Zofloya, ou Le Maure/Chapitre 05
CHAPITRE V.
Une année s’était écoulée depuis la mort de Loredani ; les tristes événemens qui avaient marqué cette funeste époque, s’étaient affaiblis insensiblement dans l’esprit de sa veuve ; les recherches avaient cessé depuis long-tems ; en un mot, la femme coupable ne pensait plus à se séparer d’Adolphe.
Ils ne vinrent point à Venise ; ils continuèrent leur résidence à Montebello, dans la crainte que leur présence à la ville ne fût vue avec mépris et indignation parmi la haute classe de la société. Ils se condamnèrent donc à rester constamment à la campagne, et se dédommagèrent de cette contrainte, en y attirant tous les jeunes gens de plaisir qu’ils purent rencontrer. Cela ne leur fut pas difficile, car il est des êtres qui se plongeraient dans les antres de la débauche, plutôt que de refuser une jouissance quelconque ; comme il y a aussi très-peu d’individus qui aient le droit de se rendre les censeurs du vice. Montebello devint le séjour de la gaîté et de la folie. Les réflexions en furent bannies, et les événemens qui auraient dû être gravés en lettres de sang dans le cœur de ses hôtes, ne furent plus rappelés qu’avec indifférence, ensuite totalement oubliés.
Parmi les joyeux Vénitiens qui fréquentaient la société des amans, il s’en trouvait un appelé le comte de Bérenza. C’était un homme à sentimens singuliers, et d’un caractère extraordinaire. Il n’était pas venu à Montebello pour s’amuser, ni par indolence, mais dans un véritable esprit de curiosité, pour analyser ses habitans, et découvrir, d’après le résultat de ses observations, si le mal qu’ils avaient commis, et la conduite qu’ils persistaient à suivre, venaient de la dépravation naturelle de leur cœur, ou si la force inévitable des circonstances les avait seule rendus coupables : il venait pour faire ses études sur deux caractères, et augmenter ses connaissances du cœur humain.
Cependant il ne trouva, ou ne crut rien trouver, dans la liaison d’Adolphe et de Laurina, qui pût mériter la considération d’un philosophe. Il ne vit en eux, que deux êtres qui s’étaient plongés volontairement dans le vice, sans avoir le pouvoir, ni même la volonté de se tirer de son funeste tourbillon. C’est pourquoi il les regardait avec mépris, sans en avoir la moindre pitié. Il vit deux malheureux qui n’avaient écouté que leurs passions, sans égard pour ce qui devait en résulter en s’y abandonnant.
Ainsi prévenu, il cessa de s’en occuper ; mais il examina avec un intérêt tout particulier la jeune Victoria, sans cependant songer à demander sa main ; car, jusqu’à ce jour, Bérenza n’avait encore jugé aucune femme digne de lui appartenir en légitimes nœuds. L’ardeur de son admiration ne put donc conduire jusque-là le philosophe. Mais, sans l’idée déshonorante attachée à cette infortunée jeune personne, il en aurait fait sa femme par calcul ; c’est-à-dire que, fort du pouvoir qu’il se croyait sur le cœur humain, il eût espéré de la rendre ensuite telle que le demandaient ses désirs. D’abord, travaillant à diminuer son orgueil, il eût entrepris de transformer cette humeur impérieuse en noblesse et dignité ; il eût de même corrigé ses autres imperfections. Hélas ! Bérenza ne savait pas, tant l’homme qui se croit si savant sur les autres s’ignore lui-même, que c’était la taille pleine d’élégance et l’air animé de Victoria, qui lui faisait avoir de son caractère une idée si flatteuse. Elle avait à cette époque près de dix-sept ans, et Bérenza trente-cinq. L’air de celui-ci était majestueux, et ses traits, quoiqu’annonçant de la gravité, possédaient une douceur d’expression qui charmait ; mais les pensées de la jeune Victoria ne s’arrêtaient point à ce mérite personnel, et la persuasion de s’être attiré exclusivement les regards d’un homme d’une indifférence orgueilleuse, donnait un prix réel à sa conquête. Cela lui fit rechercher sa société, et la rendit prévenante envers lui. Aussi l’enthousiasme de Bérenza s’éleva-t-il bientôt au plus haut point, et son plus ardent désir fut de la nommer son amante. Son âme philosophique n’avait point d’autre attachement, excepté pour un frère plus jeune de quelques années, qui était alors absent d’Italie, pour se distraire d’une passion malheureuse : c’est pourquoi ses pensées et ses désirs furent tous concentrés en Victoria.
