À travers l’Afrique/Chapitre22

Traduction par Henriette Loreau.
Librairie Hachette (p. 311-324).

CHAPITRE XXII


Hostilité des indigènes. — La caravane est attaquée. — Préparatifs de combat. — Échange de projectiles. — Blessure d’un personnage important. — On parlemente. Rupture des négociations. — Départ. — Trahison. — Attaque d’un village. — Fuite des habitants. — Le fort Dinah. — Barricades. — Prisonniers de guerre. — Un ange de paix. — Explications. — Cause de l’attaque. — Repas de deuil. — Figures peintes. — Ruse de mon guide. — Eau verte pour rafraîchissement. — Mona Kassannga nous abandonne. — Réception d’un chef. — Autre guide original. — Manufacture de sel. — Marche dans un marais.


Comme on allait partir, je ne trouvai pas ma chèvre, qui ordinairement couchait à mes pieds, et qui, dans tous les cas, était toujours la première à m’offrir ses respects. Aux questions que j’adressai, on répondit que, la veille au soir, Dinah avait été aperçue entre le village et le camp. Sur ce, je pris avec moi deux de mes hommes, plus un des guides, et nous nous rendîmes au village pour y chercher ma bête. Nous avions tant de confiance dans les bonnes dispositions des naturels, que nous n’étions pas armés.

Je dis aux premiers villageois que nous rencontrâmes la perte que j’avais faite, et promis une récompense à qui me ramènerait ma chèvre ; mais je n’obtins pas de réponse. Il était évident que l’on pensait au combat : toutes les femmes avaient disparu, et il y avait beaucoup plus d’hommes sous les armes que ne le comportait l’étendue du village.

Ceux qui n’avaient pas voulu me répondre s’étaient éclipsés ; d’autres villageois, placés à peu de distance, commencèrent à nous envoyer des flèches. À ce moment-là, fort heureusement, arrivèrent plusieurs de mes hommes qui avaient des fusils ; et passant derrière moi, Djoumah me mit dans la main mon fidèle raïfle à douze coups.

J’envoyai au reste de ma bande l’ordre de me rejoindre sur-le-champ avec tous les bagages. Le bivouac n’était pas abandonné, que les indigènes y mettaient le feu. Je plaçai la plupart de mes hommes derrière les huttes, qui les abritèrent, je postai les autres de façon à empêcher l’ennemi de nous prendre en flanc, et je me rendis avec les guides sur la place du village. Arrivé là, je demandai pourquoi on nous attaquait, nos intentions étant toutes pacifiques. Pour seule réponse, on nous envoya une grêle de flèches. Très surpris de n’être pas touché, et ne pouvant obtenir d’explication, je vins retrouver ma caravane. À ce moment, un corps d’environ cinq cents hommes, qui avait été mis en embuscade sur la route que nous devions prendre, rejoignit les villageois.

Encouragés par ce renfort, ainsi que par notre paisible attitude, les indigènes se rapprochèrent et commencèrent à nous jeter des lances. L’affaire devenant sérieuse, je permis, bien qu’à regret, de tirer plusieurs coups de feu. L’une des balles, heureusement, frappa à la jambe l’un des notables qui se croyait assez loin pour n’avoir rien à craindre. Cet événement fit une impression tellement grande, que le chef proposa aussitôt d’entrer en pourparlers ; j’acceptai avec joie.

Après quelques discours, il fut convenu que la chèvre serait retrouvée et rendue ; que le chef recevrait, en cadeau, un morceau de drap rouge ; que Bombay ou Bilal ferait avec lui échange de sang ; que l’on nous donnerait des guides, et que nous partirions en paix.

J’allai immédiatement chercher l’écarlate, que je présentais au chef, quand arriva un de ses confrères, avec une nombreuse armée :

« N’accorde pas la paix à ces gens-là pour un morceau d’étoffe, dit l’arrivant, tu serais fou. Nous sommes assez forts pour les battre ; nous pouvons facilement avoir toute l’étoffe, toutes les perles qu’ils possèdent ; les prendre eux-mêmes, les tuer ou en faire des esclaves. Combien sont-ils ? tu peux compter leurs dizaines sur tes doigts ; tandis que pour compter les nôtres il faudrait plus de mains que nous ne pourrions en dire le nombre. »

Malheureusement ces conseils prévalurent ; les négociations furent rompues, les flèches recommencèrent à pleuvoir. Je me décidai alors à brûler une case et fis dire au chef que si les hostilités ne cessaient pas immédiatement, je mettrais le feu à tout le village, et ferais connaître aux habitants la force de nos balles.

