Waverley/Chapitre XXV

Waverley ou Il y a soixante ans
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 5p. 219-227).


CHAPITRE XXV.

NOUVELLES D’ANGLETERRE.


Jusqu’alors les lettres que Waverley avait reçues de ses parents d’Angleterre n’étaient pas de nature à mériter une attention particulière dans ce récit. Son père lui écrivait, en général, avec la pompeuse affectation d’un homme trop surchargé par les affaires publiques pour s’occuper de celles de sa famille. De temps à autre il citait des personnages de rang en Écosse, auxquels il désirait que son fils rendît quelque hommage : mais Waverley, occupé jusque-là des amusements qu’il avait trouvés à Tully-Veolan et à Glennaquoich, avait fait peu d’attention à des avis donnés aussi froidement, d’autant plus que la distance, la brièveté des congés qu’il obtenait, et autres raisons semblables, fournissaient une excuse toute prête. Mais le dernier paquet d’épîtres paternelles de M. Richard Waverley consistait en certains avis mystérieux de grandeur et d’influence, qui assureraient à son fils l’avancement le plus rapide s’il restait au service militaire. Les lettres de sir Everard étaient différentes ; elles étaient laconiques : le bon baronnet n’était pas de ces correspondants éternels, dont le manuscrit inonde les replis de leur grand papier, et ne laisse pas de place pour le cachet ; elles étaient pleines de bonté et d’affection, et se terminaient rarement sans faire quelque allusion au haras de notre héros, quelque question sur l’état de sa bourse, et une enquête particulière relativement aux recrues qui l’avaient précédé de Waverley-Honour. La tante Rachel lui recommandait de se rappeler ses principes religieux, d’avoir soin de sa santé, de se garantir des brouillards d’Écosse, qui, avait-elle ouï dire, mouillaient un Anglais de part en part ; de ne jamais sortir la nuit sans son surtout, et principalement de porter de la flanelle sur la peau.

M. Pembroke n’avait écrit qu’une lettre à notre héros, mais elle était du volume de six épîtres de ces jours dégénérés, contenant, dans l’étendue modérée de dix pages in-folio, écrites très-serrées, un précis d’un manuscrit in-quarto supplémentaire de addenda, delenda et corrigenda, ayant rapport aux deux brochures qu’il avait offertes à Waverley. Il considérait que ceci n’était qu’une tartine trempée dans la poêle pour apaiser l’appétit de la curiosité d’Édouard, jusqu’à ce qu’il trouvât l’occasion de lui envoyer le volume même, trop pesant pour être mis à la poste, volume qu’il se proposait d’accompagner de certaines brochures intéressantes publiées récemment par son ami de la Petite-Bretagne[1], avec lequel il avait entretenu une espèce de correspondance littéraire, ensuite de laquelle les rayons de la bibliothèque du manoir de Waverley s’étaient chargés de beaucoup de verbiage ; et un bon billet, du montant de trois chiffres au moins, arrivait chaque année à sir Éverard Waverley de Waverley-Honour, baronnet, billet tiré par Jonathan Grubbet, libraire et papetier à la Petite-Bretagne. Tel avait été jusqu’alors le style des lettres qu’Édouard avait reçues d’Angleterre ; mais le paquet qu’on lui remit à Glennaquoich était d’une nature toute différente, et bien plus intéressant. Il serait impossible au lecteur, quand même j’insérerais les lettres tout au long, de comprendre la cause qui y avait donné lieu, sans jeter un coup d’œil sur l’intérieur du cabinet anglais à cette époque.

Les ministres du jour se trouvaient (événement qui n’est pas rare) divisés en deux partis, dont le plus faible, suppléant par l’assiduité de l’intrigue à son infériorité réelle, avait récemment acquis de nouveaux prosélytes, et avec eux l’espoir de supplanter ses rivaux dans la faveur du roi, et de les accabler dans la chambre des communes. Entre autres personnages ils avaient jugé nécessaire de se servir de Richard Waverley. Cet honnête gentilhomme, par sa conduite grave et mystérieuse, son attention un peu plus grande pour la forme des affaires que pour leur essence, sa facilité à faire de longs discours ennuyeux, consistant en proverbes et en dictons embrouillés par un jargon technique d’office, qui empêchait que l’on ne découvrît la nullité de son talent oratoire, avait acquis un certain nom et de la confiance dans la vie publique, et jouissait même, auprès de plusieurs, de la réputation de grand politique ; non pas comme un de ces orateurs brillants, il est vrai, dont les talents s’évaporent en fleurs de rhétorique et en traits d’esprit, mais comme un homme qui possédait des connaissances solides dans les affaires, qui serait d’un bon usage, ainsi que disent les dames qui achètent de la soie, qui doit être bonne à un service commun et journalier, puisqu’on avoue qu’elle n’est pas fabriquée d’un tissu convenable aux jours de fête.

