmann ont soumis presque tous les corps connus à l’action d’un feu alimenté par le seul gaz oxigène, et ont obtenu des effets que le miroir ardent n’avoit pas pu opérer.

M. Ingenhousz nous a appris qu’en roulant un fil de fer en spirale, et mettant un corps quelconque embrasé à un des bouts, on pouvoit le fondre en le plongeant dans le gaz oxigène.

M. Forster de Gottingue a vu que la lumière des vers luisans est si belle et si claire dans le gaz oxigène qu’un seul suffit pour lire les annonces savantes de Gottingue imprimées en très-petit caractère. Il ne s’agissoit plus que de pouvoir appliquer l’air vital à la combustion avec aisance et économie ; et c’est à quoi est parvenu M. Meusnier qui a fait construire un appareil simple et commode : on peut consulter à ce sujet le traité de la fusion par M. Erhmann.

On peut voir encore la description du gazomètre dans le traité élémentaire de chimie par M. Lavoisier.

Nous distinguerons trois états dans l’acte même de la combustion : l’ignition, l’inflammation et la détonnation.

L’ignition a lieu lorsque le corps combustible n’est pas dans l’état aériforme, ni susceptible de prendre cet état par la simple chaleur de la combustion : c’est ce qui arrive lorsqu’on brûle du charbon bien fait.

Lorsque le corps combustible est présenté au gaz oxigène sous forme de vapeurs ou de gaz, il en résulte de la flamme, et la flamme est d’autant plus considérable que le corps combustible est plus volatil. La flamme d’une bougie n’est entretenue que par la volatilisation de la cire qui s’opère à chaque instant par la chaleur de la combustion.

La détonnation est une inflammation prompte et rapide, qui occasionne du bruit par le vide qui se forme instantanément. La plupart des détonnations sont produites par le mélange du gaz hydrogène avec l’oxigène, comme je l’ai fait voir en 1781 dans mon mémoire sur les détonnations. Il a été prouvé, depuis cette époque, que le produit de la combustion rapide de ces deux gaz étoit de l’eau. On peut produire de très-fortes détonnations en embrasant un mélange d’une partie de gaz oxigène et de deux d’hydrogène : l’effet peut être rendu plus terrible encore, en faisant passer le mélange dans l’eau de savon et enflammant les bulles lorsqu’elles sont amoncelées à la surface du liquide.

La chimie nous présente phi sieurs cas dans lesquels la détonnation est due à la formation subite de quelque substance gazeuse, telle est celle qui est produite par l’inflammation de la poudre à canon ; car dans ce cas, il y a production subite d’acide carbonique, de gaz nitrogène, etc. La production ou la création instantanée d’un gaz quelconque doit produire une secousse et un ébranlement dans l’atmosphère qui déterminent nécessairement une explosion : l’effet de ces explosions s’accroît et se fortifie par tous les obstacles qu’on oppose à l’effort des gaz qui cherchent à s’échapper.

C. Le gaz oxigène est le seul gaz propre à la respiration : c’est cette propriété très-éminente qui lui a mérité le nom d’air vital, et nous employerons de préférence cette dénomination dans cet article.

On sait depuis long-temps que les animaux ne peuvent pas vivre sans le secours de l’air ; mais les phénomènes de la respiration n’ont été connus que bien imparfaitement jusqu’à nos jours.

De tous les auteurs qui ont écrit sur la respiration, les anciens sont ceux qui en ont eu l’idée la plus exacte : Ils admettoient dans l’air un principe propre à nourrir et à entretenir la vie qu’ils ont désigné par le nom de pabulum vitæ ; et Hippocrate nous dit expressément spiritus etiam alimentum est ; Cette idée qui n’étoit liée à aucune hypothèse a été successivement remplacée par des systèmes dénués de tout fondement : tantôt on a considéré l’air dans le poumon comme un aiguillon (stimulus) sans cesse agissant qui entretenoit la circulation, V. Haller ; tantôt on a regardé le poumon comme un soufflet destiné à raffraîchir le corps incendié par mille causes imaginaires ; et lorsqu’on s’est convaincu que le volume de l’air diminuoit dans le poumon, on a cru avoir tout expliqué en disant que l’air perdoit son ressort.

Il nous est permis aujourd’hui de jeter quelque jour sur une des fonctions les plus importantes du corps humain ; nous la réduirons à quelques principes pour procéder avec plus de clarté.

1°. Nul animal ne peut vivre sans le secours de l’air : c’est un fait généralement reconnu ; mais on ne sait que depuis peu que la faculté qu’a l’air de servir à la respiration n’est due qu’à un des principes de l’air atmosphérique connu sous le nom d’air vital.

2°. Tous les animaux ne demandent pas la même pureté dans l’air : l’oiseau l’exige très-pur de même que l’homme et la plupart des quadrupèdes ; mais ceux qui vivent dans la terre, ceux qui s’amoncèlent et se pelotonent pendant l’hiver, s’accommodent d’un air moins pur.

3°. La manière de respirer l’air est différente dans les divers sujets : en général la nature a doué les animaux d’un organe qui, par sa dilatation et sa contraction involontaires, reçoit et expulse le fluide dans lequel il se meut. Cet organe est plus ou moins parfait, plus ou moins caché et garanti de tout choc et événement, selon son importance et son influence sur la vie, comme l’a observé M. Broussonet.

Les amphybies respirent à l’aide des poumons ; mais ils peuvent suspendre leur mouvement, même lorsqu’ils sont dans l’air, comme je l’ai observé sur des grenouilles qui arrêtent la respiration à volonté.

La manière de respirer des poissons est très-différente : ces animaux viennent de temps en temps humer l’air à la surface de l’eau, en remplissent leur vésicule, et le digèrent ensuite à leur aise. J’ai suivi pendant long-temps les phénomènes que présentent les poissons dans l’acte de la respiration, et me suis assuré qu’ils sont sensibles à l’action de tous les gaz comme les autres animaux. M. de Fourcroy a observé que l’air contenu dans la vésicule de la carpe est du gaz nitrogène (azote).

L’insecte à trachées nous présente des organes plus éloignés des nôtres par la conformation : chez lui la respiration s’opère par des trachées distribuées le long du corps, elles accompagnent tous les vaisseaux, et finissent par se perdre en pores insensibles à la surface de la peau.

Ces insectes me paroissent offrir plusieurs points d’analogie bien frappans avec les végétaux. 1°. Les organes respiratoires sont conformés de la même manière ; ils sont disposés sur tout le corps du végétal et de l’animal. 2°. Les insectes n’exigent pas une grande pureté dans l’air, et les plantes se nourrissent de mofette atmosphérique. 3°. Ils transpirent l’un et l’autre de l’air vital. M. l’Abbé Fontana a trouvé plusieurs insectes dans les eaux stagnantes, qui exposés au soleil donnent de l’air vital : et cette matière verte qui se forme dans les eaux stagnantes, que M. Priestley a placée parmi les conferves, d’après le témoignage de son ami M. Bewly, que M. Sennebier a cru être la conferva cespitosa filis rectis undique divergentibus, Halleri, et qui a paru à M. Ingenhousz n’être qu’une ruche d’animalcules, donne une prodigieuse quantité d’air vital lorsqu’on l’expose au soleil. 4°. Les insectes fournissent encore à l’analyse des principes analogues à ceux des plantes, tels que des résines, des huiles volatiles, etc.

Le P. Vanière paroît avoir connu et exprimé très-élégamment la propriété qu’ont les végétaux de se nourrir d’air vital.

...... Arbor enim (res non ignota) ferarum
Instar et halituum piscisque latentis in imo
Gurgite vitales et reddit et accipit auras.

Pradium rusticum, L. VI.

Les animaux à poumon ne respirent qu’en raison de l’air vital qui les environne. Un gaz quelconque privé de ce mélange est dès ce moment impropre à la respiration, et cette fonction s’exerce avec d’autant plus de liberté que l’air vital est en plus grande proportion dans l’air qu’on respire.

M. le Comte Morozzo mit successivement plusieurs moineaux adultes sous une cloche de verre qui plongeoit dans l’eau, et qui fut remplie d’abord d’air atmosphérique et puis d’air vital, et il observa que,

1°. dans l’air atmosphérique,

Le premier moineau vécut 
3 heures.
Le second 
0 h. 3 m.
Le troisième 
0 h. 1 m.

L’eau monta dans la cloche, de 8 lignes pendant la vie du premier, de 4 pendant la vie du second, et le troisième ne produisit aucune absorption.

2°. Dans l’air vital,

Le premier moineau a vécu 
5 h. 23 m.
Le second 
2 h. 10 m.
Le troisième 
1 h. 30 m.
Le quatrième 
1 h. 10 m.
Le cinquième 
0 30 m.
Le sixième 
0 47 m.
Le septième 
0 27 m.
Le huitième 
0 30 m.
Le neuvième 
0 22 m.
Le dixième 
0 21 m.

De ces expériences on peut conclure 1°. qu’un animal vit plus long-temps dans l’air vital que dans l’air atmosphérique ; 2°. qu’un animal vit dans un air où un autre est mort ; 3°. qu’indépendamment de la nature de l’air, il faut avoir égard à la constitution des animaux, puisque le sixième a vécu 47 minutes et le cinquième 30 seulement ; 4°. qu’il y a absorption d’air ou production d’un nouveau gaz, que l’eau absorbe puisqu’elle monte.

Il nous reste à présent à examiner quels sont les changemens que produit la respiration, 1°. dans l’air, 2°. dans le sang.

1°. Le gaz rendu par l’expiration est un mélange de gaz nitrogène, d’acide carbonique et d’air vital. Si on fait passer l’air qui sort des poumons à travers l’eau de chaux, elle se trouble ; si on le reçoit à travers la teinture de tournesol, elle rougit ; et si on substitue de l’alkali pur à la teinture de tournesol, il devient effervescent.

Lorsqu’on s’est emparé de l’acide carbonique par les procédés ci-dessus, ce qui reste est un mélange de gaz nitrogène et d’air vital : on y démontre l’air vital par le moyen de l’air nitreux : de l’air dans lequel j’avois fait périr cinq moineaux m’a donné 17 centièmes d’air vital. Après avoir ainsi dépouillé l’air expiré de tout l’air vital et de tout l’acide carbonique, il ne reste que le gaz nitrogène.

On a observé que les frugivores vicioient moins l’air que les carnivores.

Il y a absorption d’une portion d’air dans la respiration : Borelli s’en étoit déjà apperçu ; et le Docteur Jurin avoir calculé qu’un homme inspiroit 40 pouces d’air dans les inspirations moyennes, et que dans les plus grandes il pouvoit en recevoir 220 pouces, mais qu’il y en avoir toujours une portion d’absorbée. Le cél. Hales chercha à déterminer plus rigoureusement cette absorption, et il l’évalua à du total de l’air respiré, mais il ne la porta qu’à , par rapport aux erreurs qu’il croyoit pouvoir s’être glissées ; or l’homme respire 20 fois par minute, il absorbe 40 pouces cubes d’air à chaque inspiration, il en absorbera donc 48000 par heure, qui divisés par 136 donnent environ 353 pouces d’air absorbés et perdus par heure. Le procédé de Hales n’est pas rigoureux, puisqu’il faisoit passer l’air expiré à travers l’eau qui devoit en retenir une portion sensible.

D’après des expériences plus exactes, M. de la Metherie a prouvé que dans une heure on absorboit 360 pouces cubes d’air vital.

Mes expériences ne m’ont pas présenté, à beaucoup près, une déperdition aussi forte.

Ce fait nous permet de concevoir la facilité avec laquelle un air est vicié du moment qu’il est respiré et qu’il n’est pas renouvelé, et nous explique pourquoi l’air des salles de spectacles est en général si mal sain.

II°. Le premier effet que paroît produire l’air sur le sang, c’est de lui donner une couleur vermeille : si on expose du sang veineux noirâtre dans une atmosphère d’air pur, le sang devient vermeil à la surface ; on observe journellement ce phénomène, lorsque le sang reste exposé à l’air dans une palette. L’air qui a séjourné sur le sang éteint les bougies et précipite l’eau de chaux.

L’air injecté dans l’espace d’une veine déterminé par deux ligatures rend le sang plus vermeil, d’après les belles expériences de M. Hewson.

Le sang qui revient du poumon est plus vermeil, d’après les observations de MM. Cigna, Hewson, etc. de-là la plus grande intensité du sang artériel sur le sang veineux.

M. Thouvenel a prouvé qu’en pompant l’air qui repose sur le sang, on le décolore de nouveau.

M. Beccaria a exposé du sang dans le vide, il y est resté noir, et a pris la plus belle couleur vermeille dès qu’il a été de nouveau exposé à l’air. M. Cigna a couvert du sang avec de l’huile et il a conservé sa couleur noire.

M. Priestley a fait passer successivement le sang d’un mouton dans l’air vital, l’air commun, l’air méphitique, etc. et il a trouvé que les parties les plus noires prenoient une couleur rouge dans l’air respirable, et que l’intensité de couleur étoit en raison de la quantité d’air vital. Le même Physicien a rempli une vessie de sang et l’a exposée à l’air pur, la partie qui touchoit la surface de la vessie est devenue rouge, tandis que l’intérieur est resté noir : il y a donc absorption d’air, comme lorsque le contact est immédiat.

Tous ces faits prouvent incontestablement que la couleur vermeille que prend le sang dans le poumon est due à l’air pur qui se combine avec lui.

La couleur vermeille du sang est donc un premier effet du contact, de l’absorption et de la combinaison de l’air pur avec le sang.

Le second effet de la respiration, c’est d’établir un véritable foyer de chaleur dans le poumon, ce qui est bien opposé à l’idée précaire et ridicule de ceux qui ont regardé le poumon comme un soufflet destiné à raffraîchir le corps humain.

Deux célèbres Physiciens Hales et Boërhaave avoient observé que le sang acquéroit de la chaleur en passant par le poumon, et des Phisiologistes modernes ont évalué cette augmentation de chaleur à .

La chaleur dans chaque classe d’individus est proportionnée au volume des poumons, selon MM. de Buffon et Broussonet.

Les animaux à sang froid n’ont qu’une oreillette et un ventricule, comme l’avoit observé Aristote.

Les personnes qui respirent l’air vital pur, s’accordent à dire qu’elles ressentent une douce chaleur qui vivifie le poumon et s’étend insensiblement de la poitrine dans tous les membres.

Les faits anciens et modernes se réunissent donc à prouver qu’il existe réellement un foyer de chaleur dans le poumon, et qu’il est entretenu et alimenté par l’air de la respiration : il nous est possible d’expliquer tous ces phénomènes : en effet, dans la respiration il y a absorption d’air vital ; on peut donc considérer la respiration comme une opération par laquelle l’air vital passe continuellement de l’état gazeux à l’état concret ; il doit donc abandonner à chaque instant la chaleur qui le tenoit en dissolution et à l’état de gaz ; cette chaleur produite à chaque inspiration doit être proportionnée au volume des poumons, à l’activité de cet organe, à la pureté de l’air, à la rapidité des inspirations, etc, il s’ensuit de-là que pendant l’hiver la chaleur produite doit être plus forte, parce que l’air est plus condensé et présente plus d’air vital sous le même volume : par la même raison la respiration doit produire plus de chaleur dans les personnes du nord, et c’est une des causes que la nature a préparées pour tempérer et balancer sans cesse le froid extrême de ces climats : il s’ensuit encore que les poumons des asthmatiques doivent moins digérer l’air ; et je me suis assuré qu’ils rendent l’air sans le vicier, ce qui fait que leur complexion est froide et le poumon sans cesse languissant ; l’air vital leur convient donc à merveille. On conçoit aisément, d’après ces principes, pourquoi la chaleur est proportionnée au volume des poumons, pourquoi les animaux qui n’ont qu’une oreillette et un ventricule sont des animaux à sang froid, etc.

Les phénomènes de la respiration sont donc les mêmes que ceux de la combustion.

L’air vital en se combinant avec le sang y forme de l’acide carbonique, qu’on peut considérer comme un anti-putride tant qu’il est dans le torrent de la circulation, et qui est ensuite poussé au dehors à travers les pores de la peau, d’après les expériences de M. le Comte de Milly et les observations de M. Fouquet.

L’air vital a été employé avec succès dans quelques maladies du corps humain : on connoît les observations de M. Caillens qui l’a fait respirer avec le plus grand succès à deux personnes affectées de phthisie. J’ai été moi-même témoin d’un merveilleux effet de cet air dans un cas semblable : M. de B. étoit au dernier période d’une phthisie confirmée ; foiblesse extrême, sueur, flux de ventre, tout annonçoit une mort prochaine : un de mes amis M. de P. le mit à l’usage de l’air vital, le malade le respiroit avec délectation, il le demandoit avec l’ardeur d’un nourrisson qui désire le lait de sa nourrisse, il éprouvoit dès qu’il le respiroit une chaleur bienfaisante qui se répandoit par tous ses membres ; ses forces se rétablirent à vue d’œil, et en six semaines il fut en état de fournir à de longues promenades ; ce bien être dura six mois, mais après cet intervalle il rechûta, il ne put plus avoir recours à l’usage de l’air vital parce que M. de P. étoit parti pour Paris, et il mourut. Je suis bien éloigné de penser que la respiration de l’air vital puisse être employée dans ce cas comme un spécifique ; bien plus je doute que cet air actif convienne dans ces circonstances, mais il inspire de la gaieté, contente le malade, et, dans les cas désespérés, c’est assurément un remède précieux que celui qui répand des fleurs sur les bords de notre tombe, et nous prépare de la manière la plus douce à franchir ce pas effrayant.

L’usage absolu de l’air vital dans la respiration, fait qu’on peut en tirer des principes positifs sur la manière de purifier l’air corrompu d’un endroit quelconque : on peut y parvenir par trois moyens ; le premier consiste à corriger l’air vicié par le secours des substances qui peuvent s’emparer des principes délétères ; le second, à déplacer l’air corrompu et à lui substituer de l’air frais, c’est ce que l’on fait par les ventilateurs, l’agitation des portes, etc. ; le troisième, à verser dans l’atmosphère méphitisée une nouvelle quantité d’air vital.

Les procédés employés pour purifier l’air corrompu ne sont pas tous d’un effet assuré : les feux qu’on emploie n’ont d’autre avantage que d’établir des courans et de brûler les miasmes mal-sains ; et les parfums ne font que masquer la mauvaise odeur sans rien changer à la nature de l’air, d’après les expériences de M. Achard.


CHAPITRE TROISIÈME.

Du gaz nitrogène, gaz azote ou mofette atmosphérique.


On savoit depuis long-temps que l’air qui a servi à la combustion et à la respiration n’est plus propre à ces usages. Cet air ainsi corrompu a été connu sous les noms d’air phlogistiqué, d’air méphitique, de mofette atmosphérique, etc. Je l’appelle gaz nitrogène, d’après les raisons que j’ai développées dans le discours préliminaire.

Mais ce résidu de la combustion ou de la respiration est toujours mêlé avec un peu d’air vital et d’acide carbonique, dont il faut le débarrasser pour avoir ce gaz nitrogène dans son état de pureté.

Pour obtenir le gaz nitrogène très-pur, on connoît plusieurs moyens qu’on peut employer.

1°. Schéele nous a appris qu’en exposant du sulfure d’alkali dans un vase rempli d’air atmosphérique, l’air vital est absorbé, et lorsque l’absorption est complète le gaz nitrogène reste pur.

En exposant un mélange de fer et de soufre pétris ensemble avec de l’eau, sur du mercure dans l’air atmosphérique, M. Kirwan a obtenu un gaz nitrogène si pur qu’il n’éprouvoit aucune diminution par le gaz nitreux ; il en pompe toute l’humidité en introduisant plusieurs fois du papier à filtrer dans la jarre qui le contient ; il faut avoir l’attention de retirer cet air de dessus la pâte qui le fournit, sans quoi il se mêleroit avec du gaz hydrogène qui se dégage.

2°. Lorsque par des moyens quelconques, tels que l’oxidation des métaux, la rancidité des huiles, la combustion du phosphore, etc. on s’empare de l’air vital, le résidu est le gaz nitrogène.

Tous ces procédés fournissent des moyens plus ou moins rigoureux, pour déterminer dans quelle proportion se trouvent l’air vital et le gaz nitrogène dans la composition de l’air atmosphérique.

3°. On peut encore se procurer cette mofette, en traitant à l’appareil hydropneumatique par l’acide nitrique la chair musculaire ou la partie fibreuse du sang bien lavée : mais il faut observer que les matières animales soient bien fraîches, car, si elles commencent à être altérées par la fermentation, elles fournissent de l’acide carbonique mêlé avec le gaz nitrogène.

A. Ce gaz est impropre à la respiration et à la combustion.

B. Les plantes vivent dans cet air et y végètent librement.

C. Ce gaz se mêle avec les autres airs sans s’y combiner.

D. Il est plus léger que l’air atmosphérique. Le baromètre marquant 30,46, le thermomètre Far. 60, le poids du gaz nitrogène est à celui de l’air commun comme 985 à 1000.

E. Mêlé avec l’air vital dans la proportion de 72 sur 28, il constitue notre atmosphère : les autres principes que l’analyse démontre dans l’atmosphère n’y sont qu’accidentellement et leur existence n’y est pas nécessaire.


SECTION SIXIÈME.


Du mélange des gaz nitrogène et oxigène, ou de l’air atmosphérique.


Les substances gazeuzes dont nous venons de parler existent rarement seules et isolées ; la nature nous les présente par-tout dans un état de mélange ou dans un état de combinaison : dans le premier cas, ces gaz conservent leur état aériforme ; dans le second, ils forment assez constamment des corps fixes et solides. La nature dans ses diverses décompositions réduit presque tous les principes en gaz, ces nouvelles substances s’unissent entr’elles, se combinent, et il en résulte des composés assez simples dans le principe, mais qui se compliquent par des mélanges et des combinaisons ultérieures. Nous pouvons suivre pas à pas toutes les opérations de la nature, en nous conformant au plan que nous avons adopté.

Le mélange d’environ 72 parties de gaz nitrogène et de 28 oxigène forme cette masse de fluide dans laquelle nous vivons : ces deux principes sont si bien mêlés, et chacun d’eux est tellement nécessaire à l’entretien des diverses fonctions des individus qui vivent ou végètent sur ce globe, qu’on ne les a pas trouvés encore séparés et isolés.

Les proportions de ces deux gaz varient dans le mélange qui forme l’atmosphère, mais cette différence ne peut se déduire que des causes purement locales, et la proportion la plus ordinaire est celle que nous venons d’établir.

Les propriétés caractéristiques de l’air vital se trouvent modifiées par celles du gaz nitrogène, et ces modifications paroissent même nécessaires : car si nous respirions l’air vital dans son état de pureté, il useroit promptement notre vie ; et cet air vierge ne nous convient pas plus que l’eau distillée : la nature ne paroît pas nous avoir destinés à faire usage de ces principes dans leur plus grand degré de perfection.

L’air atmosphérique s’élève à plusieurs lieues par-dessus nos têtes, et remplit les souterrains les plus profonds : il est invisible, insipide, inodore, pesant, élastique, etc. C’étoit la seule substance gazeuse qu’on connût avant l’époque actuelle de la chimie, et l’on attribuoit toujours à des modifications de l’air les nuances infinies que présentoient tous les fluides invisibles que l’observation offroit si souvent aux Physiciens. Presque tout ce qui a été écrit sur l’air ne considère que les propriétés physiques de cette substance ; nous nous bornerons à en indiquer les principales.

A. L’air est un fluide d’une raréfaction extrême ; il obéit au moindre mouvement ; la plus légère percussion le dérange, et son équilibre sans cesse rompu cherche sans cesse à se rétablir.