Cet acte décisif nous obtint la permission de partir, mais seulement par un chemin contraire à celui que je voulais prendre. Toutefois, mes guides m’assurant qu’il y avait sur cette route un village dépendant d’une autre chefferie, village où nous serions bien reçus, j’acceptai la route que l’on m’imposait et je donnai l’ordre du départ.

Le chemin traversait des fouillis d’herbes et de broussailles, des plaines découvertes, lisérées de jungles épaisses ; nous marchions entourés d’une foule hurlante, qui, dans tous les endroits où nos balles auraient pu l’atteindre, se tenait hors de portée, mais qui se rapprochait et tirait sur nous dès qu’elle était sous bois. Le sifflement produit par les grandes flèches passant entre les arbres causaient une sensation déplaisante.

Toutefois, bien que la volée fût copieuse, aucun de mes hommes ne fut blessé. Je ne permis donc pas de tirer un seul coup de feu, résolu que j’étais à ne pas répandre le premier sang.

Il y avait à peu près une heure que nos assaillants s’étaient retirés, quand nous atteignîmes une jungle que traversait un ruisseau ; la journée finissait. Le village qui devait être pour nous un lieu de refuge se trouvait de l’autre côté de la rivière. Je m’y rendis avec les guides, et fis demander si l’on pouvait nous recevoir. Là aussi, pour toute réponse, on nous envoya des flèches.

Je revins chercher mes hommes ; Djoumah, Sammbo et un ou deux soldats répondirent seuls à l’appel. Nous déchargeâmes nos fusils à l’encontre de l’attaque ; et nous jetant dans la jungle, nous tournâmes le village, où nous rentrâmes d’un côté, pendant que les indigènes sortaient de l’autre.

Le reste de mes braves, à l’exception de quatre ou cinq qui gardaient les bagages, prirent la fuite ; ils en furent punis par une justice distributive qui les pourvut de queues artificielles, ressemblant beaucoup à des flèches.

L’ennemi allait revenir, je le savais ; il fallait être prêt à le recevoir ; nous n’avions pas de temps à perdre. Je donnai l’ordre d’apporter sur-le-champ toute la cargaison dans le village. Bientôt reparurent nos fuyards, qui, nouveaux Falstaffs, commencèrent à vanter leurs exploits et les hauts faits bien plus merveilleux qu’ils allaient accomplir. Mais ce n’était pas le moment de causer, et j’envoyai mes héros, aussi bien que les autres, travailler aux fortifications.

Quatre huttes, placées au centre du village, formaient à peu près un carré ; j’y fis pratiquer des meurtrières et les réunis au moyen d’une palissade construite avec les portes et les pieux des autres cases, que j’avais fait abattre pour empêcher l’ennemi de s’y abriter.

En dedans de la barricade, on creusa une tranchée que l’on recouvrit d’un toit ; et, bien que plusieurs volées de flèches nous eussent dérangés dans nos travaux, le point du jour nous trouva en état de défense.

La situation était grave ; il était certain que nous ne pourrions en sortir qu’en répondant au feu des indigènes. Pendant deux jours, on ne cessa pas de tirer sur nous ; cinq ou six de mes hommes furent blessés en allant puiser de l’eau ; mais quand il y eut de leur côté, non seulement des blessés, mais deux ou trois morts, les naturels commencèrent à craindre les fusils, et n’approchèrent plus de notre blockhauss, que j’avais appelé Fort-Dinah, en mémoire de ma pauvre chèvre.


Fort-Dinah.

Je fis alors faire des reconnaissances ; mes éclaireurs trouvèrent des barricades fermant tous les sentiers ; mais pas une n’était défendue, et mes gens les détruisirent sans peine. Le troisième jour, une de mes escouades, étant allée plus loin, prit une femme et deux hommes qu’elle ramena au camp. La femme était parente de Mona Kassannga ; je l’envoyai, ainsi qu’un des autres prisonniers, dire aux naturels que je désirais la paix, non la guerre. Elle revint le lendemain matin avec un chef du voisinage, qui était aussi parent de Mona Kassannga, et la paix fut bientôt conclue.