Il est naturel de supposer que le caractère de cette jeune personne, plus enclin au mal qu’au bien, et ayant besoin d’un Mentor sévère pour le régler, n’avait pas, depuis la mort de son père, pu s’améliorer beaucoup ; au contraire, le mauvais exemple tendait à le gâter tout-à-fait. Elle voyait, dans la conduite de sa mère, une violation du serment le plus sacré ; la délicatesse et la vertu foulées aux pieds ; et quoique ses penchans la portassent à préférer la vie dissipée dans laquelle elle se trouvait, à la retraite enjointe par le marquis, cependant elle réfléchissait assez pour sentir ce qu’avait de blâmable l’oubli qu’on avait fait de ses dernières volontés. Au total, Victoria était une fille qui ne pensait pas comme tout le monde, et son imagination ardente devait donner aux choses la couleur qui la frappait, plutôt que celle de la vérité.
Bérenza venait d’éveiller dans son sein, des sensations qui, endormies jusqu’alors, ressemblaient, dans leur inactivité, au sommeil du lion ; il ne fallait qu’un léger aiguillon pour les exciter. Victoria avait toujours regardé l’union séduisante, et en apparence heureuse, de sa mère avec Adolphe, avec un certain sentiment dont elle ne pouvait se rendre compte ; mais quand Bérenza la distingua, lorsqu’il s’adressa à elle avec le langage de l’amour, cela lui fit découvrir que ce sentiment était celui de l’envie, et du désir ardent de se trouver dans la même situation que sa malheureuse mère, de recevoir les attentions, comme elle, d’écouter la tendresse, et devenir l’objet des regards passionnés d’un amant. Tels étaient les effets que produisait le vice d’une mère sur l’âme de sa fille.
Enfin, j’ai donc trouvé un adorateur, s’écriait-elle avec une secrète satisfaction ! Je serai au moins aussi heureuse que ma mère, si le comte Bérenza aime comme le comte Adolphe.
En effet, Bérenza aimait, mais d’un amour réel, tandis que Victoria n’était susceptible que d’une vanité dont elle se promettait la jouissance dans un semblable amour. Bérenza aimait, et Victoria n’était qu’émue et flattée. L’amoureux philosophe considéra que ce ne serait pas s’exposer au reproche, que de la tirer de la position dangereuse où elle se trouvait, en lui avouant sa passion et en l’engageant à quitter la demeure déshonorante d’Adolphe. Toutefois l’orgueil du Vénitien fut plus fort que son amour ; car il écarta toute idée d’en faire sa femme, et au contraire, il employa son adresse pour l’engager à devenir sa maîtresse.
Dans ce dessein, il chercha l’occasion la plus prochaine d’avoir un entretien avec Victoria. Elle se présenta bientôt, et ayant déclaré à la jeune personne enchantée l’amour ardent qu’elle lui avait inspiré, il lui proposa franchement, mais non sans une sorte de retenue, d’adopter ce que son âme ravie lui avait suggéré depuis long-tems.
L’organisation hardie de Victoria, sa façon de penser dégagée de toute contrainte, l’empêchèrent de s’offenser à la proposition du comte. Si elle eut pensé un instant que ses idées strictes sur l’honneur lui défendaient de la demander pour femme légitime, malgré son désir extrême d’avoir un amant, elle eût dû le repousser avec mépris ; mais ici l’orgueil agit contre l’orgueil, et elle se persuada que Bérenza regardait le mariage comme une chose inutile, et même dégradante à un amour comme le sien.
