Élémens de chimie/Partie 2/0

Imprimerie de Jean-François Picot (p. 3-16).
SECONDE PARTIE.

De la Lithologie, ou des substances pierreuses.

INTRODUCTION.


LA lithologie a pour objet l’étude des pierres et des terres.

On est convenu d’appeler terre ou pierre une substance sèche, fragile, inodore, insipide, peu ou point soluble dans l’eau, et dont la pesanteur spécifique n’excède pas 4, 5.

Personne n’a pu s’occuper sérieusement de l’étude de la lithologie, sans se pénétrer, à la fois, de la nécessité d’établir des divisions pour faciliter la connoissance des pierres, et des difficultés sans nombre qu’il faut surmonter pour y parvenir.

Il y a cette différence entre les êtres vivans et ceux du règne minéral, c’est que ceux-ci sont continuellement modifiés par des causes externes, telles que l’air, l’eau, le feu, etc. tandis que les premiers animés et régis par une force intérieure ont des caractères mieux prononcés et plus constans ; les formes y dépendent de l’organisation elle-même ; et, en général, la marche de la nature y paroît plus constante et plus assurée.

L’élément terreux paroît passif par lui-même ; il n’obéit qu’aux loix des corps morts, et nous pouvons rapporter à la seule loi des affinités tous les phénomènes de formation ou de décomposition dont une pierre est susceptible ; c’est ce qui fait, sans doute, cette variété de formes et ces mélanges de principes qui ne permettent guères au naturaliste d’établir des bases fixes, et de fonder sa méthode sur des caractères constans et invariables.

Si nous jettons un coup-d’œil sur la marche de tous les naturalistes qui nous ont précédé, nous pourrons aisément les réduire à trois classes.

1°. Les uns se sont portés, par la seule imagination, jusqu’à cette époque où le globe sortit des mains du créateur : ils ont suivi l’action des divers agens destructeurs qui en altèrent et bouleversent la surface, nous ont fait connoître les diverses roches qui ont été apposées successivement sur ce globe primitif ; et, en parcourant les grands phénomènes qui sont survenus à notre planète, ils se sont faits des idées plus ou moins exactes sur les grands ouvrages de la décomposition et de la formation.

2°. D’autres se sont occupés à rechercher, par l’analyse, quelles sont les terres ou les matières premières avec lesquelles ont été composées toutes les pierres qui nous sont connues ; ceux-ci nous ont fourni des connoissances précieuses sur la nature, les usages et les décompositions de ces mêmes substances. Mais les résultats de l’analyse, quoique nécessaires pour avoir des idées exactes sur chaque pierre, ne peuvent pas servir pour former eux seuls la base d’une méthode, parce que ces caractères sont trop difficiles à acquérir ; et on peut, tout au plus, s’en servir, comme complément, pour appuyer telle autre méthode qu’on aura employée.

3° Presque toutes les méthodes qui ont été adoptées jusqu’ici, sont fondées sur les caractères extérieurs des matières terreuses.

Quelques naturalistes ont cherché, dans la variété des formes que nous présentent les productions du règne minéral, des principes de division qui leur ont paru suffisans ; mais, outre que la même forme appartient souvent à des pierres très-différentes, ce caractère se trouve rarement, et nous ignorons la crystallisation de la plupart des terres connues ; ainsi nous ne pouvons le regarder que comme accessoire ou secondaire.

D’autres naturalistes ont établi leurs divisions, d’après quelques propriétés faciles à reconnoître ; telles que celles, de faire effervescence avec les acides, d’étinceller par le choc du briquet, etc. mais ces caractères ne me paroissent, ni assez rigoureux, ni assez exclusifs ; car rien de plus commun que le mélange des débris des roches primitives avec ceux des pierres calcaires ; notre Province en offre des exemples à chaque pas ; et ces mélanges, durcis par le temps, ont les deux caractères ci-dessus énoncés : il existe des pierres qui, sans changer de nature, font feu avec le briquet, ou effervescence avec les acides, selon qu’elles sont plus ou moins divisées, telles que le lapis lazuli qui fait effervescence quand il a été pulvérisé, et feu lorsqu’il est en masse ; l’ardoise pulvérisée fait effervescence, et elle n’en fait point lorsqu’elle est en masse. Ainsi les divisions établies sur ces caractères ne sont pas rigoureuses, et on peut, tout au plus, s’en servir en les faisant concourir avec d’autres.