Cette croyance était devenue si générale, que le parti insurgé du cabinet dont nous avons parlé, après avoir sondé Richard Waverley, fut si satisfait de ses sentiments et de ses moyens, qu’on lui proposa, au cas d’un changement dans le ministère, de prendre une place élevée dans le nouvel ordre de choses, non pas effectivement du premier rang, mais de beaucoup supérieure, tant pour les appointements que pour l’influence, à celle qu’il occupait actuellement. Il n’était guère possible de résister à une proposition aussi séduisante, quoique le grand personnage, sous la protection duquel il était enrôlé tant que ce dernier s’était maintenu en faveur, fût le but principal de l’attaque dirigée par les nouveaux alliés. Malheureusement ce beau projet d’ambition fut coupé dans sa fleur par un mouvement prématuré. Tous les gentilshommes en office qui y étaient intéressés et qui hésitèrent à se démettre volontairement apprirent que le roi n’avait plus besoin de leurs services ; et, quant à Richard Waverley, que le ministre considérait comme plus coupable par son ingratitude, sa démission fut accompagnée de quelque chose qui ressemblait à un mépris personnel et à un affront. Le public, et même le parti dont il partageait la disgrâce, plaignirent peu le désappointement de cet homme d’état égoïste et intéressé ; et il se retira à la campagne avec la triste pensée qu’il avait perdu, en même temps, sa réputation, la confiance, et, ce qu’il déplorait pour le moins autant, les appointements de sa charge.

La lettre de Richard Waverley à son fils, dans cette circonstance, était un chef-d’œuvre en son genre. Aristide lui-même n’eût pas été plus à plaindre. Un monarque injuste, un pays ingrat, tel était le refrain de chaque paragraphe bien enflé. Il parlait de sacrifices, de longs services non récompensés, quoique les seconds eussent été payés au-delà par son salaire, et que personne ne pût deviner en quoi consistaient les premiers, à moins que ce ne fût d’avoir déserté, non par conviction mais par l’appât du gain, les principes royalistes de sa famille. En terminant, son ressentiment était porté à un si haut point, par la force de son style oratoire, qu’il n’avait pu réprimer quelques menaces de vengeance, quoique vagues et impuissantes, et il invitait son fils à exprimer son ressentiment de l’injure qu’il avait reçue, en renvoyant sa commission dès que cette lettre lui parviendrait. C’était, ajouta-t-il, aussi le désir de son oncle, ainsi qu’il le lui indiquerait lui-même.

Effectivement, la lettre qu’Édouard ouvrit ensuite était de sir Éverard. La disgrâce de son frère semblait avoir effacé de son cœur tout souvenir de leurs différends, et, éloigné comme il l’était de tout moyen d’apprendre que la disgrâce de Richard n’était réellement que la suite juste et naturelle de ses propres intrigues déjouées, le bon mais crédule baronnet l’inscrivait aussitôt comme un exemple nouveau de l’injustice du gouvernement existant. Il était vrai, disait-il, et il ne pouvait le cacher même à Édouard, que son père n’aurait pas éprouvé un pareil affront, que l’on faisait pour la première fois à un membre de sa famille, s’il ne s’était pas soumis à accepter un emploi sous le régime actuel. Sir Éverard ne doutait pas qu’il ne vît et ne sentît toute l’étendue de son erreur, et quant à lui (sir Éverard) il aurait soin que la cause de son regret ne s’étendît pas aux suites pécuniaires. C’était assez qu’un Waverley eût supporté la disgrâce publique ; l’injure patrimoniale pouvait se réparer aisément par le chef de la maison. Mais l’opinion de M. Richard Waverley et la sienne était qu’Édouard, le représentant de la famille de Waverley-Honour, ne restât point dans une situation qui l’exposait à un traitement semblable à celui qui avait flétri sont père. Or, il priait son neveu de saisir l’occasion la plus convenable et la plus prompte de transmettre sa démission au bureau de la guerre, et lui donnait à entendre, néanmoins, qu’il fallait peu de cérémonie quand on en avait usé de si peu envers son père. Il envoyait mille salutations au baron de Bradwardine.