Ce fut en faisant cette fausse réflexion, qu’elle lui tendît les mains. Bérenza les saisit avec ardeur, comme une marque de consentement ; et s’asseyant aux pieds de sa maîtresse, qui lui souriait avec une vivacité extraordinaire, il parla plus en détail des arrangemens et des moyens à prendre pour quitter Montebello, sans être soupçonnés. Victoria l’écoutait avec délices ; le plaisir animait ses joues et brillait dans ses regards hautains. Son cœur se pavanait aux discours du comte, et sans pouvoir rien définir, elle se sentait capable d’actions surprenantes. L’enthousiasme animait son sein, et répandait sa chaleur sur ses traits. Soudain, au milieu de ses félicitations, et tandis que Bérenza, encore à ses pieds, poursuivait son discours amoureux et décrivait ses plans pour leur bonheur à venir, arriva en frémissant de rage, et l’horreur peinte dans toute son attitude… Laurina !
— Malheureuse, s’écria-t-elle, en prenant rudement le bras de sa fille, est-ce ainsi que vous récompensez mon indulgence envers vous, la confiance tendre et aveugle que je vous ai montrée ? et vous, signor Bérenza, qui jouez ici le rôle d’un infâme séducteur, croyez-vous, par cette conduite, payer l’hospitalité du comte Adolphe ? est-ce ainsi que vous vous dites son ami, en cherchant à nous ravir notre seul bien, l’innocente Victoria ?
— Signora, reprit Bérenza avec un sourire de dédain, il vous sied à merveille en vérité, de faire le procès à ceux qui violent les lois de l’hospitalité !
Les yeux de la coupable Laurina furent baissés à l’instant. La honte colora ses joues, son cœur battit avec violence, et à peine put-elle se soutenir ; Bérenza prit la main de Victoria. — Je ne crois pas, continua-t-il, d’une voix ferme, devoir me défendre de séduire votre fille ; je pense, au contraire, la sauver de la séduction. Excusez-moi, madame, si j’observe que c’est le sort qui l’attend, en restant dans cette maison.
— Victoria, dit sa mère, revenant de son agitation et n’osant répondre au comte, Victoria, je vous ordonne de sortir d’ici… oui, pour la première fois de ma vie, je vous ordonne de m’obéir, en évitant toutes les occasions de parler au comte de Bérenza.
Celui-ci lança un regard à la jeune personne. Il voulait lui communiquer une étincelle du feu qui l’animait, et voir si elle montrerait cette indépendance de sentimens qu’elle annonçait. Mais Victoria, retirant fièrement sa main, que le comte retenait, comme voulant lui prouver qu’elle n’avait pas besoin de son aide, s’avança vers sa mère et repliqua ainsi :
— Que vous ne m’ayez jamais ordonné, est une chose vraie ; que vous m’ordonniez, maintenant qu’il est trop tard, l’est également. Je suis donc décidée à partir d’ici, où il n’y a point de protection pour moi, et à me remettre sous celle du comte de Bérenza, dans laquelle je place toute ma confiance.
— Oh ! Victoria, es-tu folle, dit sa mère, en joignant les mains, et commençant à éprouver la juste rétribution due à ces parens coupables qui corrompent leurs enfans. Es-tu, folle, ma fille, ou veux-tu me plonger dans une douleur mortelle ?
— Vous plonger dans la douleur ! répéta amèrement Victoria.
— Ô mon enfant, ma chère enfant, cria sa mère, la tête perdue et sentant la pointe aiguë du remords, voudrais-tu donc m’abandonner ?
— Vous m’abandonnâtes bien, ainsi que mon père et mon frère, reprit Victoria, qui perdit toute retenue.
— Quoi, ma fille !… Victoria !… c’est toi qui parles ainsi ?
— Ma mère, pardon !… mais vous nous avez déshonorés, perdus à jamais. Personne ne m’a trouvée digne d’amour, que le comte de Bérenza. Ne vous opposez donc pas à ce que je réponde à sa tendresse, à ce que je sois heureuse. Pourquoi, je vous le demande, les considérations de votre bonheur viendraient-elles empêcher le mien ? Quand vous aimâtes le comte Adolphe, vous savez, madame, que vous nous quittâtes, sans penser à la peine que vous faisiez à mon père ; souvenez-vous que…
— Tais-toi, fille dénaturée, tais-toi, s’écria Laurina accablée.