Le naturaliste qui, jusqu’ici, me paroit avoir mis le plus d’ordre dans la distribution des substances minérales, est M. d’Aubenton : tout ce qu’il a dit à ce sujet annonce l’œil exercé de l’observateur, et il a tiré, des propriétés extérieures des corps, tous les caractères qu’il est possible d’y puiser ; mais il n’a pas pu éviter les défauts qu’entraînent avec eux les principes sur lesquels il a appuyé sa méthode.

Aussi profondément pénétré de l’insuffisance de ces méthodes que de la foiblesse de mes moyens, j’ai cherché à rapprocher tous les caractères qui peuvent fournir quelque indice ; j’ai fait concourir les caractères du Naturaliste avec ceux du Chimiste. Et, quoique la méthode que j’ai adoptée soit bien éloignée du degré de perfection qu’on pourroit désirer, je la donne avec confiance : elle differe peu de celle qui a été suivie par MM. Bergmann et Kirwan ; et c’est déjà un préjugé en sa faveur. Les avantages particuliers qu’elle me présente sont, 1°. de distribuer d’une manière égale, et en trois classes, les productions lithologiques ; 2°. de rapprocher et de ranger, comme par un ordre naturel, toutes les productions analogues ; enfin, cette méthode a fixé mes idées d’une manière plus précise, et c’est, sur-tout, ce qui me détermine à la proposer[1].

Les différentes terres que nous foulons aux pieds sont en général des combinaisons ; et les Chimistes, en décomposant ces substances, sont parvenus à obtenir, en dernière analyse, des principes que nous pouvons regarder comme des élémens terreux, jusqu’à ce que des connoissances ultérieures confirment ou détruisent nos idées à ce sujet.

Les élémens terreux les plus répandus sont au nombre de cinq, savoir, la chaux, la magnésie, la barite, l’alumine et la silice.

Nous ne parlerons point des autres terres primitives annoncées par M. Klaproth dans le spath adamantin et dans le jargon de Ceylan : elles sont encore trop peu connues et trop peu répandues pour influer sur notre division actuelle.

La nature paroît avoir fait tous les mélanges et toutes les combinaisons qui forment les pierres, avec les terres primitives dont nous venons de parler.

Si nous jettons un coup-d’œil sur la nature de ces mélanges et de ces combinaisons, nous distinguerons trois manières d’être qui établissent trois grandes divisions : nous verrons d’abord que ces terres sont, tantôt combinées avec des acides, ce qui forme des sels-pierres ; tantôt mélangées entr’elles, ce qui forme les pierres proprement dites ; tantôt ces pierres, ainsi formées par le mélange des terres primitives, sont liées ensemble et fixées par un gluten ou un ciment quelconque, ce qui constitue les roches.

Nous distinguerons donc trois classes dans la lithologie : la première comprendra les sels-pierres ; la seconde, les pierres ou les mélanges terreux ; la troisième, les roches ou les mélanges pierreux.

Nous croyons indispensable de faire connoître la nature de ces terres primitives, avant de nous occuper de leurs combinaisons.

I°. La chaux.

On a trouvé cette terre sans aucune combinaison et à nud, près de Bath. Voyez Falconet sur les eaux de Bath, t. 1, p. 156 et 157. Mais, comme c’est peut-être la seule observation qu’on ait sur cette matière, il est indispensable de faire connoître le procédé par lequel on peut l’obtenir dans son plus grand état de pureté.

Pour cet effet, on lave la craie dans de l’eau distillée et bouillante, on la dissout ensuite dans l’acide acéteux distillé, et on la précipite par le carbonate d’ammoniaque ; on lave le précipité, on le calcine, et le résidu forme de la chaux pure.

Cette terre a les caractères suivans :

1°. Elle est soluble dans 680 fois son poids d’eau, à la température de 60 dég. therm. de Farheneit. V. Kirwan.

2°. Elle a une saveur piquante, âcre et brûlante.

3°. Sa pesanteur spécifique est d’environ 2,3. V. Kirwan. Et selon Bergmann de 2,720.

4°. Elle prend l’eau avec avidité, s’y divise, acquiert du volume et laisse échapper de la chaleur.

5°. Les acides la dissolvent sans effervescence, mais avec chaleur.

6°. Le borate de soude, les oxides de plomb et les phosphates de l’urine la dissolvent au chalumeau sans effervescence.

Elle paroît infusible par elle-même, elle a résisté à la chaleur du foyer alimenté par un jet d’oxigène. V. le Mémoire de M. Lavoisier.