Quoique très-fluide, il trouve de la difficulté à passer par où des liquides plus grossiers pénètrent aisément ; c’est ce qui a engagé les Physiciens à supposer ses parties rameuses.

B. L’air atmosphérique est invisible : il refrange les rayons de lumière sans les réfléchir, et c’est sans des preuves suffisantes que quelques Physiciens ont pensé que ses grandes masses étoient bleues.

Il paroît que l’air est inodore par lui-même ; mais il est le véhicule des parties odorantes.

On peut le regarder comme insipide ; et si son contact nous affecte diversement, nous ne devons l’attribuer qu’à ses qualités physiques.

C. Ce n’est que vers le milieu du dernier siècle qu’on a constaté sa pesanteur par des expériences rigoureuses : l’impossibilité de soutenir l’eau à plus de 32 pieds, fit soupçonner à Toricelli qu’une cause extérieure soutenoit ce liquide à cette hauteur, et que ce n’étoit point l’horreur du vide qui précipitoit l’eau dans les tuyaux des pompes. Ce cél. Physicien remplit de mercure un tube bouché par une de ses extrêmités, il le renversa sur une cuvette pleine de ce même métal, et vit le mercure s’arrêter constamment à 28 pouces après plusieurs oscillations ; il vit dans le moment que les différences dans les hauteurs répondoient à la pesanteur relative des deux fluides, qui est dans le rapport de 14 à 1 : l’immortel Paschal prouva, quelque temps après, que c’étoit la colonne d’air atmosphérique qui soutenoit les liquides à cette élévation, et s’assura que la hauteur varioit selon la longueur de la colonne qui presse.

D. L’élasticité de l’air est une des propriétés sur lesquelles la physique a le plus travaillé, et on en a même tiré un parti très-avantageux dans les arts.


SECTION SEPTIÈME.


De la combinaison des gaz oxigène & hydrogène formant de l’eau.


L’eau a été long-temps regardée comme un principe élémentaire ; et lorsque des expériences rigoureuses ont forcé les Chimistes à la classer parmi les substances composées, on a éprouvé de toutes parts une résistance et une insurrection qu’on n’avoit pas manifestées, lorsque l’air, la Terre et autres matières réputées élémentaires ont subi la même révolution. Il me paroît néanmoins que son analyse est aussi rigoureuse que celle de l’air : on la décompose par plusieurs procédés, on la forme par la combinaison de l’oxigène et de l’hydrogène, et nous voyons se réunir les phénomènes de la nature et de l’art pour nous convaincre des mêmes vérités. Que faut-il de plus pour nous acquérir une pleine certitude sur un fait physique ?

L’eau est contenue en plus ou moins grande quantité dans les corps, et on peut l’y considérer sous deux états : elle y est, ou dans l’état d’un simple mélange, ou dans un état de combinaison : dans le premier cas, elle rend les corps humides, elle est sensible à l’œil, et peut être dégagée avec la plus grande facilité ; dans le second, elle ne présente aucun caractère qui annonce qu’elle y est à l’état de mélange, elle est sous cette forme dans les crystaux, les sels, les plantes, les animaux, etc. C’est cette eau que le cél. Bernard de Palissy a appellée eau générative, et dont il a fait un cinquième élément pour la distinguer de l’eau exhalative.

L’eau combinée dans les corps concourt à leur donner la dureté et la transparence : les sels et la plupart des crystaux pierreux perdent leur diaphanéité en perdant leur eau de crystallisation.

Quelques corps doivent à l’eau leur fixité : les acides, par exemple, n’acquèrent de la fixité qu’en se combinant avec l’eau.

Sous ces divers points de vue, l’eau peut être considérée comme le ciment général de la nature : les pierres et les sels qui en sont privés deviennent pulvérulens ; et l’eau facilite le rapprochement, la réunion et la consistance des débris de pierres, de sels, etc. comme nous le voyons dans les opérations qu’on fait sur les plâtres, les luts, les mortiers, etc.

L’eau dégagée de ses combinaisons, et mise dans un état de liberté absolue, joue un des premiers rôles dans les opérations de ce globe : elle concourt à la formation et à la décomposition de tous les corps du règne minéral ; elle est nécessaire à la végétation et au libre exercice du plus grand nombre des fonctions du corps animal, et elle en hâte et facilite la destruction dès que ces êtres ne sont plus animés du principe de vie.

On a cru pendant quelque temps que c’étoit une terre fluide : la distillation, la trituration et la putréfaction de l’eau qui laissoient toujours un résidu terreux, ont fait croire à sa conversion en terre : on peut consulter a ce sujet Walierius et Margraaf ; mais M. Lavoisier a fait voir que cette terre provenoit du detritus des vaisseaux ; et le cél. Schéele a démontré l’identité de la nature de cette terre avec celle des vaisseaux de verre dans lesquels se faisoient ces opérations ; de sorte que les opinions sont fixées aujourd’hui à cet égard.

Pour prendre une idée exacte d’une substance aussi essentielle à connoître, nous considérerons l’eau sous ses trois états différens, de solide, de liquide et de gaz.


ARTICLE PREMIER.

De l’eau à l’état de glace.


La glace est l’état naturel de l’eau, puisqu’elle y est dépourvue d’une portion du calorique, avec lequel elle est combinée lorsqu’elle se présente sous forme liquide ou gazeuse.

La conversion de l’eau en glace nous offre quelques phénomènes assez constans.

A. Le premier de tous, et en même temps le plus extraordinaire, c’est une production sensible de chaleur dans le moment que l’eau passe à l’état solide : les expériences de MM. Farheneit, Treiwald, Baumè, de Ratte ne laissent aucun doute à ce sujet : de sorte que l’eau est plus froide au moment qu’elle se gèle que la glace elle-même.

Une agitation légère du fluide facilite sa conversion en glace, à-peu-près comme le plus léger mouvement détermine assez souvent la crystallisation de certains sels : cela tient, peut-être, à ce que, par ce moyen, on exprime et on dégage le calorique interposé qui s’opposoit à la production du phénomène ; ce qui paroît le prouver, c’est que le thermomètre monte, dès le même instant, selon Farheneit.

B. L’eau glacée occupe plus de volume que l’eau fluide : nous devons les preuves de cette vérité à l’Académie del Cimento, qui a vu des bombes et les corps les plus durs remplis d’eau se briser en éclats par la congélation de ce fluide : le tronc des arbres se partage et se divise avec fracas dès que la sève s’y gèle : les pierres se fendent du moment que l’eau dont elles sont imprégnées passe à l’état de glace.

C. La glace ne paroît être qu’une crystallisation confuse : M. de Mayran a vu les aiguilles de glace s’unir sous un angle de 60 ou de 120 degrés.

M. Pellettier a trouvé dans un morceau de glace fistuleux des crystaux en prismes quadrangulaires aplatis terminés par deux sommets dihèdres.

M. Sage observe que, si l’on rompt une masse de glace qui contienne de l’eau dans son centre, celle-ci s’écoule, et l’on trouve la cavité tapissée de beaux prismes tétraèdres terminés par des pyramides à quatre pans ; souvent ces prismes sont articulés et croisés. V. M. Sage, analyse chimique, t. 1, p. 77.

M. Macquart a observé que quand la neige tombe à Moscou, et que l’atmosphère n’est pas trop sèche, on la voit chargée de charmantes crystallisations aplaties régulièrement, et aussi minces qu’une feuille de papier, c’est une réunion de fibres qui partent du même centre pour former six principaux rayons qui se divisent eux-mêmes en petits faisseaux extrêmement brillans ; il a vu beaucoup de ces rayons aplatis qui avoient dix lignes de diamètre.

D. En passant de l’état solide à l’état liquide, il se produit du froid par l’absorption d’une portion de chaleur : c’est ce qui est confirmé par les belles expériences de Wilke.

Cette production du froid par la fonte de la glace, est encore prouvée par l’usage où sont les limonadiers de fondre certains sels avec la glace pour déterminer un froid sous 0.

La glace présente en plusieurs endroits de grandes masses qui sont connues sous le nom de glaciers : certaines montagnes en sont constamment couvertes, et les mers du sud en sont surchargées : la glace formée par l’eau salée produit de l’eau douce par sa dissolution ou sa fonte, et dans quelques Provinces du nord on concentre l’eau de la mer par la gelée pour rapprocher le sel qui y est dissous ; j’ai vu également se précipiter plusieurs sels métalliques, en exposant leurs dissolutions à une température suffisante pour les geler, la glace qui en étoit formée n’avoit point le caractère du sel qui étoit dissous.

La grêle et la neige ne sont que des modifications de la glace : on peut considérer la grêle comme produite par le dégagement subit du fluide électrique qui concourt à rendre l’eau fluide, elle est presque toujours annoncée par des coups de tonnerre : les expériences de M. Quinquet ont confirmé cette théorie. Je rapporterai un fait dont j’ai été témoin à Montpellier, et dont les Physiciens pourront se servir avec avantage : le 29 Octobre 1786 il tomba quatre pouces d’eau à Montpellier ; un violent coup de tonnerre, qu’on entendit vers les quatre heures du soir, et qui éclata très-bas, décida une chute de grêle épouventable ; un Droguiste, qui étoit occupé dans sa cave à remédier ou à prévenir les dégâts occasionnés par la transudation de l’eau à travers le mur, fut très-étonné en voyant que tout à coup l’eau qui suintoit sur la muraille tomboit en glaçons ; il appela plusieurs voisins pour partager sa surprise ; je fus visiter ce lieu, un quart d’heure après, et trouvai dix livres de glace amoncelées au pied du mur ; je m’assurai qu’elle n’avoit pas pu passer à travers le mur, qui ne laissoit appercevoir aucune lezarde et étoit par-tout dans le meilleur état. La même cause qui décida la formation de la grêle dans l’atmosphère agit-elle également dans cette cave ? Je consigne un fait et m’interdis toute conjecture.


ARTICLE SECOND.

De l’eau à l’état liquide.


Si l’état naturel de l’eau paroît être la glace, son état ordinaire est celui de liquide, et sous cette forme elle a quelques propriétés générales dont nous allons nous occuper.

Les expériences de l’Académie del Cimento avoient fait refuser à l’eau toute élasticité, puisqu’enfermée dans des boules de métal fortement comprimées elle s’échappoit par les pores plutôt que de céder à la pression : mais de nos jours MM. Zinmermann et l’Abbé Mongéz ont prétendu prouver son élasticité par les mêmes expériences sur lesquelles on avoit établi l’opinion contraire.

L’état liquide rend la force d’aggrégation de l’eau moins puissante, et elle se combine plus facilement sous cette forme.

L’eau qui coule sur la surface de notre globe n’est jamais pure : l’eau de pluie est même rarement exempte de quelque mélange, comme il paroît par la belle suite d’expériences du célèbre Margraaf. Je me suis assuré à Montpellier, que l’eau des pluies d’orage étoit plus mélangée que celle d’une pluie douce, que l’eau qui tombe la première est moins pure que celle qui vient après quelques heures ou quelques jours de pluie, que l’eau qui tombe par le vent marin ou du sud contient du sel marin, tandis que celle qui est produite par un vent du nord n’en contient pas un atome.

Hippocrate a fait des observations très-importantes sur les diverses qualités de l’eau, relativement à la nature du sol, à la température du climat, etc.

Comme il importe au Chimiste d’avoir à sa disposition de l’eau très-pure pour les diverses opérations délicates, il est nécessaire d’indiquer les moyens qu’on peut mettre en usage pour porter une eau quelconque à ce degré de pureté.

On purifie l’eau par la distillation : cette opération se fait dans des vaisseaux qu’on appelle alambics.

L’alambic est composé de deux pièces, d’une chaudière ou cucurbite et d’un couvercle appelé chapiteau.

On met de l’eau dans la cucurbite, on l’élève en vapeurs, par le moyen du feu, et on condense ces mêmes vapeur en raffraîchissant le chapiteau avec de l’eau froide ; ces vapeurs condensées coulent dans un vase destiné à les recevoir ; c’est là ce qu’on appelle eau distillée : elle est pure parce qu’elle a laissé dans la cucurbite les sels et autres principes fixes qui en altéroient la pureté.

La distillation est d’autant plus prompte et plus facile que la pression de l’air est moindre sur la surface du liquide stagnant : M. Lavoisier a distillé le mercure dans le vide ; et M. l’Abbé Rochon a fait une heureuse application de ces principes à la distillation : c’est à ce même principe que l’on doit rapporter les observations de presque tous les Naturalistes et Physiciens qui ont vu que l’ébullition d’un liquide devenoit plus facile à mesure qu’on s’élevoit sur une montagne, et c’est par une suite de ces mêmes principes que M. Achard a construit un instrument pour juger de la hauteur des montagnes par les degrés de l’ébullition ; MM. l’Abbé Monge et Lamanon ont observé que l’éther s’évaporoit avec une prodigieuse facilité sur le pic de ténériffe, M. de Saussure a confirmée ces principes sur les montagnes de la Suisse.

Il se fait par-tout à la surface de notre globe une véritable distillation : la chaleur du soleil élève l’eau en vapeurs, celles-ci séjournent pendant quelque temps dans l’atmosphère, et retombent ensuite par le seul refroidissement pour former ce qu’on appelle serein ; cette ascension et cette chute qui se succèdent lavent et purgent l’atmosphère de tous les germes qui par leur corruption ou leur développement la rendroient infecte, et c’est peut-être cette combinaison de divers miasmes avec l’eau qui rend le serein si malsain.

C’est à une semblable distillation naturelle que nous devons rapporter le passage alternatif de l’eau de l’état liquide à l’état de vapeurs, ce qui forme les nuages, et par ce moyen porte les eaux du sein des mers sur le sommet des montagnes, d’où elles se précipitent en torrens pour se rendre dans le lit commun.

Nous trouvons des traces de la distillation de l’eau dans les siècles les plus reculés : les premiers navigateurs dans les isles de l’Archipel remplissoient leurs marmites d’eau salée, et en recevoient la vapeur par des éponges placées dessus ; successivement on a perfectionné le procédé de distiller l’eau de la mer ; et M. Poissonnier a fait connoître un appareil très-bien entendu pour se procurer sur mer de l’eau douce en tout temps et en abondance.

L’eau pure, pour être saine, a besoin d’être agitée et de se combiner avec l’air de l’atmosphère ; de-là vient sans-doute que l’eau provenant immédiatement de la fonte des neiges est mauvaise pour la boisson.

Les caractères des eaux potables sont les suivans.

1°. Une saveur vive, fraîche et agréable.

2°. La propriété de bouillir facilement et de bien cuire les légumes.

3°. La vertu de dissoudre le savon sans grumeaux.


ARTICLE TROISIÈME.

De l’eau à l’état de gaz.


Plusieurs substances sont naturellement dans l’état de fluide aériforme, au degré de température de l’atmosphère, telles sont l’acide carbonique et les gaz oxigène, hydrogène et nitrogène.

D’autres substances s’évaporent à un degré de chaleur très-voisin de celui dans lequel nous vivons : l’éther et l’alkool sont dans ce cas ; la première de ces liqueurs passe à l’état de gaz à la température de 35 degrés, la seconde à celle de 80.

Quelques-unes demandent une chaleur plus forte, telles que l’eau, les acides sulfurique, nitrique, l’huile, etc.

Pour convertir l’eau en fluide aériforme, MM. de Laplace et Lavoisier ont rempli une cloche de mercure, et l’ont renversée sur une soucoupe remplie de ce métal ; on a fait passer deux onces d’eau dans cette cloche, et on a donné au mercure une chaleur de 95 à 100 degrés en le plongeant dans une chaudière pleine d’eaumère de nitre, l’eau s’est raréfiée et a occupé toute la capacité.

L’eau en passant à travers des tuyaux de pipe rougis au feu se réduit en gaz, d’après MM. Priestley, Kirwan. L’éolipile, la pompe à feu, la marmite de papin, le procédé des verriers qui soufflent de gros ballons en jetant par la canne une bouchée d’eau, nous prouvent la conversion de l’eau en gaz.

Il s’ensuit de ces principes, que la volatilisation de l’eau n’étant que la combinaison directe du calorique avec ce liquide, les portions d’eau qui sont le plus immédiatement exposées à la chaleur doivent être les premières volatilisées, et c’est là ce qu’on observe journellement, car on voit constamment l’ébullition s’annoncer dans la partie la plus chauffée ; mais lorsque la chaleur est appliquée également à toutes les parties, l’ébullition est générale.

Plusieurs phénomènes nous avoient engagés à croire que l’eau pouvoit se convertir en air : le procédé des verriers pour souffler les ballons, l’orgue hydraulique du Père Kircher, les phénomènes de l’éolipile, les expériences de MM. Priestley et Kirwan, la manière d’attiser le feu en répandant sur les charbons une petite quantité d’eau, tout cela paroissoit annoncer la conversion de l’eau en air ; mais on étoit loin de penser que la plupart de ces phénomènes fussent produits par la décomposition de ce fluide, et il a fallu le génie de M. Lavoisier pour porter ce point de doctrine au degré de certitude et de précision où il me paroît être parvenu.

MM. Macquer, de la Metherie avoient déjà observé que la combustion de l’air inflammable produisoit beaucoup d’eau ; M. Cavendish confirmoit ces expériences en Angleterre par la combustion rapide de l’air vital et de l’air inflammable ; mais MM. Lavoisier, de Laplace, Monge, Meusnier, ont prouvé, que la totalité de l’eau pouvoit être convertie en hydrogène et oxigène, et que la combustion de ces deux gaz produisoit un volume d’eau proportionné au poids des deux principes employés à cette expérience.

1°. Si on met au-dessus du mercure, dans une petite cloche de verre, une quantité connue d’eau distillée et de limaille de fer, il se dégagera peu à peu de l’air inflammable, le fer se rouillera, l’eau qui l’humecte diminuera et finira par disparoître : le poids de l’air inflammable qui est produit et l’augmentation en pesanteur du fer équivalent au poids de l’eau employée : il paroît donc prouvé que l’eau s’est réduite en deux principes, dont l’un est l’air inflammable, et l’autre est le principe qui s’est combiné avec le métal ; or nous savons que l’oxidation des métaux est due à l’air vital, par conséquent les deux substances produites, l’air vital et l’air inflammable, résultent de la décomposition de l’eau.

2°. En faisant passer de l’eau en vapeurs à travers un tube de fer rougi au feu, le fer s’oxide, et on obtient de l’hydrogène à l’état de gaz ; l’augmentation en poids du métal et le poids de l’hydrogène obtenu forment précisément la pesanteur de l’eau employée.

L’expérience faite à Paris, en présence d’une commission nombreuse de l’Académie, me paroît ne plus laisser de doute sur la décomposition de l’eau.

On prit un canon de fusil dans lequel on introduisit du gros fil de fer aplati sous le marteau, on pesa le fer et le canon, on enduisit le canon avec un lut propre à le garantir du contact de l’air, il fut ensuite placé dans un fourneau et on l’inclina de manière que l’eau pût y couler ; on plaça à son extrémité la plus élevée un entonnoir destiné à contenir l’eau et à ne la lâcher que goutte à goutte par le moyen d’un robinet, l’entonnoir étoit fermé pour éviter toute évaporation de l’eau ; à l’autre extrémité du canon étoit placé un récipient tubulé destiné à recevoir l’eau qui passeroit sans se décomposer ; à la tubulure du récipient étoit adapté l’appareil pneumato-chimique. Pour plus de précaution, on fit le vide dans tout l’appareil avant l’opération ; enfin, dès que le canon fut rougi, on y introduisit l’eau goutte à goutte, on retira beaucoup de gaz hydrogène ; et, l’expérience finie, le canon eut acquis du poids, les bandes de fer qui étoient dedans furent converties en une couche d’oxide de fer noir ou d’éthiops martial cristallisé comme la mine de fer de l’isle d’Elbe ; on s’assura que le fer étoit dans le même état que celui qui est brûlé dans le gaz oxigène, et l’augmentation du poids du fer plus celui de l’hydrogène formèrent exactement celui de l’eau employée.

On brûla le gaz hydrogène obtenu avec une quantité d’air vital égale à celle qui avoit été retenue par le fer, et on recomposa les 6 onces d’eau.

3°. MM. Lavoisier et de Laplace, en brûlant dans un appareil convenable un mélange de 14 parties de gaz hydrogène et de 86 oxigène, ont obtenu une quantité d’eau proportionnée. M. Monges obtenoit les mêmes résultats à Mezière dans le même temps.

L’expérience la plus concluante, la plus authentique qu’on ait faite sur la composition ou la synthèse de l’eau, est celle qui a été commencée le mardi 23 Mai, et terminée le samedi 7 Juin 1788 au Collège royal, par M. Lefevre de Gineau.

Le volume du gaz oxigène consommé, réduit à la pression de 28 pouces de mercure à la température de 10 degrés thermomètre de Réaumur, étoit de 35085 pouces cubes, et son poids de 254 gros 10,5 grains.

Le volume du gaz hydrogène étoit de 74967,4 pouces cubes, et le poids 66 gros 4,3 grains.

Le gaz nitrogène et l’acide carbonique qui étoient mêlés avec ces gaz et qu’on a tirés du récipient en neuf reprises, pesoient 39,23 grains.

Le gaz oxigène contenoit de son poids acide carbonique ; ainsi le poids des gaz brûlés étoit de 280 gros 63,8 grains, ce qui fait 2 livres 3 onces 0 gros 63,8 grains.

Les vaisseaux ont été ouverts en présence de MM. de l’Académie des Sciences et de plusieurs autres savans, et on a trouvé 2 livres 3 onces 0 gros 33 grains d’eau : ce poids répond à celui des gaz employés, à 31 grains près ; ce deficit peut provenir du calorique qui tient les gaz en dissolution, qui se dissipe lorsqu’ils se fixent, et doit nécessairement occasionner une perte.

L’eau étoit acidulé au goût, et a donné 27 grains acide nitrique, lequel acide est produit par la combinaison des gaz nitrogène et oxigène.

D’après l’expérience de la décomposition de l’eau, 100 parties de ce fluide contiennent,

Oxigène 
84,2636 = 84
Hydrogène 
15,7364 = 15

D’après l’expérience de la composition, 100 parties d’eau contiennent,

Oxigène 
84,8 = 84
Hydrogène 
15,2 = 15

Indépendamment de ces expériences d’analyse et de synthèse, les phénomènes que nous présente l’eau dans ses divers états confirment nos idées au sujet des principes constituans que nous lui reconnoissons : l’oxidation des métaux dans l’intérieur de la terre et à l’abri de l’air atmosphérique, l’efflorescence des pyrites et la formation des ochres sont des phénomènes inexplicables sans le secours de cette théorie.

L’eau étant composée de deux principes connus doit agir, comme les autres corps composés que nous connoissons, en raison des affinités de ses principes constituans ; elle doit donc céder tantôt l’hydrogène, tantôt l’oxigène.

Si on la met en contact avec des corps qui aient la plus grande affinité avec l’oxigène, tels que les métaux, les huiles, le charbon, etc. le principe oxigène s’unira à ces substances, et l’hydrogène devenu libre se dissipera ; c’est ce qui arrive lorsqu’on dégage le gaz hydrogène en faisant agir les acides sur quelques métaux, ou lorsqu’on plonge un fer incandescent dans l’eau, comme l’ont observé MM. Hassenfratz, Stoulfz et d’Hellancourt.

Dans les végétaux, au contraire, il paroît que c’est l’hydrogène qui se fixe, tandis que l’oxigène est facilement poussé au dehors.


SECTION HUITIÈME.


Des combinaisons du gaz nitrogène, 1°. avec le gaz hydrogène, 2°. avec des principes terreux, formant les alkalis.


