Wyandotté/Chapitre XXI

Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 24p. 259-268).


CHAPITRE XXI.


Pour toi, ils ont combattu, pour toi ils sont tombés, fidèles à leur serment et pour toi les guerriers mourants adressaient leurs prières à Dieu.
Percival


L’aversion qui existe entre les peuples de la Nouvelle-Angleterre et ceux des colonies voisines est antérieure à la guerre de la révolution ; mais dans les circonstances actuelles, il était tout à fait probable que ce sentiment se montrerait. Quoique les territoires de la Nouvelle-Angleterre et de New-York fussent contigus, leur condition sociale respective était bien différente. Hors des grandes villes, il n’y avait personne de condition noble dans la première ; mais New-York, province conquise, était organisée selon le système anglais, possédait des seigneurs et des manoirs, et divers autres fragments du système féodal. L’égalité sociale était si grande dans l’intérieur des provinces de la Nouvelle-Angleterre, qu’on n’y voyait pas les plus communes distinctions des associations civilisées ; toutes les classes étaient au même niveau, à l’exception des gens de très-bas étage, ou de quelques autres qui s’étaient élevés au-dessus de leurs voisins en arrivant une fortune extraordinaire, aidés peut-être par les accidents de leur naissance ou les avantages de leur éducation, et ce cas était fort rare. Les habitudes avaient pris la place des principes, et un peuple accoutumé à voir même les questions de discipline domestique traitées à l’église ou en public, et qui connaissait peu ou point les distinctions ordinaires des communications sociales se soumettait aux usages des autres classes de la société avec une singulière répugnance. Celui qui était né dans la Nouvelle-Angleterre ne savait pas apprécier les opinions de ce qu’il appelait le grand monde des provinces avec lequel il n’avait jamais eu de relations, et, selon l’usage du provincial il affectait de mépriser ce qu’il ne pratiquait ni ne comprenait. Il ne voulait pas reconnaître la distinction des classes ; et quand par occasion il se trouvait obligé d’aller habiter le territoire voisin, il se faisait remarquer en décriant tous les usages qui l’entouraient, les comparant, avec une satisfaction toute personnelle, à ceux qu’il avait laissés derrière lui.

Un semblable état de choses s’est montré plus spécialement dans la partie ouest de New-York depuis la paix de 83, les grandes invasions des émigrés de la Nouvelle-Angleterre ayant presque converti ce district en une colonie de l’est. Tout en admettant les progrès de l’activité et de l’intelligence, on a regretté que la fusion eût été si rapide et si complète.

La position actuelle du capitaine Willoughby tenait à ces causes liées avec les sentiments et les habitudes dont nous venons de parler. C’était avec déplaisir que Joël et un ou deux de ses associés voyaient la distance qui existait entre le propriétaire du Rocher et ses gens, et une active cupidité qui espérait des confiscations venait en aide à cette jalousie. Tout fait incapable d’apprécier la largeur du vide qui sépare le gentilhomme de l’homme vulgaire, Joël commençait à prêcher cette doctrine erronée qui dit qu’un homme est aussi bon qu’un autre. Dans des occasions ordinaires, les machinations de Strides n’auraient probablement pas eu de résultats ; mais aidé par les opinions du temps, il ne lui avait pas été très-difficile de détruire peu à peu la popularité de son maître en faisant d’incessants appels à l’envie et à la cupidité de ses compagnons. La probité, la libéralité et la sincérité du capitaine Willoughby nuisirent souvent à ses plans, il est vrai ; mais finalement, à force de persévérance et d’adresse, il réussit à triompher de l’influence qu’exerçaient ces bonnes qualités.

La part que Joël avait prise au dernier mouvement se découvrira mieux encore par la suite de notre histoire, et nous préférons laisser le reste des explications prendre leur place convenable dans le cours de la narration.

Quand le capitaine se fut séparé de Joyce et du maçon, il se trouva tout à fait seul dans la cour, car le jeune Blodget avait monté à la galerie qui faisait le tour des toits, tandis que le nègre était en faction à la grande porte. Comme la première position se voyait du haut des bâtiments, le capitaine monta l’escalier qu’il avait récemment descendu et rejoignit le jeune Américain à son poste.