Une lettre de la tante Rachel s’expliquait plus clairement. Elle considérait la disgrâce de son frère Richard comme la juste récompense de sa renonciation à son serment de fidélité envers un souverain légitime, en prêtant un serment nouveau à un étranger ; concession que son grand-père, sir Nigel Waverley, avait refusée, soit au parlement des têtes-rondes, soit à Cromwell, quand sa vie et sa fortune étaient également menacées. Elle espérait que son cher Édouard suivrait les traces de ses ancêtres, et se débarrasserait le plus tôt possible de son lien de servitude envers une famille usurpatrice, et qu’il envisagerait les injures faites à son père comme un avis du ciel, et que toute désertion du sentier de la loyauté amène son propre châtiment. Elle terminait aussi en présentant ses respects à M. Bradwardine, et priait Waverley de lui dire si sa fille, miss Rose, était assez âgée pour porter une paire de très-belles boucles d’oreilles qu’elle se proposait de lui envoyer comme gage de son affection. La bonne dame demandait également si M. Bradwardine prenait toujours autant de tabac écossais, et était aussi infatigable à la danse qu’il l’avait été dans le manoir de Waverley, trente ans auparavant.

Ces lettres, ainsi qu’on doit s’y attendre, excitèrent vivement l’indignation de Waverley. D’après le genre irrégulier de ses études, il n’avait pas une opinion politique assez fixe pour contenir le ressentiment que lui faisaient éprouver les injures supposées de son père. Édouard ignorait totalement la cause réelle de sa disgrâce ; et ses habitudes ne l’avaient jamais porté à examiner la politique de son siècle, ni les intrigues dont son père s’occupait avec activité. Toute impression qu’il eût adoptée relativement aux partis de ce temps était même, par rapport à la société dans laquelle il se trouvait à Waverley-Honour, plutôt défavorable au gouvernement et à la dynastie régnante. Il partagea donc, sans hésiter, le ressentiment de ses parents qui avaient bien droit de diriger sa conduite ; et cette détermination lui coûta peut-être d’autant moins, qu’il se rappelait l’ennui de son quartier et le peu de figure qu’il faisait parmi les officiers de son régiment. S’il lui fût resté quelques doutes, il se serait décidé d’après la lettre suivante de son officier commandant. Comme elle est très-courte, nous l’insérons en entier :

Monsieur,

Ayant porté un peu au-delà de la ligne de mon devoir une indulgence que les lumières de la nature, et encore plus celles du christianisme n’autorisent pas dans les erreurs où peuvent conduire la jeunesse et l’inexpérience ; et comme cette indulgence ne produit aucun effet salutaire, je suis forcé, bien malgré moi, dans la crise actuelle, d’employer le seul remède qui soit en mon pouvoir. Recevez donc, par celle-ci, l’ordre de vous rendre à……, quartier général de votre régiment, sous trois jours, à partir de celui de la date de cette lettre. Si vous y manquiez, je me verrais contraint de faire mon rapport au bureau de la guerre, en vous déclarant absent sans permission, et je prendrais d’autres mesures qui vous seraient aussi désagréables qu’à moi.

Je suis, monsieur,
Votre obéissant serviteur,
Gardiner,
lieutenant-colonel, commandant le… régiment de dragons.


Le sang d’Édouard bouillonnait dans ses veines en lisant cette lettre. Il avait été habitué dès son enfance à être maître en grande partie de son temps, et par ce moyen il avait pris des habitudes qui faisaient que les règles de la discipline militaire lui étaient aussi insupportables en ce point qu’en beaucoup d’autres. L’idée qu’on serait moins sévère pour lui s’était, dès le principe, emparée de lui, et jusque-là cette opinion avait été confirmée par l’indulgence de son lieutenant-colonel. Ensuite il ne s’était rien passé, à sa connaissance, qui eût pu engager son officier commandant, sauf les avertissements dont nous avons parlé à la fin du quatorzième chapitre, à prendre tout à coup un ton si dur, et, selon Édouard, une autorité si impérieuse. Réunissant ce fait aux lettres qu’il venait de recevoir de sa famille, il ne put que supposer qu’on avait l’intention de lui faire sentir, dans sa situation actuelle, la même dureté de pouvoir dont on avait usé envers son père, et que le tout était un plan concerté pour tracasser et avilir la famille de Waverley.