Il paroît démontré, que la combinaison du gaz nitrogène avec l’hydrogène forme une des substances comprises dans la classe des alkalis ; il est très-probable, que les autres sont composés de ce même gaz et d’une base terreuse : c’est d’après ces considérations que nous avons cru devoir placer ici ces substances ; et nous nous y sommes déterminés avec d’autant plus de raison que la connoissance des alkalis est indispensable et nécessaire pour pouvoir procéder avec ordre dans un cours de chimie, attendu que ce sont les réactifs les plus employés et que leurs combinaisons et leurs usages se présentent à chaque pas dans les phénomènes de la nature et des arts.

On est convenu d’appeller alkali toute substance caractérisée par les propriétés suivantes.

A. Saveur âcre, brûlante, urineuse.

B. Propriété de verdir le syrop de violette, mais non la teinture de tournesol comme l’annoncent certains auteurs.

C. Vertu de former du verre quand on le fond avec des substances quartzeuses.

D. Faculté de rendre les huiles miscibles à l’eau, de faire effervescence avec quelques acides, et de former des sels neutres avec tous.

J’observerai qu’aucun de ces caractères n’est rigoureux et exclusif, et que par conséquent aucun n’est suffisant pour donner certitude sur l’existence d’un alkali ; mais la réunion de plusieurs forme, par ce concours, une masse de preuves ou d’inductions qui nous conduisent jusqu’à l’évidence.

On divise les alkalis, en alkalis fixes et alkalis volatils : c’est sur l’odeur de ces substances qu’est établie cette distinction ; les uns se réduisent aisément en vapeur, et répandent une odeur très-piquante, tandis que les autres ne se volatilisent même pas au foyer du miroir ardent, et n’exhalent aucune odeur bien caractérisée.


CHAPITRE PREMIER.

Des alkalis fixes.


On connoît jusqu’ici deux espèces d’alkalis fixes ; l’un qu’on appelle alkali végétal ou potasse, l’autre alkali minéral ou soude.


ARTICLE PREMIER.

De l’alkali végétal, ou potasse.


L’alkali peut s’extraire de diverses substances : et comme il est plus ou moins pur, selon qu’il est fourni par telle ou telle substance, on en a fait dans le commerce plusieurs variétés auxquelles on a affecté différens noms qu’il est indispensable de connoître : le chimiste pourra confondre dans ses écrits toutes ces nuances sous une seule dénomination générale ; mais les distinctions que l’artiste a établies sont fondées sur une suite d’expériences qui ont prouvé que les vertus de ces divers alkalis étoient très-différentes, et cette variété constante dans les effets me paroît justifier les différentes dénominations qu’on a assignées.

1°. L’alkali extrait de la lessive des cendres de bois est connu sous le nom de salin ; le salin calciné et débarrassé par ce moyen de tous les principes qui le noircissent forme la potasse.

Les cendres sont plus ou moins riches en alkali, selon la nature du bois qui les fournit ; en général les bois durs en contiennent le plus : les cendres de bois de hêtre en donnent de 11 à 13 livres par quintal, d’après des expériences en grand que j’ai fait faire à St. Sauveur ; celles de buis m’en ont fourni 12 à 14 livres. On peut consulter le tableau qu’ont dressé MM. les Administrateurs généraux des poudres et salpêtres sur la quantité de potasse qui leur a été fournie par la combustion de plusieurs plantes : ils ont employé 4000 livres de chaque à leurs diverses expériences.

Pour extraire cet alkali, il suffit de lessiver les cendres et de rapprocher la dissolution dans des chaudières de fer de fonte ; c’est par rapport à l’alkali qu’on emploie les cendres dans les lessives qu’on fait pour blanchir le linge, l’usage de l’alkali dans ce cas est de se combiner avec les substances graisseuses et de les rendre solubles dans l’eau.

Presque toute la potasse vendue dans le commerce pour le service de nos verreries, de nos savonneries, de nos blanchisseries, etc. est fabriquée dans le nord où l’abondance du bois permet de l’exploiter pour ce seul usage. On pourroit établir avec économie de semblables atteliers dans les forêts de notre Royaume, mais il y a plus à faire qu’on ne l’imagine pour tourner nos habitans des montagnes vers ce genre d’industrie ; j’en ai acquis la preuve par des tentatives et des sacrifices assez considérables que j’ai faits pour assurer cette ressource aux communautés voisines des forêts de Laigoual et de Lesperou : les calculs rigoureux que j’ai faits m’ont néanmoins démontré que la potasse ne revenoit qu’à 15 ou 17 liv. le quintal, tandis que nous achetons celle du nord 30 ou 40 liv.

2°. La lie de vin se réduit presque toute en alkali par la combustion, et on appelle cet alkali cendres gravelées : il a presque toujours une couleur verdâtre : on regarde cet alkali comme très-pur.

3°. La combustion du tartre du vin fournit aussi un alkali assez pur : on le brûle ordinairement dans des cornets de papier qu’on trempe dans l’eau et qu’on expose sur les charbons ardens : pour le purifier on dissout dans l’eau le résidu de la combustion, on rapproche la dissolution sur le feu, on sépare les sels étrangers à mesure qu’ils se précipitent, et on obtient un alkali très-pur qu’on connoît sous le nom de sel de tartre.

Pour me procurer le sel de tartre plus promptement et avec plus d’économie, j’embrase un mélange de parties égales de nitrate de potasse et de tartre, je lessive le résidu et obtiens du beau sel de tartre.

Le sel de tartre est l’alkali le plus employé pour les usages de la Médecine, et on l’ordonne à la dose de quelques grains.

4°. Si on fait fuser le salpêtre sur les charbons, l’acide se décompose et se dissipe, l’alkali reste seul et à nud ; c’est ce qu’on appelle alkali extemporané.

Lorsque l’alkali végétal a été ramené à son plus grand degré de pureté, il attire l’humidité de l’air et se résout en liqueur ; c’est cet état qui est connu sous le nom très-impropre d’huile de tartre par défaillance, oleum tartari per deliquium.


ARTICLE SECOND.

De l’alkali minéral, ou soude.


L’alkali minéral a reçu ce nom, parce qu’il fait la base du sel marin.

On retire celui-ci des plantes marines par la combustion : à cet effet, on forme des amas de ces plantes salées, on creuse, à côté de ces tas, une fosse ronde qui s’élargit vers le fond, et qui a trois ou quatre pieds de profondeur ; c’est dans ce foyer qu’on brûle ces végétaux : la combustion se continue sans interruption pendant plusieurs jours ; et, lorsque toutes les plantes sont brûlées, on trouve une masse de sel alkali qu’on coupe en morceaux pour en faciliter la vente et le transport ; c’est ce qui est connu sous le nom de pierre de soude ou soude.

Toutes les plantes marines ne donnent pas la même qualité de soude : la barille d’Espagne fournit la belle soude d’Alicante ; je me suis assuré qu’on peut la cultiver sur nos bords de la méditerranée avec le plus grand succès ; cette culture intéresse essentiellement les arts et le commerce, et le gouvernement devroit encourager ce nouveau genre d’industrie : le particulier le plus dévoué au bien public fera de vains efforts pour nous approprier ce commerce, s’il n’est puissamment secondé parle gouvernement, parce que le ministère Espagnol a défendu la sortie de la graine de barille sous les peines les plus graves. Nous cultivons en Languedoc et en Provence, sur les bords de nos étangs, une plante connue sous le nom de salicor et qui fournit une soude de bonne qualité ; mais les plantes qui croissent sans culture produisent une soude inférieure ; j’ai fait une analyse rigoureuse de chaque espèce : on peut en voir les résultats à l’article verrerie de l’Encyclopédie méthodique.

On débarrasse l’alkali minéral de tous les sels étrangers, en le faisant dissoudre dans l’eau, et séparant les divers sels à mesure qu’ils se précipitent ; les dernières portions de liqueur rapprochées donnent la soude qui crystallise en octaèdres rhomboïdaux.

L’alkali minéral est quelquefois natif : on le trouve en cet état en Égypte, où il est connu sous le nom de natron : les deux lacs de natron décrits par Sicard et M. Volney sont situés dans le désert de Chaïat ou de St. Macaire, à l’ouest du Delta ; leur lit est une fosse naturelle de trois à quatre lieues de long sur un quart de lieue de large, le fond en est solide et pierreux, il est sec pendant neuf mois de l’année, mais en hiver il transude de la terre une eau d’un rouge violet qui remplit le lac à cinq ou six pieds de hauteur, le retour des chaleurs l’évapore, et il reste une couche de sel épaisse de deux pieds, et que l’on détache à coups de barres de fer ; on en retire jusqu’à 36,000 quintaux par an.

M. Proust a trouvé du natron sur les schistes qui forment les fondemens de la ville d’Angers ; le même Chimiste en a trouvé sur une pierre de moellon de la salpétrière de Paris.

L’alkali minéral diffère du végétal en ce que, 1°. il est moins caustique ; 2°. il effleurit à l’air, bien-loin d’en attirer l’humidité ; 3°. il crystallise en octaèdres rhomboïdaux ; 4°. il forme des produits différens avec les mêmes bases ; 5°. il est plus propre à la vitrification.

Les alkalis existent-ils tous formés dans les végétaux, ou sont-ils le produit des diverses opérations qu’on fait pour les en extraire ? Cette question a partagé les Chimistes. Duhamel et Grosse ont prouvé en 1732 l’existence de l’alkali dans la crème de tartre, en la traitant par les acides nitrique, sulfurique, etc. Margraaf en a donné de nouvelles preuves dans un mémoire qui forme le XXV de sa collection. Rouelle lut un mémoire à l’Académie le 14 Juin 1769 sur le même sujet ; il assure même que cette vérité lui étoit connue avant que l’ouvrage de Margraaf eut paru. Voyez le journal de phys. t. 1 in-4°.

Rouelle et M. le Marquis de Ballion ont prouvé que le tartre existoit dans le mout.

Il ne faut pas conclure de l’existence de l’alkali dans les végétaux, qu’il y est à nud ; il s’y trouve combiné avec des acides, des huiles, etc.

Les alkalis, tels que nous venons de les faire connoître, lors même que par des dissolutions, filtrations et évaporations convenables on les a débarrassés de tout mélange, ne sont pas pour cela à ce degré de pureté et de nudité qui devient nécessaire dans beaucoup de cas ; ils sont presque à l’état des sels neutres par leur combinaison avec l’acide carbonique : lorsqu’on veut dégager cet acide, on dissout l’alkali dans l’eau et on fait éteindre de la chaux vive dans la dissolution, celle-ci s’empare de l’acide carbonique de l’alkali, et lui donne son calorique en échange. Nous suivrons les circonstances de cette opération, lorsque nous aurons occasion de parler de la chaux.

L’alkali ainsi privé d’acide carbonique ne fait plus effervescence avec les acides ; il est plus caustique, plus violent, s’unit plus aisément aux huiles, et on l’appelle alkali caustique, potasse pure, soude pure.

Cet alkali évaporé et rapproché jusqu’à siccité forme ce qu’on connoît sous le nom de pierre à cautère, potasse fondue, soude fondue. La vertu corrosive de la pierre à cautère dépend sur-tout de l’avidité avec laquelle elle se saisit de l’humidité et tombe en deliquium.

L’alkali caustique, tel qu’on le prépare, contient toujours une petite quantité d’acide carbonique, de silice, de fer, de chaux, etc. M. Berthollet a proposé le moyen suivant pour le purifier : il rapproche la lessive caustique jusqu’à lui donner un peu de consistance, la mêle avec l’alkool, et en retire une partie par la distillation ; la cornue refroidie, il trouve des crystaux mêlés à une terre noirâtre dans un peu de liqueur de couleur foncée qui est séparée de l’alkool de potasse qui surnage comme une huile. Ces crystaux sont l’alkali saturé d’acide carbonique ; ils sont insolubles dans l’esprit de vin. Le dépôt est formé de silice, de chaux, de fer, etc.

L’alkool d’alkali caustique très-pur surnage la dissolution aqueuse qui contient l’alkali effervescent ; si on rapproche au bain de sable l’alkool d’alkali, il s’y forme des crystaux transparens qui ne sont que l’alkali pur ; ces crystaux paroissent formés par des pyramides quadrangulaires implantées les unes dans les autres ; ils sont très-déliquescents, se dissolvent dans l’eau et l’alkool, et produisent du froid par leur dissolution. Voyez journal de phys. 1786, p. 401.

Les alkalis dont nous venons de parler se combinent aisément avec le soufre.

On peut opérer cette combinaison, 1°. par la fusion de parties égales d’alkali et de soufre ; 2°. en faisant digérer l’alkali pur et liquide sur le soufre, l’alkali devient d’un jaune rougeâtre.

Ces dissolutions de soufre par l’alkali sont connues sous les noms de foies de soufre, sulfures d’alkali, etc.

L’odeur qu’elles exhalent est puante et sent les œufs pourris, c’est ce gaz puant qu’on appelle gaz hépatique, etc.

On peut précipiter le soufre par les acides, et il en résulte ce qu’on trouve dans les anciens écrits sous les dénominations de lait de soufre et de magistère de soufre.

Ces sulfures dissolvent les métaux : l’or lui-même peut y être tellement divisé qu’il passe par les filtres. Stalh a supposé que Moyse s’étoit servi de ce moyen pour faire boire le veau d’or aux Israélites.

Quoique l’analyse des deux alkalis fixes ne soit pas rigoureuse, plusieurs expériences nous portent à croire que le nitrogène en est un des principes : M. Thouvenel, ayant exposé de la craie lessivée aux exhalaisons des substances animales en putréfaction, a obtenu du nitrate de potasse ; j’ai répété l’expérience dans une chambre close de six pieds en quarré ; 25 livres de craie bien lavées dans l’eau chaude et exposées aux exhalaisons du sang de bœuf en putréfaction pendant onze mois, m’ont fourni neuf onces nitrate de chaux rapproché à siccité, et trois onces un gros de crystaux de nitrate de potasse.

La distillation réitérée des savons les décompose et fournit de l’ammoniaque ; or l’analyse de ce dernier par M. Berthollet, y a démontré l’existence du gaz nitrogène comme principe constituant : il y a donc lieu de présumer que le gaz nitrogène est un des principes des alkalis.

L’expérience de M. Thouvenel et les miennes me portent à croire, que ce gaz combiné avec la chaux forme la potasse, tandis que son union avec la magnésie forme la soude : ce dernier sentiment est appuyé sur les expériences, 1°. de M. Dehne qui a retiré la magnésie de la soude, nouvel. chimiq. de Crell., pag. 53, publié en 1781 ; 2°. de M. Deyeux qui a obtenu de semblables résultats même antérieurement à M. Dehne ; 3°. de M. Lorgna qui a retiré beaucoup de magnésie, en dissolvant, évaporant et calcinant la soude à plusieurs reprises. Journal de Physique, Décembre 1787. M. Osburg a confirmé ces diverses expériences en 1785.


CHAPITRE SECOND.

De l’ammoniaque, ou alkali volatil.


Jusqu’ici nos recherches ne nous ont présenté qu’une seule espèce d’alkali volatil : la formation en paroît due à la putréfaction ; et si la distillation de quelques schistes nous la présente, c’est que leur origine est assez généralement attribuée à la décomposition végétale et animale ; nous retrouvons assez fréquemment l’empreinte des poissons qui dépose en faveur de cette opinion : quelques plantes fournissent aussi de l’aikali volatil, et c’est à raison de ce phénomène qu’on les a appelées des plantes animales. Mais ce sont sur-tout les animaux qui fournissent de l’ammoniaque : la distillation de toutes leurs parties en donne assez abondamment ; mais les cornes sont celles qu’on emploie de préférence, et elles se résolvent presqu’en entier en huile et alkali volatil. La putréfaction de toutes les substances animales produit de l’alkali volatil ; et dans ce cas, de même que dans la distillation, il se forme par la combinaison des deux principes qui le constituent ; car l’analyse ne démontre très-souvent aucun alkali formé dans les parties où la distillation et la putréfaction en produisent abondamment.

Presque tout l’alkali volatil dont on fait usage dans le commerce et dans la médecine est fourni par la décomposition du sel ammoniac. C’est même à raison de cela que les Chimistes qui ont rédigé la nouvelle nomenclature ont consacré l’alkali volatil sous le nom d’ammoniaque.

Pour obtenir l’ammoniaque bien pure, on mêle parties égales de chaux vive tamisée et de muriate d’ammoniaque bien pilé, on introduit de suite le mélange dans une cornue à laquelle on adapte un récipient et l’appareil de Woulf, on distribue dans les flacons une quantité d’eau pure correspondante au poids du sel employé, on lutte les jointures des vases avec les luts ordinaires : l’ammoniaque se dégage à l’état de gaz, à la première impression du feu, elle se combine à l’eau avec chaleur ; et lorsque l’eau du premier flacon est saturée, le gaz passe dans celle du second et la saoule à son tour.

L’alkali volatil s’annonce par une odeur très-violente sans être désagréable, il se réduit aisément à l’état de gaz et conserve cette forme à la température de l’atmosphère : on peut obtenir ce gaz en décomposant le muriate d’ammoniaque par la chaux vive et recevant le produit dans l’appareil au mercure.

Ce gaz alkalin tue les animaux et leur corrode la peau. L’irritation est telle que j’ai vu survenir des empoules sur tout le corps de quelques oiseaux que j’avois exposés à son atmosphère.

Ce gaz est impropre à la combustion ; mais si on y plonge doucement une bougie, la flamme s’aggrandit avant de s’éteindre, et le gaz se décompose. Il est plus léger que l’air atmosphérique : on l’a même indiqué, à raison de cette légèreté, pour remplir des ballons ; M. le Comte de Milly avoit proposé de placer un réchaud sous le ballon pour entretenir le gaz dans le plus grand degré d’expansibilité.

Les expériences de M. Priestley qui, par le moyen de l’étincelle électrique, avoit changé le gaz alkalin en gaz hydrogène ; celles de M. le Chevalier Landriani qui, en faisant passer le même gaz à travers des tubes de verre rougis, en avoit retiré beaucoup de gaz hydrogène, avoient fait soupçonner l’existence de l’hydrogène parmi les principes du gaz alkalin ; mais les expériences de M. Berthollet ont éclairci nos doutes à ce sujet, et toutes les observations paroissent se réunir pour nous autoriser à regarder cet alkali comme composé de gaz nitrogène et hydrogène.

1°. Si on mêle de l’acide muriatique oxigéné avec de l’ammoniaque bien pure, il y a effervescence, dégagement de gaz nitrogène, production d’eau et conversion de l’acide oxigéné en acide muriatique ordinaire : dans cette belle expérience, l’eau qui se produit se forme par la combinaison de l’hydrogène de l’alkali et de l’oxigène de l’acide ; le gaz nitrogène devenu libre se dissipe.

2°. En distillant du nitrate d’ammoniaque, on retire du gaz nitrogène, et on trouve dans le récipient plus d’eau que n’en contient le sel employé ; il n’existe plus d’ammoniaque après l’opération, l’eau du récipient est légèrement chargée d’un peu d’acide nitrique qui a passé : dans ce cas, l’hydrogène de l’alkali et l’oxigène de l’acide forment l’eau du récipient, tandis que le gaz nitrogène s’échappe.

3°. Si on chauffe des oxides de cuivre ou d’or avec le gaz ammoniac, on obtient de l’eau et du gaz nitrogène et les métaux sont réduits.

J’ai observé que des oxides d’arsenic mis à digérer avec de l’ammoniaque se réduisoient et formoient même souvent des octaèdres d’arsenic : il y a dans ce cas dégagement de gaz nitrogène et formation d’eau.

4°. Il arrive très-souvent qu’en faisant dissoudre des métaux, tels que le cuivre ou l’étain, par le moyen de l’acide nitrique, il y a absorption d’air et non dégagement du gaz nitreux qu’on attendoit : j’ai vu plusieurs personnes très-embarrassées dans des cas semblables, et je l’ai été souvent moi-même ; ce phénomène a lieu sur-tout quand on emploie de l’acide concentré et du cuivre en limaille très-fine. Dans ce cas il se produit de l’ammoniaque ; j’en avois rendu mes auditeurs témoins long-temps avant que je connusse la théorie de sa formation : ce qui me porta à soupçonner son existence, c’est la couleur bleue que prend la dissolution dans ce cas : cette ammoniaque est produite par la combinaison de l’hydrogène de l’eau avec le gaz nitrogène de l’acide nitrique, tandis que l’oxigène du même acide et celui de l’eau oxident le métal et préparent sa dissolution ; c’est à une semblable cause que nous devons rapporter l’expérience de M. Jean-Michel Haussmann de Colmar qui, en faisant passer du gaz nitreux à travers une certaine quantité de précipité de fer dans l’appareil au mercure, a vu que ce gaz étoit promptement absorbé et la couleur du fer changée, et on trouva dans les vases de la vapeur d’ammoniaque.

C’est d’après une semblable théorie que nous pouvons concevoir la formation du gaz alkalin par le mélange du gaz hépatique et du gaz nitreux sur du mercure. Observation de M. Kirwan.

M. Austin a formé de l’ammoniaque, mais il a observé que la combinaison du gaz nitrogène avec la base de l’hydrogène ne se faisoit que lorsque celui-ci est très-condensé.

La formation de l’ammoniaque par la distillation et la putréfaction me paroît encore indiquer quels sont les principes qui la constituent : en effet, dans l’une et l’autre de ces opérations, il y a dégagement de gaz hydrogène et nitrogène, et leur combinaison produit l’ammoniaque.

M. Berthollet a prouvé par voie de décomposition, que 1000 parties d’ammoniaque en poids étoient composées d’environ 807 gaz nitrogène et 193 hydrogène. Voyez le Recueil de l’Académie, année 1784, pag. 316.

Suivant M. Austin le gaz nitrogène est à l’hydrogène :: 121 : 32.


SECTION NEUVIÈME.


De la combinaison de l’oxigène avec certaines bases formant des acides.


Il paroît hors de doute que les corps que nous sommes convenus d’appeler acides sont la combinaison de l’air vital avec une substance élémentaire.

L’analyse de presque tous les acides dont les principes sont connus établit cette vérité d’une manière positive ; et c’est à raison de cette propriété qu’on a assigné à l’air vital la dénomination de gaz oxigène.

On appelle acide toute substance caractérisée par les propriétés suivantes.

A. Le mot aigre, employé généralement pour désigner l’impression ou la sensation vive et piquante que font certains corps sur la langue, peut être regardé comme synonyme du mot acide : la seule différence qu’on puisse établir entr’eux, c’est que l’un désigne une sensation foible, tandis que l’autre comprend tous les degrés de force depuis la saveur la moins développée jusqu’à la causticité la plus marquée : on dira, par exemple, que la saveur du verjus, de l’oseille, du citron est aigre, mais on se servira du mot acide pour exprimer l’impression que font sur la langue les acides nitriques, sulfuriques, muriatiques, etc.

Il paroît que c’est la tendance très-marquée à la combinaison qu’ont les acides qui détermine leur causticité : c’est d’après cette propriété que l’immortel Newton les a définis des corps qui attirent et sont attirés.

C’est encore d’après elle que quelques Chimistes ont supposé les acides munis de pointes.

C’est par rapport à cette affinité marquée qu’ont les acides avec les divers corps, que nous ne les trouvons que rarement à nud.

B. Une seconde propriété des acides, c’est de changer en rouge quelques couleurs bleues végétales, telles que celles de tournesol, du sirop de violette, etc. on se sert assez généralement de ces deux réactifs pour reconnoître leur présence.