La nuit était étoilée, mais l’élévation à laquelle les deux surveillants étaient placés n’était pas favorable pour découvrir quelque ennemi en embuscade ; cependant Blodget fit observer au capitaine qu’il ne pensait pas qu’un homme pût franchir les palissades sans être vu. Ils suivirent la galerie jusqu’au côté sud, et de là ils purent voir assez bien sur le front et les deux flancs en même temps. Cependant ce devoir ne pouvait être rempli sans de grands dangers, car il était presque certain que la tête et les épaules d’un homme se mouvant au sommet du bâtiment attireraient l’œil de quelque Indien. Ce fut la première remarque que fit le capitaine en joignant son compagnon, et ce fut lui qui resta devant pour surveiller le dehors, afin que l’autre se tenant à quelque distance pût à un certain degré au moins éviter le danger.

— Je suppose, Blodget, que c’est la première fois que vous faites le service, dit le capitaine Willoughby, et il n’est pas aisé de pénétrer un jeune homme de l’importance d’une vigilance incessante contre les artifices des sauvages.

— J’admets la vérité de votre observation, Monsieur, répondit Btodget, quoique je ne croie pas qu’aucune tentative soit faite sur la maison avant que nous ayons reçu de l’ennemi un autre envoyé.

— Quelle raison avez-vous de le supposer ? demanda le capitaine un peu surpris.

— Il me semble déraisonnable pour des hommes de s’aventurer sur un chemin où ils risquent leur vie, quand un chemin plus aisé pour vaincre semble s’ouvrir à eux. Voilà tout ce que je pensais, capitaine Willoughby.

— Je crois que je vous comprends, Blodget. Vous pensez que Joël et ses amis ont si bien réussi à entraîner les premiers de nos gens, qu’ils peuvent être disposés à attendre un peu, afin de s’assurer si les autres n’agiront pas de la même manière.

Blodget avoua que telle était sa pensée, et déclara en même temps qu’il croyait que les désertions n’iraient pas plus loin.

— Ce ne serait pas aisé à obtenir de ceux-ci, répondit le capitaine en souriant avec amertume au souvenir de ceux qui avaient mangé son pain, qu’il avait soignés dans la maladie ou secourus dans l’adversité, et qui l’abandonnaient au moment où, à son tour, il avait besoin d’eux, — à moins qu’ils ne persuadent à ma femme et à mes filles de suivre aussi ceux qui m’ont quittés.

Le respect imposa d’abord silence à Blodget, mais la peine qu’il éprouvait lui fit prendre la parole.

— J’espère que le capitaine Willoughby ne soupçonne aucun de ceux qui restent maintenant avec lui : s’il en était ainsi, je penserais que c’est de moi qu’il se méfie.

— Pourquoi de vous en particulier, jeune homme ? Avec vous sûrement je n’ai que des raisons d’être satisfait.

— Vous ne pouvez pas soupçonner le sergent Joyce, qui est tout à fait à vos ordres ; répliqua le jeune homme, et quant à l’Écossais, il est vieux et les traîtres n’attendent pas si longtemps pour se montrer. Les Nègres vous chérissent comme si vous étiez leur père, et il n’y a que moi qui puisse vous trahir.

— Je vous remercie pour cette courte énumération de mes forces, Blodget, puisqu’elle me donne une nouvelle assurance de la fidélité de mes gens. Vous, je ne veux pas vous soupçonner, les autres je ne le peux pas ; et il y a un sentiment de grande confiance… Mais que voyez-vous ? Pourquoi abaissez-vous votre fusil, et vous mettez-vous en garde de cette manière ?

— Monsieur, une forme d’homme, sur le côté de la porte, essaie d’escalader les palissades. J’ai tenu les yeux fixés dessus pendant quelque temps, et je suis sûr de bien viser.

— Attendez un instant, Blodget ; soyons certains avant d’agir.

Le jeune homme releva le canon de son fusil, et attendit avec calme et patience ce que son supérieur allait décider. Une forme humaine s’éleva lestement et avec précaution jusqu’à ce qu’elle eût gagné le sommet de la fortification ; là elle sembla s’arrêter pour se reconnaître.

— Nous ne pouvons pas épargner cet homme, dit le capitaine avec regret. Il faut que vous l’abattiez, Blodget. Dès que vous aurez fait feu, vous viendrez me rejoindre de l’autre côté de la galerie.