Aussi, Édouard, sur-le-champ, écrivit quelques lignes assez froides, dans lesquelles il remerciait son lieutenant-colonel de ses bontés passées, et exprimait son regret qu’il eut cherché à en effacer le souvenir en prenant avec lui un ton différent. Le style de cette lettre, joint à ce que lui, Édouard, considérait comme son devoir, dans la crise actuelle, l’obligeait, disait-il, à remettre sa commission. Il envoyait donc la résignation formelle d’un poste qui assujettissait à une correspondance aussi désagréable, et priait le colonel Gardiner d’avoir la bonté de la faire passer aux autorités compétentes.

Ayant terminé cette épître magnanime, il se trouva un peu embarrassé sur la manière dont devait être conçue sa démission ; il résolut de consulter à ce sujet Fergus Mac-Ivor. Il est bon de remarquer en passant que la promptitude et la hardiesse de penser, d’agir et de parler, qui distinguaient ce jeune chef, lui avaient donné un ascendant considérable sur l’esprit de Waverley. Doué pour le moins d’une égale intelligence, et d’un génie beaucoup plus fin, Édouard, néanmoins, cédait à l’activité hardie et décisive d’une intelligence aiguisée par l’habitude d’agir d’après un système régulier et conçu d’avance, ainsi que par une connaissance étendue du monde.

Quand Édouard trouva son ami, ce dernier tenait encore à la main le journal qu’il avait lu, et il s’avança vers lui avec l’embarras de quelqu’un qui a des nouvelles pénibles à communiquer. « Vos lettres, capitaine Waverley, confirment-elles la fâcheuse nouvelle que je trouve dans ce journal ? »

Il lui remit en main le papier où la disgrâce de son père était consignée dans les termes les plus amers, extraits probablement de quelque journal de Londres. À la fin de ce paragraphe on trouvait ce passage remarquable :

« Il paraît que ce même Richard qui a fait tout ceci n’est pas le seul exemple de l’honneur inconstant de W-v-r-ly H-n-r[2]. Voyez la gazette du jour. »

Pressé et agité par une appréhension fébrile, notre héros cherche à l’endroit indiqué, et y trouve ces mots : » Édouard Waverley, capitaine au régiment de dragons, révoqué pour absence ; » et à l’article des promotions militaires du même régiment, il lit : « Le lieutenant Julius Butler, nommé capitaine en remplacement d’Édouard Waverley, révoqué. »

Le cœur de notre héros brûlait du ressentiment qu’une insulte, apparemment préméditée et non méritée, excite dans le sein de celui qui, après avoir aspiré à l’honneur, se voit aussi cruellement livré au mépris et à la disgrâce publique. En comparant la date de la lettre de son colonel avec celle de l’article de la gazette, il s’aperçut que la menace de faire un rapport sur son absence avait été accomplie à la lettre, et sans s’informer, à ce qu’il paraissait, si Édouard avait reçu les ordres ou s’il était disposé à s’y conformer. Le tout ne lui parut maintenant qu’un projet combiné pour le dégrader aux yeux du public, et l’idée qu’on avait réussi fit sur lui une impression si amère, qu’après plusieurs efforts pour la cacher, il se jeta enfin dans les bras de Mac-Ivor, et s’abandonna à des larmes de honte et d’indignation.

Le chieftain n’avait pas le défaut d’être indifférent aux chagrins de ses amis, et, indépendamment de certains projets auxquels il était lié, il éprouvait pour Édouard un intérêt vif et sincère. Ce procédé lui parut aussi extraordinaire qu’à Édouard ; à la vérité, il connaissait mieux que Waverley les motifs qui avaient donné lieu à l’ordre péremptoire de rejoindre son régiment ; mais que sans plus d’enquête dans les causes d’un retard nécessaire, l’officier-commandant, contre son caractère bien connu, eût agi aussi durement et d’une manière si étrange, c’était un mystère qu’il ne pouvait pénétrer. Néanmoins, il consola notre héros du mieux qu’il put, et commença à tourner ses pensées à la vengeance de son honneur outragé.