On prépare la teinture de tournesol, en faisant infuser légèrement dans l’eau ce qui est connu dans le commerce sous le nom de tournesol ; si l’eau est trop chargée du principe colorant, l’infusion est violette, et il faut alors l’affoiblir avec de l’eau pour lui donner la couleur bleue : la teinture de tournesol exposée au soleil y devient rouge, même dans les vaisseaux fermés ; et, quelque temps après, la partie colorante se dégage et se précipite en une matière mucilagineuse décolorée. On peut employer l’alkool à la place de l’eau pour préparer cette teinture.

On croit assez généralement que le tournesol fabriqué en Hollande, n’est que la partie colorante extraite des chiffons ou drapeaux de tournesol du Grand-Galargues, et précipitée sur une terre marneuse : ces chiffons se préparent, en les imprégnant du suc de morelle, et les exposant à la vapeur de l’urine qui y développe la couleur bleue : ces drapeaux sont envoyés en Hollande, et c’est ce qui a fait croire qu’on les employoit à la fabrication du tournesol ; mais des recherches ultérieures m’ont appris que ces drapeaux étoient adressés à des Marchands de fromage, que ceux-ci en tiroient la couleur par l’infusion et en lavoient leurs fromages pour leur donner une couleur rouge. Je me suis convaincu par l’analyse du tournesol, que le principe colorant étoit de la même nature que celui de l’orseille, et que ce principe étoit fixé sur une terre calcaire et une petite quantité de potasse : d’après cette analyse, j’ai essayé de faire fermenter le liken parellus d’Auvergne, avec l’urine, la chaux et l’alkali, et j’ai obtenu une pâte semblable au tournesol : l’addition de l’alkali me paroît nécessaire pour empêcher le développement de la couleur rouge, qui combinée avec le bleu forme le violet de l’orseille.

Pour essayer un acide concentré avec le sirop de violette, il y a deux observations à faire, 1°. le sirop de violette est souvent verd, parce que la pétale de la violette contient une partie jaune à la base, qui combinée avec le bleu fournit cette couleur ; il est donc essentiel de n’employer que le bleu de la pétale pour avoir une belle infusion bleue ; 2°. il faut avoir la précaution d’étendre et de délayer le sirop avec une certaine quantité d’eau, sans cela les acides concentrés, tels que le sulfurique, le brûlent et forment un charbon.

On peut employer la simple infusion de violettes à la place du sirop.

La partie colorante de l’indigo n’est pas sensible à l’impression des acides, le sulfurique le dissout sans en altérer la couleur.

C. Un troisième caractère des acides, c’est de faire effervescence avec les alkalis ; mais cette propriété n’est pas générale, 1°. parce que l’acide carbonique et presque tous les acides foibles ne peuvent pas se reconnoître à cette propriété ; 2°. parce que les alkalis les plus purs se combinent paisiblement et sans effervescence avec les acides.

N’y a-t-il qu’un seul acide dans la nature, dont les autres ne soient que des modifications ?

Paracelse avoit admis un principe acide universel, qui communiquoit à tous ses composés la saveur et la dissolubilité.

Becher crut que ce principe étoit composé d’eau et de terre vitrifiable.

Stalh a essayé de prouver que l’acide sulfurique étoit l’acide universel, et son sentiment a été celui de presque tous les Chimistes pendant long-temps.

Meyer soutint long-temps après que l’élément acide étoit le causticum contenu dans le feu ; ce systême fondé sur quelques faits connus a eu des partisans.

Le Chevalier Landriani a cru être parvenu à ramener tous les acides à l’acide carbonique, parce qu’en les traitant tous de diverses manières il obtenoit ce dernier pour résultat constant de ses analyses : il a été induit en erreur, en ce qu’il n’a pas fait assez d’attention, à la décomposition des acides qu’il employoit, et à la combinaison de leur oxigène avec le carbone des corps dont il se servoit dans ses expériences, ce qui lui produisoit l’acide carbonique.

Enfin, l’analyse et la synthèse rigoureuses de la plupart des acides connus, ont prouvé à M. Lavoisier que l’oxigène formoit la base de tous, et que leurs différences et leurs variétés ne provenoient que de la substance avec laquelle ce principe commun étoit combiné.

L’oxigène uni aux métaux forme les oxides ; et, parmi ces derniers, il en est qui ont des propriétés acides et sont classés parmi eux.

L’oxigène combiné avec des corps inflammables, tels que le soufre, le carbone, les huiles, forme d’autres acides.

L’action des acides sur tous les corps, ne peut se concevoir qu’en partant des données que nous venons d’établir sur la nature de leurs principes constituans.

L’adhésion de l’oxigène à la base est plus ou moins forte dans les divers acides, conséquemment leur décomposition est plus ou moins facile ; ainsi, par exemple, dans les dissolutions métalliques, qui n’ont lieu que lorsque le métal est à l’état d’oxide, l’acide, qui cédera son oxigène avec le plus de facilité pour oxider le métal, aura sur lui l’action la plus énergique ; de là vient que l’acide nitrique et l’acide nitro-muriatique sont ceux qui dissolvent le plus aisément ; de là vient encore que l’acide muriatique dissout plus facilement les oxides que les métaux, et que l’acide nitrique fait l’inverse ; de là vient que ce dernier agit si puissamment sur les huiles, etc.

Il est impossible de concevoir et d’expliquer les divers phénomènes que nous présentent les acides dans leurs opérations, si on n’en connoît les principes constituans : Stahl n’auroit point cru à la formation du soufre, s’il avoit suivi la décomposition de l’acide sulfurique sur le charbon ; et, à l’exception des combinaisons des acides avec les alkalis et avec quelques terres, ces substances se décomposent en tout ou en partie dans toutes les opérations qui se font sur les métaux, les végétaux et les animaux, comme nous le verrons en observant les divers phénomènes qui se présentent dans tous ces cas.

Nous ne parlerons en ce moment que de quelques acides ; nous nous occuperons des autres, à mesure que nous traiterons des diverses substances qui les fournissent : nous nous occuperons ici de préférence de ceux qui sont les plus connus, et qui jouent le plus grand rôle dans les opérations de la nature et dans celles de nos laboratoires.


CHAPITRE PREMIER.

De l’acide carbonique.


Cet acide est presque toujours à l’état de gaz : nous trouvons que les anciens en avoient quelques connoissances. Van-Helmont l’appelloit gaz silvestre, gaz du moût ou de la vendange : Becher lui-même en avoit une idée assez précise, comme il paroît par le passage suivant : « distinguitur autem inter fermentationem apertam et clausam ; in apertâ potus fermentatus sanior est, sed fortior in clausâ, causa est quod evaporantia rarefacta corpuscula, imprimis magna adhuc silvestrium spirituum copia, de quibus antea egimus, retineatur et in ipsum potum se precipitet unde valde eum fortem reddit. »

Hoffmann avoit attribué la vertu de la plupart des eaux minérales à un esprit élastique qui y étoit contenu. M. Venel, célèbre Professeur des Écoles de Montpellier, a prouvé en 1750, que les eaux de Seltz dévoient leur vertu à de l’air surabondant.

En 1755 M. Black d’Édimbourg avança que la pierre à chaux contenoit beaucoup d’air différent de l’air ordinaire ; il prétendit que le dégagement de cet air constituoit la chaux, et qu’en lui redonnant cet air on régénéroit la pierre calcaire : en 1764 M. Macbride étaya cette doctrine de nouveaux faits : M. Jacquin, Professeur à Vienne, reprit le travail, multiplia les expériences sur la manière d’extraire cet air, et ajouta de nouvelles preuves pour confirmer que l’absence de cet air rendoit les alkalis caustiques et formoit la chaux : M. Priestley porta dans cette matière toute la clarté et toute la précision qu’on pouvoit attendre de son génie et de son habitude dans des travaux de cette nature ; cette substance fut alors connue sous le nom d’air fixe. En 1772 Bergmann démontra que ce gaz étoit acide, et il l’appela acide aérien ; depuis ce Chimiste célèbre, on l’a désigné sous les noms d’acide méphitique, d’acide crayeux, etc. Et, dès qu’il a été prouvé que c’étoit la combinaison de l’oxigène et du carbonne ou charbon pur, on lui a consacré le nom d’acide carbonique.

On trouve l’acide carbonique sous trois états différens, 1°. sous celui de gaz ; 2°. sous celui de mélange, 3°. sous celui de combinaison.

Il se présente à l’état de gaz, à la grotte du chien près de Naples, au puits de Pérols près de Montpellier, dans celui de Neyrac en Vivarais, sur la surface du lac Averne en Italie, et sur celle de plusieurs sources, dans quelques souterrains, tels que les tombeaux, les caves, les fosses d’aisance, etc. il se dégage sous cette forme, par la décomposition des végétaux entassés, par la fermentation de la vendange ou de la bière, par la putréfaction des matières animales, etc.

Il est à l’état d’un simple mélange dans les eaux minérales, puisqu’il y jouit de toutes ses propriétés acides.

Il est dans un état de combinaison, dans la pierre à chaux, la magnésie ordinaire, les alkalis, etc.

On emploie divers procédés pour le recueillir, selon qu’il se présente dans tel ou tel état.

I°. Lorsque l’acide carbonique est à l’état de gaz, on peut le recueillir, 1°. en remplissant une bouteille d’eau et la vidant dans l’atmosphère de ce gaz, l’acide prend la place de l’eau, et on bouche tout de suite la bouteille pour retenir ce gaz ; 2°. en exposant dans son atmosphère de l’eau de chaux, des alkalis caustiques, ou même de l’eau pure ; cet acide gazeux se mêle ou se combine avec ces substances, et on peut l’en extraire ensuite par les réactifs dont nous parlerons dans le moment.

II°. Si l’acide carbonique est dans un état de combinaison on peut l’extraire, 1°. par la distillation à un feu violent ; 2°. par la réaction des autres acides, tels que le sulfurique qui a l’avantage de n’être pas volatil, et conséquemment de ne pas altérer par son mélange l’acide carbonique qui se dégage.

III°. Lorsque l’acide carbonique est dans l’état de simple mélange, comme dans l’eau, les vins mousseux, etc. on peut l’obtenir, 1°. par l’agitation du liquide qui le contient, comme le pratiquoit M. Venel, en se servant d’une bouteille à laquelle il adaptoit une vessie mouillée ; 2°. par la distillation de ce même liquide. Ces deux premiers moyens ne sont point rigoureux ; 3°. le procédé indiqué par M. Gioanetti consiste à précipiter l’acide carbonique par le moyen de l’eau de chaux, on pèse le précipité et on en déduit les treize trente-deuxièmes pour la proportion dans laquelle l’acide carbonique s’y trouve : l’analyse a démontré à ce célèbre Médecin que 32 parties de carbonate de chaux contenoient 17 chaux, 2 eau et 13 acide.

Cette substance est acide, 1°. la teinture de tournesol agitée dans un flacon rempli de ce gaz devient rouge ; 2°. l’ammoniaque versée dans un vase plein de ce gaz le neutralise ; 3°. l’eau imprégnée de ce gaz est très-aigrelette ; 4°. il neutralise les alkalis et les emmène à crystallisation.

Il nous reste à présent à examiner les principales propriétés de ce gaz acide.

A. Il est impropre à la respiration : l’histoire nous apprend que deux esclaves que Tibère fit descendre dans la grotte du chien furent étouffés sur le champ ; et deux criminels, que Pierre de Tolède vice-Roi de Naples y fit enfermer, eurent le même sort : l’Abbé Nollet, qui se hazarda à en respirer la vapeur, sentit quelque chose de suffoquant et une légère âcreté qui détermina la toux et l’éternuement. Pilatre du Rozier, que nous retrouvons dans toutes les occasions où il y a quelque danger à courir, se fit attacher par des cordes fixées à ses aisselles, et descendit dans l’atmosphère gazeuse d’une cuve de bière en fermentation ; à peine fut-il entré dans la mofette que de légers picotemens le contraignirent à fermer les yeux ; une suffocation violente l’empêcha de respirer ; il éprouva un étourdissement accompagné de ces bourdonnemens qui caractérisèrent l’apoplexie et, lorsqu’on l’eut retiré, sa vue resta obscurcie pendant quelques minutes, le sang avoir engorgé les jugulaires, le visage étoit devenu pourpre, il n’entendoit et ne parloit que très-difficilement : tous ces symptômes disparurent peu à peu.

C’est ce gaz qui a produit de si fâcheux accidens, à l’ouverture des caveaux, dans les lieux où l’on fait fermenter la vendange, le cidre, la bière, etc. Les oiseaux plongés dans le gaz acide carbonique y périssent subitement : le fameux lac averne, où Virgile a placé l’entrée des enfers, exhale une si grande quantité d’acide carbonique, que les oiseaux ne peuvent pas voler dessus impunément. Lorsque l’eau du boulidou de Perols est à sec, les oiseaux qui cherchent à se désaltérer dans les ornières sont enveloppés dans la vapeur méphitique et y périssent.

Des grenouilles plongées dans l’atmosphère de l’acide carbonique y vivent 40 à 60 minutes en suspendant la respiration.

Les insectes s’y engourdissent, après quelque temps de séjour, et reprennent leur gaîté du moment qu’on les expose à l’air libre.

Bergmann a prétendu que cet acide suffoquoit en éteignant l’irritabilité : il se fonde sur ce qu’ayant tiré le cœur d’un animal mort dans l’acide carbonique avant qu’il fût refroidi, il ne donna aucun signe d’irritabilité. M. le Chevalier Landriani a été plus loin, car il a avancé que ce gaz appliqué sur la peau éteignoit l’irritabilité, et a soutenu qu’en liant au col d’une poule une vessie pleine de ce gaz, de façon que la seule tête de l’animal fût dans l’air libre et tout le corps enveloppé dans la vessie, la poule périssoit sur le champ. M. l’Abbé Fontana a répété et varié l’expérience sur plusieurs animaux, et aucun n’en est mort.

M. le Comte Morozzo a publié des expériences faites en présence du Docteur Cigna, dont les résultats paroissent infirmer les conséquences du cél. Bergmann ; mais il est à observer, que le Chimiste de Turin n’a fait périr les animaux que dans l’air vicié par la mort d’un autre animal, et que le gaz nitrogène domine dans cette circonstance. V. journal de phys, t. 25, p. 112.

B. L’acide carbonique est impropre à la végétation : M. Priestley ayant tenu les racines de plusieurs plantes dans l’eau imprégnée d’acide carbonique, a observé qu’elles y ont péri toutes ; et si l’on voit végéter des plantes dans l’eau ou dans l’air où ce gaz est contenu, c’est qu’il y est en petite quantité.

M. Sennebier a même observé que des plantes qu’on fait croître dans l’eau légèrement acidulée par ce gaz transpirent beaucoup plus de gaz oxigène, parce que, dans ce cas, cet acide se décompose, et le principe charbonneux se combine et se fixe dans le végétal, tandis que l’oxigène est poussé au dehors.

J’ai vu que les fungus qui se forment dans les souterrains se résolvoient presque en entier en acide carbonique ; mais si on expose peu à peu ces végétaux à l’action de la lumière, la proportion de l’acide diminue, celle du principe charbonneux augmente, et le végétal se colore ; j’ai suivi ces expériences avec le plus grand soin dans une mine de charbon.

C. L’acide carbonique se dissout dans l’eau avec facilité : l’eau imprégnée de cet acide a des vertus précieuses pour la médecine, et l’on a inventé successivement plusieurs appareils pour faciliter ce mélange ; l’appareil de Nooth perfectionné par Parker et Magellan est un des plus ingénieux. On peut consulter l’Encyclopédie méthodique, art. acide méphitique.

Les eaux minérales naturelles acidules ne différent de celles-ci que par d’autres principes qu’elles peuvent tenir en dissolution ; on peut les imiter parfaitement lorsque l’analyse en est bien connue, et il est absurde de croire que l’art ne puisse pas imiter la nature dans la composition des eaux minérales : il faut convenir que ses procédés nous sont absolument inconnus dans toutes les opérations qui tiennent essentiellement à la vie, et nous ne pouvons pas nous flatter de l’imiter dans ces circonstances ; mais, lorsqu’il est question d’une opération purement mécanique ou de la dissolution de quelques principes connus dans l’eau, nous pouvons et nous devons faire mieux qu’elle, puisqu’il nous est permis de varier les doses, et de proportionner la force d’une eau aux besoins et au but que l’on se propose.

D. Le gaz acide carbonique est plus pesant que l’air commun : le rapport que nous a indiqué M. Kirwan entre ces deux airs, par rapport à leur pesanteur, est celui de 45,69 à 68,745 le rapport qu’ont fourni les expériences de M. Lavoisier, est celui de 48,81 à 69,50.

Cette pesanteur le précipite dans les endroits les plus bas : c’est elle encore qui fait qu’on peut le transvaser, et déplacer, par ce moyen, l’air atmosphérique. Ce phénomène vraiment curieux avoir été observé par M. de Sauvages, comme on peut le voir dans sa dissertation sur l’air, couronnée à Marseille en 1750.

Il paroît prouvé par des expériences suffisantes que l’acide carbonique est une combinaison de carbone ou charbon pur et d’oxigène. 1°. Si on distille les oxides de mercure, ils se réduisent sans addition, et ne fournissent que du gaz oxigène ; si on mêle à l’oxide un peu de charbon, on ne retire que de l’acide carbonique, et le charbon diminue de poids ; 2°. si on prend un charbon bien fait, et qu’on le plonge tout allumé dans un flacon rempli de gaz oxigène, et qu’on bouche le vase dans le moment, le charbon brûle avec vivacité, et finit par s’éteindre ; Il se produit, dans cette expérience, de l’acide carbonique dont on peut s’emparer par les procédés connus ; ce qui reste est un peu de gaz oxigène qu’on peut convertir en acide carbonique en le traitant de la même manière.

Dans ces expériences je ne vois que charbon et gaz oxigène, et la conséquence qu’on en tire est simple et naturelle.

La proportion du charbon est à celle de l’oxigène, comme 12,0288 est à 56,687.

Si dans quelques cas on obtient de l’acide carbonique en brûlant du gaz hydrogène, c’est que ce gaz tient du carbone en dissolution : on peut même dissoudre le carbone dans le gaz hydrogène en l’exposant au foyer du miroir ardent dans l’appareil au mercure sous une cloche remplie de ce gaz.

Le gaz hydrogène qu’on extrait du mélange d’acide sulfurique et de fer tient plus ou moins de charbon en dissolution, parce que le fer en contient plus ou moins, d’après les belles expériences de MM. Berthollet, Monge, et Vandermonde.

Les alkalis, tels qu’ils se présentent naturellement, contiennent de l’acide carbonique ; c’est cet acide qui en modifie et diminue l’énergie, et c’est à lui que les alkalis doivent la propriété de faire effervescence : on peut donc considérer les alkalis comme des carbonates avec excès d’alkali ; et il est facile de saturer cet alkali surabondant, et de former de véritables sels neutres crystallisables.


ARTICLE PREMIER.

Carbonate de potasse.


Le carbonate de potasse a été désigné sous le nom de tartre craïeux : on connoit depuis long-temps la manière de faire crystalliser l’huile de tartre : Bonhius et Montet ont indiqué successivement des procédés ; mais le plus simple consiste à exposer une dissolution d’alkali dans l’atmosphère du gaz acide qui se dégage de la vendange ; l’alkali se sature, et forme des crystaux prismatiques tétraèdres terminés par des pyramides très-courtes et à quatre pans : j’ai plusieurs fois obtenu ces crystaux en prismes quadrangulaires coupés de biais à leurs extrémités.

Ce sel neutre n’a plus le goût urineux de l’alkali ; il a la saveur piquante des sels neutres, et on peut l’employer avec le plus grand succès dans la médecine ; je l’ai vu prendre à la dose d’un gros sans aucun inconvénient.

Ce sel a l’avantage sur le sel de tartre d’être moins caustique et d’une vertu toujours égale.

Ce sel, d’après l’analyse de Bergmann, contient par quintal 20 acide, 48 alkali, 32 eau.

Il n’attire point l’humidité de l’air ; j’en ai conservé pendant plusieurs années dans une capsule sans apparence d’altération.

La silice décompose à chaud le carbonate de potasse, ce qui occasionne un bouillonnement considérable ; le résidu est le verre, où l’alkali est à l’état caustique ; la chaux décompose le carbonate en s’unissant à l’acide ; les acides produisent le même effet en se combinant avec la base alkaline.

ARTICLE SECOND.

Carbonate de soude.


Les dénominations, alkali minéral aéré, soude craïeuse, etc. ont été données successivement à cette espèce de carbonate.

L’alkali minéral, dans son état naturel, contient plus d’acide carbonique que le végétal ; et il suffit de le dissoudre et de le rapprocher convenablement pour l’obtenir en crystaux.

Ces crystaux sont, pour l’ordinaire, des octaèdres rhomboïdaux, et quelquefois des lames rhomboïdales appliquées obliquement les unes sur les autres, de sorte qu’elles paroissent se recouvrir à la manière des tuiles.

Ce carbonate effleurit à l’air.

Cent parties contiennent 16 acide, 20 alkali, 64 eau.

L’affinité de sa base avec la silice est plus forte que celle du carbonate de potasse, aussi la vitrification est-elle plus prompte et plus facile.

La chaux et les acides le décomposent avec les mêmes phénomènes que nous avons observés à l’article du carbonate de potasse.


ARTICLE TROISIÈME.

Carbonate d’ammoniaque.


Ce sel a été généralement connu sous le nom d’alkali volatil concret, on l’a aussi désigné par celui d’alkali volatil craïeux, etc.

On peut le retirer par la distillation de plusieurs substances animales ; le tabac en fournit aussi beaucoup ; mais presque tout celui qui est employé dans les arts et la médecine, est formé par la combinaison directe de l’acide carbonique et de l’ammoniaque : on peut opérer cette combinaison, 1°. en faisant passer l’acide carbonique à travers l’ammoniaque ; 2°. en exposant l’ammoniaque dans l’atmosphère du gaz acide carbonique ; 3°. en décomposant le muriate d’ammoniaque par les sels neutres qui contiennent cet acide, tels que le carbonate de chaux : à cet effet on prend de la craie blanche qu’on dessèche bien exactement, on la mêle avec parties égales de muriate d’ammoniaque bien pilé, on met le mêlange dans une cornue et on procède à la distillation ; l’ammoniaque et l’acide carbonique dégagés de leurs bases et réduits en vapeurs se combinent et se déposent sur les parois du récipient, où ils forment une couche plus ou moins épaisse.

La cristallisation de ce carbonate m’a paru celle d’un prisme à quatre pans terminé par un sommet dihèdre.

Le carbonate a moins d’odeur que l’ammoniaque ; il est très-soluble dans l’eau ; l’eau froide en dissout son poids à la température de 60 degrés de Farheneit.

Cent grains de ce sel contiennent 45 acide, 43 alkali, 12 eau, selon Bergmann.

La plupart des acides le décomposent et déplacent l’acide carbonique.


CHAPITRE SECOND.

De l’acide sulfurique.


Le soufre, comme tous les autres corps combustibles, ne brûle qu’en raison du gaz oxigène qui se combine avec lui.

Les phénomènes les plus communs qui accompagnent cette combinaison, sont une flamme bleue, une vapeur blanchâtre et suffoquante, et une odeur forte, piquante et désagréable.

Les résultats de cette combinaison varient suivant la proportion dans laquelle ces deux principes entrent dans cette même combinaison.

On peut obtenir à volonté du soufre sublimé, du soufre mou, de l’acide sulfureux ou de l’acide sulfurique, selon qu’on combine plus ou moins d’oxigène avec le soufre par le moyen de la combustion.