Le capitaine se retira à l’angle opposé de la terrasse pour observer le résultat du coup de son compagnon. Blodget ne se hâta pas. Il attendit jusqu’à ce qu’il fût certain de son but ; alors le bruit d’une détonation retentit dans le silence de la vallée, et une lueur subite brilla dans l’obscurité. L’homme tomba en dehors, comme un oiseau de son perchoir, au pied de la fortification, mais aucun cri, aucun gémissement, n’indiqua qu’il eût été surpris par un coup inattendu. L’instant d’après, Blodget était à côté du capitaine Willoughby. Sa conduite répondait de sa fidélité, et une cordiale poignée de main assura le jeune homme de l’approbation de son supérieur.

Joyce et les autres hommes avaient pris l’alarme, et le sergent et ses compagnons montèrent immédiatement jusqu’à la terrasse, laissant le nègre seul pour surveiller la porte. Un message fut aussi envoyé aux femmes pour les rassurer, et particulièrement pour engager les noirs à s’armer et à se retirer aux lucarnes.

Tout cela fut fait sans confusion et sans bruit. La terreur réduisit les nègres au silence, et la discipline fit taire les autres. En une minute chacun fut levé et en mouvement. Il est inutile de parler des prières mentales et des émotions avec lesquelles mistress Willoughby et ses filles se préparèrent pour le combat ; la belle et délicate Maud attendit résolument le moment de l’assaut. Quant à Beulah, douce, paisible, comme d’ordinaire, elle ressentait toutes les angoisses d’une mère, et une expression de vive anxiété se remarquait sur son visage habituellement si calme.

Un moment suffit pour mettre Joyce et ses compagnons au courant de ce qui s’était passé. Il y avait quatre hommes armés sur la terrasse, trois se placèrent aux trois côtés exposés du bâtiment pour surveiller le dehors, laissant le maître de la maison aller d’un poste à un autre pour écouter les observations, entendre les rapports et distribuer ses ordres.

Un des hommes surveillait le corps qui était tombé au pied des palissades, pour s’assurer s’il ne bougeait pas, ou si on n’essayait pas de l’emporter. Les Indiens attachent toute la gloire ou la honte d’une bataille à l’acquisition ou à la perte des chevelures des vaincus ; aussi emportent-ils ceux des leurs qui sont tombés, afin qu’ils échappent à la mutilation accoutumée. Quelques tribus même croient que c’est un opprobre de souffrir qu’un cadavre reste exposé aux coups de l’ennemi, et plus d’un guerrier a perdu la vie en voulant sauver de cette dégradation imaginaire le corps inanimé d’un camarade.

Un calme aussi profond que celui qui avait précédé l’alarme régna bientôt autour de la place. Aucun bruit ne venait de la direction du moulin ; on n’entendait ni cri, ni appel, ni signal de combat, tout était parfaitement tranquille. Une demi-heure se passa ainsi ; enfin un rayon de lumière qui parut à l’orient annonça l’approche du jour.

Les vingt minutes qui suivirent furent pleines d’anxiété. La lumière qui s’avançait graduellement, éclairant l’un après l’autre les objets du petit panorama, renouvelait les conjectures et les appréhensions. D’abord on aperçut les palissades, puis la chapelle, la lisière du bois, les différentes cabanes qui le bordaient, le bétail dans les champs et tous les arbres plantés çà et là. Pour Joyce, il tenait son regard fixé sur l’objet au pied de la fortification, attendant le moment où l’on tenterait d’aller le retirer.

Enfin le jour devint assez grand pour permettre à l’œil de voir toute la surface qui s’étendait devant la Hutte, ce qui apporta l’assurance, qu’aucun ennemi n’était près et qu’on n’avait pas à redouter un assaut immédiat.

— Nous échapperons encore à un assaut ce matin, je crois, Joyce, dit le capitaine ; je ne vois rien qui dénote une intention d’attaque.

— Pour plus de certitude, je vais regarder plus loin encore, Votre Honneur, répondit le sergent en montant au sommet du bâtiment, où il obtint l’avantage de mieux voir, au risque de s’exposer à recevoir quelque balle hostile.