Lorsqu’elle est mêlée avec les acides, elle forme une combinaison fusible, et elle hâte la fusion des terres alumineuses, siliceuses et magnésiennes, d’après les expériences de MM. Darcet, Bergmann.

II°. La barite, ou terre pesante.

Nous devons les connoissances acquises sur cette terre aux célèbres Chimistes, Gahn, Schéele, Bergmann.

On ne l’a pas trouvée encore exempte de toute combinaison ; et, pour l’avoir dans le degré de pureté convenable, on peut employer le procédé suivant : on prend le sulfate de barite, qui est la combinaison la plus ordinaire de cette terre ; on le pulvérise, et on le calcine dans un creuset avec un huitième de poudre de charbon ; on entretient le creuset au rouge pendant une heure ; on verse ensuite la matière dans l’eau, ce liquide se colore en jaune et exhale une forte odeur de gaz hépatique ; on filtre et on verse de l’acide muriatique dans la liqueur, il se forme un précipité considérable qu’on sépare en filtrant de nouveau la liqueur ; l’eau qui passe à travers le filtre tient en dissolution le muriate de barite, et on y ajoute du carbonate de potasse en liqueur, la barite se dégage combinée avec l’acide carbonique dont on la débarrasse par la calcination.

1°. La barite pure est sous forme pulvérulente et d’une très-grande blancheur.

2°. Elle est soluble dans environ 900 fois son poids d’eau distillée, à la température de 60 dég. V. Kirwan,

3°. Le prussiate de potasse la précipite de ses combinaisons avec les acides nitrique et muriatique, ce qui la distingue des autres terres. V. Kirwan.

4°. Elle précipite les alkalis de leurs combinaisons avec les acides.

5°. De la barite exposée, par M. Lavoisier, à un foyer alimenté par l’oxigène, s’est fondue en quelques secondes. Elle s’est étendue et appliquée sur le charbon ; après quoi, elle a commencé à brûler et à détonner jusqu’à ce que presque tout fût dissipé ; cette espèce d’inflammation est un caractère commun avec les substances métalliques ; mais, lorsque la barite est pure, elle est parfaitement infusible. V. Lavoisier.

Au chalumeau la terre pesante fait peu d’effervescence avec la soude, mais elle est sensiblement diminuée ; elle se dissout avec effervescence dans le borate de soude, et encore plus avec les phosphates d’urine. V. l’Abbé Mongéz.

6°. Sa pesanteur spécifique va au-delà de 4,000 selon Kirwan.

III°. La magnésie, ou terre magnésienne.

Cette terre n’a été trouvée nulle part dégagée de toute matière étrangère ; pour l’avoir dans toute sa pureté possible, on dissout dans l’eau distillée des crystaux de sulfate de magnésie, qu’on décompose par les carbonates d’alkali ; on calcine ensuite le précipité pour en dégager l’acide carbonique.

1°. La magnésie pure est très-blanche, très-tendre et comme spongieuse.

2°. Sa pesanteur spécifique est d’environ 1,33. V. Kirwan.

3°. Elle n’est pas sensiblement soluble dans l’eau, quand elle est pure ; mais, lorsqu’elle est combinée avec l’acide carbonique, elle s’y dissout, et l’eau froide a plus d’action sur elle que l’eau chaude, d’après les expériences de M. Butini.

4°. Elle n’a pas de saveur sensible sur la langue.

5°. Elle verdit un peu la teinture de tournesol.

6°. M. Darcet a observé qu’un feu violent l’agglutine plus ou moins ; mais MM. de Morveau, Butini, Kirwan ont vu qu’elle ne se fondoit point ; et les expériences de M. Lavoisier l’ont convaincu qu’elle étoit aussi infusible que la barite et la chaux.

Le borate de soude et les phosphates d’urine la dissolvent avec effervescence. V. l’Abbé Mongéz.

IV°. L’alumine, ou argile pure.

Cette terre n’est pas plus exempte que les précédentes de mélange et de combinaison ; et, pour l’avoir pure, on dissout le sulfate d’alumine dans l’eau et on le décompose par les alkalis effervescens.

1°. L’argile pure prend l’eau avec avidité et s’y délaie ; elle happe fortement la langue.

2°. Sa pesanteur spécifique n’excède pas 2,000. V. Kirwan.

3°. Exposée au feu, elle se dessèche, se resserre, prend du retrait et se gerce ; elle y contracte une telle dureté, qu’elle fait feu avec le briquer.