Lorsque le courant d’air qui entretient la combustion est rapide, le soufre est entraîné et déposé sans altération apparente dans l’intérieur des chambres de plomb où se fabrique l’huile de vitriol : si on modère le courant d’air, la combinaison est un peu plus exacte, le soufre est en partie dénaturé, et il se dépose en une pellicule à la surface de l’eau ; cette pellicule est souple comme une peau, peut être maniée et retournée de la même manière : si le courant est encore moins rapide, et que l’air ait le temps nécessaire pour former une combinaison exacte avec le soufre, il en résulte de l’acide sulfureux ; lequel acide conserve sa forme gazeuse, à la température de l’atmosphère, et peut devenir liquide comme l’eau par l’application d’un froid très-fort, d’après la belle expérience de M. Monge : si la combustion est encore plus étouffée, et qu’on laisse digérer l’air sur le soufre plus long-temps et plus exactement, il en résulte de l’acide sulfurique ; on peut faciliter cette dernière combinaison par le mélange du salpêtre, parce que celui-ci fournit abondamment de l’oxigène.

Des expériences nombreuses, que j’ai faites à ma fabrique pour économiser le salpêtre employé dans la fabrication des huiles de vitriol, m’ont présenté plusieurs fois les résultats que je viens d’indiquer.

Tous les procédés qu’on peut mettre en usage pour extraire l’acide sulfurique se réduisent, 1°. à l’extraire des substances qui le contiennent ; 2°. à le former de toutes pièces par la combinaison du soufre et de l’oxigène.

Dans le premier cas, on distille les sulfures de fer, de cuivre ou de zinc, même ceux d’alumine et de chaux d’après MM. Neumann et Margraaf ; mais ces procédés très-dispendieux ne sont même pas d’une exécution bien facile, et on les a abandonnés pour en adopter de plus simples.

Dans le second cas, on peut présenter l’oxigène au soufre sous deux formes, ou à l’état de gaz ou à l’état concret.

1°. La combustion du soufre par le gaz oxigène s’exécute dans de grandes chambres tapissées de plomb ; on facilite la combustion en mêlant avec le soufre environ un huitième de nitrate de potasse, les vapeurs acides qui remplissent la chambre se précipitent sur les parois, et on en facilite la condensation par une couche d’eau qu’on dispose sur le fond de cette chambre. Dans quelques fabriques de Hollande, on opère la combustion dans de grands ballons de verre à large orifice, et les vapeurs se précipitent sur l’eau qu’on a mise dans le fond.

Dans l’un et dans l’autre cas, lorsque l’eau est assez imprégnée d’acide, on la concentre dans des chaudières de plomb, et on la rectifie dans des cornues de verre pour la blanchir et la mettre au degré du commerce. Cet acide convenablement concentré, marque 66 degrés à l’aréomètre de M. Baumé ; et lorsqu’il n’a pas été porté à ce degré, il est impropre à la plupart des usages pour lesquels on le destine, il ne peut pas être employé, par exemple, à dissoudre l’indigo, car le peu d’acide nitrique qu’il contient s’unit au bleu de l’indigo et forme une couleur verte : je me suis convaincu de ce phénomène par des expériences rigoureuses, et j’ai vu des couleurs manquées et des étoffes perdues par rapport au défaut de l’acide.

2°. Lorsqu’on présente l’oxigène à l’état concret, il est alors combiné avec d’autres corps qu’il abandonne pour s’unir au soufre ; c’est ce qui arrive en distillant l’acide nitrique sur le soufre ; 48 onces de cet acide 36 degrés distillées sur deux onces de soufre m’ont fourni près de 4 onces de bon acide sulfurique : le fait étoit connu de Matte Lafaveur ; mais j’ai indiqué tous les phénomènes et les circonstances de cette opération en 1781.

On peut encore convertir le soufre en acide sulfurique par le moyen de l’acide muriatique oxigéné, Encyclopédie méthodique, t. 1, p. 370.

L’acide sulfurique qu’on a trouvé à nud dans quelques lieux d’Italie paroît également provenir de la combustion du soufre : Baldaffari l’a observé dans cet état dans une grotte creusée au milieu d’une masse d’incrustations déposées par les bains de St. Philip en Toscane ; il ajoute que de cette grotte s’élève continuellement une vapeur sulfureuse : il a encore trouvé de ces efflorescences sulfureuses et vitrioliques à St. Albino près de Monte Pulciano, et aux lacs de Travale, où il vit des branches d’arbre couverres de ces concrétions de soufre et d’huile de vitriol. Journal de phys. t. 7, p. 395.

O. Vandelli rapporte que dans les environs de Sienne et de Viterbe on trouve quelquefois l’acide sulfurique dissous dans l’eau. M. le Commandeur de Dolomieu a assuré l’avoir trouvé pur et crystallisé dans une grotte de l’Etna dont on avoit tiré du soufre autrefois.

D’après une première expérience de M. Berthollet, 69 parties soufre, 31 oxigène ont formé 100 parties acide sulfurique : d’après une seconde, 72 soufre, 28 oxigène forment 100 acide sec.

Les divers degrés de concentration de l’acide sulfurique lui ont fait donner différens noms sous lesquels il est connu dans le commerce : de-là, les dénominations d’esprit de vitriol, d’huile de vitriol, d’huile de vitriol glaciale, pour exprimer ses degrés de concentration.

L’acide sulfurique est susceptible de passer à l’état concret par l’impression d’un froid actif : cette congélation est un phénomène connu depuis long-temps : Kunckel et Bohn en ont parlé, et Boerhaave dit expressément, oleum vitrioli summâ arte purissimum summo frigorc hiberno in glebas solidescit perspicuas, sed statim ac acuties frigoris retunditur, liquescit et difficcit. Nous devons à M. le Duc Dayen de belles expériences sur la congélation de cet acide ; et M. de Morveau les répéta avec un égal succès, en 1782, et se convainquit que cette congélation pouvoit s’opérer à un degré de froid bien moindre que celui qu’on avoit annoncé.

J’ai obtenu déjà plusieurs fois de superbes crystaux d’acide sulfurique, en prismes hexaèdres aplatis terminés par une pyramide hexaèdre ; et mes expériences m’ont permis de conclure, 1°. que l’acide très-concentré crystallise plus difficilement que celui qui marque entre 63 et 65 ; 2°. que le degré de froid convenable est de 1 à 3 sous 0. On peut voir le détail de mes expériences dans le volume de l’Académie des sciences de Paris, pour l’année 1784.

Les caractères de l’acide sulfurique sont les suivans.

1°. Il est onctueux et gras au toucher, ce qui lui a mérité le nom très-impropre d’huile de vitriol.

2°. Il pèse 1 once 7 gros dans un flacon contenant une once d’eau distillée.

3°. Il s’échauffe avec l’eau au point de lui communiquer un degré de chaleur supérieur à celui de l’eau bouillante : si on bouche l’extrémité d’un tube de verre, qu’on y mette de l’eau, et qu’on le plonge par le bout fermé dans un verre moitié plein de ce même liquide, on pourra porter à l’ébullition l’eau contenue dans le tube en versant de l’acide sulfurique sur celle qui est dans le verre.

4°. Il se saisit avec avidité de toutes les substances inflammables qui le noircissent et le décomposent.

Stalh avoit cru que l’acide sulfurique étoit l’acide universel ; il fondoit sur-tout cette opinion sur ce que des linges imbibés d’alkali et exposés à l’air attiroient un acide qui se combinoit avec lui et formoit un sel neutre qu’il a cru de la nature du sulfate de potasse. Des expériences plus rigoureuses ont démontré que cet acide aérien étoit le carbonique ; et nos connoissances actuelles nous permettent moins que jamais de croire à un acide universe.


ARTICLE PREMIER.

Sulfate de potasse.


Le sulfate de potasse est décrit indifféremment sous les noms d’arcanum duplicatum, sel de duobus, tartre vitriolé, vitriol de potasse, etc.

Ce sel crystallise en prismes hexaèdres terminés par des pyramides hexaèdres à pans triangulaires.

Il a une saveur vive et piquante, et se fond difficilement dans la bouche.

Il décrépite sur les charbons, rougit avant de se fondre, et se volatilise sans se décomposer.

Il se dissout dans 16 parties d’eau froide, à la température de 60 degrés de Farheneit, et l’eau bouillante en dissout le cinquième de son poids.

100 grains contiennent 30,21 acide, 64,61 alkali, et 5,18 eau.

Presque tout le sulfate de potasse usité dans la médecine est formé par la combinaison directe de l’acide sulfurique et de la potasse ; mais celui qui circule dans le commerce provient de la distillation des eaux fortes par l’acide sulfurique ; celui-ci est en beaux cristaux, et on ne le vend dans le Comtat Venaissin que 40 à 50 liv. le quintal. L’analyse du tabac m’a également fourni de ce sulfate.

M. Baumé prouva à l’Académie, en 1760, que l’acide nitrique, aidé de la chaleur, pouvoit décomposer le sulfate de potasse. M. Cornette fit voir ensuite que l’acide muriatique avoit la même vertu ; et j’ai démontré, en 1780, que l’acide pouvoit en être déplacé par l’acide nitrique sans le secours de la chaleur, mais que si on rapprochoit la dissolution, l’acide sulfurique reprenoit sa place.


ARTICLE SECOND.

Sulfate de soude.


Cette combinaison de l’acide sulfurique et de la soude est encore connue sous les noms de sel de glauber, sel admirable, vitriol de soude, etc.

Ce sel crystallise en octaèdres rectangulaires, prismatiques ou cunéiformes, dont les deux pyramides sont tronquées près de leurs bases.

Il a une saveur très-amère, et se dissout aisément dans la bouche.

Il se boursouffle sur les charbons, et y bouillonne en laissant dissiper son eau de crystallisation ; il ne reste qu’une poudre blanche qui entre difficilement en fusion, et se volatilise à un feu violent sans se décomposer.

Il effleurit à l’air, y perd sa transparence, et se réduit en une poudre fine.

Trois parties d’eau, à 60 degrés thermomètre de Farheneit, en dissolvent une, et l’eau bouillante dissout son poids égal.

100 grains de ce sel contiennent 14 acide, 22 alkali, 64 eau.

On le forme par la combinaison directe des deux principes qui le constituent ; mais le tamarix gallica des bords de la mer en contient une si grande quantité qu’on peut l’en extraire avec économie ; il suffit de brûler cette plante, et d’en lessiver les cendres : celui qu’on vend dans le midi de la France est en superbes crystaux et est préparé de cette manière ; il est très-pur, et le prix ne s’élève qu’à 30 à 35 livres le quintal ; on forme encore ce sulfate lorsque dans les laboratoires nous décomposons la muriate de soude par l’acide sulfurique.

La potasse dissoute à froid dans une dissolution de sulfate de soude, précipite la soude, et prend sa place. V. mes mémoires de chimie.


ARTICLE TROISIÈME.

Sulfate d’ammoniaque.


Le sulfate d’ammoniaque, sel ammoniacal, secret de glaubert, est très-amer.

Il crystallise en prismes à 6 pans aplatis et alongés, terminés par des pyramides à 6 pans.

On n’obtient des crystaux bien prononcés que par l’évaporation insensible.

Il attire un peu l’humidité de l’air.

Il se liquéfie à une chaleur douce, et se volatilise à un feu modéré.

Deux parties d’eau froide en dissolvent une, et l’eau bouillante en dissout son poids, voyez de Fourcroy. Les alkalis fxxes, la barite et la chaux en dégagent l’ammoniaque.

Les acides nitrique et muriatique en dégagent l’acide sulfurique.

Les différentes substances dont nous venons de parler sont d’un usage assez étendu dans les arts et la médecine.

L’acide sulfureux est employé à blanchir la soie, et à lui donner du lustre ; Stahl l’avoit même combiné avec l’alkali, et avoit formé ce sel si connu sous le nom de sel sulfureux de Stahl : cette combinaison passe bien vite à l’état de sulfate si on la laisse exposée à l’air, elle absorbe facilement l’oxigène qui lui manque.

Le principal usage de l’acide sulfurique est dans les teintures, où il sert à dissoudre l’indigo, et à le porter, dans un état de division extrême, sur l’étoffe qu’on veut teindre : on l’emploie encore dans les fabriques d’indiennes, pour enlever l’apprêt qu’on donne à ces étoffes par le moyen de la chaux : le Chimiste en fait un grand usage, dans les analyses, et pour séparer d’autres acides de leurs combinaisons, tels que le carbonique, le nitrique, le muriatique, etc.

Le sulfate de potasse est connu, dans la médecine, comme fondant, et on s’en sert dans les cas de dépôt laiteux : on le donne à la dose de quelques grains ; il est même purgatif à plus haute dose.

Le sulfate de soude est un purgatif efficace à la dose de 4 à 8 gros ; on le dissout dans une pinte d’eau.


CHAPITRE TROISIÈME.

De l’acide nitrique.


L’acide nitrique, qu’on appelle eau forte dans le commerce, est plus léger que le sulfurique ; il a ordinairement une couleur jaunâtre, une odeur forte et désagréable, et répand une vapeur rouge : il imprime une couleur jaune à la peau, à la soie, et à presque toutes les substances animales avec lesquelles on le met en contact ; il dissout et corrode avec avidité le fer, le cuivre, le zinc, etc. et laisse échapper un nuage de vapeurs rouges pendant tout le temps que dure son action ; il détruit entièrement la couleur des violettes qu’il rougit, s’unit à l’eau avec facilité, et le mélange prend d’abord une couleur verte qui disparoît quand on l’affoiblit davantage.

Cet acide n’a été trouvé nulle part à nud, il est toujours dans un état de combinaison, et c’est de ces mêmes combinaisons que nous avons l’art de l’extraire pour l’appliquer à nos usages : le nitrate de potasse est la combinaison la plus commune ; c’est aussi celle dont nous nous servons ordinairement pour en retirer l’acide nitrique.

Le procédé usité dans le commerce pour faire l’eau forte, consiste à mêler une partie de salpêtre avec deux à trois parties de terre bolaire rouge, on met le mélange dans des cornues luttées qu’on dispose sur une galère, on adapte un récipient à chaque cornue et on procède à la distillation ; la première vapeur qui passe n’est que de l’eau, on la laisse se dissiper en ne luttant pas encore la jointure du récipient à la cornue ; et lorsque les vapeurs rouges commencent à paroître on vide le phegme condensé dans le récipient, et pour lors on lutte pour s’opposer à la sortie des vapeurs acides ; les vapeurs qui se condensent forment d’abord une liqueur verdâtre, cette couleur disparoît insensiblement et elle est remplacée par une teinte plus ou moins jaune. Quelques Chimistes, M. Baumé sur-tout, ont pensé que la terre agissoit sur le salpêtre par l’acide sulfurique qu’elle contient ; mais, outre que ce principe n’existe point dans toutes, comme MM. Macquer, de Morveau, Schéele l’ont prouvé, nous savons que les cailloux pulvérisés produisent également la décomposition du salpêtre, je crois que l’on doit rapporter l’effet des terres sur ce sel à l’affinité très-marquée qu’a l’alkali avec la silice qui en fait la base, et sur-tout au peu d’adhésion qu’ont entr’eux les principes constituans du nitrate de potasse.

Dans nos laboratoires nous décomposons le salpêtre par le moyen de l’acide sulfurique : on prend du nitrate de potasse bien pur, on l’introduit dans une cornue tubulée qu’on place dans un bain de sable et à laquelle on adapte un récipient, on lutte avec soin toutes les jointures, on verse par la tubulure moitié poids d’acide sulfurique, et on procède à la distillation ; on a l’attention de placer un tube à la tubulure du récipient et de le faire plonger dans l’eau pour coercer les vapeurs et ôter toute crainte d’explosion.

Au lieu d’employer l’acide sulfurique, on peut lui substituer le sulfate de fer et le mêler au salpêtre à parties égales ; dans ce cas, le résidu de la distillation bien lavé forme la terre douce de vitriol, employée pour polir les glaces.

Stahl et Kunckel ont fait mention d’une eau forte très-pénétrante, de couleur bleue, obtenue par la distillation du nitre avec l’arsenic.

Quelque précaution qu’on apporte dans la purification du salpêtre, quelqu’attention qu’on donne à la distillation, l’acide nitrique est toujours imprégné de quelqu’acide étranger, sulfurique ou muriatique, dont il faut le débarrasser : on le dépouille du premier, en le redistillant sur du salpêtre très-pur, qui retient le peu d’acide sulfurique qui peut exister dans le mélange : on le prive du second, en y versant quelques gouttes d’une dissolution de nitrate d’argent, alors l’acide muriatique se combine avec l’argent, et se précipite avec lui sous la forme d’un sel insoluble, on laisse reposer la liqueur, on la décante de dessus le dépôt, et cet acide ainsi purifié est connu sous les noms d’eau forte du départ, d’acide nitreux précipité, d’acide nitrique pur, etc.

Stahl avoit regardé l’acide nitrique, comme une modification du sulfurique déterminée par sa combinaison avec un principe inflammable : cette opinion a été étayée de quelques faits nouveaux, dans une dissertation de M. Pietsh couronnée par l’Académie de Berlin en 1749.

Les expériences du cél. Hales l’avoient conduit plus près du but, puisqu’il a manié successivement les deux principes constituans de l’acide nitrique : ce célèbre Physicien avoit retiré 90 pouces cubes d’un demi pouce cube de nitre, et il s’est borné à conclure que cet air étoit la principale cause des explosions du nitre. Le même Physicien rapporte que la pyrite de Watson, traitée avec autant d’esprit de nitre que d’eau, produisoit un air qui avoit la propriété d’absorber l’air frais qu’on faisoit entrer dans les vaisseaux : ce grand homme a donc extrait successivement les principes de l’acide nitrique, et ces belles expériences ont mis M. Priestley sur la voie de ses découvertes.

Ce n’a été néanmoins qu’en 1776 que l’analyse de l’acide nitrique a été bien connue : M. Lavoisier, en distillant cet acide sur le mercure et recevant les divers produits dans l’appareil pneumato-chimique, a prouvé que l’acide nitrique dont le poids est à celui de l’eau distillée comme 131607 à 100000 contient,

Gaz nitreux 1 once 7 gros 51 grains
Gaz oxigène 1 . 7 . 51
Eau . . 13 . . .

En combinant ensemble ces trois principes on régénère l’acide décomposé.

L’action de l’acide nitrique sur la plupart des matières inflammables, n’est qu’une décomposition continuelle de cet acide.

Si on verse l’acide nitrique sur du fer, du cuivre ou du zinc, ces métaux sont attaqués dans le moment, avec une vive effervescence et un dégagement considérable de vapeurs qui deviennent rutilantes par leur combinaison avec l’air atmosphérique, mais qu’on peut retenir et recueillir à l’état de gaz dans l’appareil hydropneumatique ; dans tous ces cas les métaux sont fortement oxidés.

L’acide nitrique qu’on mêle avec des huiles les épaissit, les noircit, les charbonne ou les enflamme, selon qu’on présente l’acide plus ou moins concentré et en plus ou moins grande quantité.

Si on met de l’acide nitrique très-concentré dans une fiole à médecine, et qu’on y verse du charbon en poudre impalpable et très-sec, il s’enflamme dans le moment, et il se dégage de l’acide carbonique et du gaz nitrogène.

Les divers acides qu’on a obtenus par la digestion de l’acide nitrique sur quelques substances, tels que l’acide oxalique, l’arsenique, etc. ne doivent leur existence qu’à la décomposition de l’acide nitrique, dont l’oxigène se fixe avec les corps sur lesquels on le distille : la facilité qu’a cet acide de se décomposer en fait un des plus actifs, parce que l’action des acides sur la plupart des corps n’a lieu que par leur propre décomposition.

Les caractères du gaz nitreux qu’on extrait par la décomposition de l’acide sont, 1°. d’être invisible ; 2°. d’avoir une pesanteur un peu moindre que celle de l’air ; 3°. d’être impropre à la respiration, quoique l’Abbé Fontana prétende l’avoir respiré sans danger ; 4°. de ne pas servir à la combustion ; 5°. de n’être point acide, d’après les expériences de M. le Duc de Chaulnes ; 6°. de se combiner avec l’oxigène et de reproduire l’acide nitrique.

Mais quelle est la nature de ce gaz nitreux ? On a prétendu d’abord que c’étoit l’acide nitrique saturé de phlogistique : ce système a dû tomber dès qu’il a été prouvé que l’acide nitrique déposoit son oxigène sur le corps sur lequel il agit, et que le gaz nitreux pesoit moins que l’acide employé. Une belle expérience de M. Cavendish a jeté le plus grand jour sur cette matière : ce Chimiste, ayant introduit dans un tube de verre sept parties de gaz oxigène obtenu sans acide nitrique, et trois parties de gaz nitrogène, ou, en évaluant ces quantités en poids, dix parties nitrogène vingt-six oxigène, et faisant passer l’étincelle électrique à travers ce mélange, s’apperçut qu’il diminuoit beaucoup de volume, et parvint à le changer en acide nitrique : on peut présumer de cette expérience, que cet acide est une combinaison de sept parties d’oxigène et de trois de nitrogène : ces proportions constituent l’acide nitrique ordinaire ; mais, lorsqu’on s’empare d’une portion de l’oxigène, il passe alors à l’état de gaz nitreux, de façon que le gaz nitreux est la combinaison du gaz nitrogène et d’un peu d’oxigène.

On peut décomposer le gaz nitreux, en l’exposant sur le sulfure de potasse dissous dans l’eau ; le gaz oxigène s’unit au soufre et forme de l’acide sulfurique, tandis que le gaz nitrogène reste pur.

On peut décomposer encore le gaz nitreux par le moyen du pyrophore qui brûle dans cet air et absorbe le gaz oxigène.

L’étincelle électrique a aussi la propriété de décomposer le gaz nitreux : M. Van-Marum a observé que trois pouces de gaz nitreux se réduisoient à un pouce trois quarts, et qu’alors il n’avoit plus aucune propriété du gaz nitreux ; enfin, d’après les expériences de M. Lavoisier, 100 grains gaz nitreux contiennent 32 nitrogène, 68 oxigène.

D’après le même Chimiste, 100 grains acide nitrique contiennent 79 oxigène et 20 nitrogène ; et c’est là la raison pour laquelle il faut employer le gaz nitreux dans une moindre proportion que le gaz nitrogène pour le combiner avec le gaz oxigène et former l’acide nitrique.

Ces idées, sur la composition de l’acide nitrique, paroissent confirmées par les preuves multipliées que nous avons aujourd’hui de la nécessité de faire concourir les substances qui fournissent beaucoup de gaz nitrogène avec le gaz oxigène pour obtenir l’acide nitrique.

Les divers états de l’acide nitrique peuvent s’expliquer clairement d’après cette théorie ; 1°. l’acide nitreux fumant est celui dans lequel l’oxigène n’est point dans la proportion requise ; et nous pouvons rendre vaporeux et rutilant l’acide nitrique le plus blanc, le plus saturé, en nous emparant d’une partie de son oxigène par le moyen des métaux, des huiles, des corps inflammables, etc. ou bien en le dégageant par la simple exposition de cet acide à la lumière du soleil, d’après les belles expériences de M. Berthollet.

La propriété qu’a le gaz nitreux d’absorber l’oxigène pour former avec lui l’acide nitrique, l’a fait employer pour déterminer la proportion du gaz oxigène dans la composition qui forme l’atmosphère : l’Abbé Fontana a construit, sur ces principes, un eudiomètre ingénieux, dont on peut consulter la description et la manière de s’en servir, dans le premier volume des expériences sur les végétaux par M. Ingenhousz.