Nous quittâmes Fort-Dinah le 6 octobre. Dans les villages que la route nous fît traverser, beaucoup de huttes temporaires qui avaient été construites pour les guerriers venus des environs, avec l’espoir de se partager nos dépouilles, étaient encore debout ; mais la population avait repris ses habitudes ; les enfants et les femmes couraient à côté de ma bande en riant et en babillant.

Le soir, je vis arriver au bivouac le chef du district ; il amenait des chèvres et apportait un rouleau d’étoffe du pays, étoffe d’herbe, qu’il me présenta pour m’indemniser de l’attaque que j’avais subie sans motif. J’acceptai une de ses chèvres, en signe d’amitié ; et, à mon tour, lui donnant des perles, je lui fis observer que, contrairement aux autres chefs de caravane, je ne prenais pas d’esclaves ; je ne demandais qu’à traverser le pays, et à être en bons rapports avec les habitants. Je saisis néanmoins l’occasion de lui dire que si j’étais attaqué, je me défendrais, et que nous étions assez forts pour le faire avec avantage : il le savait déjà.

Je découvris plus tard que Mona Kassannga, qui, dans ces palabres, me servait d’interprète, essaya d’exploiter cette dernière observation et d’en tirer quelque présent pour lui-même. Il est heureux que j’aie fait cette découverte, sans quoi le chef en aurait conclu que je posais pour la générosité, en n’acceptant qu’une chèvre, et que je faisais reprendre sous main le cadeau par mes gens.

Si nous avions été attaqués, c’était parce qu’une bande, appartenant à une caravane portugaise, était venue dans les environs de Kammhouahoué, s’y était livrée à tous les forfaits habituels, détruisant les villages, tuant les hommes, capturant les enfants et les femmes. Voyant que je m’occupais de ces chasseurs d’esclaves, que je m’enquérais de leur nombre, de leur costume, de leurs marchandises, de l’endroit d’où ils venaient, de la route qu’ils avaient prise, les gens du pays me crurent naturellement l’allié de ces hommes, et pensèrent que je devais les rejoindre pour prendre part à leurs atrocités.

Remis en marche, nous traversâmes les districts de Mou Nchkoullah et de Mpannga Sannga, où le chemin se déroulait sur un plateau, coupé de temps à autre par des vallées ; puis ayant franchi la chaîne de Kilimatchio, — un demi-cercle de collines granitiques de toute forme, — nous passâmes plusieurs rivières importantes qui allaient à l’est rejoindre le Loualaba, non pas la branche que Livingstone a vue sortir du lac Moéro, mais celle dont les sources ont été traversées par les pombéiros[1] qui, au commencement de ce siècle, se sont rendus de Cassangé à Têlé.

Un homme du principal village de Mpannga Sannga, homme très intelligent, offrit de me conduire au grand chef de l’Ouroua. Mon guide, pour quelque raison particulière, le dissuada de tenir sa promesse ; d’autre part, il m’affirma que, dans la direction indiquée par cet homme, les habitants étaient fort mal disposés, et que prendre ce chemin c’était vouloir se battre.

La route fut donc continuée avec Mona Kassannga ; et le lendemain, nous nous arrêtions dans un village dont le chef était une ancienne connaissance de mon guide. Naturellement il y eut séjour, pendant lequel les deux camarades s’enivrèrent en l’honneur d’un ami commun, décédé depuis trois mois.


Un natif de Mpannga Sannga.

Quand il vint me faire sa visite, le chef était dans un état peu honorable et voulut me donner des poignées de main sans nombre. Il me dit que le camp que nous occupions avait été fait par les bandits qui avaient été cause de l’hostilité des indigènes à notre égard, et que la capitale de l’Ouroua n’était pas à plus de trois ou quatre jours de marche.

Quand, à force de libations, la perte de l’ami fut suffisamment déplorée, Mona Kassannga voulut bien partir ; mais il refusa de nouveau de prendre la voie directe ; et, nous conduisant à l’est-sud-est, il nous arrêta près d’un village situé au bord du Louvidjo, grand tributaire du Loualaba.