Lorsqu’elle a été bien cuite, elle n’est plus susceptible de se délayer dans l’eau, il faut la dissoudre par un acide et l’en précipiter pour lui faire reprendre cette propriété.

Il résulte des expériences de M. Lavoisier, que l’alumine pure est susceptible de prendre une fusion pâteuse à une chaleur excitée par un courant d’oxigène ; elle se transforme alors en un genre de pierre très-dure qui coupe le verre comme les pierres précieuses, et qui se laisse difficilement entamer par la lime.

Le mélange de la craie en facilite singulièrement la fusion ; elle est fusible dans un creuset de craie, d’après M. Gerhard, et ne l’est pas dans un creuset d’argile.

Le borate de soude et les phosphates d’urine la dissolvent. V. MM. Kirwan, l’Abbé Mongéz.

D’après les expériences de M. Dorthes, les argiles les plus pures que la nature nous présente, celle même qu’on précipite de l’alun, contiennent un peu de fer en état d’oxide ; et c’est à ce principe qu’est due l’odeur terreuse qu’on développe en les humectant. On ne peut les en priver que difficilement.

V°. La silice, ou terre quartzeuse, terre vitrifiable, etc.

Cette terre est presque dans son état de pureté, dans le crystal de roche ; mais, lorsqu’on veut la voir à l’abri de tout soupçon, on fond une partie de beau crystal de roche avec quatre d’alkali pur, on dissout le tout dans l’eau et on précipite par un excès d’acide.

1°. La silice pure a une rudesse et une aspérité singulières au toucher : elle est absolument dépourvue de gluant, et ses molécules délayées dans l’eau se précipitent avec une facilité extrême.

2°. Sa pesanteur spécifique est de 2,65.

3°. Bergmann avoit annoncé que l’eau pouvoit la dissoudre ; et M. Kirwan a prétendu que 1000 parties d’eau peuvent en tenir une de silice en dissolution, à la température ordinaire de l’atmosphère, et peuvent même se charger d’une plus grande quantité, en élevant la température de ce liquide.

4°. L’acide fluorique la dissout et la précipite, quand il a le contact de l’eau, ou qu’on lui fait éprouver un refroidissement considérable.

5°. Les alkalis la dissolvent par la voie sèche, et forment du verre ; mais ils l’attaquent aussi par la voie humide, et peuvent en dissoudre un sixième quand elle est bien divisée.

6°. Le miroir ardent ne la fond pas ; mais le courant d’air vital a déterminé un commencement de fusion à la surface. V. Lavoisier.

Au chalumeau la soude se dissout avec effervescence, le borate de soude la dissout lentement et sans bouillonnement.


  1. Je regarde ce que je publie aujourd’hui, sur la lithologie, comme l’énoncé simple et succint des principes que je développe dans mes cours ; et on me jugeroit avec trop de sévérité, si on me supposoit le dessein d’avoir voulu présenter un ouvrage complet.

    On peut puiser des connaissances plus étendues dans les ouvrages suivans.

    1°. Essai d’un art de fusion à l’aide de l’air vital, par Erhmann. Mémoires de M. Lavoisier sur le mène sujet. Mémoires de M. Darcet sur l’action d’un feu égal, violent et continu sur un grand nombre de terres, pierres, etc.

    2°. Les ouvrages de Margraaf et de Pott, sur-tout la lithogéognosie de ce dernier.

    3°. Les pesanteurs spécifiques des corps, par M. Brisson.

    4°. Les élémens de minéralogie de M. Kirwan. 5°. Le manuel du minéralogiste de Bergmann, enrichi de notes par M. l’Abbé Mongez.

    6°. La minéralogie de M. Sage.

    7°. Les ouvrages sur la crystallographie de M. de Romé de L’isle, de M. l’Abbé Hauy, etc.

    8°. Le tableau méthodique des minéraux par M. d’Aubenton.

    9°. La minéralogie de M. le Comte de Buffon, où ce célèbre écrivain a rassemblé des faits nombreux et précieux, dont le mérite est indépendant de toute théorie.

    10°. Les ouvrages minéralogiques de MM. Jars, Dietrich, de Born, Ferber, Trebra, Pallas, Ginclin, Linné, Dolomieu, de Saussure, de la Peyrouse, etc.

    11°. Les belles analyses de pierres publiées successivement par Pott, Margraaf, Bayen, Bergmann, Gerard, Schéele, Achard, Mongez, etc.