M. Berthollet a observé avec raison que cet eudiomètre étoit infidèle ; 1°. il est difficile d’obtenir du gaz nitreux formé constamment par les mêmes proportions des gaz nitrogène et oxigène, attendu qu’elles varient, non-seulement selon la nature des substances sur lesquelles on décompose l’acide nitrique, mais même selon que la dissolution de telle ou telle substance par l’acide se fait avec plus ou moins de rapidité : si l’acide se décompose sur une huile volatile, on peut n’obtenir que du gaz nitrogène ; si l’acide agit sur du fer et qu’il soit très-concentré, il peut n’en résulter que du gaz nitrogène, comme je l’ai observé, etc. 2°. L’acide nitrique qui se forme, par l’union du gaz nitreux et de l’oxigène, dissout plus ou moins de gaz nitreux, selon la température, la qualité de l’air qu’on éprouve, la grandeur de l’eudiomètre, etc. de sorte que la diminution varie, en raison de la quantité plus ou moins grande de gaz nitreux qui est absorbé par l’acide nitrique qui se forme ; conséquemment la diminution doit être encore plus forte en hiver qu’en été, etc.

D’après les expériences de M. Lavoisier, quatre parties de gaz oxigène suffisent pour saturer sept parties et un tiers du gaz nitreux, tandis qu’il faut à peu près seize parties d’air atmosphérique : d’où ce cél. Chimiste a conclu que l’air de l’atmosphère ne contenoit en général qu’un quart de gaz oxigène et respirable. Des expériences suivies à Montpellier sur les mêmes principes, m’ont convaincu que 12 à 13 parties d’air atmosphérique suffisoient constamment pour saturer 7 parties et un tiers de gaz nitreux.

Ces expériences font connoître, jusqu’à un certain point, la proportion dans laquelle l’air vital se trouve dans l’air que nous respirons, mais elles ne donnent aucune connoissance sur les gaz délétères qui, mêlés à l’air atmosphérique, l’altèrent et le rendent mal-sain : cette observation restreint prodigieusement l’usage de cet instrument.

La combinaison des gaz oxigène et nitreux laisse toujours un résidu aériforme, que M. Lavoisier a estimé environ un trente-quatrième du volume total ; il provient du mélange des substances gazeuses étrangères qui altèrent plus ou moins la pureté des gaz employés.


ARTICLE PREMIER.

Nitrate de potasse.


L’acide nitrique combiné avec la potasse forme ce sel si connu sous les noms de nitre, salpêtre, nitre de potasse, etc.

Ce sel neutre est rarement le produit de la combinaison directe de ses deux principes constituans ; on le trouve tout formé dans certains endroits ; et c’est de-là qu’on retire tout celui qu’on emploie dans les arts.

Dans l’Inde il effleurit à la surface des terres en friche ; les habitans détrempent ces terres dans l’eau, les font bouillir dans des chaudières et crystalliser dans des pots de terre. M. Dombey a observé, près de Lima, sur les terres qui servent de pâturage et qui ne produisent que des graminées, une grande quantité de salpêtre. M. Talbot-Dillon rapporte, dans son voyage d’Espagne, que le tiers de toutes les terres, et dans les parties méridionales la poussière même des chemins, contiennent du salpêtre.

En France on extrait le salpêtre des ruines et plâtras des maisons.

Ce sel existe tout formé dans les végétaux, tels que le tournesol, la pariétaire, la buglosse, etc. et un de mes élèves, M. Virenque, a prouvé qu’il se produisoit dans tous les extraits susceptibles de passer à la fermentation.

On peut favoriser la fermentation du salpêtre, en faisant concourir quelques circonstances avantageuses à sa formation.

Dans le nord de l’Europe on forme des couches à salpêtre avec la chaux, les cendres, la terre des prés, le chaume, qu’on stratifie, et qu’on arrose avec l’urine, l’eau de fumier et les eaux mères ; on garantit les couches par un toit de bruyère. En 1775, le Roi fit proposer un prix, par l’Académie royale des sciences de Paris, pour trouver le moyen d’augmenter la récolte du salpêtre en France, et soustraire les citoyens à l’obligation de laisser fouiller dans les caves pour y chercher et en enlever les terres salpêtrées. Le concours a produit plusieurs mémoires sur cet objet, que l’Académie a réunis dans un seul volume ; et ils ont ajouté à nos connoisances, en nous instruisant, sur-tout, de la nature des matières qui favorisoient la formation du nitre : on savoit, par exemple, depuis long-temps, que le nitre se formoit de préférence près des habitations ou dans les terres imprégnées de produits animaux ; on savoit encore qu’il n’étoit en général à base d’alkali que par le concours de la fermentation végétale. M. Thouvenel, dont le mémoire a été couronné, a prouvé, que le gaz qui se dégage par la putréfaction étoit nécessaire à la formation du nitre, que le sang et puis l’urine étoient les parties animales qui favorisoient le plus sa formation, que les terres les plus divisées et les plus légères étoient les plus propres à la nitrification, qu’il faut ménager le courant d’air pour fixer sur les terres l’acide nitrique qui se forme, etc.

Il me paroît que Becher avoit des connoissances assez exactes sur la formation du nitre, comme on le verra par les passages suivans.

Hœc enim (vermes, muscœ, serpentes) putrefacta in terram abeunt prorsùs nitrosam, ex quâ etiam communi modo nitrum copiosum parari potest solâ elixatione cum aqua comniuni. Phys. subs. lib. 1, S. V, t. 1, p. 286.

Sed et ipsum nitrum necdum finis ultimus putrefactionis est, nam cum ejusdem partes igneas separantur reliquœ in terram abeunt prorsùs puram et insipidam, sed singulari magnetismo prœditam novum spiritum aëreum attrahendi rursùsque nitrum fiendi. Phys. subs. S. V, t. 1, p. 292.

Il suit, de tout ce qui est connu jusqu’à ce jour, que pour établir des nitrières artificielles, il faut faire concourir la putréfaction animale et la fermentation végétale, Le gaz nitrogène, en se dégageant des matières animales, se porte sur l’oxigène et forme l’acide, qui se combine avec l’alkali dont la formation est favorisée par la décomposition végétale.

Lorsqu’on a des terres salpétrées, par le seul travail de la nature ou par le secours de l’art, on en retire le salpêtre par la lixiviation des terres, le rapprochement de la lessive et la crystallisation. À mesure que l’évaporation se fait, il se précipite du sel marin qui accompagne presque partout la formation du nitre ; on le recueille avec des cuillers, et on le met à égouter dans des paniers placés sur les chaudières.

Comme le nitre est en grande partie à base de terre, et qu’il faut lui fournir une base alkaline pour le faire crystalliser, on y parvient, ou en lessivant des cendres avec les terres salpétrées, ou bien en mêlant de l’alkali tout formé avec les lessives elles-mêmes.

Le nitre obtenu par cette première opération n’est jamais pur ; il contient du sel marin et un principe extractif et colorant dont il faut le débarrasser ; pour cet effet, on le dissout dans de la nouvelle eau qu’on évapore, et à laquelle on peut ajouter du sang de bœuf pour clarifier la dissolution : le nitre obtenu par cette seconde manipulation est connu sous le nom de nitre de la seconde cuite ; si on a recours à une troisième opération pour le purifier, on l’appelle alors nitre de la troisième cuite.

Le nitrate de potasse purifié est employé pour les opérations délicates, telles que la fabrication de la poudre à canon, la préparation de l’eau forte pour le départ et la dissolution du mercure, etc. Le salpêtre de la première cuite est usité dans les atteliers où l’on fabrique l’eau forte pour la teinture ; il fournit un acide nitre-muriatique qui est seul capable de dissoudre l’étain.

Le nitrate de potasse crystallise en octaèdres prismatiques, qui représentent presque toujours des prismes à six pans aplatis, terminés par des sommets dihèdres.

Il a une saveur piquante suivie de fraîcheur.

Il fuse sur les charbons : son acide se décompose dans ce cas-ci ; l’oxigène s’unit au carbone, et forme de l’acide carbonique ; le gaz nitrogène et l’eau se dissipent ; et c’est ce mélange de principes qui a été connu sous le nom de Clissus.

La distillation du nitrate de potasse fournit 12000 pouces cubes de gaz oxigène par livre de sel.

Sept parties d’eau, à 60 degrés de Farheneit, en dissolvent une, et l’eau bouillante en dissout parties égales.

100 grains de crystaux de ce sel contiennent 30 acide, 63 alkali, 7 eau.

En jettant dans un creuset chauffé au rouge un mélange de nitre et de soufre à parties égales, on obtient une matière saline qu’on a d’abord appellée sel polychreste de Glaser, et qu’on a ensuite assimilée au sulfate de potasse.

Si on fait fondre du nitre, qu’on répande sur ce sel en fusion quelques pincées de soufre, et qu’on coule en plaques le nitre fondu, on forme un sel connu sous le nom de crystal minéral.

Le mélange de 75 parties de nitre, 9 et de soufre et 15 et de charbon, forme la poudre à canon : on triture pendant dix à quinze heure ce mélange, et on a soin de l’humecter de temps en temps ; cette trituration s’opère ordinairement par des bocards dont les pilons et les mortiers sont en bois. Pour donner à la poudre la grosseur convenable et la grainer, on la fait passer par des cribles de peau dont les trous sont de différentes grandeurs ; on tamise la poudre grainée pour en séparer la poussière, et on la porte au séchoir. La poudre à canon n’éprouve point d’autre préparation, mais il est nécessaire de lisser la poudre qu’on destine pour la chasse ; et on lui donne cette dernière préparation, en la mettant dans une espèce de tonneau qui tourne sur lui-même à l’aide d’un axe qui le traverse ; ce mouvement excite des frottemens continuels qui brisent les angles et polissent les surfaces.

Nous devons à M. Baumé et au Chevalier Darcy un travail sur la poudre, par lequel ils ont prouvé,

1°. Qu’on ne peut pas faire de bonne poudre sans soufre.

2°. Que le charbon est aussi d’une indispensable nécessité.

3°. Que la qualité dépend, cœteris paribus, de l’exactitude avec laquelle le mélange est fait.

4°. Que la poudre a plus d’effet, quand elle est simplement desséchée, que lorsqu’elle est grainée.

L’effet de la poudre dépend, de la décomposition rapide qui se fait, en un instant, d’une masse assez considérable de nitre, et de la formation subite des gaz qui en sont le produit immédiat. Bernoulli s’etoit assuré, dans le dernier siècle, du développement d’un air par la déflagration de la poudre ; il mit quatre grains de poudre dans un tuyau de verre recourbé, plongea le tuyau dans l’eau, et enflamma la poudre par le moyen du miroir ardent ; après la combustion, l’air intérieur occupoit plus de volume, de façon que l’espace abandonné par l’eau pouvoit contenir 200 grains de poudre. Hist. de l’Académie des Sciences de Paris 1696, t. II, mémoire de M. Varignon, sur le feu et la flamme.

La poudre fulminante faite par le mélange et la trituration de trois parties nitre, deux de sel de tartre et une de soufre, a des effets encore plus terribles : pour en obtenir tout l’effet, on l’expose dans une cuiller à une chaleur douce, le mélange se fond, il paroît une flamme bleue sulfureuse et l’explosion se décide : il faut observer de ne donner, ni trop ni trop peu de chaleur ; dans l’un et l’autre extrême, la combustion des principes se fait séparément et sans explosion.

ARTICLE SECOND.

Nitrate de soude.


Ce sel a reçu le nom de nitre cubique, par rapport à sa forme, mais la dénomination n’est pas exacte, puisqu’il affecte une figure constamment rhomboïdale.

Il a une saveur fraîche amère.

Il attire un peu l’humidité de l’air.

L’eau froide, à 60 deg. therm. de Far., en dissout un tiers de son poids, l’eau chaude n’en dissout guères plus.

Il fuse sur les charbons ardens avec une couleur jaune, tandis que le nitre ordinaire donne une flamme blanche, suivant Margraaf 24 dissert. sur le sel commun, pag. 343, tom. 2.

Cent grains de ce sel contiennent 28,80 acide, 50,09 alkali et 21,11 eau.

Il est presque toujours le produit de l’art.


ARTICLE TROISIÈME.

Nitrate d’ammoniaque.


Les vapeurs de l’ammoniaque mises en contact avec celles de l’acide nitreux se combinent et forment un nuage blanc et épais qui se dépose difficilement.

Mais lorsqu’on unit directement l’acide à l’alkali, il en résulte un sel qui a une saveur fraîche, amère et urineuse.

M. Delisle prétend qu’il cristallise en belles aiguilles analogues à celles du sulfate de potasse, on ne peut obtenir les crystaux que par une évaporation très-lente.

Ce sel exposé au feu se liquéfie, exhale des vapeurs aqueuses, se dessèche et détonne : M. Berthollet a analysé tous les résultats de cette opération, et en a tiré une nouvelle preuve de la vérité des principes qu’il a reconnus à l’ammoniaque.


CHAPITRE QUATRIÈME.

De l’acide muriatique.


Cet acide est généralement connu sous le nom d’acide marin, et on le connoît encore sous celui d’esprit de sel dans les atteliers.

Il est plus léger que les deux précédens : il a une odeur vive, piquante, approchant de celle du saffran, mais infiniment plus forte ; il exhale des vapeurs blanches lorsqu’il est concentré ; il précipite l’argent de sa dissolution en un sel insoluble, etc.

Cet acide n’a pas été trouvé à nud : et pour l’obtenir dans cet état, il faut le dégager de ses combinaisons, et on emploie ordinairement le sel commun à cet usage.

L’esprit de sel du commerce s’obtient par un procédé peu différent de celui qui est usité pour extraire l’eau forte ; mais, comme cet acide adhère plus fortement à sa base, celui qu’on en retire est très-foible, et il n’y a qu’une partie du sel marin qui se décompose.

Les cailloux pulvérisés et mêlés avec ce sel n’en séparent point l’acide ; dix livres de cailloux en poudre traitées à un feu violent avec deux livres de sel, ne m’ont donné qu’une masse couleur de litarge, le phlegme n’étoit pas sensiblement acide.

L’argile qui a servi une fois à décomposer le sel marin, mêlée avec une nouvelle quantité de ce sel n’en décompose pas un atome, même lorsqu’on humecte le mélange pour en faire une pâte : ces expériences ont été faites plusieurs fois à ma fabrique, et m’ont présenté constamment les mêmes résultats.

Le sulfate de fer qui dégage si facilement l’acide nitrique, ne décompose que très-imparfaitement le sel marin.

La mauvaise soude, qu’on appelle chez nous blanquete, et où l’analyse m’a démontré 21 livres de sel commun sur 25, distillée avec l’acide sulfurique ne fournit presque point d’acide muriatique, mais de l’acide sulfureux en abondance ;

M. Bérard Dir. de ma fabrique, attribua ces résultats au charbon contenu dans cette soude, lequel décomposoit l’acide sulfurique ; il calcina la blanquete en conséquence pour détruire le charbon, et alors il put la traiter comme le sel marin et avec le même succès.

L’acide sulfurique est celui qu’on emploie ordinairement pour décomposer le sel marin : ma manière de procéder consiste à dessécher le sel marin, à le piler et à le mettre dans une cornue tubulée qu’on place sur un bain de sable ; à la cornue on adapte un récipient, puis deux flacons, dans lesquels je distribue un poids d’eau distillée égal à celui du sel marin employé ; on lutte les jointures des vaisseaux avec la plus grande précaution ; et, lorsque l’appareil est dressé, on verse par la tubulure une quantité d’acide sulfurique qui fait la moitié du poids du sel, il s’excite dans le moment un bouillonnement considérable ; et, lorsque cette effervescence est appaisée, on chauffe graduellement la cornue et l’on porte le mélange à l’ébullition.

L’acide se dégage à l’état de gaz, et se mêle à l’eau avec avidité et chaleur notables.

L’eau du premier flacon est, pour l’ordinaire, saturée de ce gaz acide ; et, forme un acide très-concentré et fumant ; celle du second est plus foible, mais on peut la porter au degré qu’on désire en l’imprégnant d’une nouvelle quantité de ce gaz.

Les anciens Chimistes ont été partagés sur la nature de l’acide muriatique ; Becher a cru que c’étoit l’acide sulfurique modifié par la terre mercurielle.

Cet acide est susceptible de se combiner avec une nouvelle dose d’oxigène : et, ce qui est bien extraordinaire, c’est que par cette nouvelle quantité il devient plus volatil, tandis que les autres acides paroissent acquérir plus de fixité dans ces circonstances ; on diroit même que, dans ce cas, ses vertus acides s’affoiblissent, puisque son affinité avec les alkalis diminue, et qu’il détruit les couleurs végétales bleues, bien-loin de les rougir.

Un autre phénomène non moins intéressant que nous présente cette nouvelle combinaison, c’est que l’acide muriatique s’empare de l’oxigène avec avidité, et que néanmoins, il contracte une si foible union avec lui, qu’il le cède à presque tous les corps, et que la seule lumière peut le dégager.

C’est à Schéele que nous devons la découverte de l’acide muriatique oxigéné : il la fit, en 1774, en employant l’acide muriatique comme dissolvant du manganèse, il s’apperçut qu’il se dégageoit un gaz qui avoit l’odeur distinctive de l’eau régale : il crut que, dans ce cas, l’acide muriatique abandonnoit son phlogistique au manganèse, et il l’appela acide marin déphlogistiqué. Il observa les principales propriétés vraiment étonnantes de ce nouvel être ; et, après lui, tous les Chimistes ont cru devoir s’occuper d’une substance qui présentoit une nouvelle manière d’être des corps.

Pour extraire cet acide, je place un gros alambic de verre d’une seule pièce sur un bain de sable ; à cet alambic j’adapte un petit ballon, et à ce ballon trois ou quatre flacons presque pleins d’eau distillée, étranges à la manière de Woulf ; je dispose le ballon et les flacons dans une cuve, je lutte les jointures avec le lut gras et l’assujettis avec des linges imbibés de lut de chaux et de blanc d’œuf, j’entoure les flacons de glace pilée ; et, lorsque l’appareil est ainsi disposé, j’introduis dans l’alambic demi-livre de manganèse des Cevennes, et verse dessus, à diverses reprises, trois livres d’acide muriatique fumant, je verse cet acide de trois en trois onces, il s’excite à chaque fois une effervescence notable, et je n’en verse une nouvelle quantité que lorsqu’il ne passe plus rien ; lorsqu’on veut opérer sur une certaine quantité, on ne peut pas agir différemment ; car si on verse à la fois une trop grande quantité d’acide, on ne peut pas se rendre maître des vapeurs et l’effervescence fait passer le manganèse dans le récipient. Les vapeurs qui se développent par l’affusion de l’acide muriatique, sont d’un jaune verdâtre, elles se combinent avec l’eau et lui communiquent cette couleur ; lorsqu’on les concentre par la glace et que l’eau en est saturée, elles forment une écume à la surface qui se précipite dans le liquide et ressemble à de l’huile figée : il est nécessaire d’aider l’action de l’acide muriatique par le secours d’une chaleur modérée qu’on communique au bain de sable ; il est essentiel de bien lutter les vaisseaux, car la vapeur qui s’échappe est suffoquante et ne permet pas au Chimiste de veiller de près à son opération : on peut reconnoître aisément l’endroit par où perdent les luts, en promenant dessus une plume trempée dans l’ammoniaque, la combinaison de ces vapeurs forme dans le moment un nuage blanc qui dénote l’endroit par où la vapeur s’échappe. On peut consulter sur l’acide muriatique oxigéné, un excellent Mémoire de M. Berthollet, publié dans les annales chimiques.

On peut obtenir le même acide muriatique oxigéné, en distillant, dans un appareil semblable, un mélange de dix livres de sel marin, trois à quatre livres de manganèse et dix livres acide sulfurique.

M. Reboul a observé que l’état concret de cet acide est une crystallisation de l’acide qui a lieu à trois degrés au-dessus de la glace : les formes qu’il lui a reconnues sont celles d’un prisme quadrangulaire tronqué très-obliquement et terminé par un lozange ; il a aussi observé, sur la surface de la liqueur, des pyramides hexaèdres creuses.

Pour employer l’acide oxigéné dans les arts, et pouvoir en concentrer une plus grande quantité dans un volume donné d’eau, on fait passer la vapeur à travers une dissolution d’alkali ; il se forme d’abord un précipité blanc dans la liqueur, mais peu après le dépôt diminue, et il s’en dégage des bulles qui ne sont que de l’acide carbonique ; dans ce cas, il se forme du muriate oxigéné et du muriate ordinaire ; la seule impression de la lumière suffit pour décomposer le premier et le convertir en sel commun : cette lessive contient, à la vérité, l’acide oxigéné dans une plus forte proportion ; l’odeur exécrable de cet acide est fortement chatrée ; on peut l’employer aux divers usages avec le même succès et avec beaucoup plus d’aisance ; mais l’effet ne répond pas, à beaucoup près, à la quantité d’acide oxigéné qui entre dans cette combinaison, parce que la vertu d’une grande partie est détruite par son union à la base alkaline.

L’acide muriatique oxigéné a une odeur des plus fortes ; elle porte une impression directe sur le gosier qu’elle resserre, excite la toux, et détermine un violent mal de tête.

La saveur en est âpre et amère. Cet acide détruit promptement la couleur de la teinture de tournesol ; mais il paroît que la propriété qu’ont la plupart des substances oxigénées de rougir les couleurs bleues, ne provient que de la combinaison de l’oxigène avec les principes colorans ; et lorsque cette combinaison est très-forte et rapide, alors la couleur est détruite.

Le gaz muriatique oxigéné dont on sature une dissolution d’alkali caustique, fournit, par l’évaporation dans des vaisseaux à l’abri de la lumière, du muriate et du muriate oxigéné ; ce dernier détonne sur le charbon, se dissout plus dans l’eau chaude que dans l’eau froide ; il crystallise quelquefois en lames hexaèdres, et plus souvent en lames rhomboïdales, ces crystaux sont d’un brillant argentin comme le mica ; ils ont une saveur fade, et produisent, en se fondant dans la bouche, un sentiment de fraîcheur qui ressemble à celle du nitre.

M. Berthollet s’est assuré, par des expériences délicates, que l’acide muriatique oxigéné qui existe dans le muriate oxigéné de potasse, contenoit plus d’oxigène qu’un pareil poids d’acide muriatique oxigéné délayé dans l’eau ; ce qui l’a porté à regarder l’acide oxigéné combiné dans le muriate comme sur-oxigéné ; et il regarde le gaz acide muriatique, par rapport au gaz acide muriatique oxigéné, comme le gaz nitreux ou gaz sulfureux par rapport aux acides nitrique et sulfurique ; il prétend que la production du muriate simple et du muriate oxigéné, dans la même opération, peut être comparée à l’action de l’acide nitrique qui, dans beaucoup de cas, produit du nitrate et du gaz nitreux : de-là, il vient à considérer l’acide muriatique comme un pur radical qui, combiné avec plus ou moins d’oxigène, forme le gaz acide muriatique simple, ou le gaz acide muriatique oxigéné.

Les muriates oxigénés de soude ne différent de ceux de potasse, qu’en ce qu’ils sont déliquescens et solubles dans l’alkool, comme tous les sels de cette nature.

Le muriate oxigéné de potasse donne son oxigène à la lumière, et par la distillation lorsque le vaisseau est chauffé au rouge.

100 grains de ce sel ont donné 75 pouces cubes de gaz oxigène ramené à la température de 12 degrés de Reaumur : cet air est plus pur que les autres, et on peut l’employer pour des expériences délicates. Le muriate oxigéné de potasse crystallisé ne trouble point les dissolutions de nitrate de plomb, d’argent ni de mercure.

M. Berthollet a fabriqué de la poudre, en substituant au salpêtre le muriate oxigéné ; elle a produit des effets quadruples. L’expérience en grand qu’on a tentée à Essonne n’est que trop connue par la mort de M. le Tors et de Mlle. Chevraud ; cette poudre fit explosion dans le moment qu’on trituroit le mélange.