Près de la source de cette rivière se trouve, dit-on, une grande quantité de cinabre que les indigènes emploient en guise de fard, et de la façon la plus risible. Un point rouge au bout du nez est un de leurs embellissements favoris. Quelques-uns d’entre eux se barbouillent la figure d’une sorte de terre de pipe, qui leur fait un masque blanc et qui leur donne une singulière ressemblance avec les clowns de nos cirques.

Des bracelets et des anneaux de jambe en cuivre, surtout des grains de verre portés en nombre considérable autour des bras et des chevilles, et deux cordes à plusieurs brins, mises en écharpe comme un baudrier, constituent leurs ornements.

Chez eux, la coiffure est un peu différente de celles que l’on rencontre sur les frontières de l’Ouroua, mais elle est toujours compliquée, faite avec soin et décorée d’ornements de fer.

Une nouvelle étape en fausse direction nous fit longer le côté nord de la base des montagnes de Nyoka. Toutes les citernes étaient à sec, et il nous fallut marcher, mourant de soif, jusqu’à une heure avancée de l’après-midi. Depuis notre arrivée au Tanganyika, nous étions tellement habitués à voir continuellement des rivières, tout au moins des ruisseaux, que nous n’avions pas eu la précaution d’emporter à boire.

Enfin nous atteignîmes Hanyoka, où il y avait de l’eau, une eau de la couleur et de la consistance d’une purée de bois, et qui, malgré son affreux aspect et son goût plus affreux encore, fut avalée avec bonheur.

J’eus ici l’explication de l’insistance de Mona Kassannga à nous entraîner au levant. Son père avait négligé d’envoyer le tribut à Kassonngo ; selon la coutume de celui-ci, il avait payé cette négligence du sac de son village et de l’extermination de la plupart de ses sujets ; lui et ses fils avaient été mis à mort, ce qui faisait souhaiter à mon guide de ne pas revenir dans le voisinage du désastre.

À Hanyoka, Mona Kassannga refusa d’aller plus loin ; il venait de retrouver sa mère et sa femme, et il s’enfuit avec elles en toute hâte, désireux qu’il était de mettre le plus de distance possible entre lui et Kassonngo.

Mou Nchkoulla devint alors notre premier guide ; mais comme il était l’un des sous-chefs de Moukalommbo, il voulut d’abord visiter celui-ci, qui ne demeurait pas à plus de trois milles.

À notre approche, tous les habitants sortirent de chez eux ; quelques-uns prirent Mou Nchkoulla sur leurs épaules et le promenèrent autour du village, en poussant des hurlements entremêlés d’acclamations. Quand la promenade fut achevée, on nous conduisit au lieu de campement, situé près d’une mare fangeuse, en plein soleil, et sans ombre aucune. Nous fûmes heureux de partir le lendemain pour un endroit plus convenable.

Comme nous allions nous mettre en route, Mou Nchkoulla vint avec le chef du village me demander une augmentation de salaire. Mona Kassannga, disait-il, avait reçu la majeure partie de ce que j’avais donné chez Tipo-Tipo, et maintenant que lui, Mou Nchkoulla, devenait guide principal, il devait avoir la même paye que son prédécesseur.

Il fut ensuite établi que, ce nouvel engagement étant contracté en présence du chef, celui-ci devait recevoir des honoraires. Puis Mou Nchkoulla refusa de partir sans être accompagné d’une demi-douzaine des gens de son village, qui, à leur tour, réclamèrent le prix de leurs services.

Konngoué, mon troisième guide, nous aurait conduits volontiers sans toutes ces exigences, mais il n’osait pas ; car étant d’un rang inférieur, il aurait été puni s’il avait eu l’audace de prendre le pas sur un notable.

À peine l’arrangement fut-il conclu à la satisfaction de Mou Nchkoulla, que celui-ci retourna au village pour fêter sa promotion par une orgie de bière. Le jour suivant fut également consacré au culte du Bacchus africain ; et, le troisième jour, mon guide me fut ramené dans un tel état, qu’au moment du départ, deux amis furent obligés de le soutenir.

La marche qui, le 21 octobre, nous conduisit à Mounza, nous fit gravir les collines rocheuses de Kilouala, puis traverser des plaines, ici couvertes de grands bois, ailleurs ressemblant à des parcs, arrosés de nombreux cours d’eau.