Édouard saisit avidement cette idée. « Voulez-vous porter un message pour moi au colonel Gardiner, mon cher Fergus, et m’obliger à jamais ? »

Fergus réfléchit. « C’est un acte d’amitié auquel j’obéirais, s’il pouvait être utile, ou conduire au rétablissement de votre honneur ; mais dans ce cas, je doute si votre officier-commandant y répondrait, en raison des mesures qu’il a prises, qui, quoique dures et empreintes d’exaspération, étaient néanmoins dans les bornes de son devoir. D’ailleurs Gardiner est un strict huguenot, et a adopté certaines idées sur le péché de pareilles rencontres ; il serait peut-être difficile de le faire changer d’avis, d’autant plus que son courage est au-dessus du soupçon ; et je…je…, à dire vrai, je n’ose en ce moment, pour des raisons puissantes, approcher d’aucun quartier occupé par des troupes de ce gouvernement. »

« Et faut-il donc, dit Waverley, que je me repose tranquille et satisfait après l’injure que j’ai reçue ? » — « C’est ce que je ne conseillerai jamais à mon ami, reprit Mac-Ivor ; mais je voudrais que la vengeance tombât sur la tête et non sur la main, sur le gouvernement tyrannique et oppresseur qui projette et dirige ces insultes préméditées et réitérées, plutôt que sur les instruments officieux qu’il a employés pour exécuter les injustices commises envers vous. »

« Sur le gouvernement ! » dit Waverley.

« Oui, reprit l’impétueux montagnard, sur la maison usurpatrice de Hanovre, que votre grand-père n’aurait pas plus servie qu’il n’aurait reçu des gages en or brûlant, des mains du grand ennemi infernal ! »

« Mais depuis mon grand-père deux générations de cette dynastie ont occupé le trône, » dit tranquillement Édouard.

« C’est vrai, reprit le chieftain ; et parce que nous leur avons laissé si long-temps les moyens de montrer le naturel de leur caractère, parce que vous et moi nous avons vécu dans une soumission paisible, que nous nous sommes même accommodés avec les temps jusqu’à recevoir des commissions sous eux, et que nous leur avons ainsi donné l’occasion de nous disgracier publiquement en nous les retirant, ne devons-nous pas, par cette raison, ressentir des injures que nos pères n’avaient fait que craindre, et que nous endurons réellement ? ou la cause de la famille infortunée des Stuarts est-elle devenue moins juste, parce que leur titre est dévolu à un héritier qui est innocent des accusations de mauvais gouvernement portées contre son père ? Vous rappelez-vous ce passage de votre poète favori :


Si de plein gré Richard eût abdiqué le trône.
Un roi ne peut donner que le bien qu’on lui donne ;
Mais cet acte royal s’effaçait sans retour,
Si de Richard un fils avait reçu le jour ?


Vous voyez, mon cher Waverley, que je puis citer de la poésie aussi bien que vous et Flora. Mais, allons, éclaircissez votre front obscurci, et fiez-vous à moi pour trouver un moyen légitime d’arriver à une vengeance prompte et glorieuse. Cherchons Flora ; elle a peut-être d’autres nouvelles à vous annoncer de ce qui se sera passé en notre absence ; elle se réjouira de vous savoir délivré de la servitude. Mais d’abord ajoutez un post scriptum à votre lettre : marquez le temps où vous avez reçu le premier appel de ce colonel calviniste, et exprimez votre regret que la précipitation de ses procédés ait empêché l’envoi de votre démission, faites-le rougir de son injustice. »

On cacheta la lettre qui contenait la résignation formelle de la commission, et Mac-Ivor l’envoya avec quelques lettres à lui par un messager spécial qui avait ordre de les mettre à la poste la plus voisine dans les basses terres.


  1. Quartier de Londres. a. m.
  2. Ici l’auteur fait jouer sur les mots, en opposant wavering honour (l’honneur inconstant ou chancelant) à Waverley-Honour, nom de famille. a. m.