— Eh bien ! poursuivit cette fille sans délicatesse, cessez donc de trouver mauvais mon départ avec le comte de Bérenza. Je vous obéirais, j’aurais pour vous tout le respect qu’une fille doit à sa mère, si vous aviez tenu le serment… ce serment que vous prononçâtes au lit de mort de mon père !…
Ces reproches indignes d’un enfant bien né, mais mérités par une mère coupable, furent beaucoup trop forts pour que la criminelle Laurina pût les endurer. Elle fut saisie d’une convulsion violente, et tomba sur le parquet.
Bérenza qui, d’abord, avait écouté avec plaisir et surprise cet esprit indépendant, selon lui, mais qui n’était qu’altier, fut choqué ensuite de la dureté odieuse de Victoria envers l’auteur de ses jours, dont la tendresse aurait dû, au moins, exciter dans son cœur quelque gratitude. Ne voulant pas analiser l’effet que ce trait produisait sur son amour, éprouvant beaucoup de peine d’une pareille insensibilité, il releva avec empressement Laurina. Quand elle fut tout-à-fait revenue à elle, il la conduisit dans sa chambre, et disant quelques paroles à l’oreille de Victoria, d’un air très-sérieux, il les laissa ensemble.
Cette manière réservée, que montra le comte, ne manqua pas de produire, sur l’esprit de la jeune personne, l’impression qu’il désirait. Elle sentit ce qu’il pouvait penser, et vit que sa sortie impitoyable contre sa mère, pouvait lui avoir inspiré du dégoût. Effrayée à l’idée de lui devenir indifférente, elle songea à regagner son estime. C’est pourquoi, s’approchant de sa mère d’un air plus doux, elle chercha à réparer sa faute ; mais elle avait réveillé le remords dans l’âme de Laurina, qui, voyant celle-ci dans des dispositions plus modérées, prit la résolution de se retirer du crime, et de la sauver des dangers dans lesquels elle l’avait conduite. Une peine violente venait d’assaillir le cœur de cette mère coupable, en reconnaissant les effets de son fatal exemple. Afin de la débarrasser de ce poids, elle se promit bien de renoncer à tout ce qui lui avait fait tort jusqu’alors. Les représentations furent donc mises en jeu, et Laurina chercha à persuader sa fille de la nécessité d’une retraite absolue pour un tems, et à quoi celle-ci parut absolument contraire. Tout ce que la première put en obtenir, avec répugnance, fut la promesse de ne pas voir le comte de Béreza de tout le jour, et Victoria n’y eût pas même consenti, si ce n’est qu’en le privant de la voir pendant quelques heures, elle espérait lui faire sentir le vide de sa société, et que cela lui ferait oublier l’humeur qu’elle lui avait vu prendre.
Laurina passa ce tems dans la douleur la plus violente qu’elle eût encore ressentie ; elle se sépara ensuite de sa fille, après l’avoir vue se mettre au lit. Alors elle courut auprès d’Adolphe, à qui elle fit part de sa nouvelle peine. Baignée de pleurs, elle lui annonça qu’elle voulait le quitter le lendemain pour se rendre dans une retraite où elle voyait trop bien qu’elle eut mieux fait d’y garder sa fille après la mort de son époux.
Adolphe l’écouta sans interruption ; et quand elle eut cessé de parler, il la regarda d’un air sérieux, mais tendre, et dit :
— Qu’une union comme la nôtre, chère amie, cimentée par les liens et par les circonstances, quoique pouvant être considérée désavantageusement par le préjugé vulgaire, puisse être rompue, cela ne tombe pas sous le sens. Écoutez ce que j’ai à vous proposer, et laissez Victoria jouir du fruit de son audace. Il ne me serait pas difficile de défendre au comte de Bérenza de rester ici une heure de plus : il serait également facile d’enfermer la jeune personne dans sa chambre, et de l’empêcher de voir qui que ce fût ; mais nous aurons recours à des mesures plus simples et plus efficaces. Il est plus que probable que le comte n’a jamais eu occasion de correspondre avec votre fille, et par conséquent qu’il ne connaît point son écriture ; tracez donc ce que je vais vous dicter, et qui ne manquera pas de produire son effet.