Il y avait aussi de petites collines de gneiss et de granit, usées par le temps, effritées, fendues par la pluie et le soleil, et qui avaient plutôt l’air d’être des amas de quartiers de roches empilés à dessein, que formées des débris d’une seule et même masse.

Des feux de charbonniers avaient été vus fréquemment sur la route, et dans quelques villages nous avions remarqué des fonderies alimentées par de l’hématite, que les indigènes se procurent en creusant des fosses de vingt ou trente pieds de profondeur.

À Mounza, nous trouvâmes une bande appartenant à Djoumah Méricani, qui avait un établissement dans le principal village de Kassonngo. Cette bande n’avait pas entendu parler de notre approche, et fut très étonnée de nous voir ; elle nous dit qu’il y avait à Kouinhata — village de Kassonngo — un traitant portugais de la côte occidentale.


Temmbé de Djoumah Méricani.

Cette rencontre fut heureuse, en ce sens que Mou Nchkoulla et ses compagnons avaient pris la fuite. Les gens de Méricani m’assurèrent que je trouverais un guide à l’établissement, un natif de l’Ouroua, qui était avec leur maître depuis l’arrivée de celui-ci dans la province, et qui parlait couramment le kisouahili.

Je passai un jour entier à Mounza pour me procurer des vivres, qui, d’après les rapports qui m’étaient faits, manquaient à Kouinhata.

Les deux marches suivantes nous firent traverser un pays fertile où avaient existé de nombreux villages, que des bandes appartenant à Kassonngo et, disait-on, à des Portugais avaient récemment détruits. Les villageois avaient été pris comme esclaves, les bananiers et les élaïs abattus, les champs dévastés.

Nous vîmes ensuite, au milieu d’une grande plaine, quelques huttes dont les occupants étaient employés à fabriquer du sel.


Filtre pour la fabrication du sel.

La plaine était une propriété privée de Kassonngo, les habitants des cabanes étaient les esclaves de celui-ci. Il y avait d’autres salines dans le voisinage ; elles appartenaient à un chef de district, qui payait fort cher audit Kassonngo le droit de les exploiter.

Ici, comme au levant du Tanganyika, le mode de fabrication est fort simple, mais diffère un peu de celui des Vouavinnza. Un châssis en forme d’entonnoir, composé de baguettes reliées entre elles par des cerceaux, est attaché à quatre ou cinq pieux, et tapissé intérieurement avec de grandes feuilles. Au fond est un coussinet d’herbe qui sert de filtre. On emplit cet entonnoir de terre saline, sur laquelle on verse de l’eau bouillante ; le sel est dissous, et tombe avec l’eau dans un vase de terre ou dans une gourde. L’eau est ensuite évaporée ; et le résidu, un sel impur et boueux contenant beaucoup de salpêtre, est mis en pains coniques d’environ trois livres. Ce produit est avidement recherché par des tribus qui n’ont pas de sel dans leur pays, et on l’exporte à de longues distances.

Une marche d’après-midi, qui par un soleil dévorant nous fit traverser un marais étendu, couvert d’une végétation épaisse, et où l’eau et la fange nous montèrent jusqu’à la ceinture, nous conduisit au bord d’une petite rivière, ombragée par de beaux arbres.

De l’autre côté de l’eau se trouvait l’établissement de Djoumah ; j’envoyai un de mes hommes avec mission d’annoncer notre arrivée, ainsi que le demandait l’étiquette.

Dès que le messager fut de retour, nous traversâmes la rivière. Au moment où je gagnais l’autre rive, ma main fut saisie et chaudement pressée par un homme au port majestueux, qui, avec quelque chose de la franchise du marin, me salua d’un good morning, seul mot anglais de son vocabulaire.

C’était Djoumah Méricani, qui fut pour moi le plus hospitalier et le plus obligeant des nombreux amis que j’ai trouvés parmi les Arabes.

Il me conduisit à une grande maison solidement construite, située au milieu d’un village qu’entouraient de vastes cultures, et fit tout ce qui dépendait de lui pour que je me sentisse chez moi dans cette maison, qui était la sienne.

  1. Pombéiros, traitants à peau noire des provinces portugaises, souvent des esclaves de confiance dirigeant une caravane. Sur les deux pombéiros en question, voyez Livingstone, Explorations du Zambèse, p. 241. (Note du traducteur.)