À peine se trouva-t-il au haut du toit, que le bruit d’un coup de fusil retentit aux oreilles de la garnison ; alors suivit le sifflement de la balle que l’air apporta vers la Hutte. Mais le bruit venait d’assez loin pour annoncer que le fusil avait été déchargé de la lisière du bois, ce qui donnait une certaine évidence à deux faits importants : l’un, que l’ennemi était caché ; l’autre, que les mouvements de la maison étaient attentivement observés.

Rien ne fait un plus singulier effet sur un jeune soldat que le sifflement d’un coup de feu éloigné ; plus la balle s’approche lentement, plus elle fait de bruit ; et le son se continuant plus longtemps qu’on ne se l’imagine généralement, les inexpérimentés sont portés à croire que le dangereux projectile s’avance directement vers eux, et ils s’inclinent pour s’en garantir, tandis qu’il est quelquefois de cent pas à droite ou à gauche.

Dans l’occasion présente, le plus jeune Pline s’abaissa ; Jamie mit prudemment une cheminée entre lui et le côté d’où partait le bruit ; Blodget regardait en l’air comme pour voir la direction que suivrait la balle. Le capitaine Willoughby n’avait pas songé à la balle, il regardait la fumée sur les bords du bois et notait cet endroit, pendant que Joyce, de son observatoire élevé, examinait la vallée dans une autre direction, pensant qu’un coup de feu parti de si loin ne pouvait pas être bien dangereux.

Jamie n’avait pas mal calculé, la balle frappa contre la cheminée, en détacha une brique et tomba sur le toit. Joyce descendit l’instant d’après ; il ramassa froidement le morceau de plomb aplati, et le remua dans sa main pendant une minute ou deux.

— L’ennemi nous assiège, Votre Honneur, dit-il ; mais il ne nous attaquera pas à présent. Si je puis me permettre un avis, nous ferons bien de laisser une sentinelle sur cette terrasse, de peur qu’on n’approche des palissades sans être vu.

— C’est à quoi je pensais moi-même, sergent ; nous laisserons d’abord Blodget ici. Nous pouvons nous fier à lui. Il faudra lui recommander aussi d’avoir l’œil derrière la Hutte, car le danger vient souvent du côté où on l’attend le moins.

Blodget demeura donc, et le reste des hommes descendirent dans la cour. Le capitaine Willoughby fit débarricader la porte pour aller au dehors voir le corps que le jeune Américain avait fait tomber. Joyce et Jamie Allen l’accompagnaient, le dernier portant une bêche, dans l’intention d’enterrer le sauvage, ce qui était le plus court moyen d’ôter de la vue un objet désagréable. Nos deux vieux soldats ne craignirent pas de s’exposer ainsi. Avec les sentinelles convenablement postées, ils n’appréhendaient pas que quelque danger pût exister, et ils allaient avec confiance et fermeté où le devoir les appelait. Non-seulement la porte de la cour était ouverte, mais celle de dehors aussi, la simple précaution de poster un homme à la première étant le seul moyen de sauvegarde qu’on eût pris.

Quand ils furent hors des palissades, le capitaine et ses compagnons se dirigèrent vers le corps ; c’était le moment du lever du soleil, et une riche lumière illuminait le sommet de la montagne, mais les rayons n’étaient pas encore descendus dans la vallée. Ils trouvèrent l’Indien précisément où il était tombé, aucun guerrier n’étant venu le sauver du couteau à scalper. C’est sa tête qui avait la première touché la terre, et il offrait à l’œil une masse confuse de jambes et de couvertures plutôt qu’un hardi sauvage étendu dans le repos de la mort.

— Pauvre Indien ! s’écria le capitaine en approchant ; il faut espérer que la balle de Blodget avait atteint son but, car la chute lui aurait donné une triste mort.

— Par Jupiter, ce n’est qu’un mannequin ! s’écria Joyce en le faisant rouler avec son pied ; et la balle du jeune homme lui a passé juste à travers la tête. Les Indiens l’ont élevé sur les fortifications pour voir si nos sentinelles étaient ou n’étaient pas endormies.

— Quant à moi, Joyce, dit le capitaine, cela me paraît plutôt venir d’un homme blanc. C’est un Indien qu’on a voulu représenter, mais les gens de notre propre couleur ont mis la main à cette affaire.