« Cher Bérenza, la peine que ma mère a ressentie de notre altercation, m’engage à me priver pour un tems du plaisir de vous voir. Retournez à Venise, je vous prie ; et quand l’humeur occasionnée par la circonstance, sera dissipée, je mettrai tout empressement à solliciter votre retour. »
— Que ce peu de mots soit envoyé à Bérenza, et vous verrez que la suite en sera son prompt départ d’ici. Le comte absent, Victoria quittera cette maison.
— Sans moi, Adolphe ?
— Nous l’accompagnerons jusqu’à un autre azile, Laurina ; elle y sera en parfaite sûreté, sans pouvoir nuire davantage à notre bonheur… Mais il me vient une idée, continue-t-il, en s’appercevant que Laurina voulait parler probablement pour s’opposer à ses intentions : j’ai une retraite admirable pour elle. Dans nos promenades, l’an passé, nous nous arrêtâmes, comme vous savez, chez votre cousine, la signora di Modène ; elle demeure, je crois, près de Trévise. Il n’y a pas d’endroit plus retiré ni plus convenable pour notre jeune demoiselle. La signora s’est montrée excessivement polie envers moi, dit-il en souriant ; ainsi, ma Laurina, elle fera tout ce que nous voudrons… Allons, pas d’objection, nous parlerons de cela plus amplement. Pendant ce tems, si Bérenza, pensant qu’il n’est pas rappelé par sa maîtresse, s’aventurait à revenir, nous le recevrions avec les marques de la plus grande froideur. Quand il n’appercevrait plus la petite, il concevrait aisément que nous l’avons éloignée à dessein, et n’ayant aucun droit de nous en demander la raison, il prendrait sur-le-champ le parti de nous quitter.
— Ainsi, ajouta Adolphe, d’un ton plus gai, nous serons débarassés d’un sujet de trouble ; et ainsi, ma bien aimée, vous vous appercevrez qu’il n’y a pas de nécessité immédiate à séparer l’âme du corps ; c’est ce qui arriverait en vous arrachant à moi dont vous êtes plus que l’âme… mais non, jamais nous ne serons soumis aux caprices des circonstances ; nous les soumettrons au contraire. Nul pouvoir humain, ni aucune considération sur la terre, ne me séparera de toi, ô ma Laurina ! mais revenons à notre objet.
Laurina prit machinalement la plume, et écrivit, sous la dictée d’Adolphe, ce que nous avons déjà vu. Le billet écrit, une femme de chambre le porta, avec défense d’attendre la réponse.
Bérenza ne se douta point de la supercherie ; et sa conduite, à ce sujet, fut telle qu’elle devait l’être pour favoriser les vues d’Adolphe. Le comte, loin de se fâcher du billet, pensa que Victoria, en refusant de le voir pendant un tems, n’avait en vue que de réparer les torts dont elle s’était rendue coupable envers sa triste mère. La chose lui paraissant ainsi, il se disposa, par bonté, à son vœu, et crut que son départ rappelerait l’harmonie que sa présence avait interrompue, d’autant qu’il le croyait nécessaire à l’entier accomplissement de ses vues. En conséquence il se décida à quitter Montebello, sans perdre de tems, et dans l’espoir d’y revenir bientôt, avec une meilleure perspective de succès. Il éprouvait quelque plaisir à penser que Victoria fût susceptible de se repentir de ses fautes. Ne voulant point s’exposer à aucune explication sérieuse avec le comte Adolphe, il appela sur-le-champ son valet-de-chambre, et lui ordonna de tenir tout disposé pour partir. Bérenza avait bien l’idée de laisser un mot pour Victoria, mais réflexion faite, il sentit que ce serait irriter sa mère davantage. Tout était prêt, le firmament parsemé d’étoiles, et la lune éclairant la route, le comte de Bérenza dit adieu à Montebello.