L’acide muriatique oxigéné blanchit la toile et le coton : à cet effet on passe le coton dans une lessive foiblement alkaline, on fait bouillir, puis on tord l’étoffe, et on la fait tremper dans l’acide oxigéné ; on a l’attention de remuer l’étoffe et de la tordre, on la lave ensuite à grande eau pour enlever l’odeur dont elle est imprégnée.

J’ai appliqué cette propriété reconnue, au blanchissage du papier et des vieilles estampes ; on leur donne, par ce moyen, une blancheur qu’elles n’ont jamais eue ; l’encre ordinaire disparoît par l’action de cet acide, mais celle d’Imprimeur est inattaquable.

On peut blanchir la toile, le coton et le papier, à la vapeur de cet acide ; j’ai fait à ce sujet quelques expériences en grand qui m’ont convaincu de la possibilité d’appliquer ce moyen aux arts. Le mémoire dans lequel j’ai détaillé ces expériences sera imprimé dans le volume de l’Académie de Paris pour l’année 1787.

Le gaz acide muriatique oxigéné épaissit les huiles, et oxide les métaux, à tel point qu’on peut employer ce procédé avec avantage pour former du verdet.

L’acide muriatique oxigéné dissout les métaux sans effervescence, parce que son oxigène suffit pour les oxider, sans qu’il soit besoin de la décomposition de l’eau, et conséquemment sans dégagement de gaz.

Cet acide précipite le mercure de ses dissolutions, et le met à l’état de sublimé corrosif.

Il convertit le soufre en acide sulfurique ; il décolore dans le moment l’acide sulfurique très-noir.

Mêlé avec le gaz nitreux, il passe à l’état d’acide muriatique, et convertit une partie de ce gaz en acide nitrique.

Exposé à la lumière il fournit du gaz oxigène, et l’acide muriatique est régénéré.

L’acide muriatique n’agit si efficacement sur les oxides métalliques qu’en s’oxigénant ; et, dans ce cas, il forme avec eux des sels qui sont plus ou moins oxigénés.


ARTICLE PREMIER.

Muriate de potasse.


Ce sel est encore connu sous le nom de sel fébrifuge de Sylvius.

Il a une saveur amère, désagréable et forte.

Il crystallise en cubes, ou en prismes tétraèdres.

Il décrépite sur les charbons ; et lorsqu’on le pousse à un feu violent, il se fond et se volatilise sans se décomposer.

Il exige trois fois son poids d’eau, à la température de 60 deg. ther. Far., pour être dissous.

Il est peu altérable à l’air.

100 grains de ce sel contiennent 29,68 acide, 63,47 alkali, et 6,85 eau.

On rencontre ce sel fréquemment, mais en petite quantité, dans l’eau de la mer, les plâtras, les cendres de tabac, etc. L’existence de ce sel dans les cendres de tabac a dû d’autant plus me surprendre, que je devois m’attendre à y trouver du muriate de soude, puisqu’on l’emploie dans cette opération qu’on appelle la mouillade. La soude seroit-elle métamorphosée en potasse par la fermentation végétale ? C’est ce qu’on pourra décider par des expériences directes.


ARTICLE SECOND.

Muriate de soude.


Les mots reçus de sel marin, de sel commun, de sel de cuisine, désignent la combinaison de l’acide muriatique avec la soude.

Ce sel a une saveur piquante, mais point amère ; il décrépite sur les charbons, se fond et se volatilise à un feu de verrerie sans se décomposer.

2,5 son poids d’eau, à 60 deg. ther. Far., le dissolvent.

100 parties de ce sel contiennent 33,3 acide, 50 alkali, 16,7 eau.

Il crystallise en cubes. M. Gmelin nous a appris que le sel des lacs salans des environs de Sellian, sur les bords de la mer caspienne, forme des crystaux cubiques et des rhombes.

M. de Lisle observe qu’une dissolution de sel marin abandonnée à l’évaporation insensible pendant cinq ans, chez M. Rouelle, avoit formé des crystaux octaèdres réguliers comme ceux d’alun.

On peut obtenir le sel marin en octaèdres, en versant de l’urine fraîche dans une dissolution de sel marin très-pur. M. Berniard s’est convaincu que cette addition ne faisoit que changer la forme sans altérer la nature du sel.

Ce sel est natif dans bien des endroits : la Catalogne, la Calabre, la Suisse, la Hongrie, le Tirol en ont des mines plus ou moins abondantes. Les plus riches mines de sel sont celles de Wieliczka en Pologne : M. Berniard nous en a donné la description dans les journaux de physique ; et M. Macquart, dans ses essais de minéralogie, a ajouté des détails intéressans sur l’exploitation de cette mine.

Nos fontaines d’eau salée de la Lorraine et de la Franche-Comté, et quelques indices fournis par Bleton, ont paru des motifs suffisans à M. Thouvenel, pour faire présumer l’existence de mines de sel dans notre Royaume : voici de quelle manière s’exprime ce Chimiste.

» À deux lieues de Saverne, entre le village de Huctenhausen et celui de Garbourg, dans une haute montagne dite Pensenperch, existent deux grands réservoirs d’eau salée, l’un au levant à l’origine d’une grande vallée profonde et étroite, qu’on appelle grand Limerthaal, l’autre au couchant sur la pente opposée vers Garbourg ; ils communiquent entr’eux par cinq rameaux qui se détachent du réservoir d’en haut, viennent se réunir à celui d’en bas : de ces-deux bassins de salaison partent deux grands écoulemens d’eau ; le supérieur se porte en Franche-Comté, l’inférieur en Lorraine, où ils fournissent aux salines connues. »

Les eaux iroient donc jaillir à soixante et dix lieues du réservoir.

Les mines de sel paroissent devoir leur origine au dessèchement de vastes lacs : la présence des coquilles et des madrépores, dans les mines immenses de Pologne, annonce les dépôts marins : il est d’ailleurs quelques mers où le sel est si abondant, qu’il se dépose au fond de l’eau, comme il conste d’après l’analyse de l’eau du lac Asphaltite faite par MM. Macquer et Sage.

Ce sel natif est souvent coloré ; et, comme dans cet état il est assez brillant, on l’appelle sel gemme, c’est presque toujours un oxide de fer qui le colore.

Comme ces mines de sel ne sont, ni assez abondantes pour fournir aux besoins de tous, ni assez également distribuées pour permettre à tous les peuples de notre globe d’y avoir recours, on a été obligé d’extraire le sel de l’eau de la mer. La mer n’en contient pas une égale quantité sous tous les climats : Ingenhousz nous a appris que celles du nord en contiennent moins que celles du midi. Le sel marin est si abondant en Égypte, qu’au rapport d’Hasselquist une source d’eau douce est un trésor dont le secret ne se transmet que de père en fils.

La manière d’extraire le sel de la mer varie, selon les climats.

1°. Dans les Provinces du nord, on lave les sables salés des bords de la mer avec le moins d’eau possible, et on obtient le sel par évaporation. Voyez la description de ce procédé par M. Guettard.

2°. Dans les pays très-froids, on concentre l’eau par la gelée, et on évapore le reste par le feu. Voyez Vallerius.

3°. Dans les fontaines d’eau salée de la Lorraine et de la Franche-Comté, on élève l’eau, et on la précipite sur des fagots d’épines qui la divisent et la font évaporer en partie ; on finit de la rapprocher dans des chaudières.

4°. Dans les Provinces du midi, à Peccais, à Peyrat, à Cette, etc. on commence par séparer et isoler, de la masse générale, une certaine quantité d’eau qui séjourne dans des espaces quarrés qu’on appelle partenemens ; il suffit pour cela d’avoir des martelières qu’on puisse ouvrir et fermer à volonté, et de former des murs d’enceinte qui ne permettent communication avec l’eau de la mer que par le moyen de ces portes. C’est dans les partenemens que l’eau reçoit une première évaporation ; on la fait passer ensuite dans d’autres endroits également clos, où elle continue à s’évaporer ; et, lorsqu’elle commence à déposer, on l’élève par des puits à roue sur des quarrés qu’on appelle tables, et là se termine l’évaporation.

Le sel est entassé pour former les camelles, et on le laisse en cet état pendant trois ans, pour que les sels déliquescens s’écoulent ; et, après cet intervalle de temps, on le distribue dans le commerce.

On cherche, depuis long-temps, des moyens économiques pour décomposer le sel marin, et en tirer à bas prix l’alkali minéral, qui est d’un si grand usage dans les savonneries, les verreries, les blanchisseries, etc. Les procédés connus jusqu’à ce jour sont les suivans :

1°. L’acide nitrique dégage l’acide muriatique, et forme du nitrate de soude qu’on peut aisément décomposer par la détonnation.

2°. La potasse déplace la soude, même à froid, d’après mes expériences.

3°. L’acide sulfurique forme du sulfate de soude en décomposant le sel marin ; le nouveau sel traité avec les charbons se détruit, mais il se forme un sulfure de soude qu’il est difficile de séparer en entier, et ce procédé ne m’a pas paru économique. On peut aussi décomposer le sulfate par l’acetite de barite et obtenir ensuite la soude par la calcination de l’acetite de soude.

4°. Margraaf a tenté vainement la chaux, la serpentine, l’argile, le fer, etc. il ajoute que, si on jette du sel commun sur du plomb chauffé au rouge, le sel est décomposé, et qu’il se forme du muriate de plomb.

5°. Schéele a indiqué les oxides de plomb : si on mêle le sel commun avec de la litarge, et qu’on en fasse une pâte, la litarge perd peu à peu sa couleur, il en résulte une matière blanche, et on peut extraire la soude par des lotions. C’est par des procédés semblables que Turner l’extrait en Angleterre ; mais cette décomposition ne m’a jamais paru complète, à moins d’employer la litarge dans une proportion quadruple de celle du sel ; j’ai observé, que presque tous les corps pouvoient alkaliser le sel marin, mais que la décomposition absolue étoit très-difficile.

6°. La barite le décompose aussi, d’après les expériences de Bergmann.

7°. On peut encore employer les acides végétaux combinés avec le plomb pour décomposer le sel marin ; en mêlant ces sels, il y a décomposition ; le muriate de plomb se précipite, et l’acide végétal uni à la soude reste en dissolution, on évapore, on calcine, l’acide végétal se dissipe et l’alkali reste à nud.

Le sel marin est sur-tout employé sur nos tables et dans nos cuisines ; il relève et corrige la fadeur de nos alimens, en même temps qu’il en facilite la digestion.

On s’en sert à haute dose pour préserver les viandes de la putréfaction, mais à petite dose il la provoque, d’après les expériences de MM. Pringle, Macbride, Gardane, etc.


ARTICLE TROISIÈME.

Muriate d’ammoniaque.


De toutes les combinaisons de l’ammoniaque, celle-ci est la plus intéressante et la plus usitée, on la connoît sous le nom de sel ammoniac.

On peut faire ce sel de toutes pièces, en décomposant le muriate de chaux par le moyen de l’ammoniaque, comme l’a pratiqué M. Baumé à Paris. Mais presque tout le sel ammoniac qui circule dans le commerce nous vient d’Égypte, où on l’extrait, par la distillation, de la suie qui provient de la combustion des excrémens des animaux qui se nourrissent de plantes salées.

Les détails du procédé qui y est usité ne nous sont pas connus depuis bien long-temps : un des premiers qui nous ait donné la description de ce travail est le P. Sicard ; il nous apprit, en 1716, qu’on remplissoit les vaisseaux distillatoires avec la suie des excrémens de bœuf, et qu’on y ajoutoit du sel marin et de l’urine de chameau.

M. le Maire, Consul au Caire, dans une lettre écrite à l’Académie des Sciences, en 1720, prétend qu’on n’y joint ni urine ni sel marin.

M. Hasselquist a communiqué à l’Académie de Stockolm, une description assez étendue du procédé, d’où il résulte qu’on brûle indistinctement la fiente de tous les animaux qui broutent des plantes salées, et qu’on en distille la suie pour en obtenir le sel ammoniac.

On fait dessécher cette fiente en l’appliquant contre les murs, et on la brûle, au lieu de bois dont le pays est dépourvu. La sublimation se fait dans de grandes bouteilles rondes, d’un pied et demi de diamètre, terminées par un col de deux doigts de haut, et on les remplit jusqu’à quatre doigts près du col ; on entretient le feu pendant trois fois vingt-quatre heures, le sel se sublime ; et il forme au haut de ces vases une masse qui en prend la forme et le contour. 20 livres de suie donnent 6 livres de sel ammoniac, d’après Rudenskield.

J’avois toujours cru qu’on pourroit extraire du sel ammoniac, en traitant de la même manière la fiente des animaux nombreux qui broutent des plantes salées, dans les plaines de la Camargue et de la crau ; et, après m’être procuré 2 livres de suie avec la plus grande peine, j’en ai extrait 4 onces de sel ammoniac. J’observerai, pour éviter beaucoup de peine à ceux qui voudroient suivre cette branche de commerce, que la fiente produite pendant l’été, le printemps ou l’autonne, ne fournit point de sel. Je ne savois à quoi rapporter la versatilité de mes résultats, lorsque je me convainquis que ces animaux ne se nourrissent de végétaux salés, que lorsque les plantes douces leur manquent, et qu’ils ne sont réduits à la nécessité de recourir aux plantes salées que pendant les trois mois d’hiver. Cette observation me paroît prouver que le sel marin se décompose dans les premières voies et que la soude se modifie à l’état d’ammoniaque.

Le sel ammoniac se sublime journellement par les soupiraux des volcans ; M. Ferber en a trouvé, et M. Sage l’a reconnu, dans les produits volcaniques : il se forme dans les grottes de Pouzzol, selon MM. Swab, Scheffer, etc.

On le trouve dans le pays des Kalmouchs : Model en a fait l’analyse.

Il se produit dans le corps humain, et s’exhale par la transpiration dans les fièvres malignes ; M. Model a constaté ce fait sur lui-même, car, a l’époque d’une sueur violente qui terminoit une fièvre maligne, il voulut se laver les mains dans une dissolution de potasse, et il se dégagea une prodigieuse quantité de gaz alkalin.

Le sel ammoniac crystallise, par évaporation, en prismes quadrangulaires, terminés par des pyramides quadrangulaires courtes ; on l’obtient souvent crystallisé en rhombes, par la sublimation ; la face concave des pains de sel ammoniac du commerce, est quelquefois couverte de ces crystaux.

Ce sel a une saveur piquante, acre, urineuse ; il a une ductilité qui le rend flexible à la main, et le fait céder au choc du marteau ; il ne s’altère point à l’air, ce qui a fait présumer que notre sel ammoniac est différent de celui dont parlent Pline et Agricola, puisqu’il attire l’humidité.

3,5 parties d’eau, à 6 dég. ther. Far., en dissolvent une, il se produit un froid assez fort par sa dissolution.

Cent parties de sel ammoniac contiennent 52 acide, 40 ammoniaque, 8 eau.

Ce sel n’est point décomposé par l’argile, il ne l’est que difficilement et en partie par la magnésie, mais complètement par la chaux et les alkalis fixes, les acides sulfurique et nitrique en dégagent l’acide.

Ce sel est employé dans la teinture pour aviver certaines couleurs. On le mêle à l’eau forte pour augmenter sa vertu dissolvante.

On s’en sert dans l’étamage, et il a le double avantage de décaper les métaux et d’en empêcher l’oxidation.

CHAPITRE CINQUIÈME.

De l’acide nitro-muriatique.

Ce que nous appelons acide nitro-muriatique, est une combinaison d’acide nitrique et d’acide muriatique. Nos prédécesseurs l’avoient désigné sous le nom d’eau régale, par rapport à la propriété qu’il a de dissoudre l’or.

On connoît plusieurs procédés pour faire cet acide mixte.

Si on distille deux onces de sel commun avec quatre d’acide nitrique, ce qui passe dans le récipient est du bon acide nitro-muriatique.

Ce procédé est celui de M. Baumé.

On peut décomposer le nitrate de potasse en distillant deux parties d’acide muriatique sur une de ce sel ; on retire, par ce moyen, de la bonne eau régale, et le résidu est un muriate de potasse, selon M. Cornette.

Boërhaave dit avoir obtenu de la bonne eau régale, en distillant ensemble deux parties de nitre, trois de sulfate de fer et cinq de sel commun.

La simple distillation du nitre de la première cuite fournit l’eau forte, qui est employée dans les teintures à la dissolution de l’étain, pour faire la composition de l’écarlate ; cette eau forte est une véritable eau régale, et c’est en vertu de ce mélange d’acides qu’elle dissout l’étain ; si c’étoit de l’acide nitrique trop pur, il le corroderoit et l’oxideroit sans le dissoudre ; les Teinturiers disent alors que l’eau forte précipite, et ils corrigent le vice de l’acide en y dissolvant du sel ammoniac ou du sel commun.

Quatre onces de sel ammoniac en poudre, dissoutes peu à peu et à froid dans une livre d’acide nitrique, forment une excellente eau régale ; il se dégage pendant long-temps un gaz acide muriatique oxigéné qu’il est imprudent de coercer, et il faut pratiquer des issues à cette vapeur.

On forme encore l’eau régale, en mêlant ensemble deux parties d’acide nitrique pur et une d’acide muriatique.

L’odeur très-manifeste d’acide muriatique oxigéné qui se dégage, quelque procédé qu’on adopte pour faire l’acide dont il est question, et la propriété qu’a également l’acide muriatique oxigéné de dissoudre l’or, ont fait croire que, dans le mélange des deux acides, le muriatique se portoit sur l’oxigène du nitrique et prenoit le caractère de l’acide muriatique oxigéné ; de façon qu’on ne considéroit l’acide nitrique que comme un moyen d’oxigéner le muriatique ; mais ce systême est outré ; et, quoique les vertus de l’acide muriatique se modifient par ce mélange, et qu’il s’oxigène par la décomposition d’une portion de l’acide nitrique, les deux acides existent encore dans l’eau régale, et je me suis convaincu que l’eau régale la mieux faite, saturée de potasse, fournissoit du muriate ordinaire, du muriate oxigéné et du nitrate ; et il me paroît que l’action de l’eau régale n’est si énergique, que parce qu’on réunit des acides, dont deux sont très-propres à oxider les métaux, et l’autre très avide de dissoudre ces oxides.


CHAPITRE SIXIÈME.

De l’acide boracique.


L’acide boracique, plus généralement connu sous le nom de sel sédatif d’Homberg, est presque toujours fourni par la décomposition du borate de soude ou borax ; mais on l’a trouvé tout formé dans certains endroits, et on doit espérer que nous acquérons incessamment des connoissances plus précises sur sa nature.

M. Hoëfer, Directeur des Pharmacies de Toscane, a le premier démontré ce sel acide dans les eaux du lac Cherchiajo, près Monte-rotondo, dans la Province inférieure de Sienne ; ces eaux sont très-chaudes, et lui ont fourni trois onces de cet acide pur par 120 livres d’eau. Ce même Chimiste, ayant fait évaporer 12280 grains de l’eau du lac de Castelnuovo, en a retiré 120 grains ; il présume même qu’on en trouveroit dans l’eau de plusieurs autres lacs, tels que ceux de Lasso, de Monte-cerbeloni, etc.

M. Sage a déposé, à l’Académie royale des Sciences, de l’acide boracique apporté des mines de Toscane par M. Besson, qui l’avoit ramassé lui-même.

M. Westrumb a trouvé du sel sédatif dans la pierre qu’il appelle quartz cubique de Lunebourg, il l’a obtenu en décomposant cette pierre par les acides sulfurique, nitrique, etc. Le résultat de son analyse est le suivant :

Sel sédatif 
Terre calcaire 
Magnésie 
Argile, silex 
Fer 
 à 

Cette pierre, d’après les observations de Lassius, est en petits crystaux cubiques, quelquefois transparens, d’autres fois laiteux, et donne des étincelles avec l’acier.

On trouve généralement l’acide boracique combiné avec la soude ; c’est de cette combinaison qu’on le dégage et on l’obtient par sublimation ou par crystallisation.

Lorsqu’on veut le retirer par sublimation, on dissout dans l’eau trois livres de sulfate de fer calciné et deux onces de borate de soude, on filtre la liqueur, on la fait évaporer jusqu’à pellicule, et on procède à la sublimation dans une cucurbite de verre garnie de son chapiteau ; l’acide boracique s’attache sur les parois du chapiteau et on le détache avec une barbe de plume.

Homberg l’obtenoit en décomposant le borax par l’acide sulfurique ; ce procédé m’a merveilleusement réussi : pour cet effet je me sers d’une cucurbite de verre armée de son chapiteau que je place sur un bain de sable, je verse sur le borax moitié de son poids d’acide sulfurique et je procède à la sublimation ; l’acide sublimé est de la plus belle blancheur.

Stahl et Lemery le fils ont obtenu le même acide, en se servant des acides nitrique et muriatique.

Pour extraire l’acide boracique par crystallisation, on fait dissoudre le borax dans l’eau chaude, et on y verse de l’acide sulfurique en excès ; il se dépose, par le refroidissement, sur les parois des vases, un sel en feuillets minces et ronds appliqués les uns sur les autres ; ce sel est très-blanc, quand il est sec, très-léger et argentin, c’est l’acide boracique.

Nous devons ce procédé à Geoffroy ; Baron y ajouta deux faits : le premier, que les acides végétaux peuvent également décomposer le borax ; le second, qu’on pouvoit régénérer le borax en combinant l’acide boracique avec la soude.

On peut purifier cet acide par des dissolutions, filtrations et évaporations, mais on doit observer que l’eau qui s’évapore en volatilise une bonne partie.

L’acide boracique a une saveur salée, fraîche ; il colore en rouge la teinture de tournesol, le sirop de violettes, etc.

Une livre d’eau bouillante n’en a dissous que 183 grains, d’après M. de Morveau.

L’alkool le dissout plus facilement, et la flamme que fournit cette dissolution est d’un beau vert. Cet acide exposé au feu se réduit en une substance vitriforme et transparente, plutôt que de se volatiliser, ce qui prouve, comme l’a observé Rouelle, qu’il ne se sublime qu’à la faveur de l’eau avec laquelle il forme un composé très-volatil.

Comme presque tous les acides connus dégagent cet acide et nous le présentent sous la même forme, on a cru pouvoir conclure qu’il existoit tout formé dans le borax. M. Baumé a même avancé avoir composé cet acide, en laissant à l’air, dans une cave, un mélange d’argile grise, de graisse et de fiente de vache ; mais M. Wiegleb, après un travail infructueux de trois ans et demi, s’est cru autorisé à donner un démenti formel au Chimiste françois.

M. Cadet a cherché à prouver, 1°. que l’acide boracique retenoit toujours de l’acide employé dans l’opération ; 2°. que ce même acide a encore l’alkali minéral pour base. M. de Morveau a discuté, avec sa sagacité ordinaire, toutes les preuves apportées par M. Cadet ; il a fait voir qu’aucune n’étoit concluante, et que l’acide boracique devoit encore demeurer au rang des élémens chimiques.

ARTICLE PREMIER.

Borate de potasse.


L’acide boracique combiné avec la potasse forme ce sel : on peut l’obtenir, par la combinaison directe de ces deux principes séparés, ou en décomposant le borax par la potasse.

Ce sel, encore peu connu, a fourni à M. Baumé de petits crystaux.

Les acides le décomposent en s’emparant de sa base alkaline.


ARTICLE SECOND.

Borate de soude.


Cette combinaison forme le borax proprement dit.

Ce sel nous est apporté de l’Inde, et son origine nous est encore inconnue : on peut consulter l’article borax, diction. d’hist. naturelle de M. de Bomare.