— Hé bien, quoi qu’il en soit, Monsieur, il est heureux que notre jeune caporal ait eu le coup d’œil aussi juste. Voyez, Votre Honneur, voilà la perche dont on s’est servi pour élever l’effigie au haut de la palissade et voilà la trace des pas de celui qui la tenait.

Le capitaine regarda avec attention les marques laissées sur la terre, et pensa d’après cet examen que plusieurs hommes avaient dû être employés pour élever la figure, circonstance qui semblait probable en elle-même, quand on considérait le poids du mannequin et le danger de l’entreprise. Ce qui le réjouit, ce fut de n’avoir tué personne.

— À tout événement, Votre Honneur, je porterai le mannequin dans la maison, dit Joyce en le plaçant sur ses épaules ; cela me fera un homme pour mon canon au moins, et il en effraiera peut-être quelques-uns de l’autre côté, plus qu’il ne nous a effrayés nous-mêmes.

Le capitaine Willoughby ne s’y opposa pas, quoiqu’il rappelât à Joyce que les déserteurs avaient probablement fait connaître à l’ennemi leurs moyens de défense et leurs forces, ainsi que l’histoire du canon en bois. Si Joël et ses compagnons avaient rejoint ceux du moulin, le nom, l’âge, le caractère et l’esprit de chaque homme resté dans la garnison étaient probablement connus maintenant des chefs, et ni le canon, ni le mannequin, ne compteraient pour beaucoup à leurs yeux.

Le capitaine, après être rentré en dedans des palissades, ferma la porte, la barra de ses propres mains, quoique toutes les appréhensions immédiates eussent cessé. Il savait certainement que soutenir un vigoureux assaut était au-dessus de ses moyens actuels de résistance mais, d’un autre côté, il était certain que les Indiens n’approcheraient jamais d’une fortification en plein jour et ne s’exposeraient pas au hasard de perdre quinze ou vingt hommes avant d’avoir pu emporter la place. Cela s’opposait à toutes leurs habitudes de guerre, ils n’auraient trouvé dans cette tentative ni honneur ni avantage, car la gloire devait se mesurer sur le nombre de chevelures prises ou perdues et en comptant les femmes restées dans la Hutte, il n’y aurait pas eu un nombre suffisant de têtes pour suppléer à celles qui seraient probablement perdues dans l’assaut.

Le capitaine fit ces réflexions en peu de mots au sergent, tout en se dirigeant vers l’appartement où l’attendaient dans l’anxiété la plus vive sa femme et ses filles.

— Dieu nous a regardés en pitié et nous a protégés cette nuit, dit la reconnaissante mistress Willoughby les yeux remplis de larmes, en se jetant dans les bras de son mari. Nous ne pouvons trop remercier le ciel, quand nous voyons encore ces chères filles et le petit Evert. Si Robert était seulement avec nous, je serais complètement heureuse !

— Voilà bien la nature humaine, ma petite Maud, dit le capitaine en attirant sa favorite vers lui et déposant un baiser sur son front pur. L’idée seule de notre détresse actuelle aurait rendu ta mère aussi malheureuse que son plus grand ennemi pourrait le souhaiter, s’il y a un monstre sur terre qui puisse être son ennemi et maintenant elle proteste qu’elle est ravie parce qu’on ne nous a pas coupé la gorge cette nuit. Nous sommes assez en sûreté pour la journée, je pense, et la nuit suivante pas une seule de vous ne la passera dans la Hutte. Si l’on voit parfois la désertion, on voit aussi l’évacuation.

— Hugh ! comment pouvez-vous avoir une pareille pensée ? Rappelez-vous que nous sommes entourés par un désert.

— Je connais parfaitement notre position, ma chère, et j’ai l’intention d’utiliser cette connaissance, Dieu aidant. J’entends que le vieux Willoughby soit l’imitateur de Xénophon et de Washington, et laisse voir au monde ce dont un homme est capable quand il a une femme, deux filles et un petit-fils à sauver. Quant à Bob, je ne voudrais pas qu’il fût ici. Le jeune soldat me ravirait la moitié de ma gloire.

Les trois femmes furent enchantées de voir la gaieté du capitaine, et tout le monde se mit à table pour le déjeuner.