Il ne paroît pas que le borax ait été connu des anciens. La chrysocolle, dont parle Diosconde, n’étoit qu’une soudure préparée artificiellement ; elle étoit faite, par les Ouvriers eux-mêmes, avec de l’urine d’enfant et de la rouille de cuivre, que l’on broyoit ensemble dans un mortier de cuivre.

Le nom de borax se trouve, pour la première fois, dans les ouvrages de Geber ; tout ce qui a été écrit, depuis ce temps-là, sur le borax s’applique à la substance que nous désignons par ce nom.

Le borax est sous trois états dans le commerce : le premier est le borax brut, tinckal, ou chrysocolle ; il nous vient de Perse ; il est encroûté d’une couche de matière graisseuse qui le salit. Les morceaux de borax brut ont presque tous la forme d’un prisme à six pans, légèrement aplati et terminé par une pyramide dihèdre ; la cassure de ces crystaux est luisante et présente un coup-d’œil verdâtre. Cette espèce de borax est très-impure ; on prétend que le borax s’extrait du lac Necbal, dans le Royaume du grand Thibet ; ce lac se remplit d’eau pendant l’hiver, se dessèche en été ; et, lorsque les eaux sont basses, on y fait entrer des hommes qui détachent, de la vase, les crystaux, et les mettent dans des paniers.

Les Indes occidentales contiennent du borax ; c’est à M. Antoine Carrère, Médecin établi au Potosi, qu’on en doit la découverte. Les mines de Riquintipa, celles des environs d’Escapa, offrent ce sel en abondance ; les gens du pays l’emploient à la fonte des mines de cuivre.

La seconde espèce de borax connue dans le commerce est le borax de la Chine ; il est plus pur que le précédent, et on le distribue en petites plaques crystallisées sur une de leurs surfaces, où l’on apperçoit des rudimens de prismes : ce borax est mêlé d’une poussière blanche qui paroit argileuse.

Ces divers borax ont été purifiés à Venise, pendant long-temps, puis en Hollande ; mais MM. Leguiller le raffinent aujourd’hui à Paris ; et ce borax purifié forme la troisième espèce du commerce.

Pour purifier le borax, il n’est question que de le débarrasser de cette matière onctueuse qui le salit et s’oppose à sa dissolution.

Le borax brut qu’on fait dissoudre dans une lessive d’alkali minéral, s’y dissout plus complètement, et on peut l’obtenir assez beau par une première crystallisation : mais il retient de l’alkali employé, et le borax purifié de cette manière a plus d’alkali que dans son état brut.

On peut détruire la partie huileuse du borax par la calcination ; il devient par-là plus soluble, et on peut le purifier par ce procédé ; mais il y a, dans ce cas, une perte considérable, et ce n’est pas aussi avantageux qu’on pourroit se l’imaginer.

Le moyen le plus simple pour purifier le borax consiste à le faire bouillir fortement et pendant long-temps ; on filtre cette dissolution, on obtient, par l’évaporation, des crysraux un peu sales, qu’on purifie par une seconde opération semblable à la première. J’ai essayé tous ces procédés en grand, et ce dernier m’a paru le plus simple.

Le borax purifié est blanc, transparent ; il a un coup-d’œil graisseux dans sa cassure.

Il crystallise en prismes hexaèdres, terminés par des pyramides trihèdres, quelquefois hexaèdres.

Il a une saveur stiptique.

Il verdit le syrop de violettes.

Le borax exposé au feu se boursouffle, l’eau de crystallisation se dissipe en fumée, et il forme alors une masse poreuse, légère, blanche et opaque ; c’est ce qu’on appelle borax calciné ; si on le pousse à un feu plus violent, il prend une forme pâteuse, et finit par se fondre en un verre transparent, d’un jaune verdâtre, soluble dans l’eau, et qui se recouvre à l’air d’une efflorescence blanche qui en ternit la transparence.

Ce sel exige dix-huit fois son poids d’eau, à la température de 60 deg. ther. Far., pour être dissous ; l’eau bouillante en dissout un sixième.

La barite et la magnésie décomposent le borax ; l’eau de chaux précipite la dissolution de ce sel ; et si on fait bouillir de la chaux vive avec le borax, il se forme un sel peu soluble qui est un borate de chaux.

Le borax est employé comme un excellent fondant dans les travaux docimastiques. On le fait entrer dans la composition des flux réductifs ; il est d’un très-grand usage dans les analyses au chalumeau ; on peut s’en servir avec avantage dans les verreries ; lorsqu’une fonte tourne mal, un peu de borax la rétablit. On s’en sert, sur-tout, dans les soudures ; il aide la fusion de l’alliage, le fait couler, et entretient la surface des métaux dans un ramollissement qui facilite l’opération. Il n’est presque d’aucun usage en médecine : le sel sédatif est seul employé, par quelques Médecins, et son nom indique ses usages.

Le borax a l’inconvénient de se boursouffler, et il demande la plus grande attention de la part de l’Artiste qui l’emploie dans les ouvrages délicats, sur-tout lorsqu’on forme des dessins avec de l’or de diverses couleurs. On désire, depuis long-temps, de pouvoir lui substituer quelque composition qui puisse le remplacer sans partager ses défauts.

M. Georgi a publié le procédé suivant : on dissout dans l’eau de chaux le natron mêlé de sel marin et de sel de glauber ; on met à part les crystaux qui se déposent par le refroidissement de la liqueur. On fait évaporer la lessive de natron ; on dissout ensuite ce sel dans le lait ; il produit à peine, par l’évaporation, le huitième du natron employé : on peut faire servir le résidu aux mêmes usages que le borax.

MM. Struve et Exchaquet ont prouvé, que le phosphate de potasse fondu avec une certaine quantité de sulfate de chaux forme un verre excellent pour souder les métaux. V. journal de phys. t. 29, p. 78 et 79.


ARTICLE TROISIÈME.

Borate d’ammoniaque.


Ce sel est encore peu connu ; nous devons à M. de Fourcroy les renseignemens suivans : il a dissout l’acide boracique dans l’ammoniaque, il a évaporé et obtenu une couche de crystaux réunis dont la surface offroit des pyramides polièdres ; ce sel a une saveur piquante et urineuse ; il verdit le syrop de violettes ; il perd peu à peu sa forme crystalline, et devient d’une couleur brune par le contact de l’air ; il paroît assez dissoluble dans l’eau ; la chaux en dégage l’ammoniaque.


DES EAUX MINÉRALES[2].


On donne le nom d’eau minérale à une eau quelconque suffisamment chargée de principes étrangers pour produire sur le corps humain un effet différent de celui qu’y produisent les eaux employées journellement à la boisson.

Les hommes n’ont pas tardé, sans doute, à reconnoître de la différence entre les eaux : nos anciens paroissent même avoir été plus jaloux et plus attentifs que nous à se procurer une bonne boisson ; c’étoit presque toujours la nature de l’eau qui déterminoit l’emplacement des Villes, le choix des habitations, et conséquemment la réunion des citoyens. L’odeur, le goût, et sur-tout les effets sur l’économie animale, ont suffi, pendant long-temps, pour décider de la nature d’une eau quelconque. On peut voir, dans Hippocrate, ce que peuvent l’observation et le génie sur des matières de cette nature : ce grand homme, dont on se fait une idée bien imparfaite en ne le considérant que comme le Patriarche de la Médecine, connoissoit si bien l’influence de l’eau sur le corps humain, qu’il prétend que la seule boisson peut modifier et différencier les hommes entr’eux, et qu’il recommande aux jeunes Médecins de s’occuper, sur-tout, de connoître la nature des eaux dont ils doivent faire usage. Nous voyons que les Romains, forcés de s’établir souvent dans des lieux arides, n’épargnoient rien pour procurer de la bonne eau à leurs colonnies ; le fameux aqueduc qui conduisoit l’eau d’Uzès à Nismes en est une preuve non équivoque : il nous reste encore quelques sources minérales, où ils se transportoient en colonies pour y prendre les bains.

Ce n’est que vers le dix-septième siècle qu’on a commencé à appliquer les moyens chimiques à l’examen des eaux ; mais nous devons à la révolution présente de la chimie le degré de perfection auquel cette analyse a été portée.

L’analyse des eaux me paroît nécessaire.

1°. Pour ne faire usage, pour la boisson, que d’une eau saine.

2°. Pour connoître celles qui ont quelque vertu médicinale, et en appliquer l’usage aux cas où elles conviennent.

3°. Pour approprier aux divers genres de fabrique l’eau qui leur convient.

4°. Pour corriger les eaux impures, infectées de quelque principe nuisible ou chargées de quelque sel.

5°. Pour imiter par-tout, et à tout moment, les eaux minérales.

L’analyse des eaux minérales est un des problèmes les plus difficiles de la chimie : pour bien faire une analyse, il faut avoir présens tous les caractères distinctifs des substances qui peuvent être tenues en dissolution dans une eau ; il faut connoître les moyens de séparer, d’un résidu presqu’insensible, les diiférentes substances qui le composent ; il faut être en état d’apprécier la nature et la quantité de produits qui s’évaporent ; il faut pouvoir estimer, si quelques composés ne se forment point par les opérations de l’analyse, et si d’autres ne se décomposent pas.

Les matières contenues dans les eaux, y sont, ou en suspension ou en dissolution.

1°. Les matières qui peuvent être suspendues dans les eaux sont l’argile, le silex divisé, la terre calcaire, la magnésie, etc.

2°. Celles qui y sont solubles, sont l’air pur, l’acide carbonique, les alkalis purs ou combinés, la chaux, la magnésie, les sulfates, les muriates, la matière extractive des plantes, le gaz hépatique, etc.

La division la plus ancienne, la plus générale et la plus simple des eaux minérales, est celle qui la distingue, en eaux froides et en eaux chaudes ou thermales, selon que leur température égale ou surpasse celle de l’eau ordinaire.

Une division fondée sur les diverses qualités de ces eaux, les range sous quatre classes.

I°. Eaux acidulés et gazeuses. On les reconnoît, à leur goût piquant, à la facilité avec laquelle elles bouillent, au dégagement des bulles par la simple agitation et même par le repos, à la propriété de rougir la teinture de tournesol, de précipiter l’eau de chaux, etc.

Elles sont froides ou chaudes : les premières sont celles de Seltz, de Chateldon, de Vals, de Perols, etc. les secondes, celles de Vichi, du Mont-d’or, de Chatelguyon, etc.

II°. Eaux salines proprement dites. Celles-ci sont caractérisées par le goût salé qu’elles ont ; cette saveur se modifie selon la nature des sels qui y sont contenus : ceux qu’on y trouve le plus généralement, sont le muriate de magnésie, les sulfates de soude, de chaux, etc. De la nature de celles-ci, sont nos eaux de Balaruc, d’Yeuset, etc.

III°. Eaux sulfureuses. On a long-temps regardé le soufre comme existant en nature dans les eaux. MM. Venel et Monnet se sont élevés contre cette assertion. Bergmann a prouvé que la plupart n’étoient imprégnées que par le gaz hépatique ; il paroît néanmoins qu’il y en a quelques-unes qui tiennent du vrai foie de soufre en dissolution : celles de Barèges et de Cotterets sont de la nature de ces dernières, tandis que celles d’Aix la Chapelle, de Montmorency, etc. sont de la nature des premières. On pourroit, avec M. de Fourcroy, appeller les premières hépatiques, et donner le nom d’hépatisées aux dernières.

On reconnoît cette classe à l’odeur d’œufs pourris qu’exhalent ces eaux.

IV. Eaux martiales. Celles-ci ont la propriété de se colorer en bleu par la dissolution du prussiate de chaux ; elles ont, en outre, un goût astringent très-décidé. Le fer y est tenu en dissolution, ou par l’acide carbonique, ou par le sulfurique : dans le premier cas, où l’acide est en excès, et alors l’eau est piquante et aigrelette, comme à Bussang, à Spa, à Pyrmont, à Pougue, etc. ; ou bien l’acide n’y est pas en excès, et conséquemment les eaux ne sont pas acidules ; telles sont celles de Forges, de Condé, d’Aumale, etc. Quelquefois le fer est combiné avec l’acide sulfurique, et l’eau tient en dissolution un vrai sulfate de fer : M. Opoix admet ce sel dans les eaux de Provins ; celles de la Rougne, près d’Alais, en sont presque saturées ; on trouve fréquemment cette qualité d’eaux minérales dans les endroits voisins des couches de pyrites : près de l’Amalou, et dans le diocèse d’Uzès, il en existe plusieurs.

Il est des eaux qu’on pourroît placer indistinctement dans plusieurs classes : il est, par exemple, des eaux salines qu’on peut confondre avec des eaux gazeuses, parce qu’il se dégage constamment de l’air ; celles de Balaruc sont dans ce cas.

Nous ne comprenons point, parmi les eaux minérales gazeuses, celles qui laissent échapper des gaz qui ne leur communiquent aucune propriété, telles que la fontaine ardente du Dauphiné, etc.

Lorsqu’on a reconnu la nature d’une eau, on doit procéder à son analyse par la réunion des moyens chimiques et physiques : j’appelle moyens physiques, tous ceux que l’on emploie pour reconnoître certaines propriétés des eaux sans les décomposer : ces moyens sont, en grande partie, ceux qu’on doit mettre en pratique à la source même ; la vue, l’odeur, la saveur fournissent des indications qu’il ne faut pas négliger.

La lympidité d’une eau annonce sa pureté, ou au moins une dissolution exacte des principes étrangers : la couleur trouble, dénote des substances suspendues ; la bonne eau n’a point d’odeur ; l’odeur des œufs pourris indique un foie de soufre ou un gaz hépatique ; l’odeur subtile et pénétrante est propre aux eaux acidules, et l’odeur fétide caractérise des eaux croupissantes.

L’amertume des eaux dépend, en général, des sels neutres : la chaux et les sulfates les rendent d’un goût austère. Il est encore important d’apprécier la pesanteur spécifique de l’eau ; et on peut y procéder par le moyen de l’aréomètre, ou par la comparaison de son poids avec un égal volume d’eau distillée.

On doit encore prendre le degré de chaleur par le moyen d’un bon thermomètre à mercure ; ceux à esprit de vin doivent être rejetés, parce que, après le trente-deuxième degré, la dilatation est extrême et ne correspond plus à la température de l’eau. Il est intéressant de calculer le temps que cette eau emploie à se refroidir, en la comparant avec de l’eau distillée portée au même degré de température ; il faut encore observer, si aucun corps ne s’exhale ou ne se précipite par le refroidissement.

On doit observer, si les pluies, la sécheresse et les autres variations de l’atmosphère influent sur la température et le volume de l’eau ; si ces causes agissent sur elle, la vertu doit en varier prodigieusement ; c’est ce qui fait que certaines eaux minérales sont plus chargées une année qu’une autre ; de là vient que certaines eaux produisent des effets merveilleux certaines années, tandis que dans d’autres leurs effets sont nuls : le célèbre de Haen, qui avoit analysé, plusieurs années de suite, toutes les eaux des environs de Vienne, n’y a jamais retrouvé les mêmes principes dans les mêmes proportions : il seroit donc intéressant qu’à l’époque de la prise des eaux, un Médecin habile fît l’analyse de ces eaux et en publiât le résultat.

Lorsqu’on a rempli ces préliminaires sur la source, on doit procéder à des expériences ultérieures par des moyens chimiques : ces expériences doivent être faites sur la source même ; mais, si on est dans l’impossibilité, on remplit des bouteilles neuves avec cette eau, on les bouche bien exactement, et on les transporte dans son laboratoire, où l’on procède à l’examen par les réactifs et par l’analyse.

I°. Par le moyen des réactifs, on décompose les substances contenues dans l’eau, et les nouvelles combinaisons ou précipités qui se forment nous font déjà pressentir la nature des principes contenus dans les eaux ; les réactifs les plus efficaces et les seuls nécessaires sont les suivans :

1°. La teinture de tournesol devient rouge par son mélange avec les eaux acidules.

2°. Le prussiate de chaux et celui de potasse ferrugineux non saturé, précipitent en bleu le fer contenu dans une eau minérale.

3°. L’acide sulfurique très-concentré décompose la plupart des sels neutres, et forme avec les bases, des sels très-connus et très-reconnoissables.

4°. L’acide oxalique dégage la chaux de toutes ses combinaisons et forme avec elle un sel insoluble ; l’oxalate d’ammoniaque produit un effet plus prompt, puisqu’en mettant quelques crystaux de ce sel dans de l’eau chargée de soi calcaire, il se forme dans l’instant un précipité insoluble.

5°. L’ammoniaque imprime une belle couleur bleue aux dissolutions de cuivre : lorsque cet alkali est bien pur, il ne précipite point les sels calcaires, il ne décompose que les magnésiens ; pour l’avoir bien caustique, on peut faire plonger un siphon dans l’eau minérale et y faire passer le gaz ammoniac ; il faut préserver l’eau du contact de l’air, sans quoi il y auroit précipitation à raison de l’acide carbonique de l’atmosphère.

6°. L’eau de chaux précipite la magnésie, elle précipite aussi le fer de la dissolution du sulfate de fer.

7°. Le muriate de barite dénote le moindre atome de sels sulfuriques, par la régénération du spath pesant, qui est insoluble et se précipite.

8°. L’alkool est un bon réactif par rapport à l’affinité qu’il a avec l’eau.

On peut encore employer les nitrates d’argent et de mercure pour opérer la décomposition des sels sulfuriques ou muriatiques.

II°. Ces réactifs indiquent, à la vérité, la nature des substances contenues dans une eau, mais ils n’en donnent point les proportions exactes, et on est obligé d’avoir recours à d’autres moyens.

Il y a deux choses à considérer dans l’analyse d’une eau, 1°. les principes volatils ; 2°. les principes fixes.

I°. Les principes volatils sont, le gaz acide carbonique et le gaz hépatique : on peut déterminer la proportion d’acide carbonique par divers procédés ; le premier, qui a été employé par M. Venel, consiste à remplir à demi une bouteille de l’eau gazeuse qu’on veut analyser ; on y adapte une vessie qu’on lie au goulot, et on secoue la bouteille ; l’air qui se dégage enfle la vessie, et on juge par là de la quantité que l’eau en contenoit ; ce procédé n’est pas rigoureux, parce que l’agitation ne suffit pas pour dégager tout l’acide carbonique. L’évaporation de l’eau, dans l’appareil pneumato-chimique, n’est pas non plus bien exacte ; car l’eau qui s’élève avec l’air se combine de nouveau, et on n’a, sous forme gazeuse, qu’une partie du gaz contenu dans l’eau. La précipitation par l’eau de chaux me paroît le procédé le plus rigoureux : on verse de l’eau de chaux sur une quantité donnée d’eau ; et on en ajoute jusqu’à ce qu’il ne se fasse plus de précipité, on pèse exactement le précipité, et on en déduit les dix-neuf trente-deuxièmes, pour la proportion dans laquelle l’eau et la terre se trouvent, par rapport à l’acide, dans ce carbonate de chaux.

Le gaz hépatique peut être précipité par l’acide nitrique très-concentré, d’après les expériences de Bergmann. L’acide muriatique oxigéné a été proposé par Schéele ; et M. de Fourcroy a indiqué l’acide sulfureux, les oxides de plomb et autres réactifs, pour précipiter le peu de soufre tenu en dissolution dans le gaz hépatique.

II°. L’évaporation est le moyen usité pour reconnoître la nature des principes fixes contenus dans une eau minérale : les vaisseaux de terre ou de porcelaine sont les seuls propres à cet usage.

L’évaporation doit être modérée : une forte ébullition volatilise certaines substances et décompose les autres. À mesure que l’évaporation avance, il se fait des précipités que M. Boulduc a proposé de retirer à mesure qu’ils se forment. Le célèbre Bergmann conseille d’évaporer à siccité, et d’analyser le résidu de la manière suivante :

1°. On met le résidu dans une petite fiole, on y ajoute de l’alkool, on agite fortement et on filtre la liqueur.

2°. On verse sur le résidu huit fois son poids d’eau distillée froide ; on agite le mélange et on filtre de même, après quelques heures de repos.

3°. Enfin, on fait bouillir le résidu pendant un quart d’heure dans cinq à six cens parties d’eau distillée, et on sépare la liqueur par la filtration.

4°. Ce qui reste qui n’est soluble, ni dans l’eau ni dans l’alkool, doit être humecté et exposé, pendant quelques jours, au soleil : le fer, s’il y en existe, se rouille ; alors on fait digérer dans le vinaigre distillé qui dissout la chaux et la magnésie ; et cette dissolution évaporée à siccité donne, ou un sel terreux en filamens non déliquescens, ou un sel déliquescent, ce dernier est à base de magnésie ; ce qui reste contient du fer et de l’argile : on dissout le fer et l’argile par l’acide muriatique ; on précipite le fer par le prussiate de chaux, et puis l’argile par un autre alkali.

Les sels que l’akool a dissous, sont les muriates de magnésie et de chaux ; on les reconnoît facilement en les décomposant par l’acide sulfurique.

Pour ce qui est des sels dissous par l’eau froide, il faut les faire crystalliser lentement ; la forme et les autres qualités superficielles en font reconnoitre l’espèce.

La dissolution par l’eau bouillante ne contient que du sulfate de chaux.

Lorsque l’analyse d’une eau est bien faite, la synthèse en devient facile ; et la composition ou imitation parfaite des eaux minérales n’est plus un problême insoluble entre les mains des Chimistes ; en effet, qu’est-ce qu’une eau minérale ? C’est de l’eau de pluie qui, filtrant à travers les montagnes, s’imprègne de divers principes solubles qu’elle rencontre ; pourquoi donc, connoissant une fois la nature de ces principes, ne seroit-il pas possible de les dissoudre dans l’eau ordinaire et de faire ce que la nature fait elle-même ? La nature n’est inimitable que dans les seules opérations vitales ; nous pouvons l’imiter parfaitement dans les autres ; nous pouvons même faire mieux qu’elle, car nous pouvons varier à volonté la température et les proportions des principes constituans.

La machine de Nooth, perfectionnée par Parker, peut être employée pour faire de l’eau minérale gazeuze, soit acidule soit hépatique ; et rien de plus facile que d’imiter les eaux qui ne contiennent que des principes fixes.


  1. Depuis que le gouvernement françois facilite l’étude de la minéralogie par les plus superbes établissemens, nous avons vu le goût de la chimie se ranimer, les arts qui ont pour objet le travail des métaux se perfectionner, les exploitations des mines se multiplier ; et c’est sur-tout M. Sage qui, par un travail assidu et le zèle le plus ardent, a décidé la faveur du Gouvernement : j’ai vu de près les soins pénibles que prenoit ce Chimiste pour opérer la révolution, j’ai été témoin des sacrifices personnels qu’il faisoit pour la forcer ; j’ai applaudi à son zèle, à ses motifs, à ses talens ; je suis toujours pénétré des mêmes sentimens : et, si j’enseigne une doctrine différente de la sienne, c’est qu’on ne peut pas commander aux opinions ; c’est que l’homme de lettres, vraiment digne de ce nom, sait distinguer l’ami de son cœur de l’esclave de ses systèmes ; c’est qu’en un mot, chacun doit écrire selon sa conviction, et que l’axiome le plus sacré dans les sciences est amicus plato sed magis amica veritas.
  2. Comme les eaux minérales ont des rapports avec toutes les parties de la chimie, on peut indifféremment en placer l’analyse à la suite d’une partie quelconque ; mais, comme la nature des principes qu’elles contiennent suppose des connoissances sur les produits des trois règnes, il est plus naturel de réserver l’article des eaux minérales pour la fin d’un cours de chimie ; et je ne me suis décidé à changer cet ordre, que parce que j’ai prévu que le dernier tome de cet ouvrage seroit déjà trop volumineux.